La
socialisation
designe
≪ l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit
[
note 1
]
par la societe globale et locale dans laquelle il vit, processus au cours desquels l’individu acquiert
[
note 2
]
des facons de faire, de penser et d’etre qui sont situees socialement
[
2
]
. ≫
Elle resulte de contraintes imposees par certains agents sociaux, mais aussi du developpement de
comportements prosociaux
et d'interactions entre les individus et leur environnement physique et socioculturel. Elle favorise la
reproduction sociale
, mais n'interdit pas absolument le
changement social
.
La socialisation est un concept central en
sociologie
, qui a connu des approches variees depuis les travaux fondateurs d'
Emile Durkheim
. La plupart des auteurs acceptent la distinction classique entre socialisation primaire, durant l'
enfance
et l'
adolescence
, et socialisation secondaire, poursuite du processus a l'age adulte dans d'autres
environnements sociaux
, notamment le monde du
travail
.
Toutefois, la socialisation n'est jamais achevee et chaque nouveau role ou
statut
auquel un individu est socialise au cours de sa vie est susceptible de remettre en question ou de transformer ses acquis anterieurs.
Il debute des la naissance et se deroule generalement dans la societe a laquelle appartient l'enfant, mais il se poursuit tout au long de la vie pour s'achever a la
mort
.
Les sociologues distinguent deux grandes phases de socialisation
[
3
]
:
- primaire, de la
naissance
a la fin de l'
adolescence
, qui faconne durablement la personnalite des individus et ou l'
enfant
acquiert des normes et des valeurs ; elle est assuree par le groupe primaire de l'individu (sa famille ou eventuellement ceux qui la remplacent, l'ecole, le groupe), pendant sa prime enfance ;
- secondaire, qui entraine une reconstruction de l'identite individuelle, durant l'age adulte et jusqu'a la mort.
Plusieurs agents (ou instances) interviennent aux differentes etapes de ces processus. La famille est sans doute l'instance de socialisation la plus determinante, puisqu'elle est chronologiquement la premiere. Elle perd cependant le monopole de son influence sur l'enfant au-dela de la prime enfance. L'ecole, les groupes de pairs (amis), les organisations professionnelles (entreprises, syndicats), les lieux religieux, les associations, les medias contribuent egalement a l'apprentissage des valeurs, des normes et des roles sociaux, d'une maniere qui peut soit prolonger, soit contredire la socialisation familiale. En s’interessant aux figures d’engagement juvenile, une etude suisse met en evidence le role socialisateur des clubs sportifs de proximite
[
4
]
. Toutes ces instances de socialisation agissent de maniere differenciee (par imitation, inculcation…).
Les modalites de cet apprentissage, qui transforme progressivement un nouveau-ne en etre social, sont multiples.
Selon les epoques, le genre, la classes sociales, la cultures et civilisation, divers types de marques physiques (du tatouage au costume en passant par l'apprentissage de postures), et de
rituels de passage
ou d'
initiation
ont contribue ou contribuent encore a la socialisation
Au sein de la famille et du groupe, l'
education
, parentale ou scolaire notamment joue un role majeur pour la socialisation : l'education est une entreprise consciente et explicite de transmission de valeurs et de normes, qui contribue donc fortement a la socialisation. Et si celle-ci inclut le travail educatif, elle ne s'y reduit pas. En effet, l'apprentissage des normes et des roles est egalement le resultat d'un
controle social
quotidien et repete : la vie en societe expose sans cesse l'individu a des jugements de conformite, et aux sanctions ? positives ou negatives ? qui en decoulent, du sarcasme aux amendes, en passant par les remises de peine et les compliments.
Les institutions educatives n'ont donc pas le monopole de la socialisation.
La socialisation passe aussi par des
transmissions inconscientes
(inconscientes pour l'individu a socialiser, mais aussi et surtout pour les individus qui le socialisent). Ainsi, lorsque des parents offrent une poupee a leur fille pour Noel, ou si les enseignants donnent plus frequemment la parole, en classe, aux garcons
[
5
]
, ce n'est pas pour perpetuer les
stereotypes
de genre, mais ils y contribuent, a leur insu.
L'individu contribue aussi a se socialiser,
via
des efforts
cognitifs
par lesquels il cherche, des son plus jeune age, a decoder les signes qu'il recoit et a en emettre. La langue, les mythes fondateurs, contes et legendes sont tisses de normes et de roles implicites qui se glissent dans les
schemes
cognitifs de l'individu a mesure qu'il apprend a parler, chanter, lire. L'
asymetrie
des genres grammaticaux, par exemple, n'est sans doute pas sans effet sur la construction des genres sociaux. Autrement dit, l'individu parlant se socialise
via
le langage, a son insu.
On pourrait allonger sans fin la liste des modalites de la socialisation (imitation, identification, generalisation, etc.), aussi diverse que les multiples influences que les individus, en societe, exercent les uns sur les autres.
Si la socialisation fournit aux individus des schemas culturels partages, elle contribue egalement, indissociablement, a les differencier. Cette differenciation est double :
Les individus recoivent des socialisations differentes selon leur groupe d'appartenance. Une societe n'est pas un ensemble homogene : elle est constituee de
groupes sociaux
distincts, dotes d'une culture (en partie) propre, transmise lors de la socialisation primaire.
Consequence : lorsqu'elle a lieu, la
mobilite sociale
est un processus d'
acculturation
, plus ou moins aise. C'est ce que montre l'exemple classique, analyse par
Richard Hoggart
, d'un garcon boursier, tiraille entre les codes de l'ecole, ou il cotoie des jeunes gens issus de milieux sociaux plus aises que le sien, et la culture populaire de sa famille
[
6
]
. C'est egalement l'un des ressorts de la
≪ double absence ≫
(
Abdelmalek Sayad
) vecue par les individus qui ont emigre : tenus pour etrangers dans leur societe d'accueil, ils le sont aussi quand ils retournent dans leur societe d'origine
[
7
]
. C'est egalement le sens du phenomene de
≪
socialisation anticipatrice
≫
(
Robert K. Merton
), lorsqu'un individu epouse par avance les normes, non pas de son groupe primaire, mais d'un groupe de reference qu'il aspire a rejoindre. Le groupe social auquel l'individu appartient est aussi determinant pour la
socialisation politique
.
La socialisation differe selon le sexe. C'est l'un des aspects les plus puissants de la socialisation que de transformer une difference biologique (le
sexe
) en une difference sociale (le
genre
) : ≪
On ne nait pas femme : on le devient
≫, ecrivait
Simone de Beauvoir
, dans
Le Deuxieme Sexe
. Non seulement orientees par une difference genetique, les identites masculines et feminines sont aussi des constructions sociales, produites par la socialisation primaire, et confortees par la socialisation secondaire, a l'ecole, dans le couple, et au travail : les oppositions sexuees sont plus fortes a la sortie du systeme scolaire qu'a l'entree
[
8
]
; elles induisent un partage des taches domestiques et parentales au sein du couple tres inegalitaire
[
9
]
; celles-ci pesent sur le taux d'activite, le temps de travail et la carriere des femmes ? donc sur leur remuneration
[
10
]
.
L’education sexuelle et/ou sentimentale
[
11
]
joue un role crucial dans la construction du genre. En effet, la maniere dont les individus apprendront a exprimer leurs sentiments et a s’investir dans une relation tire son origine, entre autres, de la socialisation primaire. On observe d’ailleurs une ≪ reproduction des rapports sociaux de sexe ≫
[
12
]
via
les rapports d’education parents-enfants. Ditier
[
13
]
fait ressortir que les femmes sont souvent socialisees de sorte que la charge du travail affectif et emotif dans le couple et dans la famille leur soit attribuee. C’est donc ce qui sera enseigne a la jeune fille. Parallelement, le jeune garcon apprendra de ses parents que l’amour et la sentimentalite sont des concepts feminins. Ditier ajoute que le faible engagement du pere vis-a-vis des amours de ses enfants
≪ [leur confirme] le sexe resolument feminin de l’amour […] legitimant ainsi la mise a l’index de cette thematique en raison de leur statut […] de garcon
[
11
]
. ≫
Cette approche genree des sentiments se repercute negativement sur la capacite des hommes a exprimer leurs emotions
[
14
]
. Une correlation inconsciente a ete etablie entre la socialisation differenciee et la detresse psychologique chez ceux-ci
[
14
]
. Des chercheurs soulignent que
≪ la construction des roles de genre
stereotypes
associes a la
masculinite
aurait une influence sur le developpement de quelques problemes sociaux, notamment la
violence
, la
toxicomanie
et le
suicide
[
14
]
. ≫
Les jouets
[
15
]
en sont egalement un vecteur central. Des le plus jeune age, les stereotypes de genre se manifestent dans les comportements de jeu des enfants. Il a ete observe que des 18 mois les enfants ont acquis des connaissances sur la categorisation des sexes
[
15
]
. Ils comprennent des lors que certains jouets sont attribues aux filles, d’autres aux garcons et qu’une minorite sont dits neutres.
Le corps
[
16
]
est utilise comme support a la socialisation differenciee. L’identite d’une personne se construit de maniere intime (≪ l’etre individuel ≫
[
16
]
), mais aussi de maniere sociale (≪ l’etre social ≫
[
16
]
). Or, des auteurs suggerent qu’il faut unir ces deux identites afin de s’integrer a sa societe. Le corps agit comme ≪ miroir social ≫, il ≪ permet d’etre classifie socialement ≫
[
16
]
. Le processus de socialisation par le corps indique aux individus qu’ils doivent agir et se presenter
≪ en conformite avec les attentes sociales relatives a [leur] sexe biologique
[
16
]
. ≫
Lamb et Duquet
[
17
]
font ressortir de cette thematique une
hypersexualisation
du corps, notamment celui de la jeune fille. Des leur plus jeune age, les fillettes se font bombardees d’images erotisees de la femme. Que ce soit a travers les jouets (Barbies, poupees Bratz), les vetements ou les publicites, le corps de la femme est objectifie et sexualise.
Processus decisif pour la construction de l'individu comme etre social, la socialisation fait debat entre la sociologie et la psychologie, et entre les differents courants de la sociologie. Ce debat porte a la fois sur les effets de la socialisation et sur la marge de manœuvre qu'elle laisse a l'individu.
La premiere approche est celle qui court d'
Emile Durkheim
a
Pierre Bourdieu
: concue comme un processus d'interiorisation du social, la socialisation produit des dispositions durables et contribue a la reproduction de l'ordre social.
Dans l'approche durkheimienne, la socialisation est un processus par lequel la societe attire a elle l'individu, a travers l'apprentissage methodique de regles et de normes par les jeunes generations ; elle favorise et renforce l'homogeneite de la societe. D'ou l'importance accordee par Durkheim a l'ecole, a qui il assigne la mission de forger des individus a la fois autonomes et socialises : l'autonomie individuelle n'est compatible avec la
cohesion sociale
qu'au terme d'une interiorisation des normes
[
18
]
.
Dans une optique bourdieusienne, la socialisation consiste egalement en un processus d'interiorisation par l'individu des manieres de faire et de penser propres a son groupe primaire : elle produit un
habitus
, c'est-a-dire un ensemble de
dispositions
profondement incorporees, qui orienteront durablement les pratiques, les gouts, les choix, les aspirations des individus
[
note 3
]
. Elle contribue ainsi a la
reproduction sociale
, d'autant qu'elle transmet d'une generation a l'autre, de maniere active ou par impregnation, un
capital culturel
(manieres de parler, gouts, connaissances, etc.) a la fois tres inegal selon les groupes sociaux, et decisif pour la reussite scolaire ? donc sociale ? des individus.
Dans les approches precedentes, la socialisation est concue comme un processus par lequel
la societe fait l'individu
. D'autres approches la concoivent au contraire comme une suite d'interactions au cours de laquelle, egalement,
l'individu fait la societe
. La divergence avec les approches precedentes est double :
- D'une part, la socialisation n'est pas exclusivement un processus unidirectionnel. Les interactions sont des actions reciproques porteuses d'influences mutuelles entre les etres sociaux. A la faveur de ces interactions se construisent, se confortent, se defont et se reconfigurent des manieres d'etre ensemble, des modes de coexistence, mais aussi des systemes d'attitudes. La socialisation apparait donc comme un processus d'interaction entre un individu et son environnement. Il existe des phenomenes de socialisation reciproque entre generations, par exemple entre enfants, parents et grands-parents, les enfants initiant souvent les parents a l'informatique ou aux cultures recentes.
- D'autre part, les normes sont moins interiorisees qu'interpretees. C'est le cœur de l'analyse de
Jean Piaget
sur l'education et la socialisation des enfants. Il pense que les individus sont actifs dans leur socialisation, qu'ils y participent, qu'ils interpretent ? et a l'occasion rejettent ? en fonction de leur experience les normes et les valeurs qu'on leur transmet, ce qui contribue a les faire evoluer et favorise le changement social. C'est ainsi que l'on constate que les enfants n'ont jamais tout a fait les memes croyances, les memes valeurs et les memes manieres de vivre que leurs parents.
Des trajectoires individuelles improbables
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]
Le processus de socialisation n'enferme pas toujours les individus, on voit parfois apparaitre des trajectoires improbables (trajectoire qui s'eloigne des trajectoires statistiquement les plus frequentes).
Cela peut s'expliquer par differents phenomenes sociaux :
- une
socialisation anticipatrice
: les individus voulant integrer un
groupe de reference
integre les normes et les valeurs de ce groupe ce qui peut amener a ces trajectoires improbables
- une pluralite d'influences socialisatrices rencontrees: pour les trajectoires ascendantes, le role de l'ecole qui va reveler les capacites, la presence d'un suivi du travail des parents, la rencontre d'association… Du cote des trajectoires descendantes, de mauvaises frequentations (groupe de pairs), la configuration familiale (divorce notamment) peuvent etre des causes de trajectoires improbables.
Ainsi, un individu est unique car il est le fruit d'une multitude d'influence. ces trajectoires sont cependant rares et correspondent a des reussites paradoxales (personnes qui ont des niveaux scolaire, economiques et sociaux tres modeste puisse reussir dans la societe) ou au contraire des echecs paradoxaux.
- ↑
? on dira aussi ≪ forme ≫, ≪ modele ≫, ≪ faconne ≫, ≪ fabrique ≫, ≪ conditionne ≫ ?
- ↑
? ≪ apprend ≫, ≪ interiorise ≫, ≪ incorpore ≫, ≪ integre ≫ ?
- ↑
≪ […] l'habitus est le produit du travail d'inculcation et d'appropriation necessaire pour que ces produits de l'histoire collective que sont les structures objectives (e.g. de la langue, de l'economie, etc.) parviennent a se reproduire, sous la forme de dispositions durables, dans tous les organismes (que l'on peut, si l'on veut, appeler individus) durablement soumis aux memes conditionnements, donc places dans les memes conditions materielles d'existences. ≫
Pierre Bourdieu
,
Esquisse d'une theorie de la pratique
, Seuil (Points), 2000 (1972).
- ↑
Illustration :
Hugo Oehmichen
,
La Premiere Gorgee
, huile sur toile.
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Muriel Darmon
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Des illusions de l'emigre aux souffrances de l'immigre
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- ↑
Marie Duru-Bellat
,
L'Ecole des filles. Quelles formations pour quels roles sociaux ?
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Editions L'Harmattan
,
.
Marie Duru-Bellat
y montre qu’il existe des pratiques educatives differenciees de maniere precoce : on stimule davantage le ≪ comportement social ≫ des filles, les garcons sont plus stimules sur le plan moteur (on les manipule avec plus de vigueur, on les aide davantage a s’asseoir, a marcher, etc.).
- ↑
Sophie Ponthieux et Amandine Schreiber, ≪ Dans les couples de salaries, la repartition des taches reste inegale ≫,
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Subclinical Bias, Manners, and Moral Harm
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Hypatia
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- Marc Montousse et Gilles Renouard,
100 Fiches pour comprendre la sociologie
, Editions Breal, 1997.
- Charles Roig, Francoise Billon-Grand,
La Socialisation politique des enfants. Contribution a l’etude de la formation des attitudes politiques en France
, Paris, Armand Colin, 1968.
- Ressource relative a la sante
:
Notices dans des dictionnaires ou encyclopedies generalistes
:
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Types
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Transmission
|
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Theories
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Disciplines et sous-disciplines
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