La
theorie du commandement divin
(ou encore du
volontarisme theologique
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]
) est une position
meta-ethique
qui consiste a fonder la
morale
sur la
volonte divine
: ce qui est
bien
et
mal
, c'est ce que
Dieu
veut. En d'autres termes : ce qui est juste coincide avec ce que Dieu veut.
Mark Murphy souligne toutefois que les partisans du volontarisme theologique n'ont pas tous une conception de la volonte divine comme
commandement
imposant le bien ou le mal (ce qui est le propre de la ≪ theorie du commandement divin ≫
[
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]
). Il faut donc, selon lui, distinguer entre ≪ volontarisme theologique ≫ et commandement divin.
Enfin, il faut souligner l'origine anglo-saxonne de l'expression : aucun auteur, ou presque, ne s'est explicitement revendique comme partisan d'une telle ≪ theorie ≫ ? du moins avant le
XX
e
siecle. Il s'agit plutot d'une expression utilisee pour regrouper un certain nombre de positions, qui peuvent par ailleurs etre extremement diverses et sont souvent nuancees. La question du rapport entre la justice et la volonte divine est neanmoins au cœur des discussions, a l'age classique, autour des rapports possibles entretenus entre l'
entendement
et la
volonte divine
, ainsi que du role du
libre arbitre
a l'egard de ce ≪ commandement divin ≫ (par exemple chez
Descartes
,
Leibniz
,
Spinoza
, etc.).
On a parfois voulu voir dans le
dilemme d'Euthyphron
, expose par
Platon
, la problematisation de cette ≪ theorie ≫ : ≪ Les dieux commandent-ils ce qui est juste parce que c'est juste ou est-ce juste parce que les dieux le commandent ?
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≫ Affirmer que la justice derive d'un commandement divin pose plusieurs problemes philosophiques, qui ont nourri les discussions a ce propos. En effet, si ce qui est bien derive de la volonte divine, ne doit-on pas alors parler d'une fondation arbitraire des valeurs ? En d'autres termes, aurait-il suffit que Dieu veuille autre chose pour que ce qui ≪ est ≫ (considere comme) mal soit (considere comme) bien ? Ou faut-il dire que la volonte divine etait liee a l'entendement, et que Dieu n'etait donc pas libre de decider arbitrairement du bien et du mal ?
D'autre part, quand bien meme le juste serait ce que Dieu veut qu'il soit, comment pouvons-nous connaitre ce juste ? Il s'agit ici d'un probleme propre au
cognitivisme ethique
: en admettant l'objectivite et l'universalite des valeurs (dans le cadre d'une religion
monotheiste
et universaliste), comment connaitre ce qui est bien ou mal ?
Il s'agit la d'un probleme pose par
Jeremy Bentham
: puisque, selon lui, la volonte divine ne peut etre reduite a la volonte
revelee
dans les
Ecritures
, puisque celles-ci ne peuvent ni fournir un fondement a l'
ordre juridique
moderne, ni meme fonder notre propre comportement prive sans interpretation de leur sens, comment savoir ce qu'est sa volonte ? Bentham inverse ainsi le rapport entre le juste et la volonte divine : nous pouvons etre assure que ce qui est juste est conforme a la volonte divine; mais pour connaitre la volonte divine, il nous faut d'abord trouver un critere de determination du juste
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]
. Toute la question va etre de fonder ce critere…
Cette theorie a particulierement ete attaquee par
Spinoza
(chapitre IV du
Traite theologico-politique
et les
lettres a Blyenbergh
sur le mal). Pour Spinoza, la conception de la loi divine comme commandement repose en effet sur le sentiment que cette loi est une contrainte exterieure, au lieu d'etre librement embrassee, et sur l'illusion
anthropomorphique
consistant a dissocier, en Dieu, l'
entendement
et la
volonte
, et a le depeindre en tant que juge. La conception spinoziste du
droit naturel
, assimile aux lois divines, empeche en effet toute possibilite d'y desobeir : celles-ci sont necessaires, et il n'est pas en notre loisir de ne pas nous y ≪ soumettre ≫ (la reconnaissance de cette necessite est ce qui nous rend libre)
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. Le droit naturel spinoziste n'est donc pas
prescriptif
: il ne prescrit rien d'autre que de faire ce qui est en notre puissance (c'est le principe du
conatus
: toute chose s'efforce de perseverer dans son etre). Dire qu'on pourrait violer un commandement divin reviendrait a dire qu'on pourrait desobeir aux
lois de la gravitation
.
Au
XX
e
siecle, l'article influent d'
Elizabeth Anscombe
, On
Modern Moral Philosophy
(1958), affirmait qu'il fallait tirer les consequences du discredit de la croyance en Dieu et en une volonte divine legiferante, et abandonner la notion de
devoir
ou d'
obligation morale
au profit de celle de
vertu
? tout en maintenant la validite d'interdictions absolues de certains actes.
- ↑
a
et
b
Mark Murphy,
Theological Voluntarism
sur la
Stanford Encyclopedia of Philosophy
(2002, revise en 2008)
- ↑
Voir
Euthyphron
sur
wikisource
([10a] selon la pagination d'Henri Etienne)
- ↑
Jeremy Bentham
,
Une introduction aux principes de morale et de legislation
, chapitre II, § XVIII
En ligne
: ≪ We may be
perfectly sure, indeed, that whatever is right is conformable to the will of God: but so far is
that from answering the purpose of showing us what is right, that it is necessary to know
first whether a thing is right, in order to know from thence whether it be conformable to the
will of God. ≫
- ↑
Voir par exemple
Spinoza
,
Traite politique
, chap. II, §18 : ≪ Le droit de nature n'oblige donc pas plus l'homme depourvu d'intelligence et de caractere a regler sa vie avec sagesse, qu'il n'oblige le malade a etre en bonne sante ≫
- Adams, Robert M.
,
"A Modified Divine Command Theory of Ethical Wrongness".
Religion and Morality: A Collection of Essays
, Gene Outka and John P. Reeder, eds. New York: Doubleday.
Republie in
The Virtue of Faith and Other Essays in Philosophical Theology
, New York: Cambridge University Press, 1987.
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