Les
traites d’Utrecht
sont deux
traites de paix
signes a
Utrecht
[
1
]
(aux
Provinces-Unies
) en 1713 a la fin de la
guerre de Succession d'Espagne
. Le premier est signe le
entre le
royaume de France
et le
royaume de Grande-Bretagne
, le deuxieme le
entre l'
Espagne
et la Grande-Bretagne.
La
guerre de Succession d'Espagne
oppose de 1700 a 1714 plusieurs puissances europeennes, en premier lieu la France de
Louis XIV
et la
maison des Habsbourg d'Autriche
, soutenue par une
vaste coalition
incluant notamment l'
Angleterre
(
Royaume-Uni
a partir de 1707) et les
Provinces-Unies
.
Les traites d'Utrecht officialisent le passage de l'Espagne des
Habsbourg
aux
Bourbons
[
2
]
, qui regnent encore sur ce pays de nos jours
[
3
]
, mais au prix de pertes territoriales pour l'Espagne, notamment au profit de la
maison d'Autriche
(
Pays-Bas espagnols
).
L'enjeu initial de cette guerre est la succession au trone d'Espagne apres la mort sans descendance du dernier representant de la
maison des Habsbourg d'Espagne
,
Charles
II
[
2
]
, revendiquee par les Habsbourg d'Autriche et par le roi de France Louis XIV au nom de son petit-fils
Philippe de Bourbon
,
duc d'Anjou
.
Louis XIV reussit a placer son petit-fils sur le trone espagnol, mais celui-ci se heurte a l'opposition d'une partie des Espagnols, notamment dans la
couronne d'Aragon
, et a une vaste coalition formee autour de la maison d'Autriche, puissance dont le chef porte habituellement le titre (electif) d'
empereur
et detient de nombreux fiefs et Etats, notamment l'
archiduche d'Autriche
(qui lui donne son nom), mais aussi le
royaume de Boheme
, le
royaume de Hongrie
et le
royaume de Croatie
.
De la bataille de Villaviciosa (1710) a la bataille de Denain (1712)
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]
Apres des deboires militaire, la France reprend l'initiative strategique en Espagne en remportant la victoire a
Villaviciosa
(10 decembre 1710).
Des pourparlers preliminaires s'engagent alors a Londres, qui aboutissent a la decision de reunir une conference de la paix.
Celui-ci debute en janvier 1712 a Utrecht, mais sans l'empereur dans un premier temps. La victoire francaise de
Denain
(24 juillet 1712) permet a la France de renforcer sa position diplomatique.
Le congres debute en
a
Utrecht
, capitale de la
province d'Utrecht
, une des sept entites formant la republique des
Provinces-Unies
.
Le traite, le premier redige en
francais
depuis
Henri
II
, inaugure la primaute du francais comme langue diplomatique, qui durera jusqu'au
traite de Versailles
en 1919.
Dispositions concernant la succession espagnole
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]
Philippe de Bourbon (1683-1746) est reconnu par les signataires comme le roi d'Espagne
Philippe V
, sous reserve qu'il renonce aux droits qu'il a sur le trone de France
[
4
]
en vertu des regles de
devolution de la couronne de France
.
En ce qui concerne le
trone d'Espagne
, renoncent a tous leurs droits (et aux droits de leurs descendants) :
- le
duc de Berry
, frere de Philippe V,
- le
duc d'Anjou
, neveu de Philippe V (futur Louis XV)
[
5
]
,
- les membres de la maison d'
Orleans
, cousins des Bourbons,
- les membres de la maison de Habsbourg.
Cela signifie qu'il ne peut y avoir d'union des couronnes de France et d'Espagne.
Dispositions concernant les territoires espagnols
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]
En 1700, le roi Charles II etait a la tete de trois types de territoires : l'Espagne (les couronnes de
Castille
, d'
Aragon
et de
royaume de Navarre
) ; l'
empire colonial espagnol
(les vice-royautes de
Nouvelle-Espagne
et du
Perou
) ; les possessions de la maison des Habsbourg d'Espagne en Italie et aux
Pays-Bas
(
Pays-Bas espagnols
,
royaume de Sicile
,
royaume de Naples
,
duche de Milan
).
En contrepartie de sa reconnaissance comme roi, Philippe V doit renoncer a toutes les possessions d'Europe hors de la peninsule iberique :
En 1720, le duc de Savoie echangera le
royaume de Sicile
contre son
royaume de Sardaigne
, initiant un Etat dynastique, le
royaume de Sardaigne
incluant la Savoie et le Piemont, qui va durer jusqu'a l'
unification de l'Italie
en 1861.
En Espagne meme, Philippe V doit renoncer a
Gibraltar
et a l'ile de
Minorque
, attribuees a la
Grande-Bretagne
qui les occupe depuis quelques annees. Le Royaume-Uni detient toujours Gibraltar de nos jours
[
6
]
.
En ce qui concerne l'empire colonial, l'Espagne doit reconnaitre la souverainete portugaise sur le
fleuve Amazone
, situe a l'ouest du meridien du
traite de Tordesillas
(46° 37') et restituer au Portugal l'etablissement de
Colonia do Sacramento
, etabli au nord du
Rio de la Plata
, face a
Buenos Aires
.
Le regne ulterieur de Philippe V (jusqu'en 1746) est cependant marque par un redressement du pouvoir royal, avec la reprise de Barcelone et le debut d'une certaine centralisation (au detriment des institutions catalanes, aragonaises et valenciennes). Aide de conseillers francais, puis italiens, Philippe V retablit la situation diplomatique de l'Espagne : il obtient la retrocession par les
Habsbourg
, en 1738 du
royaume de Naples
et du
royaume de Sicile
, et en 1745 du
duche de Parme et Plaisance
.
Le grand projet de la fin du regne de Louis
XIV
, le rapprochement des couronnes espagnole et francaise, est reduit a neant : il n'y aura jamais de monarchie commune aux deux pays.
Louis XIV restitue les territoires occupes sur la rive droite du Rhin : (
Brisach
,
Fribourg-en-Brisgau
, et
Kehl
).
Sur la frontiere du nord, les villes de
Tournai
,
Menin
,
Furnes
et
Ypres
reviennent aux
Pays-Bas autrichiens
.
L'armee francaise quitte aussi le duche de Savoie, occupe depuis le debut de la guerre.
En contrepartie, Louis XIV obtient la
principaute d'Orange
, jusque la fief du Saint-Empire, possession de la
maison de Nassau
de 1543 (
Guillaume le Taciturne
, 1532-1584) a 1702 (
Guillaume III
,
stathouder
de Hollande, Zelande, Utrecht, Drenthe et Overijssel, devenu roi d'Angleterre en 1688). Avec la mort de Guillaume, la branche hollandaise de Nassau s'eteint. La principaute passe par testament a
Jean-Guillaume-Friso de Nassau
, de la branche allemande, par la suite stathouder de Frise et de Groningue, mais elle est aussi revendiquee par le roi de Prusse
[
7
]
,
Frederic Ier
.
Le traite d'Utrecht cede la principaute a Louis XIV.
Dans le
Dauphine
, la
vallee de l'Ubaye
est rattachee a la France en echange de la
haute vallee de Suse
(territoire relevant du
dauphinoise
), cede au duc de Savoie. Cela ramene la frontiere du royaume sur la ligne de partage des eaux (
col du Montgenevre
,
Mont-Viso
) plus aisee a defendre, et dont la zone a deja commence a etre fortifiee suivant les plans de
Vauban
(verrous de
Briancon
et de
Mont-Dauphin
).
Pour les populations du Brianconnais, qui avaient achete au dernier dauphin,
Humbert
II
, certains privileges (grande charte des droits du Brianconnais de 1343) au moment de la cession du Dauphine au royaume de France, et etabli un systeme de gestion communautaire (les
Escartons
), il s'agit d'un traumatisme avec l'amputation de trois des cinq escartons :
Oulx
,
Val Cluson
-
Pragela
et
Chateaudauphin
(Casteldelfino). La France perd ainsi la forteresse de
Pignerol
(Pinerolo), gardienne de la frontiere depuis 1631.
Briancon devient alors pour plus de deux siecles ville de garnison, gardienne de la frontiere avec le Piemont.
La France est obligee de renoncer a soutenir les
Stuart
en Grande-Bretagne.
Elle est aussi tenue de detruire les fortifications de Dunkerque et de bloquer le port pour des operations de course maritime.
Empire colonial francais : progres du Royaume-Uni
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]
L'
Acadie
francaise est cedee a la Grande-Bretagne, sauf l'
ile du Cap-Breton
et l'
ile-du-Prince-Edouard
.
L'
article
XV
du traite d'Utrecht permet aux Britanniques d'obtenir le protectorat sur le territoire
iroquois
qui recoupe celui de la
vallee de l'Ohio
.
Louis
XIV
confirme la possession de
Terre-Neuve
et de la
baie d'Hudson
aux Britanniques. L'etablissement de
Plaisance
est abandonne. Mais la France obtient un droit exclusif de
peche
sur une partie importante du littoral de l'ile de Terre-Neuve, appele ≪
cote francaise de Terre-Neuve
≫ (
French Shore
) (ce droit exclusif sera abandonne en 1904).
Aux
Antilles
, l'
ile Saint-Christophe
est cedee aux Britanniques.
En
Guyane
, le traite d'Utrecht fait de l'
Oyapock
la frontiere avec la
colonie portugaise du Bresil
.
L'Autriche remplace l'Espagne en
Italie
, ou elle reprend une partie du Milanais,
Mantoue
, Naples et la Sardaigne, qu'elle echangera en 1719 contre la Sicile avec la Savoie. Elle obtient egalement les
Pays-Bas du Sud
(
Belgique
et
Luxembourg
actuels).
Toutefois, ce redressement est partiel. Territorialement, des 1730 et 1738, les Habsbourg devront retroceder Naples et la Sicile aux Bourbons d'Espagne. Les cessions iront a une branche cadette de la monarchie espagnole, sans etre rendues a l'Espagne. La sortie d'Italie de l'Espagne est definitive. L’Autriche la remplacera en Italie du Nord jusqu'a la reunification italienne.
Militairement, la puissance Habsbourg reste surclassee par l'armee francaise, comme l'ont montre les campagnes de l'armee francaise en Allemagne, en 1712 et 1713. Par ailleurs, les Habsbourg doivent renoncer a la couronne d'Espagne, qui appartenait a leur dynastie depuis
Charles Quint
, et ils doivent reconnaitre comme definitives toutes les conquetes de Louis
XIV
.
Bien que victorieuses, les
Provinces-Unies
ne retirent presque rien de la guerre. L'influence neerlandaise est marginale durant la negociation du traite, meme si elle s'est tenue a Utrecht. L’isolement diplomatique des Provinces-Unies est releve par le negociateur francais
Melchior de Polignac
lorsqu'il nargue ses vis-a-vis neerlandais de cette boutade : ≪ de vous, chez vous, sans vous ≫
[
8
]
. Apres soixante annees de guerres ruineuses, les Provinces-Unies croulent sous les dettes, ce qui amorce un declin financier et commercial qui profite a la France mais surtout a la Grande-Bretagne.
Cependant, les Provinces-Unies obtiennent d'occuper huit
places fortes
qui constituent une barriere contre la France : Furnes, Ypres, Menin, Tournai,
Mons
,
Charleroi
,
Namur
et
Gand
. Les conditions en sont reglees apres la mort de Louis
XIV
au
traite de la Barriere
, signe avec l'Autriche le
a
Anvers
. L'entretien de ces places sera fort couteux pour les finances neerlandaises.
Territorialement, la Grande-Bretagne se voit confirmer la possession de Terre-Neuve et de la baie d'Hudson. La France cede l'
Acadie
et Saint-Christophe aux Antilles. Les colons francais d'Acadie auront un an pour quitter leurs terres, mais ils decident pour la plupart de rester. De 1755 a 1763, ils en seront massivement chasses par le ≪
grand derangement
≫.
La Grande-Bretagne acquiert une relative predominance sur les mers qui bordent l'archipel britannique (
mer du Nord
,
Manche
), aux depens des Provinces-Unies. La predominance maritime est encore renforcee en Mediterranee par les bases de Gibraltar et de Minorque, prises
au nom du roi d'Espagne
(
Charles
III
de Habsbourg
) en 1704.
L'article XV du traite met les Iroquois sous le protectorat de la couronne britannique
[
9
]
. La Grande-Bretagne obtient egalement le
monopole
de l'
asiento
(traite des esclaves dans les colonies espagnoles) pour trente ans.
Cette predominance sur les espaces maritimes et en
Amerique
sera un des facteurs qui permettront au Royaume-Uni de remporter la
guerre de Sept Ans
(1756-1763), mais en 1715, rien n'est encore joue dans la competition qui l'oppose a la France.
Les deux regions restent divisees, mais les puissances qui les unifieront au
XIX
e
siecle emergent : la Prusse et la Savoie.
La
maison de Savoie
retrouve son
territoire homonyme
, qui a ete occupe par la France depuis le debut de la guerre. Elle obtient egalement la prospere
Sicile
, qui avait ete echangee en 1718 par le
traite de Londres
avec la maison d'Autriche contre la Sardaigne, erigee en royaume. Cet echange est effectif en 1720, a l'issue de la
guerre de la Quadruple-Alliance
.
Enfin, elle echange
Barcelonnette
contre
Fenestrelle
et le
val de Suse
(
Exilles
,
Bardonneche
,
Oulx
et
Chateaudauphin
) avec la France.
L'
electeur de
Brandebourg
,
Frederic
I
er
Hohenzollern
, obtient le titre de roi
en
Prusse
, la Haute-
Gueldre
et
Neuchatel
, mais il cede ses droits sur
Orange
a Louis
XIV
.
La clause de renonciation des droits a la couronne de
Philippe
V
a ete reniee le 9 novembre 1728 par lui au
Parlement de Paris
:
≪ mon intention, Messieurs, est de vous manifester que si, ce qu'a Dieu ne plaise, le Roi
Louis
XV
, mon tres cher frere et neveu, venait a deceder sans laisser de successeur issu de lui, je pretends jouir du droit que ma naissance me donne de lui succeder a la Couronne de France a laquelle je n'ai jamais pu valablement renoncer... Des que j'apprendrai la mort du Roi de France... je partirai pour venir prendre possession du trone des rois, mes peres ≫
[
10
]
.
Outre le
traite de la Barriere
, qui le precede de quelques mois, le traite d'Utrecht est complete l'annee suivante par le
traite de Rastatt
. Signe le
par le
marechal de Villars
et le
prince Eugene
, qui represente l'
empereur
, le traite en precise les modalites d'application pour ce qui concerne la France et l'Empire.
Le
traite de Baden
du
en etend les clauses a toutes les principautes allemandes.
- ↑
Prononce
/y.t???t/
en neerlandais.
- ↑
a
et
b
Jean Sellier
et Andre Sellier,
Atlas des peuples d'Europe occidentale
, editions La Decouverte,
,
p.
43
- ↑
≪
Les Bourbons a Madrid ?
≫,
Le Monde
,
(
lire en ligne
)
- ↑
Olivier Chaline
,
Le Regne de Louis XIV
, Flammarion, 2009, tome 2,
p.
427.
- ↑
Max Gallo
,
L'Hiver du Grand Roi
,
p.
309.
- ↑
Minorque a ete retrocedee a l'Espagne en 1802 par la
paix d'Amiens
de 1802
- ↑
Avec le titre officiel (dans le Saint-Empire) de ≪ roi en Prusse ≫ (
Konig in Preussen
), etant donne que le royaume de Prusse originel (capitale
Konigsberg
) ne faisait pas partie du Saint-Empire.
- ↑
Szabo, I.,
The State Policy of Modern Europe from the Beginning of the Sixteenth Century to the Present Time. Vol. I
, Longman, Brown, Green, Longmans and Roberts, 1857, p. 166.
- ↑
Guy Fregault,
Le Grand marquis : Pierre de Rigaud de Vaudreuil et la Louisiane
, 1952, Montreal : Fides, 481 pages.
- ↑
Philippe Erlanger
,
Philippe
V
d'Espagne : un roi baroque, esclave des femmes
, Paris,
Librairie Academique Perrin
,
coll.
≪ Presence de l'histoire ≫,
, 408
p.
(
ISBN
2-262-00117-0
)
,
p.
364
. Egalement cite par
Paul Watrin
,
La tradition monarchique
(these de doctorat d'Etat en droit), Paris, Diffusion Universite-Culture,
,
2
e
ed.
(
1
re
ed.
1916)
(
ISBN
2-904092-01-3
)
, partie 3,
chap.
III
(≪ Le regne de Louis
XV
≫),
p.
181
.