Alfred Dreyfus

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Alfred Dreyfus
Alfred Dreyfus
Alfred Dreyfus en 1894, photographie de Aron Gerschel.

Naissance
Mulhouse ( Empire francais )
Deces (a 75 ans)
17 e  arrondissement de Paris
Origine Drapeau de l'Alsace Alsace
Allegeance Drapeau de la France France
Arme Artillerie
Grade Lieutenant-colonel
Annees de service 1878 ? 1918
Conflits Premiere Guerre mondiale
Distinctions
Signature de Alfred Dreyfus

Alfred Dreyfus ( / a l f ? ? d d ? ? f y s / ), ne le a Mulhouse et mort le a Paris , est un officier d'artillerie francais d'origine alsacienne et de confession juive . Il est victime, en 1894, d'une machination judiciaire qui est a l'origine d'une crise politique majeure de la III e Republique , l' affaire Dreyfus (1894-1906), quand il est accuse et condamne a tort, par antisemitisme , d'etre un espion au service de l' Empire allemand . Alors qu'il est arrete, condamne a la degradation nationale , puis deporte au bagne sur l' ile du Diable pour y etre enferme jusqu'a sa mort, des elements montrent que Dreyfus est innocent et que le vrai coupable est un officier catholique du nom de Esterhazy . Des revelations progressives montrent que l'enquete faite par l'armee en interne est biaisee ; que Dreyfus est un bouc-emissaire ideal, etant Juif , et que l'etat-major de l'armee est au courant de l'innocence de Dreyfus, mais prefere cacher l'affaire et le laisser au bagne plutot que de perdre la face.

Le scandale eclate, et commence a secouer la vie politique francaise ; il met en exergue les liens de l' armee francaise et des milieux politiques d'alors avec l' antisemitisme . Apres de multiples peripeties judiciaires et politiques, la publication en 1898 du manifeste d' Emile Zola , J'accuse , apporte a sa cause une nouvelle ampleur. Zola y met en cause l'armee et les responsables politiques francais pour avoir couvert l'affaire. Dreyfus est finalement innocente, rehabilite et reintegre a l' armee francaise , bien qu'a un grade inferieur a celui auquel son anciennete donnait droit.

Les milieux antidreyfusards antisemites, cependant, voient d'un mauvais œil cette rehabilitation et alors qu'il assiste au transfert au Pantheon des cendres d' Emile Zola , il est cible par un attentat d'un militant militariste antisemite, plus tard acquitte en proces, mais il y survit.

Il combat lors de la Premiere Guerre mondiale , notamment a Verdun et au Chemin des Dames , puis se met en retraite et mene une vie tranquille. Il meurt en 1935 a Paris et est enterre au cimetiere du Montparnasse .

La vie d'Alfred Dreyfus et les persecutions qu'il a subies parce qu'il etait Juif ont marque la conscience politique francaise ; le veritable coupable, Ferdinand Walsin Esterhazy , reste impuni. Parmi ses defenseurs, on compte entre autres les ecrivains Emile Zola , Charles Peguy ou Anatole France , les politiciens Georges Clemenceau ou Jean Jaures et les fondateurs de la Ligue des droits de l'homme (LDH) Francis de Pressense ou Pierre Quillard .

Biographie [ modifier | modifier le code ]

Famille [ modifier | modifier le code ]

Alfred Dreyfus est issu d'une vieille famille juive installee en Alsace depuis plusieurs siecles . Son grand-pere etait un modeste commercant de Rixheim , non loin de Mulhouse . Son pere, Raphael Dreyfus, crea a Mulhouse une petite filature de coton et les affaires prosperant, il y ajouta une usine de tissage. Il permit ainsi a sa famille de faire partie de la bourgeoisie mulhousienne. Raphael se maria avec Jeanne Libmann-Weill, le couple eut neuf enfants, dont sept survecurent. Alfred Dreyfus est le benjamin de la famille [ 1 ] , il passa son enfance dans la maison familiale rue du Sauvage puis dans une maison cossue, rue de la Sinne, a Mulhouse. Sa mere etant tombee malade a la suite de sa naissance, sa sœur ainee Henriette fut pour cet enfant timide comme une seconde mere [ 2 ] .

La quietude de la vie familiale est perturbee par la guerre franco-allemande de 1870 , la defaite francaise et la perte de l' Alsace-Lorraine . Apres la signature du traite de Francfort , l' Alsace-Moselle est annexee par l' Empire allemand en 1871. Mosellans et Alsaciens ont cependant la possibilite de garder la nationalite francaise mais ils doivent dans ce cas quitter leur domicile et partir pour la France. En 1872, les Dreyfus optent pour la nationalite francaise et quittent l' Alsace .

La famille s'installe d'abord a Bale , en Suisse , puis, en 1873, Alfred Dreyfus est envoye poursuivre ses etudes a Paris, ou il passe le baccalaureat et entre au college Sainte-Barbe pour preparer le concours d'entree a l' Ecole polytechnique . Il est recu, a 19 ans, 128 e sur 235 [ 2 ] .

Alfred Dreyfus epouse, le , Lucie Hadamard ( - ), issue d'une famille aisee de diamantaires originaire de Metz . Le couple a deux enfants : Pierre ( - ) et Jeanne ( - ) [ 2 ] .

Debut de carriere militaire [ modifier | modifier le code ]

Fiche matricule d'Alfred Dreyfus a l' Ecole polytechnique .

Il entre a l' Ecole polytechnique en 1878, a 19 ans [ 3 ] , [ 4 ] . En 1880, il en sort 128 e sur 235, et accede, avec le grade de sous-lieutenant , a l'Ecole d'application d'artillerie de Fontainebleau .

Au tournant des annees 1880, la grande majorite des officiers generaux sont legitimistes ou bonapartistes. L'etat-major reste attache a l'ordre moral, et hostile a la Republique et a la democratie, percues par beaucoup d'officiers comme hostiles a l'armee.

Alfred Dreyfus reste deux ans a Fontainebleau, ou il est bien note par ses superieurs. Le , il est nomme lieutenant au 31 e regiment d'artillerie du Mans . A la fin de 1883, il est affecte aux batteries a cheval de la 1 re division de cavalerie de Paris. L'appreciation de ses superieurs est elogieuse : ≪ intelligent […], consciencieux […], zele […], officier plein d'entrain, tres hardi cavalier, instruit, intelligent, excellent lieutenant de batterie a cheval […], meilleur lieutenant du groupe des batteries ≫. En , il est nomme capitaine au 21 e regiment d'artillerie , detache comme adjoint a l'Ecole centrale de pyrotechnie militaire de Bourges . Dans le meme temps, il prepare les examens d'admission a l' Ecole de guerre , ou il est recu le .

Officier stagiaire a l'etat-major [ modifier | modifier le code ]

Alfred Dreyfus entre a l'Ecole de guerre a l'automne 1890. Les appreciations de ses superieurs sont une nouvelle fois excellentes. En novembre 1892, il en sort avec la mention ≪ tres bien ≫, classe 9 e sur 81. Il est ainsi appele en tant que stagiaire a l'etat-major de l'armee, au ministere de la Guerre , le , avec le grade de capitaine . En tant que stagiaire, il passa successivement dans chacun des bureaux de l’etat-major [ 2 ] .

A partir de 1892, dans son journal, La Libre Parole , Edouard Drumont , laissant libre cours a son antisemitisme, mene une vigoureuse campagne contre la presence d'officiers juifs dans l'armee francaise. Or, Alfred Dreyfus ne beneficie pas du soutien d'officier de haut rang, ni d'homme politique. Sa fortune personnelle, son origine alsacienne et juive, susciteraient jalousie et mefiance [ 5 ] .

En , la section de ≪ statistique ≫ [ a ] (en realite le service d'espionnage et de contre-espionnage de l'armee), soustrait a l’ambassade d' Allemagne un bordereau revelant qu'il existe un traitre dans l'armee francaise (il s'agit de Ferdinand Walsin Esterhazy , comme il le sera revele plus tard). Alfred Dreyfus, dont l'ecriture ressemble a celle du bordereau, apparait rapidement comme le suspect ideal pour plusieurs raisons : les ambitions politiques et la crainte d'etre ≪ debarque ≫ du ministre de la Guerre Auguste Mercier [ 7 ] , et l' antisemitisme de l'etat-major et singulierement du service de ≪ statistique ≫.

Proces et condamnation de 1894 [ modifier | modifier le code ]

Le , il est arrete et incarcere a la prison du Cherche-Midi pour espionnage au profit de l'Allemagne. Il passe en conseil de guerre a Paris le  ; le proces se deroule a huis clos. Dreyfus est defendu par un avocat penaliste talentueux, Edgar Demange , de confession catholique , choisi par son frere Mathieu . Cet avocat tente de demontrer a la Cour l'insuffisance des charges pesant sur l'accuse puisque les differentes expertises en ecritures produites se contredisent ; l'une de celles-ci a ete effectuee par Bertillon .

Mais, contre toute attente [ 8 ] , Dreyfus est condamne le a l'unanimite pour trahison , ≪ a la destitution de son grade, a la degradation militaire , et a la deportation perpetuelle dans une enceinte fortifiee  ≫, c'est-a-dire au bagne en Guyane . Il n'est pas condamne a mort , cette peine ayant ete abolie pour les crimes politiques depuis 1848 .

Pour les autorites, la presse et le public, les quelques doutes d'avant proces sont dissipes. Son cas est evoque devant la Chambre des deputes et il ne trouve alors aucun defenseur, pas meme en la personne de Jean Jaures qui le condamne a la tribune ou de Clemenceau , les deux soulignant que la peine de mort venait d'etre appliquee a un jeune soldat insolent en vertu du Code de justice militaire [ 9 ] .

Degradation [ modifier | modifier le code ]

Le traitre : Degradation d'Alfred Dreyfus , dessin d' Henri Meyer , Le Petit Journal , .

Alfred Dreyfus est degrade le , dans la cour d'honneur de l' Ecole militaire de Paris, devant une foule hostile.

A 9 heures, encadre par une escouade de six artilleurs sabre au clair et accompagne par un lieutenant de la Garde republicaine , le capitaine Dreyfus, sabre a la main et revolver en sautoir, avance sous un roulement de tambour, au centre d'un carre forme de quatre mille soldats (chacun des regiments de la garnison de Paris a envoye deux detachements , l'un de soldats en armes, l'autre de recrues) et ou se tient le general Darras a cheval, grand officiant de la ceremonie, suivi du colonel Fayet, major de la garnison [ 10 ] . Entre deux detachements, une tribune specialement amenagee est reservee aux invites, politiques, diplomates et journalistes accredites, parmi lesquels Barres , chantre du nationalisme [ b ] , et Leon Daudet , polemiste antisemite [ c ] . Une foule de milliers de personnes, tenue a distance derriere les grilles de la cour Morland, crie notamment : ≪ A mort Judas  ! Mort au juif ! ≫ [ 11 ] .

Le greffier du Conseil de guerre, M. Vallecalle, lit le jugement. Le general crie ensuite : ≪ Alfred Dreyfus, vous etes indigne de porter les armes. Au nom du peuple francais, nous vous degradons ! ≫ . Dreyfus, les deux bras tournes vers l'armee, crie en echo ≪ Soldats, on degrade un innocent ! Soldats, on deshonore un innocent ! Vive la France ! Vive l'armee ! ≫ L'adjudant Bouxin de la garde republicaine arrache les insignes de son rang, galons d'or du kepi et des manches, epaulettes, boutons dores de son dolman noir, bandes rouges du pantalon [ d ] . Il brise le sabre sur une de ses cuisses et laisse tomber a terre les deux troncons rompus. Entoure de quatre artilleurs, Dreyfus en guenilles, doit defiler autour de la place d'armes . La ceremonie dure quelque dix minutes [ 13 ] .

Deportation et detention a l'ile du Diable (Guyane) [ modifier | modifier le code ]

Les deux cases occupees par Dreyfus sur l'ile du Diable.

Le , Alfred Dreyfus est embarque sur le Ville-de-Saint-Nazaire , qui accoste a l' ile Royale le 8 mars. Garde secretement sur l'ile Royale, il pose pied sur l' ile du Diable cinq jours plus tard.

Les conditions de detention sont penibles : il est surveille jour et nuit par des gardiens releves toutes les deux heures. Il a interdiction de parler a ses geoliers, qui ne peuvent a leur tour lui parler. Sa liberte de mouvement est limitee aux 200 metres a decouvert entourant la case, local de 4 × 4  m , ou il loge. Lucie, son epouse, n'est pas autorisee a le rejoindre contrairement aux lois de 1872 et 1873 [ 14 ] . Le climat equatorial est particulierement eprouvant, chaleur et secheresse alternant avec des pluies torrentielles.

A partir du , le prisonnier tient son journal mais l'interrompt le ≪ tellement las, tellement brise de corps et d'ame ≫ [ 15 ] .

En , la nouvelle de son evasion, repandue par la presse britannique a l'instigation de Mathieu Dreyfus pour que son frere ne tombe pas dans l’oubli, est reprise par les journaux francais mais dementie le lendemain. Neanmoins, par precaution, le ministre des Colonies, Andre Lebon , ordonne de faire construire une double palissade autour de sa case et de le faire mettre aux fers, la nuit, du au [ 16 ] . De jour comme de nuit, Dreyfus est consigne dans sa case.

Dreyfus dans sa maison a l' ile du Diable , 1898 ( stereoscopie vendue par F. Hamel , Altona- Hambourg , collection Fritz Lachmund).

Sa sante et son moral declinent rapidement. Le bagnard Charles Benjamin Ullmo , qui occupe la case apres Dreyfus, raconte que celui-ci disait parler aux requins et que ceux-ci venaient a l'appel. Il dort avec l'aide de calmants prescrits par le medecin des iles, ecrit a sa femme, a son frere, au general de Boisdeffre , chef d'etat-major des armees, au president de la Republique, alors que sa correspondance est inspectee minutieusement. Dans ses lettres, Dreyfus defend constamment son honneur, clame son innocence, demande la reouverture de l'enquete. Le courrier lui arrive avec deux mois de retard, certaines de ses lettres ne parviennent pas a sa femme et certaines lettres de son epouse ne lui sont pas transmises : elles sont, a partir de mars 1897, recopiees par ≪ une main banale ≫ [ 17 ] . Il remplit ses cahiers du nom de sa femme et de figures geometriques [ref. necessaire] . Tenu dans l'ignorance complete des progres concernant son dossier, il n'essaie toutefois jamais de s'evader ou de tenter une quelconque violence a l'encontre des autorites du bagne.

≪ L'Affaire ≫ [ modifier | modifier le code ]

Brochure de Bernard Lazare sur l'affaire Dreyfus (1896).

En , le lieutenant-colonel Georges Picquart , devenu chef du service de renseignements (section de statistique) en , intercepte un document, le ≪ petit bleu ≫, qui ne laisse aucun doute sur les accointances de son auteur, le commandant Esterhazy , avec l'ambassade d'Allemagne. Il decouvre par ailleurs que le dossier secret comportant des pieces couvertes par le secret militaire, communique au conseil de guerre pendant le delibere, a l'insu de la defense, est vide de preuves.

L' affaire Dreyfus nait a ce moment-la, a la suite de l'acquittement du veritable traitre, Ferdinand Walsin Esterhazy, au moment ou Emile Zola publie ≪  J'accuse… !  ≫ dans L’Aurore du , une lettre adressee au president Felix Faure ou il affirme que Dreyfus est innocent. L'Etat engage alors un tres mediatise proces en diffamation a rebondissements, au terme duquel Emile Zola est condamne au maximum de la peine. L'Affaire eclate alors au grand jour et divise les grands courants politiques de l'epoque en clans ≪ dreyfusards ≫ et ≪ anti-dreyfusards ≫ [ 18 ] , [ 19 ] , [ 20 ] .

Parmi les autres defenseurs d'Alfred Dreyfus se situe notamment l'ecrivain Charles Peguy , dont la librairie Bellais, qu'il fonde en 1898 avec l'argent de son epouse, sert de quartier general aux ≪ dreyfusards ≫ du Quartier latin [ 21 ]  ; d'autres dreyfusistes se reunissaient ailleurs car ≪ le dreyfusisme fut eclate, heterogene voire heteroclite et eut au moins une dizaine de ces quartiers generaux : la redaction de L’Aurore , celles des Figaro , des Droits de l’Homme , du Journal du Peuple , du Radical , de La Revue blanche , la librairie Stock , le bureau de Lucien Herr , etc. [ 22 ]  ≫ .

Son cas, a nouveau evoque a la Chambre des deputes, provoque un scandale dans le cadre de crises ministerielles. Les ≪ preuves ≫ produites par le ministre de la Guerre devant la Chambre se revelent etre des faux commis par les militaires. L'auteur de ces fausses pieces, le colonel Henry , interroge par le ministre de la Guerre Godefroy Cavaignac le 30 aout 1898, reconnait les faits. Mis en etat d'arrestation, il est emprisonne au fort du Mont Valerien le jour meme. Le lendemain matin, il est retrouve mort dans sa cellule, couvert de sang, la gorge ouverte, un rasoir a la main [ 23 ] .

Proces de Rennes et seconde condamnation [ modifier | modifier le code ]

Ouverture des debats au second proces du capitaine Alfred Dreyfus devant le conseil de guerre de Rennes en aout 1899.

Apres l'arret de la Cour de cassation annulant le premier jugement, Dreyfus est rapatrie pour etre juge par un second conseil de guerre , a Rennes . Le proces public debute le  ; Alfred Dreyfus y comparait physiquement affaibli. Maurice Barres , qui assiste au proces, retient un instant son fiel antisemite et dresse ce portait de Dreyfus :

≪ Toute la salle bougea d'horreur et de pitie melees quand Dreyfus parut. Sa figure mince et contractee ! […] ce pauvre petit homme qui, charge de tant de commentaires, s'avancait avec une prodigieuse rapidite. Nous ne sentimes rien a cette minute qu'un mince flot de douleur qui entrait dans la salle. On jetait en pleine lumiere une miserable guenille humaine. Une boule de chair vivante, disputee entre deux camps de joueurs et qui depuis six ans n'a pas eu une minute de repos, vient d'Amerique rouler au milieu de notre bataille. Mais deja Dreyfus a gravi les trois marches de l'estrade, la nouvelle station de son calvaire [ 24 ] […] ≫

Le , le jury le reconnait a nouveau coupable de trahison, mais lui accorde le benefice de circonstances attenuantes et le condamne a dix ans de detention. Dreyfus, sur le conseil de ses avocats, signe alors une demande de pourvoi en cassation. Son etat de sante fait craindre a certains de ses proches les consequences d'une nouvelle detention. Apres un debat qui divise les chefs de file des dreyfusards ( Clemenceau , Jaures , Millerand …), Mathieu Dreyfus convainc son frere de renoncer a son pourvoi en cassation et de signer un recours en grace. Le , le president de la Republique, Emile Loubet , gracie Alfred Dreyfus. Mais le combat pour la reconnaissance de son innocence n'est pas termine pour autant [ 25 ] .

De Rennes a la rehabilitation [ modifier | modifier le code ]

La grace de Dreyfus a ete voulue par le Gouvernement comme l'ouverture de la voie a l'apaisement des esprits. Une loi d'amnistie couvrant ≪ tous les faits criminels ou delictueux connexes a l'affaire Dreyfus ou ayant ete compris dans une poursuite relative a l'un de ces faits ≫, excepte le jugement de Dreyfus ? qui peut ainsi poursuivre sa demande de revision ? est votee par le Parlement en [ 26 ] .

Pour quelques dreyfusards ( Labori , Picquart , Clemenceau ), la grace obtenue, la liberte acquise et le retour a la vie ordinaire retirent a Dreyfus le statut de martyr dont ils l'avaient pare. N'acceptant pas qu'il ait privilegie sa vie privee au combat emblematique pour la justice, ils l'accusent de tous les maux dont ceux d'avoir negocie sa grace avec le gouvernement Pierre Waldeck-Rousseau , de se satisfaire de l'inaction et de ne pas manifester suffisamment de reconnaissance envers ceux qui se sont engages pour lui. Pour eux, il n'est plus un innocent persecute supportant avec stoicisme son martyre ; il a renonce a etre un symbole en restant en dessous de la cause qu'il representait. Face a ces critiques ? injustes et inexactes ? Dreyfus garde une ≪ attitude digne et reservee ≫ (≪ Notre reconnaissance nous oblige a nous taire ≫, ecrira-t-il plus tard). Et en toute logique, Picquart et Labori decideront de rompre malgre tous les efforts qui seront ceux de Dreyfus pour arranger les choses [ 27 ] , [ 28 ] .

Rehabilitation [ modifier | modifier le code ]

Cependant, Alfred Dreyfus souhaite toujours se pourvoir en cassation mais a besoin pour ce faire qu'apparaissent des faits nouveaux non etablis au proces de Rennes. Les 6 et , Jean Jaures qui mene le combat a la Chambre des deputes, en donnant lecture d'une lettre du general de Pellieux datee du , est interrompu par le president du Conseil de l'epoque, Henri Brisson , qui en seance, affirme que le gouvernement n'en avait pas eu connaissance. Le fait nouveau est la, le general Andre , ministre de la Guerre, est charge de mener une enquete. Alfred Dreyfus depose une requete en revision le . La chambre criminelle de la Cour de cassation rassemble les pieces du dossier et les examine jusqu'au . De plus, deux rapports sont remis a la chambre criminelle, l'un sur un faux du commandant Henry et l'autre sur l'expertise graphologique de Bertillon. Le travail d'enquete est termine le . Il ne reste qu'a statuer. Il est decide de ne le faire qu'apres les elections legislatives de . Le marathon judiciaire ne prend fin que le [ 29 ] , [ 30 ] , [ 31 ] , lorsque les chambres reunies de la Cour de cassation rendent l'arret suivant :

≪ Attendu en derniere analyse que de l'accusation portee contre Dreyfus rien ne reste debout,
Et que l'annulation du jugement du Conseil de guerre ne laisse rien subsister qui puisse, a charge, etre qualifie de crime ou delit ;
Attendu des lors que, par application du paragraphe final de l'article 445 du code d'instruction criminelle, aucun renvoi ne doit etre prononce ;
Par ces motifs,
Annule le jugement du Conseil de guerre de Rennes, qui le 9 septembre 1899, a condamne Dreyfus a dix ans de detention et a la degradation militaire […] ;
Dit que c'est par erreur et a tort que cette condamnation a ete prononcee ; [...] ≫

Alfred Dreyfus est ensuite reintegre dans l'armee avec le grade de chef d'escadron . Il est nomme chevalier de la Legion d'honneur , le [ 32 ] et decore au cours d'une ceremonie officielle dans la cour de l'Ecole militaire ou la troupe lui rend les honneurs. Le , presente au president de la Republique, Armand Fallieres , il informe celui-ci de son intention de prendre sa retraite [ 33 ] .

Apres la rehabilitation [ modifier | modifier le code ]

Toutefois, son anciennete mal calculee ne lui donne pas le rang qu'il aurait du avoir. Alfred Dreyfus nomme commandant de l'artillerie pour l'arrondissement de Saint-Denis, le , tente quelques demarches aupres du president du Conseil, Georges Clemenceau , et du ministre de la Guerre, le general Picquart, pour obtenir le grade de lieutenant-colonel, auquel il aurait pu pretendre si son temps de detention avait ete integre a son anciennete de service, sans succes [ 34 ] . Il fait alors valoir ses droits et est mis a la retraite, le [ 35 ] .

En 1908, il est victime d'un attentat par balles et blesse au bras lors de la ceremonie de transfert au Pantheon des cendres d' Emile Zola , son defenseur [ 36 ] . L'auteur de l'attentat, le journaliste antisemite Louis Gregori , est acquitte, lors de son proces [ 37 ] .

Mobilise pendant la Premiere Guerre mondiale , en tant que chef d'escadron d'artillerie de reserve, il est affecte a l'etat-major de l'artillerie du camp retranche de Paris ; puis, a partir de 1917, au parc d'artillerie de la 168 e  division . Il participe aux combats du Chemin des Dames et de Verdun . En , il est eleve au grade de lieutenant-colonel et, le , promu officier de la Legion d'honneur [ 32 ] .

Apres la Grande Guerre , il mene une vie paisible dans son appartement parisien entoure de ses proches. Souffrant pendant plusieurs mois, il part en Suisse se faire operer ; a son retour, il reste alite, soigne par son gendre medecin, et meurt le . Il est inhume au cimetiere du Montparnasse le .

Il a survecu a tous ceux qui l'avaient soutenu : Auguste Scheurer-Kestner , le premier a etre convaincu de son innocence, est mort en 1899, Emile Zola en 1902, Bernard Lazare en 1903, le general Picquart en , Jean Jaures assassine le , Charles Peguy tue au combat, le , Fernand Labori , l'un de ses avocats au proces de Rennes, en 1917, Joseph Reinach en 1921, Anatole France en 1924, Edgar Demange , son avocat tout au long de l'affaire, en 1925, Georges Clemenceau en 1929, Mathieu Dreyfus , le ≪ frere admirable ≫, en 1930. Quant au veritable espion, Esterhazy , refugie en Angleterre sous une fausse identite, il meurt en 1923.

Peu de temps avant sa mort, Alfred Dreyfus avait resume ainsi sa vie a son petit-fils : ≪ Je n'etais qu'un officier d'artillerie, qu'une tragique erreur a empeche de suivre son chemin [ 38 ] . ≫

Memoires d'Alfred Dreyfus

Publications [ modifier | modifier le code ]

  • Alfred Dreyfus , Lettres d'un innocent , Stock, ( Lire sur Gallica ) .
  • Alfred Dreyfus , Cinq annees de ma vie , Paris, Fasquelle, (en ligne : facsimile de la premiere edition , ebook sur Gutemberg ) .
  • Alfred Dreyfus, Carnets 1899-1907 , Paris, Calmann-Levy, .
  • Alfred Dreyfus officier en 14-18 - Souvenirs, lettres et Carnets de guerre , Georges Joumas, Regain de lecture, 2011
  • Alfred Dreyfus, Lettres a la marquise , Paris, Grasset, 2017.
  • Alfred Dreyfus citoyen, De la rehabilitation a la Grande Guerre 1906-1914, Georges Joumas, Regain de lecture, 2018

Decorations [ modifier | modifier le code ]

Hommages [ modifier | modifier le code ]

Tour Dreyfus a Kourou , en Guyane .

Une statue d’Alfred Dreyfus par Tim , Hommage au capitaine Dreyfus , installee en 1988 au jardin des Tuileries , a ete transferee a la place Pierre-Lafue , situee dans le 6 e  arrondissement de Paris entre le boulevard Raspail et les rues Notre-Dame-des-Champs et Stanislas , ou elle a ete inauguree le . Une replique de cette œuvre a ete inauguree par Ron Huldai, maire de Tel Aviv-Yafo et Anne Hidalgo, maire de Paris le [ 40 ] .

Une statue, œuvre de la sculptrice Sylvie Koechlin , est erigee en 2016 a Mulhouse, Square Steinbach, a deux pas de la maison familiale ou il a grandi [ 41 ] .

En Guyane , a Kourou , a l'embouchure du fleuve Kourou, une tour telegraphe est baptisee a son nom ( Tour Dreyfus ).

La promotion 1995 de l’ Ecole nationale de la magistrature francaise a pris le nom ≪ Alfred Dreyfus ≫ comme nom de bapteme de promotion.

En 1997 , son petit-neveu, le chanteur Yves Duteil , lui rend hommage dans une chanson appelee ≪  Dreyfus  ≫ [ 42 ] .

Le transfert de ses cendres au Pantheon a ete envisage, mais Jacques Chirac a indique le y avoir renonce. En effet, malgre de nombreux soutiens, il a ete estime que Dreyfus etait d’abord une victime , et que, si heros il devait y avoir dans l’Affaire, c'etait Zola, deja au Pantheon. Robert Badinter , le CRIF , la Ligue des droits de l'homme sont egalement de cet avis [ 43 ] . Le , une ceremonie d'hommage solennel fut organisee a l' Ecole militaire en presence du president de la Republique Jacques Chirac entoure du Premier ministre et de plusieurs membres du gouvernement.

Sa ville natale, Mulhouse, a decide de consacrer l'annee 2016 a Alfred Dreyfus. Toute une serie de manifestations sont organisees tout au long de l'annee par la municipalite en lien avec les acteurs historiques, culturels et associatifs mulhousiens [ 44 ] .

En matiere d' odonymie , il existe, en France, de nombreuses voies publiques baptisees Alfred Dreyfus ou Capitaine Dreyfus comme a Paris (la place Alfred-Dreyfus ), Venissieux , Saint-Etienne , Saint-Cyr-l'Ecole , Panazol , Niort , Bouguenais , Saint-Jacques-de-la-Lande , Montreuil , La Roche-sur-Yon , La Chapelle-sur-Erdre , Valence , Montpellier , Perols , Poitiers , Ramonville-Saint-Agne , Alfortville , Mulhouse , Blotzheim , Rennes ou Bourges . Il y a egalement un college Capitaine Dreyfus a Rixheim .

Notes et references [ modifier | modifier le code ]

Notes [ modifier | modifier le code ]

  1. La section de ≪ statistique ≫ avait ete creee, apres la defaite de 1871, au sein de l'etat-major, c'etait en realite un service d'espionnage et de contre-espionnage. Ce bureau etait rattache administrativement au 2 e bureau mais dependait, dans les faits, directement du chef d'etat-major [ 6 ]
  2. Barres publie ses memoires sur la degradation de Dreyfus, sous le titre ≪ La Parade de Judas ≫.
  3. Leon Daudet en fait cette relation dans Le Figaro du  : ≪ […] Pres de nous il trouve encore la force de crier ≪ Innocent ! ≫ d'une voix blanche et precipitee. Le voici devant moi [...] l’œil sec, le regard perdu vers le passe, sans doute puisque l'avenir est mort avec l'honneur. Il n'a plus d'age. Il n'a plus de nom. Il n'a plus de teint. Il est couleur traitre. Sa face est terreuse, aplatie et basse, sans apparence de remords, etrangere a coup sur, epave de ghetto. Une fixite d'audace tetue subsiste, qui bannit toute compassion. C'est sa derniere promenade parmi les humains et l'on dirait qu'il en profite, tant il se domine et brave l'ignominie. C'est un terrible signe que cette volonte n'ait pas sombre dans la boue, qu'il n'y ait eu ni effondrement ni faiblesse. […] ≫
  4. Cette operation est facilitee le jour precedent : ≪ un soldat de la garde republicaine se rend au greffe et demande l'uniforme du capitaine. Il entaille profondement les coutures des boutons pour qu'ils ne tiennent plus qu'a un fil. Il decoud aussi patiemment les galons rouges du pantalon, ce signe distinctif des anciens eleves de l'Ecole Polytechnique. Ce n'est pas fini. Il tire l'epee de son fourreau, s'en empare pour entailler profondement la lame avec une scie a metaux [ 12 ]  ≫ .

References [ modifier | modifier le code ]

  1. ≪  Alfred Dreyfus : arbre genealogique  ≫, sur Drefus rehabilite (Ministere francais de la Culture) (consulte le )
  2. a b c et d Bredin 1983 , p.  20-28.
  3. ≪  Fiche matricule d'Alfred Dreyfus  ≫, sur le site de la bibliotheque de l'Ecole polytechnique .
  4. Duclert 2006 , p.  40-42.
  5. Bredin 1983 , p.  28.
  6. Bredin 1983 , p.  49.
  7. Modele:Oriol .
  8. Oriol 2014 , p.  112.
  9. Bredin 1983 , p.  100.
  10. Maurice Paleologue , Journal de l'affaire Dreyfus, 1894-1899 , Plon, , p.  37
  11. Bredin 1983 , p.  12.
  12. Laurent Greilsamer , La Tragedie du Capitaine Dreyfus , Tallandier, , p.  41
  13. Anne Simonin, Le deshonneur dans la Republique , Grasset, , p.  61
  14. Bredin 1983 , p.  128.
  15. Bredin 1983 , p.  126.
  16. Modele:Oriol
  17. Bredin 1983 , p.  203.
  18. Bredin 1993 .
  19. Duclert 2006 .
  20. Marcel Thomas, L'Affaire sans Dreyfus , Geneve, Fayard - Idegraf, .
  21. Pierre Peyrard, Les Chretiens et l'Affaire Dreyfus , Les l'Atelier / Les Editions Ouvrieres, , 216  p. , pages 132 a 136 notamment .
  22. ≪  Reconsiderations a propos de Charles Peguy, Bernard Lazare et l’affaire Dreyfus  ≫, sur Societe internationale d’histoire de l’affaire Dreyfus , (consulte le ) .
  23. Le chef d'escadron Walter, commandant du Mont-Valerien, ≪  Annonce du suicide du lieutenant colonel Henry, chef d'escadron du Mont-Valerien  ≫, Document militaire, sur dreyfus.culture.fr , Centre historique des Archives nationales, (consulte le ) .
  24. Maurice Barres , Scenes et Doctrines du nationalisme , Felix Guven, 1902
  25. Bredin 1983 , p.  394-398.
  26. Bredin 1983 , p.  404.
  27. Oriol 2014 , p.  937-972.
  28. Voir aussi Philippe Oriol , Le Faux ami du capitaine Dreyfus , p. 144-185
  29. Oriol 2014 , p.  973-1051.
  30. Arret de la Cour de cassation du 12 juillet 1906 , [1] , [2] .
  31. Guy Canivet , ≪ La Cour de cassation dans l'affaire Dreyfus ≫ , allocution d’ouverture au colloque organise a Rennes, les 23 et 24 mars 2006, par la Ville de Rennes, le Musee de Bretagne, l’Association des amis du Musee de Bretagne et la Societe internationale d’histoire de l’Affaire Dreyfus.
  32. a et b ≪  Alfred Dreyfus  ≫, base Leonore , ministere francais de la Culture
  33. Bredin 1983 , p.  441-444.
  34. Oriol 2014 , p.  1112-1119.
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  37. Oriol 2014 , p.  1093-1095.
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  39. ≪  Recherche - Base de donnees Leonore  ≫, sur www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr (consulte le )
  40. Le Figaro , 26 novembre 2018
  41. L'Echo Mulhousien , mars 2014, page 45.
  42. ≪  Dreyfus (paroles d'Yves Duteil)  ≫
  43. Le Monde , 7 juillet 2006.
  44. ≪  Mulhouse inaugure l'annee Alfred Dreyfus  ≫, sur lefigaro.fr (consulte le )

Annexes [ modifier | modifier le code ]

Bibliographie [ modifier | modifier le code ]

Filmographie [ modifier | modifier le code ]

Articles connexes [ modifier | modifier le code ]

Liens externes [ modifier | modifier le code ]

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