Monade (philosophie)

Un article de Wikipedia, l'encyclopedie libre.

Le terme ≪  monade  ≫, employe en metaphysique , signifie etymologiquement ≪ unite ≫ (μον?? monas ). C'est l'Unite parfaite qui est le principe absolu . C'est l'unite supreme ( l'Un , Dieu, le Principe des nombres), mais ce peut etre aussi, a l'autre bout, l'unite minimale, l'element spirituel minimal. Plus subtilement, la notion de monade evoque un jeu de miroirs entre l'Un, la Monade comme unite maximale, et les monades , les elements des choses ou les choses en tant qu'unites minimales, reflets, de l'Un ; une chose une est comme un microcosme , un reflet, un point de vue de l'Unite ; une ame dit partiellement ce qu'est l'Ame, celle du monde, ou l'Esprit.

Le monadisme, vitaliste , s'oppose a l' atomisme , qui est mecaniste . La science des monades s'appelle ≪  monadologie  ≫ ; ce neologisme vient, non de Leibniz , mais de Erdmann , l'editeur de Leibniz en 1840.

Quant aux mots, on peut dire que, parfois, le Grec appelle les nombres arithmetiques un, deux, trois, quatre, cinq, dix..., tandis qu'il appelle les nombres ideaux monade, dyade, triade, tetrade [ 1 ] . D'autre part, par convention, le mot ≪ Monade ≫ (avec majuscule) designe le principe un, l'Un , l'Unite, tandis que ≪ monade ≫, avec minuscule, designe une unite, une substance simple.

Quant aux concepts, on peut distinguer ou confondre Un et Monade. Les pythagoriciens semblent les identifier, les platoniciens les distinguer : dans son enseignement oral, Platon pose deux principes contraires, au sommet l' Un , en bas la Dyade , ce ne sont pas des nombres, mais les sources des nombres : ≪ C'est a partir de cet Un que le nombre ideal est engendre ≫ [ 2 ] , ≪ la Dyade indefinie est generatrice de la quantite ≫ [ 3 ] , et l'Un engendre les nombres ideaux de la Decade (monade, dyade, triade, tetrade).

Philosophie presocratique [ modifier | modifier le code ]

Chez les pythagoriciens , surtout chez Philolaos de Crotone et Archytas , la Monade designe l'unite originelle d'ou derive la serie des nombres, en particulier la Decade (les dix premiers nombres entiers naturels).

≪ Le principe de toutes choses est la Monade. Venant de la Monade, la Dyade indefinie [l'Illimite, la matiere], consideree comme matiere, est sous-jacente a la Monade qui est cause. De la Monade et de la Dyade indefinie viennent les nombres, des nombres les points [des nombres derivent les grandeurs, dont l'element originel est le point], des points les lignes, des lignes les figures planes, des figures planes les figures solides, des solides les corps sensibles [connus par les sens], dont les Elements sont au nombre de quatre : Feu, Eau, Terre, Air. ≫ [ 4 ]
≪ Archytas et Philolaos usent indifferemment des termes ≪ un ≫ et ≪ monade ≫ ( Theon de Smyrne , Expose des connaissances mathematiques utiles a la lecture de Platon ).

Philosophie platonicienne et neo-platonicienne [ modifier | modifier le code ]

Platon appelle ses Idees ≪ Monades ≫ (unites), dans la mesure ou chaque Idee (le Juste, le Beau, l'Abeille en soi...) est une Forme sans multiplicite ni changement, un Modele unique, un principe d'existence et de connaissance.

≪ Quand c'est l'Homme dans son unite qu'on entreprend de poser, ou le Bœuf unique, le Beau unique, le Bien unique, alors l'immense peine qu'a propos de ces unites et de celles qui sont du meme ordre on se donne pour les diviser donne lieu a contestation. De quelle maniere ? En premier lieu, sur le point de savoir si l'on doit admettre pour des unites ( monadas ) de cet ordre une veritable existence ; en second lieu, de savoir cette fois comment ces unites, dont chacune existerait toujours identique a elle-meme et sans etre sujette ni a naitre ni a perir, gardent integralement, de la facon la plus stable, cette unicite qu'on leur attribue ≫ [ 5 ]

Speusippe , premier successeur de Platon a l' Academie , soutient que le premier principe est l'Un, au-dessus de l'etre, et que la monade concerne les nombres [ 6 ] .

Xenocrate , deuxieme successeur de Platon a l'Academie, reprend l'opposition de Platon :

≪ Xenocrate, fils d'Agathenor de Chalcedoine, faisait de la Monade et de la Dyade des dieux, dont la premiere comme principe male occupe le rang de pere et regne au ciel. Il l'appelle aussi Zeus et impair et intellect, qui est pour lui le premier dieu. L'autre principe, comme femelle, prend la place de mere des dieux. Elle preside au domaine au-dessous du ciel. C'est pour lui l'Ame du monde. Le ciel aussi est dieu, et les astres de feu sont les dieux olympiens. ≫ [ 7 ]

Les neoplatoniciens pythagorisants (comme Syrianos , Nicomaque de Gerasa , Jamblique ) ont assimile le Un a la Monade.

La Monade comme point de vue [ modifier | modifier le code ]

On trouve chez Plotin l'image de la Monade comme point de vue. Cette idee que chaque Monade est comme un point de vue sur une ville unique, et qu'il y a donc une infinite de Monades etant donne qu'il y a une infinite de points de vue, est a l'origine employee par Plotin dans Les Enneades ou il ecrit :

≪ Nous multiplions la ville sans qu'elle fonde cette operation... ≫

? (Enneades, VI, 6, 2) [ 8 ]

En effet chaque Monade est un point de vue qui n'epuise pas son objet et existe comme unite (Un). La Monade prend donc chez Plotin l'aspect d'un tout (un point de vue unifie), multipliable a l'infini (il y a une infinite de points de vue sur une seule et meme ville) et exprimant une petite partie d'un element (son point de vue n'est qu'une part de la ville immense). Leibniz reutilisera d'ailleurs pour son compte cette metaphore, dans une approche perspectiviste , en l'approfondissant considerablement et en la deployant. Deleuze analysera les implications de cette conception de la Monade chez Leibniz dans son ouvrage Le pli. [ 8 ] Leibniz introduira entre autres des degres dans les Monades (voir plus bas) en presentant le fait que chaque Monade est constituee d'un point de vue clair ( sa perspective de la ville) et d'une totalite obscure ou confuse (la ville).

Philosophie gnostique chretienne et medievale [ modifier | modifier le code ]

≪ Chez les neoplatoniciens chretiens (Theodoric de Chartres, Dominique Gundisalvi ), le mot Monade designe Dieu comme unite ultime et essentielle ≫ [ 9 ] .

Dans un ecrit apocryphe douteusement attribue a Jean l'evangeliste nous y trouvons [ 10 ] le fait que la Monade est l’Esprit-Pere  :

≪ la Monade etant une monarchie, sur laquelle ne s’exerce aucun pouvoir, ? elle est le Dieu et Pere de toutes choses, le Saint, l’Invisible etabli au-dessus de toute chose, etabli dans son Incorruptibilite, etabli dans cette lumiere pure que la lumiere oculaire ne peut regarder. Il est l’Esprit. ≫

Nicolas de Cues utilise le concept de monade, par lequel il designe ≪ un microcosme, une unite en miniature, un miroir du tout ≫ [ 11 ]

Philosophie renaissante et moderne (apres 1600) [ modifier | modifier le code ]

La monade chez Giordano Bruno [ modifier | modifier le code ]

En 1591, a Francfort, Giordano Bruno a ecrit en latin deux poemes sur la monade : Du triple minimum ( De triplici minimo ) et De la monade, du nombre et de la figure ( De monade, numero et figura ). Il appelle minimum ou monade une entite indivisible qui constitue l'element minimal des choses materielles et spirituelles. Dieu, minimum et maximum, est la Monade supreme d'ou s'echappent eternellement une infinite de monades inferieures :

≪ Dieu est la Monade, source de tous les nombres. L'absolument simple, fondement simple de toute grandeur et substance de toute composition ; superieur a tout accident, infini et immense. La nature est nombre nombrable, grandeur mesurable et realite determinable. La raison est nombre nombrant, grandeur mesurante, critere d'evaluation. A travers la nature Dieu influe sur la raison. La raison, a travers la nature, s'eleve vers Dieu. ≫ [ 12 ]

Il y a un triple minimum : la monade correspond au point en mathematiques et a l'atome en physique (jusqu'a la decouverte des quarks et autres particules elementaires, aujourd'hui ce serait donc cela les monades, les atomes insecables). Elle est l'etre primitif, imperissable, de nature aussi bien corporelle que spirituelle, qui engendre, par des rapports reciproques, la vie du monde. C'est une individualisation extrinseque de la divinite, existence finie, elle est un aspect de l'essence infinie. Certains ont vu la du pantheisme (tout est divin), d'autres du perspectivisme (chaque chose exprime le tout a sa facon).

La monade chez Leibniz [ modifier | modifier le code ]

Francois-Mercure Van Helmont , ami de Leibniz depuis 1671 jusqu'a 1698, dans Ordre integral ou Ordre des siecles ( Seder olam sive Ordo seculorum , 1693), presente le monde comme gouverne par un seul principe de vie, qui s'etend de la ≪ monade ≫ centrale et imperissable (Dieu) jusqu'aux choses indefiniment divisibles et soumises a l'explication mecanique [ 13 ] .

Anne Conway , qui fait partie des platoniciens de Cambridge , a dans son seul livre ( The Principles of the Most Modern and Ancient Philosophy ) compose entre 1671 et 1677, publie en 1690, presente une doctrine de monades physiques dans une philosophie vitaliste. Elle etait tres liee a Francois-Mercure Van Helmont depuis 1670.

≪ La division des choses ne se fait pas en termes de plus petit terme mathematique, mais de plus petit terme physique. Et quand la matiere concrete se divise en monades physiques, comme cela se passa au premier etat de sa formation, alors elle est prete a reprendre son activite et a devenir esprit. ≫

Philosophe et mathematicien, a partir de 1696 Leibniz developpe un systeme metaphysique selon lequel l'Univers est constitue de monades. Pendant la derniere annee de sa vie, en 1714, il ecrit en francais deux textes marquants sur ce theme, le second etant devenu celebre sous le titre de Monadologie . Tout etre est soit une monade soit un compose de monades. Quant a leur nature, les monades sont des substances simples douees d' appetition et de perception. Quant a leur structure, ce sont des unites par soi, analysables en un principe actif appele ≪ ame ≫, ≪ forme substantielle ≫ ou ≪ entelechie ≫, et en un principe passif, dit ≪ masse ≫ ou ≪ matiere premiere ≫. Quant a leur expression, les monades sont chacune un miroir vivant, representatif de l'univers, suivant leur point de vue. Quant a leur hierarchie, les monades presentent des degres de perfection :

  • au plus bas degre, les monades simples ou ≪ nues ≫ se caracterisent par des perceptions inconscientes. Elles contiennent toutes les informations sur l’etat de toutes les autres, mais n’ont ni conscience ni memoire. Ce sont les monades des mineraux et des vegetaux ;
  • puis viennent les monades sensitives, douees de perceptions conscientes et de memoire et qui imitent la raison. Telles sont les monades des animaux ;
  • les monades raisonnables se distinguent par la conscience reflechie (≪ aperception ≫) de leurs perceptions, qui entrainent la liberte. C’est le cas des monades humaines ;
  • ensuite les anges ;
  • Dieu, dira Hegel, est la Monade des monades [ 14 ] .
≪ La monade, dont nous parlerons ici, n'est autre chose qu'une substance simple, qui entre dans les composes ; simple, c'est-a-dire sans parties... Ces monades sont les veritables atomes [les indivisibles] de la nature et, en un mot, les elements des choses... Les monades n'ont point de fenetres, par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir [les actions de l'exterieur ne peuvent la modifier]. ≫ [ 15 ]

La monade apres Leibniz [ modifier | modifier le code ]

Chez Alfred North Whitehead , le mot indique les evenements temporels.

Chez Husserl [ 16 ] , la monade caracterise le rapport intersubjectif. Le mot ≪ monade ≫, ici, designe la conscience individuelle, l'individualite en tant qu'elle represente a la fois un point de vue unique, original sur le monde et une totalite close, impenetrable aux autres consciences individuelles ou individualites. Pour Husserl, au moi est donne d'autres moi, non pas directement, mais au travers une serie d'actes exterieurs, physiques, que le moi interprete par analogie a soi-meme. Ainsi, a travers les actes d'interpretation, se forment des mondes intersubjectifs, regis par des structures qui leur sont propres et qui forment la base pour la constitution de personnes superieures, collectives. On aboutit a une pluralite de monades qui communiquent entre elles, a travers la sphere neutre du monde intersubjectif .

Bibliographie [ modifier | modifier le code ]

Textes Classiques [ modifier | modifier le code ]

  • Giordano Bruno , Du triple minimum et de la mesure (De triplici minimo et mensura (1591), De la monade (De monade) (1591) : Opere latine di Giordano Bruno , edi. par C. Monti, Turin, UTET, 1980.
  • Leibniz, Systeme nouveau de la nature et de la communication des substances (1695) ; La monadologie (1714) Monadologie , in Leibniz, Discours de metaphysique. Monadologie , edi. par Michel Fichant, coll. Folio , 2004.

Textes theosophiques [ modifier | modifier le code ]

Etudes [ modifier | modifier le code ]

  • Xenia Atanassievitch, La doctrine metaphysique et geometrique de Bruno exposee dans son ouvrage 'De triplici minimo' , Belgrade, 1923.
  • Gilles Deleuze , Le pli. Leibniz et le baroque , Les Editions de Minuit, Paris, 1988.
  • Charles H. Kahn, Pythagoras and the Pythagoreans , Hackett Publishing, 2001.
  • A. Sheppard, Monad and Dyad as Cosmic Principles in Syrianus , in H. Blumenthal et A. Lloyd (edi.), Soul and the Structure of Being in Late Neoplatonism , Liverpool, 1982, p. 1-14. Syrianos est un commentateur neoplatonicien d'Aristote

Voir aussi [ modifier | modifier le code ]

Articles connexes [ modifier | modifier le code ]

Liens externes [ modifier | modifier le code ]

Notes et references [ modifier | modifier le code ]

  1. Jean-Claude Dumoncel , La tradition de la 'Mathesis universalis'. Platon, Leibniz, Russell , Cahiers de l'Unebevue, 2002, p. 76.
  2. Aristote, Metaphysique , N, 4, 1091b3.
  3. Aristote, Metaphysique , M, 8, 1083a13.
  4. Diogene Laerce, Memoires pythagoriques , II e  siecle  av. J.-C. , in Vies et doctrines des philosophes illustres , VIII, 25, trad. Balaude et Brisson.
  5. Platon, Philebe , 15 ab, trad. L. Robin.
  6. Ph. Merlan, From Platonism to Neoplatonism , La Haye, Nijhoff, 1953, p. 96-128. W. Burkert, Lore and Science in Ancient Pythagoreanism , trad., Harvard University Press, 1972, p. 232.
  7. Xenocrate, apud Aetius, Placita , I, 7.30, = fragment 15 de l'edition Heinze des fragments de Xenocrate. Trad. Adrian Mihai, 2013.
  8. a et b Gilles Deleuze, Le pli, Leibniz et le baroque , Paris, Minuit, , 191  p.
  9. Encyclopedie de la philosophie , Le Livre de poche, 2002, p. 1096.
  10. in : L’Apocryphon de Jean - Bibliotheque copte de Nag Hammadi. Traduit du Copte par Bernard Barc, universite de Laval Quebec Canada.
  11. Encyclopedie de la philosophie , Le Livre de poche, p. 1096.
  12. Giordano Bruno, Le triple minimum. De triplici minimo , trad. B. Levergeois, Fayard, 1995, p. 447.
  13. Encyclopedie Philosophique Universelle , Les Œuvres philosophiques , PUF, t. I, 1992, p. 1517. Anne Becco, Leibniz et F. M. van Helmont. Bagatelle pour des monades , Studia Leibnitiana Sonderheft , 7 (1978), p. 119-142.
  14. Hegel, Lecons sur l'histoire de la philosophie , t. VI, Vrin, 1985, p. 1623.
  15. Leibniz, Monadologie , § 1-7. Monadologie
  16. Husserl, Meditations cartesiennes , V (1931).