Dans l'
Europe
du
Moyen Age
et de l'
epoque moderne
, les
privileges
sont les lois particulieres (≪
leges privatae
≫) dont beneficient des communautes et corps constitues comme le
clerge
, la
noblesse
, des
communautes de metiers
, des ordres religieux, des communautes d'officiers (notaires), certaines categories sociales comme les
mineurs
, les
veuves
, les
pauvres
, mais aussi les habitants de certaines
provinces
(
coutumes
), de certaines villes (
bourgeois de Paris
) ou les etrangers (
droit des gens
,
juifs
).
Les privileges sont reconnus et garantis par l'autorite royale et par sa justice. Lors de son investiture, le seigneur devait promettre de respecter et d'entretenir les privileges. Le serment de
Joyeuse Entree
des
Ducs de Brabant
ou celui du
sacre des rois de France
incluaient ainsi le respect des privileges. La defense des privileges contre l'arbitraire royal a ete le motif central de plusieurs
revoltes
et
revolutions
, comme la
Ligue du Bien public
au
XV
e
siecle, la
revolte des Comunidades
de Castille et la guerre de
revolte des Flandres
au
XVI
e
siecle ou encore la
Fronde
au
XVII
e
siecle.
Dans la
France
d'
Ancien Regime
, le privilege etait certes un droit qui ne s'appliquait qu'aux membres d'un groupe defini, mais en raison de l'existence des privileges provinciaux et urbains, on peut considerer que tous les habitants du royaume etaient couverts par au moins un privilege. Toute identite (geographique, professionnelle, sociale…) s'illustrait d'ailleurs par le droit d'etre jugee selon les privileges de ce groupe. L'exclusion du groupe se caracterisait au contraire par l'
incapacite
et l'absence de droit : celui qui n'appartenait a aucun groupe ne disposait d'aucun droit. C'est pourquoi il fallait posseder le
droit de bourgeoisie
, c'est-a-dire etre reconnu comme un membre de la communaute urbaine, pour briguer une magistrature dans une ville et pourquoi les non-
regnicoles
(les etrangers) etaient frappes par le
droit d'aubaine
ou, brievement, la
taxe sur les etrangers
. La
societe d'Ancien Regime
peut etre, de ce fait, consideree comme une ≪ societe de privileges ≫, par opposition a une societe organisee par le ≪ bon plaisir ≫ du prince.
Percus comme un frein a la centralisation monarchique et a l'unification du territoire, les privileges sont rationalises par les legistes au service de la monarchie des la fin du Moyen Age. Le mouvement commence au
XV
e
siecle avec la mise par ecrit des coutumes et privileges provinciaux. Le mouvement s'accelere nettement au
XVII
e
siecle.
Richelieu
puis
Louis
XIV
vont ainsi mener une politique d'harmonisation et de remise a plat des privileges afin de limiter les contre-pouvoirs locaux et aboutir a une
monarchie absolue
. Pour ce faire ils utilisent autant la force (repression des revoltes de
La Rochelle
et de
Marseille
) que la negociation avec des elites locales souvent acquises a la monarchie.
Si le privilege est fortement valorise au Moyen Age et au debut de l'epoque moderne, le mot prend avec les
Lumieres
un sens fortement pejoratif. Il devient l'image de l'
etat de fait
, de l'inegalite voire de l'abus, contre l'universalite de la loi et de la raison. C'est tout particulierement le cas quand il s'applique au clerge et a la noblesse, qu'on appelle de facon polemique les ≪ ordres privilegies ≫.
L'
abolition des privileges
le
4 aout 1789
par l'
Assemblee nationale constituante
est symboliquement un evenement essentiel de la
Revolution francaise
, car elle marque la fin de l'Ancien Regime juridique : l'incarnation du droit par le roi ; desormais en tout point du royaume, tous les hommes doivent etre juges selon un droit unique.
Les privileges royaux etaient accordes aux
corporations
par
lettre patente
. Le
decret d'Allarde
des 2 et
17 mars 1791
a supprime les
corporations
. Le mot ≪ patente ≫ a neanmoins subsiste dans le vocabulaire pour designer le brevet puis l'impot direct (
contribution des patentes
) du a la creation d'une entreprise instaure par ce decret.
La premiere ville a se voir attribuer des privileges est Montpellier en 1187 puis
Buda
(Hongrie) en
1347
suivie de
Ko?ice
(Slovaquie) en
1423
. Les privileges des villes furent reduits et harmonises en
1755
sous le regne de
Marie-Therese
.
- Yves Durand, ≪ Les privileges selon Sieyes ou le triomphe de la desinformation ≫,
Histoire, economie et societe
, 1992,
n
o
2.
pp.
295-323.
- (en)
David D. Bien, ≪ Officers, corps, and a system of state credit : The use of privilege under the Ancien Regime ≫, dans Keith Michael Baker (dir.),
The French Revolution and the creation of modern political culture
, volume 1,
The political culture of the Old Regime
, Oxford, Pergamon Press, 1987, p. 89-114.