Le
the en Russie
(
russe
:
чай в России
chai
) fait son apparition au
XVII
e
siecle lorsque des dirigeants
mongols
en offrent au tsar
Michel
I
er
. Il gagne en popularite apres le
traite de Nertchinsk
, qui marque la naissance de la
route de Siberie
. A la fin du
XVIII
e
siecle, la boisson finit par se democratiser dans tout le pays et le
samovar
devient rapidement le symbole du the dans la litterature et l'imaginaire collectif. Le
XX
e
siecle connait paradoxalement des difficultes d'approvisionnement alors que de grandes campagnes sont lancees pour combattre l'
alcoolisme
en lui substituant cette boisson au travail et dans l'armee.
En 2014, la population russe est la quatrieme plus grande consommatrice de the au monde avec 1,3
kg
de the consomme par habitant chaque annee. Elle tend a privilegier le
the noir
, a l'exception des habitants des zones limitrophes de la
Chine
qui lui preferent majoritairement le
the vert
. C'est dans la region de
Sotchi
que se trouvent les plus grandes plantations de the de Russie mais cette production reste toutefois insuffisante pour repondre aux besoins du pays. La Russie est de ce fait, le premier importateur de the au monde, majoritairement depuis l'
Inde
, malgre la reprise croissante du commerce avec la Chine depuis la dissolution de l'
Union sovietique
.
Le the en Russie est traditionnellement prepare a l'aide d'un
samovar
, bien que la
theiere
supplante son usage depuis la fin de l'ere sovietique. Il est prepare d'abord tres fort avant d'etre dilue avec de l'eau chaude et bu avec du sucre, du miel ou de la confiture, dans des tasses en porcelaine ou des verres ornes d'un porte-verre ou
podstakannik
. Le the est generalement vendu en vrac, parfois sous forme de briques compressees ? le sachet de the n'etant pas aussi repandu que dans le monde occidental.
Des le
XVII
e
siecle, on trouve des traces de consommation de
Sbiten'
, une boisson a base de miel, d'eau chaude, d'epices et parfois de fruits
[
1
]
.
Les premiers Russes a avoir bu du the sont Vassili Tiumenets et Ivan Petrov, emissaires moscovites envoyes visiter le
khan
mongol
Altan Khan
en 1616, dans le nord-ouest de la Mongolie actuelle. Ils affirment avoir bu une boisson faite avec ≪ une sorte de feuilles inconnues ≫
[
2
]
,
[
3
]
melangees a du lait de vache bouilli
[
4
]
.
En 1639, Vassili Starkov et Stepan Nevierov sont a leur tour envoyes aupres d'
Altan Khan
. C'est la premiere fois qu'un Russe identifie le the et le nomme : Starkov raconte que les Mongols l'appellent
chai
et le preparent avec un peu de lait. Les diplomates visitant la Chine refusent generalement le the, ce qui rend plus difficiles les relations entre les pays ; ils sont contraints a ce refus par leur religion, ne sachant pas si le the est autorise par le
christianisme orthodoxe
, en particulier en periode de jeune
[
5
]
. La mission est catastrophique, le khan tout comme les envoyes russes s'estiment leses et se disputent meme ouvertement a plusieurs occasions. Le khan se plaignant des cadeaux russes, decide de couvrir le tsar de cadeaux pour l'humilier : des tapisseries de soie, d'or et d'argent, des fourrures de
zibeline
et d'autres tissus et fourrures hors de prix. Il ajoute 113
kg
de the a l'envoi. Starkov refuse cette partie du cadeau, ne voyant pas l'interet de caisses de feuilles mortes et les qualifiant d'≪ inconnues et superflues ≫ en Russie, mais il finit par ceder sous la pression du khan
[
6
]
,
[
7
]
.
En 1654, une premiere mission diplomatique russe parvient a
Pekin
pour discuter des frontieres de la
Mandchourie
, mais les Chinois refusent de faire confiance aux diplomates russes qui ne boivent pas de the en cette periode de
Careme
et la mission est un echec
[
8
]
. Une seconde expedition en 1658 recoit 165
kg
de the en present de l'empereur
Kangxi
, que les ambassadeurs s'empressent de revendre sur place contre des joailleries, ce qui mene a un nouvel echec des negociations
[
9
]
,
[
7
]
. C'est egalement pendant la deuxieme moitie du
XVII
e
siecle que Moscou commence a etre approvisionnee en
cafe
, une boisson peu populaire, contrairement au reste de l'Europe et en particulier a l'Angleterre, ou les
coffeehouses
se multiplient pendant plusieurs decennies
[
10
]
. Des influences interieures bloquent en effet la popularisation du cafe et du the : les produits importes sont accueillis froidement apres le
temps des troubles
, une loi
orthodoxe
proscrit de suivre les habitudes des etrangers, et le the semble avoir des vertus therapeutiques, ce qui le rapproche de la sorcellerie formellement interdite dans le
Domostroi
[
11
]
(un menagier russe).
Une personne en particulier contribue a la popularisation du the en Russie :
Samuel Collins
(en)
, le medecin personnel du
tsar Alexis
de 1659 a 1666. En
, il ecrit pour l'officine medicale du tsar que ≪ la concoction connue sous les noms
Tay
, ou
chai
, ou
The
, est utilisee par les Anglais et de meme par les Chinois et par les Hindous comme remede pour
Flatus Hypochondriaci
et pour les maladies de la tete et de l'estomac qui le causent
[
12
]
. En 1671, ses memoires sont publies a titre posthume. Il y ecrit : ≪ Le Chay est ce que nous appelons
Teah
ou
Tey
, et [...] les Marchands disent qu'ils s'en servent (comme nous le faisons en
Angleterre
) avec du Sucre, et le voient comme un Remede rare aux maladies des Poumons, au
Flatus Hypochondriaci
, et aux malaises de l'Estomac ; il est apporte dans des papiers d'environ une livre, ornes de Caracteres
Chinois
≫
[
12
]
. Ainsi, a son epoque, le the est importe pour ses valeurs medicinales, et les marchands qui l'importent en consomment aussi. Le the est bu a l'europeenne, avec du sucre, et Collins ne mentionne jamais le the au lait et au beurre ou le the non sucre, les deux modes venues d'Asie
[
13
]
. Pourtant, il n'existe aucune trace de the importe via l'Angleterre ou Amsterdam : toutes les importations se font depuis l'Asie
[
14
]
. Le the est toujours prescrit extremement rarement : sur les 1 100 prescriptions donnees en huit ans, les medecins de la famille royale n'en prescrivent qu'une seule fois, le
[
13
]
.
Dans les annees 1660, le comportement des diplomates a fondamentalement change et ils acceptent enfin de boire du the quand ils se rendent a la cour de Pekin. Une visite russe a Pekin en 1670 voit les ambassadeurs boire du the pendant cinq semaines sans soulever d'opposition, et les diplomates russes et chinois ont enfin des bonnes relations, mais les negociations echouent a nouveau
[
9
]
. En 1671,
Nicolae Milescu
est envoye a Pekin. Les relations se passent bien mieux qu'auparavant, en particulier parce qu'il discute en latin avec les
jesuites
de la cour, montrant son education, alors que les precedents ambassadeurs etaient generalement illettres et peu cultives. Une des demandes des Chinois est que les prochains diplomates russes doivent absolument suivre toutes les coutumes chinoises sans s'y opposer, ou ils ne seront pas recus
[
15
]
. Nicolae Milescu note qu'on lui sert une fois du the chinois, une fois du the tatar : il differencie donc
(arbitrairement)
[pas clair]
le the servi nature et le the melange a du lait et du beurre
[
16
]
.
En 1674, un ambassadeur suedois de visite a Moscou mentionne que le the est utilise regulierement par les plus hautes couches de la societe pour prevenir les malaises matinaux dus a l'abus d'alcool
[
7
]
. En 1678, Nicolae Milescu ecrit un long rapport sur son sejour en Chine. Il y ajoute de nombreuses informations (plagiees d'un ouvrage italien) sur le the, ses effets sur la sante, ses grades et son prix. Il s'agit du premier ouvrage russe sur les bienfaits du the. Cependant, il ne s'adresse qu'aux membres du gouvernement : c'est bien le bouche-a-oreille, et non un livre, qui joue un role dans la decouverte du the comme medicament a Moscou
[
17
]
. Grace a cette utilisation, les marchands russes commencent a importer de petites quantites de the en Russie
[
18
]
.
Cependant, l'opposition au the est encore importante : les medecins, qui adoptent la medecine europeenne moderne, voient d'un mauvais œil les plantes medicinales, tandis que l'eglise orthodoxe veut que les maladies internes, sans cause evidente, soient des chatiments divins, qu'on ne doit pas regler par un traitement physique
[
19
]
. La Cour est egalement tres suspicieuse, car le poison est le moyen le plus commun des assassinats politiques et qu'il est facile de remplacer une herbe par une autre
[
20
]
. Le the n'est par ailleurs consomme que comme medicament, et non de facon sociale
[
21
]
.
En 1679, la Russie et la Chine signent un traite : des
caravanes
rapportent du the de Chine en echange de fourrures russes. L'ambassadeur chinois a Moscou offre plusieurs caisses de the a
Alexis
I
er
. Cependant, en raison de la difficulte et de la longueur du voyage, le the est extremement cher et n'est accessible qu'aux familles les plus riches du pays
[
22
]
. On le trouve de plus en plus souvent dans les boutiques d’apothicaires du pays, puisqu’il est repute guerir les tsars de leurs maladies benignes
[
23
]
. Son prix par livre represente une semaine de salaire moyen (environ 30
kopecks
), ce qui fait du the la boisson la plus chere connue en Russie au
XVII
e
siecle
[
24
]
. En 1688, le marchand Vassili Grudtsyn envoie une livre de the chinois a
Athanase de Kholmogory
en lui demandant de le
prikazat′ varit′ ee v vode kipiachei i pit′ s sakharom vo zdrave
(
≪ faire bouillir dans l'eau et [...] boire avec du sucre pour [sa] sante ≫
) : a nouveau, toute mention de lait ou de beurre a disparu des ecrits moscovites
[
25
]
, mais on remarque deja a l'epoque que la coutume veut de sucrer le the
[
26
]
.
En 1689, le
traite de Nertchinsk
permet a la Russie d'annexer la Siberie et marque la creation de la
route de Siberie
, qui devient l'itineraire privilegie des marchands entre la Russie et la Chine
[
27
]
.
Pierre
I
er
le Grand
continue le processus d’occidentalisation entame par son pere Alexis, et le the se democratise en Europe au meme moment. Les forgerons de Londres et Amsterdam creent des machines speciales a infuser le the : Pierre n’aime pas le the, mais fait importer ces nouveautes qui l’amusent et qui font decouvrir la consommation sociale du the en Russie
[
28
]
. Il prend egalement la decision de nationaliser les caravanes voyageant entre la Russie et la Chine, interdisant a la fin du siecle les produits envoyes par des marchands prives
[
29
]
.
Le the commence a gagner en popularite, mais reste largement depasse par les infusions de
tilleul
et de
menthe
en dehors de Moscou
[
23
]
. Meme a Moscou, il est bu essentiellement par les familles les plus aisees. Certains ecrivains continuent a s’y opposer fermement, mais leur opposition change de nature : desormais, ils estiment qu’il est normal et desirable que les classes sociales superieures boivent du the, mais que sa diffusion aupres du reste de la population menerait a un chamboulement de l’ordre etabli
[
28
]
. Il est en effet socialement acceptable, pour les plus riches, d’
≪ imiter les Europeens en restant Russes ≫
[
30
]
. Les penseurs russes s’opposent a cette epoque a l’occidentalisation de la Russie, estimant qu’elle est nuisible a l’equilibre social du pays. Le the est importe de Chine par des marchands russes et asiatiques ? pourtant, l’image du the reste profondement europeenne aux yeux des Russes, peut-etre parce qu’ils le consomment a la mode europeenne
[
31
]
.
A la fin des annees 1710, le contexte geopolitique devient un obstacle au commerce sino-russe. Les
Mandchous
s'inquietent de la forte presence russe en
Asie centrale
; en parallele, ils doivent gerer des crises d'importation illegale d'
opium
par les Europeens, en particulier les Britanniques. Dans ce contexte, deux caravanes russes sont interdites de commerce en 1717 et 1718
[
32
]
. A la meme epoque, Pierre le Grand decide de privatiser a nouveau les caravanes afin de diversifier les biens exportes par la Russie, mais les relations diplomatiques ne s'ameliorent pas
[
33
]
. Les negociations finissent par reussir quelques annees plus tard, grace a un convoi envoye par
Catherine
I
re
en
et mene par
Savva Vladislavitch
. Le temps que la nouvelle revienne en Russie, c'est
Pierre II
qui signe le
traite de Kiakhta
en
: le traite est ratifie par Pierre II et
Yongzheng
en
. Si ce traite facilite grandement le commerce entre la Chine et la Russie, l'Empire chinois garde un controle total sur la frequence et la taille des caravanes russes en visite a Pekin
[
34
]
.
De 1727 a 1860, la ville de
Kiakhta
est le centre nevralgique du commerce entre la Chine et la Russie, et le the constitue la quasi-totalite des importations russes depuis la Chine en termes de valeur
[
23
]
. Le the chinois passe forcement par
Nankin
et les reseaux britanniques ou par Kiakhta et les reseaux russes
[
35
]
. Dans les annees 1730, les Russes importent majoritairement deux types de the noir : le
baikhov
, plus cher et de meilleure qualite, et les briques de the preferees par les Siberiens et les familles un peu moins riches. Pendant tout le siecle, la consommation russe de the augmente lentement. Une contribution majeure a cette democratisation est la fondation par l'imperatrice
Elisabeth
de la premiere manufacture russe de porcelaine, en 1744
[
36
]
. Les premiers
samovars
font leur apparition pendant la meme decennie : inventes soit par les Anglais, soit plus probablement par les Neerlandais, ils ne se vendent pas dans leur pays d'origine mais sont immediatement adoptes en Russie
[
37
]
.
Au cours des annees 1770 et 1780, sous le regne de
Catherine II
, la Russie importe environ
450 000
livres de the noir en feuilles et
612 000
livres de the en briques chaque annee, ce qui en fait encore un bien relativement peu repandu. Les personnes qui peuvent se permettre de consommer du the importent en moyenne une livre par personne et par an
[
36
]
. Cependant, le commerce entre la Russie et la Chine n'est pas fiable : de 1762 a 1766, de 1778 a 1780 et de 1785 a 1792, les routes sont bloquees. Pendant ces periodes, le the est importe via Londres. Afin d'arriver en Russie, le the parcourt plus de quinze mille kilometres : ce long trajet et les prix extremement eleves qui l'accompagnent montrent que les Russes les plus riches ont pris l'habitude de consommer du the au point de ne plus pouvoir s'en passer. A l'est de l'empire, le probleme ne se pose pas : le the en briques continue a passer la frontiere en contrebande sans difficulte
[
38
]
. En 1775, le sinologue Alexis Leontiev publie
Un rapport sur le the et la soie
, le premier ouvrage russe sur la culture du the en Chine
[
39
]
. Pendant la decennie suivante, les taxes sur l'importation du the sont en deuxieme position derriere celles du
safran
, a cinq kopecks par
poud
: le cafe est taxe a hauteur d'un kopeck par poud
[
40
]
.
Democratisation du
XVIII
e
siecle au
XX
e
siecle
[
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|
modifier le code
]
Dans les annees 1760 et 1770, le prix des textiles importes chute, ce qui augmente le pouvoir d'achat des familles aisees et leur permet d'acheter des boissons et aliments exotiques
[
41
]
. Entre 1792 et 1802, les importations de the noir triplent : cette decennie voit la democratisation tres rapide du the dans le pays tout entier. La consommation de briques de the augmente egalement, ce qui montre que meme les classes les plus populaires, qui ne peuvent se permettre d'acheter le the en vrac, se sont mises a consommer du the quotidiennement
[
41
]
.
A la mort de
Catherine
I
re
, en 1796, la Russie importe plus de 1 500 tonnes de the par an, en vrac (
baikhov
) ou sous forme de briques
[
42
]
. C'est egalement a cette epoque que les industriels commencent a produire le
samovar
, outil de preparation du the, en masse
[
23
]
: la ville de
Toula
, specialisee en production de
fonte
, produit environ 120 000 samovars chaque annee
[
23
]
. Il existe des samovars pour le cafe, mais ils restent rares ; les autres samovars sont reserves au the. Les ustensiles de degustation, quant a eux, sont souvent en metal : c'est ainsi que la Russie se demarque des pays europeens
[
43
]
.
Des son arrivee au pouvoir en 1801,
Alexandre
I
er
supprime toutes les restrictions sur les importations et exportations, ce qui stimule la consommation de the dans le pays. La situation change cependant en 1807, quand le tsar s'allie a
Napoleon
I
er
contre l'opinion publique ; l'alliance compte imposer des sanctions economiques au Royaume-Uni, mais l'administration ne parvient pas a empecher l'afflux de the britannique importe en contrebande
[
44
]
, surnomme
≪ the de Canton ≫
[
45
]
. En 1812, alors que l'alliance a echoue et que la Russie et la France sont en guerre, le commerce depuis la Chine s'effondre par manque de moyens, mais il depasse son ancien volume des l'annee suivante
[
46
]
. Quatre ans plus tard, une nouvelle taxe est instauree : bien que lourde, elle n'entrave ni la croissance des importations de the ni la baisse des prix
[
47
]
. A la mort de l'empereur, en 1825, le the compte pour 87 % des importations russes depuis la Chine
[
48
]
.
En 1837, le the s'est repandu au point qu'un article du
Journal des informations generalement utiles
affirme que
≪ le the est necessaire en Russie, presque comme l'air
[
2
]
≫
. La meme annee, le gouvernement russe autorise le service de the dans les restaurants. Le texte de la loi indique que le the est
≪ presque un bien de premiere necessite. Les artisans voyageurs et toutes sortes de gens s'y sont habitues et dans notre climat severe, il leur faut une boisson qui les rechauffe […] Il n'y a pas un paysan dans nos provinces les plus riches qui n'ait pas un samovar et ne boive pas de the, et ils l'exigent donc quand ils visitent les
kharchevny
[
49
]
≫
. Une certaine opposition se fait pourtant entendre : le the serait une boisson diabolique pour les penseurs orthodoxes, les slavophiles l’accusent de vider les caisses russes en raison des importations en masse, d’autres encore lui reprochent de favoriser les incendies a cause des feux allumes pour chauffer l’eau des samovars. Les
orientalistes
s’y opposent egalement, estimant que le the russe, en briques, manque de raffinement par rapport au the chinois en feuilles, qui ne pourraient pas supporter le voyage. Ces critiques n’entravent pas le gain de popularite de la boisson, qui est ajoutee aux rations standards des soldats a la fin du
XIX
e
siecle
[
23
]
. Le journaliste Alexei Vladimirov redige en 1874 un pamphlet virulent intitule ≪ Pourquoi le the est-il si necessaire
[
2
]
? ≫ D'un autre cote, la consommation de the est mise en avant par les organisations luttant contre l'alcoolisme
[
50
]
.
Le the n'est cependant pas toujours de bonne qualite. Deux facons tres repandues d'economiser sur le the sont de secher et de revendre des feuilles de the deja infusees, et de melanger le the a d'autres plantes. Les plantes elles-memes sont propres a la consommation, mais les facons dont elles sont deguisees en feuilles de the peuvent poser un probleme sanitaire important, par exemple quand les marchands colorent les feuilles trop claires avec du goudron ou ajoutent du sable a un paquet trop leger
[
51
]
. En 1898, 21 a 25
%
du the vendu a ete melange a autre chose
[
52
]
. Si, en Russie occidentale, le the est bu avec du sucre, du miel ou de la confiture, la preparation varie par region : en 1835,
Alexandre Pouchkine
raconte que les
Kalmouks
lui ont servi du the bouilli au sel et a la graisse de mouton
[
53
]
.
Les caravanes de the traversent
Kiakhta
,
Irkoutsk
,
Tomsk
,
Tioumen
et
Kazan
pour finir a Moscou. Une autre route du the apparait, par bateau le long du
Yangzi Jiang
puis par la voie terrestre a partir de
Tianjin
[
23
]
. La lutte contre la contrebande de the reste presente, meme si elle n'a que peu de succes. Elle est a la source d'exces : par exemple, toute personne voyageant avec plus de quinze kilos de the peut etre arretee pour suspicion de contrebande
[
45
]
. En 1849, plus de 13 683
kg
de the de Canton sont confisques. Dix ans plus tard, le volume a ete multiplie par dix, et les quantites confisquees ne constituent qu'une petite portion du total. Au milieu du siecle, environ un tiers de l'ensemble du the circulant en Russie provient de reseaux illicites. Des les annees 1830, le gouvernement russe essaie d'endiguer ce commerce illegal : en 1836, une loi exige que le the vendu dans les provinces occidentales porte un sceau en plomb. Les marchands s'elevent tres rapidement contre les amendes injustes recues pour des sceaux casses ou absents, ces derniers etant trop fragiles pour supporter l'epreuve du transport
[
54
]
. En 1844, un programme exige un emballage particulier : les marchands moscovites s'y opposent parce que l'emballage ne permet pas aux clients de sentir les thes, tandis que les clients se mefient des marchands qui pourraient en profiter pour mettre du the de mauvaise qualite
[
55
]
.
En 1858, la France, le Royaume-Uni, la Russie, la Chine et les Etats-Unis signent le
traite de Tianjin
qui ouvre les frontieres de la Chine a plus de commerce maritime. Le commerce sino-russe peut desormais se faire egalement par la mer, mais ni la Chine ni la Russie ne possedent une flotte commerciale importante, la voie terrestre reste donc la plus utilisee
[
56
]
.
Le commerce via le port d'
Odessa
prend cependant de l'ampleur des 1861. Le
, face a ces debuts de commerce maritime, le tsar
Alexandre II
decide de lever l'interdiction des importations de thes via l'Europe, estimant que la voie terrestre via Kiakhta ne peut plus rester la seule route legitime. Il limite cependant la croissance du the de Canton, le taxant deux fois plus que le the de Kiakhta
[
56
]
. En 1866, trois quarts du the russe sont importes par la voie maritime, et les fourrures depassent le the comme bien principal echange a la foire de
Nijni Novgorod
[
57
]
. Avec l'achevement du
canal de Suez
en 1869, la voie maritime devient une alternative de plus en plus employee car elle est moins complexe a mettre en œuvre : le the est expedie depuis
Hankou
, ou des firmes russes ont installe des usines de fabrication de briques de the, et est debarque a Odessa
[
58
]
. Le the de la route de Siberie reste important pour le gouvernement, qui le promeut activement dans les annees 1860 et 1870 malgre l'essor du commerce maritime. La
guerre de Crimee
et la
vente de l'Alaska
aux Americains en 1867 ralentissent encore plus le developpement du commerce avec l'Asie de l'Est
[
59
]
.
En 1880, une premiere route commerciale reguliere ouvre entre
Vladivostok
et Odessa. Des arrets sont ajoutes a Shanghai et Canton au milieu des annees 1880 pour s'approvisionner en the. La Siberie, de son cote, continue a importer du the par la voie terrestre
[
59
]
. Les Russes ouvrent plusieurs usines de fabrication de thes en brique a
Hankou
et
Fuzhou
. Avant 1895, l'industrie du the represente le deuxieme plus gros investissement russe en Chine, apres l'industrie navale
[
60
]
. En parallele, la Grande-Bretagne, jusque-la plus grande cliente du the chinois, se tourne vers l'Inde et le Sri Lanka pour la production et, en 1890, la Russie est destinataire de 35 % de l'exportation de the chinois
[
60
]
.
La premiere plantation de the en Russie est mise en œuvre au
jardin botanique Nikitski
en 1814. La premiere plantation commerciale est etablie en 1885
[
61
]
. En 1901, un paysan ukrainien, Judas Antonovich Koshman, parvient a creer un
hybride de the
resistant au froid
[
23
]
. Il s'agit du
≪
the georgien
≫
, facilement reconnaissable a sa boite a double couvercle
[
62
]
.
A partir de 1891, le
Transsiberien
est construit ; il atteint
Port-Arthur
en 1903
[
63
]
. L'achevement du reseau ferre marque la fin definitive des caravanes de the : le the voyage desormais en quelques semaines en train alors que le trajet en caravane dure environ un an et demi
[
64
]
. Quelques mois plus tard a peine, la consommation de the annuelle des Russes depasse la
livre
par personne
[
65
]
. Elle est d'autant plus stimulee qu'a la fin du
XIX
e
siecle, le the est vu comme une solution a l'alcoolisme, surtout dans les strates les moins aisees de la population : le gouvernement encourage donc sa consommation et la rend plus accessible
[
66
]
. Dans un effort de promotion des boissons sans alcool, le mot ≪ pourboire ≫ devient
чаевые
(
tchayevyie
), qui signifie ≪ pour le the ≫
[
62
]
, au lieu du traditionnel
≪ pour la vodka ≫
. Cependant, les usages evoluent moins que la langue
[
67
]
.
La
guerre russo-japonaise
de 1904 porte un coup dur au commerce sino-russe du the, surtout apres la defaite russe en 1905 qui cause une forte inflation
[
65
]
. Les ouvriers des grands entrepots de the demandent des salaires plus eleves tandis que la population reclame une baisse des prix
[
68
]
. Les taxes sur le the chinois restent tres elevees (parfois plus du double du prix du the lui-meme) : les quantites importees augmentent, mais les prix ne changent pas. Le budget de l'Etat depend de cette taxe tres importante, mais les prix eleves aggravent les tensions sociales pendant la
revolution russe de 1905
[
69
]
.
En 1913, les importations de the representent plus de 200 000 000 roubles, soit l’equivalent du budget annuel consacre a l’education
[
23
]
. L'annee suivante, la Russie s'engage dans la
Premiere Guerre mondiale
et le gouvernement fait fermer les magasins d'alcool pour combattre l'alcoolisme des soldats ; le traumatisme de la
guerre russo-japonaise
reste present, et la lutte contre l'alcoolisme est tres importante a cette epoque. Ne pouvant plus s'appuyer sur les taxes appliquees a la
vodka
, le gouvernement depend d'autant plus des taxes sur le the. Apres une longue reflexion, il decide cependant de ne pas imposer un monopole d'Etat sur le the
[
70
]
. Une penurie de the fait suite a des problemes techniques que connaissent des locomotives du
Transsiberien
, tandis qu'en Siberie, les buveurs de the commencent a utiliser le
the vert
japonais plutot que le
the noir
sino-russe. Du cote occidental du pays, la guerre empeche toute
importation
de the. Il devient donc tres difficile a trouver et est souvent de tres mauvaise qualite ou remplace par des infusions d'herbes
[
71
]
. Il est donc decide que le the doit etre cultive en Russie et plus specifiquement en Georgie, la ou les plants de the existent deja depuis 1901 mais restent anecdotiques
[
72
]
: en 1913, ils composent 0,2 % du the consomme dans le pays
[
73
]
.
De 1917 a 1923, le the est offert gratuitement a tous les travailleurs et militaires sovietiques ; toutes les boissons alcoolisees sont officiellement prohibees
[
74
]
.
En 1917, la
revolution russe
provoque la fermeture des usines de briques de the installees en Chine par manque de moyens financiers
[
60
]
. Les efforts pour cultiver du the en Georgie prennent de l'ampleur
[
75
]
et sont suivis, dans les annees 1930, du developpement de la culture du the en
Azerbaidjan
. En 1936, la culture du the Krasnodar, originaire de
Dagomys
, gagne en ampleur, mais la
Seconde Guerre mondiale
empeche son developpement a court terme
[
74
]
. Les efforts portent leurs fruits : en 1941, l'Union sovietique produit 44 % du the qu'elle consomme
[
75
]
.
La production du the Krasnodar reprend a pleine echelle apres la guerre et, en 1980, il s'agit d'une des sources de the domestiques les plus importantes de l'Union sovietique
[
23
]
.
Une plaisanterie sovietique moque
Vladimir Ilitch Lenine
[
76
]
:
≪ Pendant la famine de la guerre civile, une delegation de paysans affames vient voir Lenine pour lui soumettre une petition.
≪ Nous avons meme commence a manger de l’herbe comme les chevaux ≫
, dit un paysan.
≪ Bientot, nous allons hennir comme eux ! ≫
D’une voix rassurante, Lenine repond :
≪ Mais non, ne vous inquietez pas ! Nous buvons du the avec du miel, et pourtant, nous ne faisons pas un bruit d’abeille ! ≫
≫
Pendant la
guerre froide
, les relations entre la Chine et l'URSS se deteriorent. L’Union sovietique ne produit cependant pas assez de the pour subvenir a ses besoins et, en consequence, ameliore ses relations avec l’
Inde
, qui devient la plus grande fournisseuse de the de la Russie
[
62
]
.
Dans les annees 1970, le the georgien subit une grave baisse de qualite quand, pour des motifs economiques, les autorites decident de rendre la recolte entierement mecanique
[
74
]
.
Dans les annees 1980, la production de the georgien passe de 95 a 57 milliers de tonnes par an ; la mauvaise qualite oblige les usines a jeter la moitie de la production en plus de cette baisse. Le public russe se tourne alors vers les thes importes, mais leur quantite est insuffisante pour repondre a la demande. L'habitude nait alors de melanger le the georgien et du the importe de meilleure qualite pour reduire les couts en gardant une qualite acceptable
[
74
]
. Au milieu de la decennie, les prix internationaux du the augmentent en raison de maladies des theiers en Inde et au Sri Lanka. Le the disparait des magasins et ne peut plus etre achete qu'avec des
tickets de rationnement
; il est alors remplace par du the turc achete en grandes quantites sans controle. Le
the vert
est lui aussi importe librement, sans rationnement : il fait son apparition dans la consommation quotidienne du nord du pays
[
74
]
.
A la dissolution de l'Union sovietique, la Russie reprend rapidement ses anciens liens commerciaux avec la Chine, qui redevient un fournisseur de the majeur dans les annees 1990. Elle ne parvient cependant pas a supplanter l'Inde, dont les prix sont nettement moindres
[
77
]
.
A la suite de l'
invasion de l'Ukraine
et s'alignant sur les
entreprises appliquant des sanctions contre la Russie
(en)
,
Lipton Teas and Infusions
(en)
annonce son depart du marche russe le
et la fin de sa production d'ici la fin de l'annee. Le
ministere de l'Agriculture
se dit rassurant face a cette annonce :
≪ Le marche russe est entierement approvisionne en produits a base de the. Le depart d'Ekaterra [ancien nom de la societe] n'aura pas d'impact significatif sur les volumes et la gamme de the et creera des opportunites supplementaires de developpement commercial pour nos fabricants, qui pourront rapidement remplacer d'eventuels produits etrangers. ≫
. A cette date, d'apres les donnees de l'association Rostchaikofe, le marche interieur du the est majoritairement occupe par des entreprises a capitaux russes
[
78
]
,
[
79
]
.
Le
samovar
sert traditionnellement a la preparation du the en Russie
[
23
]
. Il sert a preparer le
zavarka
, du the extremement concentre
[
80
]
. Une fois le
zavarka
pret, on en verse une petite quantite dans chaque tasse puis on le dilue avec l'eau chaude du samovar. On le melange ensuite habituellement a du sucre, du citron et parfois des fruits secs.
Au
XXI
e
siecle, le
sachet de the
ne gagne pas en popularite, mais il devient courant de boire du the en vrac dans une theiere, a la mode europeenne : le samovar reste utilise pour les occasions speciales, mais disparait de la vie quotidienne des Russes
[
81
]
. Dans ce contexte, on fait bouillir l’eau jusqu’a l’apparition des premieres bulles d’air, puis on rince la theiere a l’eau chaude. On met ensuite une cuiller de the en vrac par personne dans la theiere, ainsi qu’une derniere cuiller quel que soit le nombre de personnes, et on laisse infuser trois a quatre minutes. Comme avec les samovars, une quantite de ce melange tres fort est versee dans chaque tasse, puis les invites ajoutent de l’eau chaude pour le diluer
[
82
]
.
Au
XIX
e
siecle, les Russes boivent leur the avec un cube de sucre entre les dents
[
83
]
. Aujourd’hui, on le melange souvent a du sucre ou a de la confiture
[
23
]
. Certains Russes ajoutent une tranche de citron a leur the
[
82
]
. Les peuples de Mongolie et de Siberie ajoutent du lait ou du beurre a la boisson : on appelle cette preparation la methode
Tatar
. En Russie occidentale, les consommateurs n'ajoutent jamais de produits laitiers : interdits en temps de jeune par la religion orthodoxe, ils n'ont jamais trouve leur place dans la consommation quotidienne
[
84
]
,
[
85
]
.
Il n’y a pas d’heure ou d’occasion fixe pour boire du the en Russie. Quand on invite des amis chez soi, on leur sert le the, c’est-a-dire la boisson mais egalement des biscuits ou un repas leger. Aux anniversaires, il est commun de boire de la
vodka
pendant la fete et de terminer la soiree avec du the et un gateau d’anniversaire
[
82
]
.
Le
samovar
(en
russe
:
самовар
) sert traditionnellement a la preparation du the en Russie
[
23
]
. Son nom vient des mots russes
самый
(
samyi
) ≪ soi-meme ≫ et
варить
(
varit?
) ≪ bouillir ≫
[
86
]
.
Le concept du samovar, a savoir faire chauffer de l'eau ou de la nourriture dans le tube central d'un grand recipient pose sur un brasier, est connu depuis des millenaires : le plus ancien a ete trouve en
Azerbaidjan
et date de -1600 environ
[
87
]
. Au
XVII
e
siecle, les forgerons neerlandais et anglais se lancent dans la mode des outils innovants pour preparer le the et le cafe. Les ustensiles en metal, d'abord en cuivre puis en argent, sont plutot une specialite britannique. Ils sont consideres comme tres raffines, bien que peu pratiques : l'argent denature le gout du the, ne conserve pas bien la chaleur de l'eau et brule la main de qui le manie
[
88
]
. Le the devenant de plus en plus populaire, on en boit davantage et dans des occasions plus sociales : les theieres britanniques doivent donc s'agrandir en consequence, mais les fabricants doivent trouver une alternative quand les maitresses de maisons britanniques ne peuvent plus les soulever facilement. Pour certaines modeles de theieres, le bec est remplace par un robinet, ce qui permet de ne plus avoir a verser l'eau en soulevant le recipient
[
89
]
. Le forgeron neerlandais
Otto Albrink
cree un premier specimen en 1714, prevu pour le the et pour le cafe. Un autre recipient du meme genre, fabrique par Andele Andeles en 1729, comporte une base ouverte qui permet de la poser directement sur le feu
[
90
]
.
La premiere bouilloire russe figure dans un inventaire de la famille Galitzine en
, mais elle fonctionne avec une lampe a huile : les huiles etant, de maniere generale, difficiles a trouver en Russie, le systeme ne gagne pas en popularite, alors qu'il a largement depasse le chauffage au brasier en Europe continentale
[
91
]
. Au meme moment, les fabricants de cuivre de l'Oural sont forces de produire des pieces de monnaie : ils utilisent les restes pour fabriquer des produits divers, dont des theieres, qui sont taxees a partir des annees 1740
[
92
]
.
Le mot
≪ samovar ≫
apparait pour la premiere fois dans un document russe de 1740. Aux douanes de
Iekaterinbourg
, un samovar est confisque ; la raison en est inconnue, mais il est possible que ce soit en raison de taxes impayees
[
93
]
. En 1745, Grigorii Akinfevich Demidoff, petit-fils de l'industriel russe
Nikita Demidoff
, ouvre la premiere usine russe specialisee dans la fabrication de samovars en cuivre a Suksun, pres de
Perm
[
93
]
. Le mot ≪ samovar ≫ gagne en popularite dans les annees 1770, quand les ateliers de samovars ouvrent a
Toula
et a Moscou
[
94
]
. En 1808, Toula est consideree comme la capitale du samovar de la
Russie imperiale
, avec huit fabriques differentes
[
95
]
.
Un interet du samovar est son cote social : puisqu’on fait bouillir une grande quantite d’eau en une fois, les occasions de boire du the doivent rassembler assez de personnes pour rapidement consommer toute cette eau
[
81
]
.
Au
XIX
e
siecle, un serviteur, s'il y en a un, doit allumer le feu sous le samovar et souffler dessus jusqu'a ce qu'il prenne. Une fois que l'eau commence a bouillir, la plus agee des filles celibataires de la maison, ou la maitresse de maison a defaut, met des feuilles de the dans une petite theiere qu'elle remplit avec l'eau bouillante du samovar. Elle pose alors la theiere sur le samovar, ou les feuilles infusent dans l'eau bouillante : cette preparation est appelee le
≪ zavarka ≫
ou the concentre
[
80
]
. Une fois le
zavarka
pret, on en verse une petite quantite dans chaque tasse puis on le dilue avec l'eau chaude du samovar. On le melange ensuite habituellement a du sucre, du citron et parfois des fruits secs. Il est possible d'y ajouter du lait ou de la creme, mais la pratique est rare car elle est proscrite pendant les nombreux jours de jeune prescrits par la foi orthodoxe
[
85
]
.
La
tasse
arrive d’Occident comme produit de luxe, jusqu’a ce que
Elisabeth
I
re
fasse ouvrir la manufacture imperiale de porcelaine en 1744. La tasse et la
soucoupe
se diffusent pendant la seconde moitie du
XVII
e
siecle : vendues separement, elles sont precieuses et decorees
[
96
]
. Au
XXI
e
siecle, les familles ont generalement plusieurs services a the contenant tasse, soucoupe et
theiere
, certains peu ornes pour la consommation quotidienne, d’autres plus luxueux pour les occasions speciales
[
82
]
.
Les classes moyennes, s’inspirant de la pratique des nobles, utilisent une soucoupe et un verre ou une tasse, en fonction de leurs revenus. Ils versent le the dans le verre, puis boivent dans la soucoupe. Cet usage pourrait venir de France, car il est critique en 1808 par
Alexandre Balthazar Laurent Grimod de La Reyniere
, qui ecrit dans son
Manuel des amphitryons
:
≪
l’usage veut que [le convive] le boive dans la tasse meme, et que, telle brulante que soit cette liqueur, il ne lui est pas permis de la verser dans la soucoupe. Ce seroit manquer de savoir-vivre.
≫
Les classes populaires francaises sont donc les premieres a boire le the dans une soucoupe pour le faire refroidir plus vite : les precepteurs francais embauches par les familles russes de province ont enseigne cette habitude comme une regle de savoir-vivre, et on parle de boire le the
≪ a la mode des marchands ≫
pour designer la consommation de the dans une soucoupe
[
96
]
.
Le
podstakannik
est un porte-verre en metal, apparu en Russie au
XVIII
e
siecle. A l’epoque, il est utilise dans les bars par les hommes, tandis que les femmes boivent leur the dans des tasses de porcelaine a la maison. Son interet principal est d’eviter de se bruler les mains en manipulant un verre chaud. Au cours du
XIX
e
siecle, le porte-verre, jusque-la utilitaire, devient plus luxueux. Pendant l’epoque sovietique, il est souvent orne des symboles du communisme
[
97
]
.
Au
XXI
e
siecle, les porte-verres sont peu utilises dans les restaurants et les habitations russes, mais restent populaires dans les trains
[
97
]
. Les trains russes utilisent le meme fournisseur depuis 1892, l’usine de
Koltchouguino
, qu’on reconnait a son
tetras
frappe au fond de l’ustensile. Ils apparaissent en Russie en meme temps que le samovar et sont fabriques en
laiton
,
cuivre
ou
argent
. L’objet est lourd, avec un pied large, et a une anse large qui permet d’y mettre la main entiere
[
ref.
souhaitee]
.
Dans les prisons russes et sovietiques, les substances alterant l'esprit, y compris l'alcool, sont interdites. Les prisonniers preparent alors du
tchifir
, du the noir extremement concentre qui affecte l'esprit et le corps
[
98
]
. La boisson fait l’effet d’un exces de
cafeine
: il est decrit comme la sensation d’avoir le visage qui fond ou le cœur qui bat a toute vitesse. Bien que traditionnellement bu par les prisonniers et les mafieux, le tchifir peut egalement etre utilise par les etudiants et employes qui ont besoin de rester eveilles. Dans ce cas, ils y ajoutent generalement du beurre ou du lait, qui protegent l’estomac et diluent la boisson
[
99
]
.
Le tchifir est prepare dans une petite poele reservee a cet usage. Elle n’est jamais nettoyee, seulement rincee, pour que le the soit d’autant plus fort. Des feuilles entieres de the noir sont bouillies en grande quantite ; on sait que le tchifir est pret quand aucune feuille ne flotte encore a la surface
[
99
]
.
Lorsqu’il est consomme par des malfrats en dehors de prison, la tradition veut que ce the soit bu en silence
[
100
]
. Une grande tasse est passee d’une personne a l’autre dans le sens des aiguilles d’une montre et chaque personne boit deux a trois gorgees du the. Des variantes regionales peuvent exister : on boit trois gorgees en Siberie mais deux en Russie centrale, ou il est egalement bien vu de souffler sur le the pour le refroidir pour la personne suivante, alors qu’il s’agit d’un acte impoli en Siberie
[
99
]
.
Le the est une des boissons les plus populaires du pays
[
101
]
: le fait qu'il s'agisse d'une boisson chaude et bon marche en fait un choix privilegie dans ce pays froid
[
102
]
.
En 2014, la population russe est la quatrieme plus grande buveuse de the au monde avec 1,3
kg
de the consomme par habitant chaque annee
[
23
]
, une consommation stable sur l'ensemble de la decennie
[
103
]
.
Consommation de the
de la Russie
[
104
]
Annee
|
Quantite
(milliers
de tonnes)
|
2004-2006
|
171,2
|
2006
|
169,1
|
2007
|
174,7
|
2008
|
174,8
|
2009
|
170,8
|
2010
|
176,2
|
Le the noir est le plus bu en Russie. Dans les zones limitrophes de la Chine, il arrive que le the vert le depasse en popularite
[
23
]
. A l'origine, c'est d'ailleurs le the vert qui est consomme par les Russes ; il est supplante par le the noir, qui l'a entierement remplace au
XIX
e
siecle
[
2
]
. Les peuples mongols et d'une partie de la Siberie melangent encore leur the avec du lait ou du beurre, voire des cereales pour en faire une bouillie nourrissante
[
84
]
.
Un the traditionnel de Russie est surnomme
Caravane russe
dans le commerce : il s'agit de the importe de Chine par caravane. Le voyage etant tres long, le gout du the s'altere et devient fume. On obtient aujourd'hui ce gout fume en melangeant le the noir classique a du the
keemun
ou
lapsang souchong
[
105
]
.
Aux
XVIII
e
et
XIX
e
siecles, le the chinois passe forcement par Nankin et les reseaux britanniques ou par Kiakhta et les reseaux russes. Le the passant par les terres est generalement en bien meilleur etat a l’arrivee que le the britannique abime par l’humidite et la chaleur, ce qui fait de la Russie une plaque tournante du commerce du the
[
35
]
.
Au
XXI
e
siecle, la Russie est le plus grand importateur de the au monde
[
23
]
. Elle est en particulier le plus grand importateur de the indien, devant l’
Iran
, malgre une baisse de volume en 2017 qui force l’Inde a baisser ses prix
[
106
]
. En 2015, les importations de the en Russie viennent majoritairement de trois pays : le
Sri Lanka
avec 29,91 % du volume, puis l’
Inde
avec 23,52 % et enfin le
Kenya
avec 15,57 % des volumes
[
107
]
. En 2018, l’Inde depasse le Sri Lanka
[
108
]
.
En 2011, la taxe sur l'importation du the baisse de 20 % a 12,5 % a la demande de l’
Organisation mondiale du commerce
[
109
]
.
Le the importe est traditionnellement transforme selon la
methode orthodoxe
, puis vit une decennie de
methode CTC
, qui produit un the moins cher, avant que la methode orthodoxe redevienne la preferee du pays
[
108
]
.
Importations de the
de la Russie
[
104
]
Annee
|
Quantite
(milliers
de tonnes)
|
2004-2006
|
174,8
|
2006
|
172,9
|
2007
|
181,3
|
2008
|
181,9
|
2009
|
183,9
|
2010
|
181,6
|
La
fabrique de the de Moscou
(ru)
, surnommee
≪ la marque a l'elephant ≫
par la population, importe du the indien pour l'
Europe de l'Est
[
110
]
.
Ce the indien est vendu dans un emballage standard : une boite en carton representant un elephant. Le the indien de meilleure qualite est vendu dans un emballage vert et rouge
[
74
]
. A l'epoque sovietique, on trouve deux melanges principaux : le numero 36 et le numero 20, qui contiennent respectivement 36 % et 20 % de the indien melange a du the georgien
[
74
]
.
La maison
Wissotzky Tea
(en)
est fondee en 1849 a Moscou. A la fin du
XIX
e
siecle, elle est la plus grande entreprise de the de l'
Empire russe
[
111
]
.
Avec la revolution de 1917, la maison emmenage a
Londres
. En 1936, elle ouvre une branche en
Israel
, ou elle finira par emmenager entierement. En 2008, elle annonce vouloir faire son retour sur le marche russe apres 80 ans d’absence, mais en est empechee par des taxes trop elevees
[
112
]
.
Kusmi Tea
est fondee en 1867 a
Saint-Petersbourg
par Pavel Mikhailovitch Kouzmitchoff (en
russe
:
Павел Михайлович Кузьмичёв
) sous le nom de
Товарищество П.М. Кузмичевъ съ сыновьями
(
≪ societe P.M. Kouzmitchoff et fils ≫
). Apres la
revolution russe
, en 1917, les Kouzmitchoff s'installent a Paris et ouvrent une boutique
≪ Kusmi The ≫
avenue Niel
[
113
]
.
La premiere plantation de the en Russie est creee au
jardin botanique Nikitski
en 1814
[
61
]
, mais ce n’est qu’en 1861 que le botaniste
Franz Josef Ruprecht
evoque la possibilite d'en faire la
culture
[
114
]
. La premiere plantation de production est etablie en 1885
[
61
]
. Les premiers plants de the ne grandissent pas bien, car ils craignent l'hiver : sur deux tonnes de graines importees de Chine en 1896, moins de 5 % germent jusqu'a maturation
[
23
]
.
En 1901, un paysan ukrainien, Judas Antonovich Koshman, parvient a creer un hybride de the resistant au froid. Sotchi devient rapidement une place forte de la culture du the, la plus septentrionale au monde. Les maladies et les insectes craignant le froid, la culture devient relativement facile
[
23
]
.
Le pays commence a produire du the en Georgie, en
Abkhazie
et en
Adjarie
. Ces tentatives sont affectees par la
premiere Guerre mondiale
[
114
]
. En 1913, les plantations georgiennes produisent 0,2 % du the consomme en Russie
[
73
]
. Le probleme de la fabrication de ce the est surtout le prix de la main-d'œuvre : les salaries russes coutent plus de cinq fois le salaire des Chinois, eux-memes deja mieux payes qu'au Japon ou en
Asie du Sud-Est
. Ensuite, pour faire une vraie concurrence au the importe, il faudrait que l'equivalent de la superficie du Sri Lanka soit couvert par des plantations de the en Russie, ce qui est geographiquement impossible. Enfin, ce the n'est de toute facon pas d'aussi bonne qualite que le the chinois
[
115
]
.
Au tout debut de l'epoque sovietique, il est notable que la population russe boit beaucoup moins de the que sous l'ancien regime, plutot a cause de la penurie que d'une baisse de la demande. Le nouveau gouvernement sovietique entame des grandes campagnes d'agriculture, qui portent leurs fruits : en 1941, l'Union sovietique produit 44 % du the qu'elle consomme
[
75
]
.
Le the de
Dagomys
, aussi connu sous le nom de
the Krasnodar
, commence a etre produit a grande echelle en 1936 et en 1980, il s'agit d'une des sources de the les plus importantes de l'Union sovietique
[
23
]
. Ces thes produisent deux a trois recoltes par an
[
114
]
.
En 2012, les plantations russes cessent d’etre les plus septentrionales au monde, depassees par des plantations britanniques
[
35
]
.
Le the en briques, plus prise des peuples nomades dans la premiere partie du
XX
e
siecle, est fabrique plutot en Chine qu’en Russie, faute d’outillage et de connaissances techniques pour le produire
[
114
]
. En 1868, les plus grandes maisons de the russes ouvrent trois grandes usines de briques de the a
Hankou
. Ces usines achetent les debris de the qui ne peuvent pas etre vendus en vrac et les compressent sous forme de briques bon marche et faciles a transporter. Les taxes etant plus basses sur le the en briques que sur le the en vrac, les prix sont d'autant plus bas, et les marges quand meme plus elevees. En 1917, dix-neuf nouvelles usines sont en activite a Hankou et a
Fuzhou
. Elles ne se destinent qu'a la vente en Europe : bien que situees en Chine, elles ne vendent jamais de briques sur le marche chinois
[
116
]
.
Le the Krasnodar est vendu en
sachets
malgre le peu de popularite de ce format en Russie. Le the etant repute pour sa grande qualite, la marque donne au sachet une image de produit de luxe qu’il n’a generalement pas dans les autres pays
[
117
]
. Au
XXI
e
siecle, on trouve encore majoritairement du the en vrac et du the en briques
[
74
]
.
Au niveau federal, le the doit etre conforme a la
norme sanitaire (SanPiN)
(ru)
2.3.2.1078-01, selon son paragraphe 2.5.4, introduite par la resolution
n
o
36 du
medecin hygieniste en chef de l'Etat
(ru)
en date du
sur la mise en œuvre des regles sanitaires
. Elle fixe ainsi les
seuils maximaux de presence
de certains elements et produits toxiques
[
118
]
,
[
119
]
.
Parallelement, le
the noir
est soumis a la
norme GOST
(standard d'Etat) 32573-2013 ≪ The noir.
Specification technique
(ru)
≫. Cette derniere est introduite par l'arrete
n
o
186-st de l'
Agence federale pour la regulation technique et la metrologie
en date du
, en conformite avec le protocole
n
o
62-P du
Conseil interetatique pour la standardisation, la metrologie et la certification
(ru)
en date du
et pour une entree en vigueur le
[
120
]
,
[
121
]
. Cette norme GOST en remplace deux autres, adoptees du temps de l'
URSS
: 1937-90 ≪ The noir long, non emballe. Specification technique ≫ et 1938-90 ≪ The noir long, emballe. Specification technique ≫ etablies par la resolution
n
o
1107 du
Comite d'Etat de l'URSS pour la gestion de la qualite de la production et les normes
(ru)
en date du
[
121
]
,
[
122
]
,
[
123
]
.
En outre, un
projet de loi
(
n
o
362590-5,
Reglementation technique pour le the et la production a base de the
) est depose en 2010 a la
Douma d'Etat
par les deputes
Guennadi Koulik
(ru)
,
Valentine Denissov
(ru)
et
Vladimir Medinski
, sans qu'il n'aboutisse
[
124
]
,
[
125
]
. Le projet a alors pour objectif d'etalir des normes pour le the, les processus de production et ses derives ainsi que pour son stockage et son transport afin de garantir la securite des produits. Il vise egalement la regulation de l'emballage, de l'etiquetage, de l'identification et des moyens de supervision de l'
Etat
[
125
]
. Il propose de plus des seuils d'acceptabilite de produits toxiques, a l'instar de la norme sanitaire existante, mais augmente par rapport a ce dernier notamment ceux des metaux toxiques et omet certains indicateurs
[
119
]
,
[
126
]
.
Comparaison des indicateurs de securite des elements et produits toxiques pour le the
[
118
]
,
[
126
]
Classe de l'indicateur
|
Indicateur
|
Seuils d'acceptabilite du SanPiN 2.3.2.1078-01
|
Seuils d'acceptabilite du projet de loi
n
o
362590-5
|
Metaux toxiques
|
Plomb
|
0,05
mg/kg
|
10
mg/kg
|
Metaux toxiques
|
Arsenic
|
0,05
mg/kg
|
1,0
mg/kg
|
Metaux toxiques
|
Cadmium
|
0,02
mg/kg
|
1,0
mg/kg
|
Metaux toxiques
|
Mercure
|
0,005
mg/kg
|
0,1
mg/kg
|
Pesticides
|
Hexachlorocyclohexane
(
isomeres
α, β et γ)
|
0,02
mg/kg
|
Sans reglementation
|
Pesticides
|
DDT
et ses
metabolites
|
0,01
mg/kg
|
Sans reglementation
|
Radionucleides
|
Cesium 137
|
200
Bq
/kg
|
400
Bq/kg
|
Radionucleides
|
Strontium 90
|
100
Bq
/kg
|
200
Bq/kg
|
Microbiologiques
|
Micro-organismes
mesophiles aerobies
et
anaerobies
facultatifs
|
5 000
UFC
/g
|
Sans reglementation
|
Microbiologiques
|
Coliformes
|
1
g
|
Sans reglementation
|
Microbiologiques
|
Bacillus cereus
|
100
UFC
/g
|
Sans reglementation
|
Microbiologiques
|
Agents infectieux
comprenant les
salmonelles
|
25
g
|
Sans reglementation
|
Microbiologiques
|
Moisissures
|
50
UFC
/g
|
Sans reglementation
|
Microbiologiques
|
Levures
|
50
UFC
/g
|
Sans reglementation
|
A une echelle regionale, l'
Assemblee legislative
du
krai de Krasnodar
(dans le Sud) adopte le
la loi
n
o
3453-KЗ
sur le developpement de la culture du the dans le krai de Krasnodar
. Cette derniere vise la
≪ creation de conditions economiques favorables pour la culture et la livraison ≫
ainsi que
≪ la protection de la qualite de la feuille de the cultivee et du the ≫
[
127
]
,
[
128
]
. Elle a ete soumise comme projet par l'Association des producteurs de the de Krasnodar, en s'inspirant de la protection deja existante pour les viticulteurs : il etait en effet possible auparavant de trouver du the etranger usurpant la denomination ≪ the de Krasnodar ≫, alors meme que la production nationale se concentre autour de
Sotchi
[
128
]
.
A une echelle plus large enfin, la Comission de l'
union douaniere de l'Union eurasiatique
dont la Russie fait partie, etablit dans les annees 2010, avec le concours du
Service federal des douanes
de cette derniere, une
Nomenclature des produits de l'activite economique etrangere
(ru)
. Le the y fait partie du groupe de code 09 incluant egalement le
cafe
, le
mate
et les
epices
[
129
]
.
En russe, le mot ≪ pourboire ≫ se traduit par
чаевые
(
tchaievyie
), qui signifie ≪ pour le the ≫
[
62
]
. Cette habitude nait au milieu du
XIX
e
siecle, quand le the devient une alternative a l'alcool et s'impose dans les milieux de temperance : l'expression ≪ pour la vodka ≫ est remplacee afin de cesser d'inciter a la consommation de vodka. Cependant, les usages evoluent moins que la langue
[
67
]
.
Une plaisanterie sovietique vise
Vladimir Ilitch Lenine
[
130
]
:
≪ Pendant la famine de la guerre civile, une delegation de paysans affames vient voir Lenine pour lui soumettre une petition.
≪ Nous avons meme commence a manger de l’herbe comme les chevaux ≫
, dit un paysan.
≪ Bientot, nous allons hennir comme eux ! ≫
D’une voix rassurante, Lenine repond :
≪ Mais non, ne vous inquietez pas ! Nous buvons du the avec du miel, et pourtant, nous ne faisons pas un bruit d’abeille ! ≫
≫
En 1769,
Denis Fonvizine
produit la comedie
Le Brigadier
, dont les personnages vertueux refusent de boire du the tandis que les plus immoraux en consomment a presque chaque scene
[
131
]
. L'annee suivante,
Mikhail Tchulkov
(ru)
publie le roman
Le cuisinier, ou les aventures de la femme depravee
. Dans cet ouvrage, il presente la consommation de the comme une activite caracteristique des personnes depravees, qui ne respectent plus les anciennes traditions russes
[
132
]
. Entre 1756 et 1770,
Alexandre Soumarokov
publie de nombreuses
paraboles
. L'une d'entre elles,
Nedostatok Vremeni
(
≪ Pas assez de temps ≫
), associe le the a la paresse et a l'egoisme : son personnage principal refuse d'aider la societe et dit ne pas avoir le temps de servir son pays, mais passe son temps a manger, boire du the, dormir et fumer. Une autre de ses paraboles,
La veuve desesperee
, raconte cependant l'intimite chaste entre une veuve et l'homme qu'elle fait le choix d'epouser apres avoir bu le the avec lui : cette fois, le the est une activite sociale positive
[
133
]
. En 1772,
Iakov Kniajnine
(en)
presente un
opera comique
,
Skoupoi
, ou le the chinois est symbole de luxe et des richesses infinies de la Chine
[
134
]
.
Alexandre Pouchkine
considere que le the est le symbole de la suprematie coloniale de la Russie au-dela de ses frontieres meridionales
[
135
]
: les
≪ barbares ≫
preparent le the a la mode tatar plutot qu'a la mode occidentale, et il estime que la Russie pourrait leur apporter la civilisation en leur presentant des premiers elements de raffinement, comme le samovar
[
136
]
. Il affirme que la preparation du the avec un samovar fait partie du patrimoine russe : il utilise le the et le samovar pour differencier les Russes et les non-russes au sein de l'empire et pour montrer la superiorite des Russes
[
137
]
. Contrairement aux autres grands auteurs russes, il est le seul a presenter le the comme une tradition europeenne importee en Russie plutot qu'une tradition purement russe
[
138
]
. Dans
Eugene Oneguine
, le protagoniste europeanise et frivole, boit du cafe plutot que du the, contrairement aux personnages qui respectent leurs racines slaves
[
139
]
. Dans son roman
La Fille du capitaine
, il fait emporter a son protagoniste une boite de the qui symbolise la maison confortable qu'il abandonne pour aller a l'armee. Il montre aussi un
Cosaque
qui refuse le the : une fois de plus, la boisson est l'apanage des Russes occidentalises et civilises
[
140
]
. Il resume, en fin de carriere :
≪ l’extase, c’est un verre de the et un morceau de sucre dans la bouche
[
3
]
. ≫
Nicolas Gogol
y fait reference de nombreuses fois dans son ouvrage
Les Ames mortes
[
81
]
, montrant le the comme element vital de la culture slave. Le the est un outil au service des relations : les marchands ne signent pas un contrat sans tasse de the, les maitres de maison n'accueillent pas le heros sans lui servir la boisson
[
141
]
. Dans l'œuvre de Gogol, les personnages les plus vertueux socialisent autour d'une tasse de the, les plus depraves boivent le the en solitaire et a des heures indues. Le the n'est donc ni bon, ni mauvais, mais c'est l'utilisation qui en est faite qui determine sa qualite
[
142
]
. Le samovar, quant a lui, est omnipresent dans ses descriptions de la campagne russe
[
143
]
.
Comme Pouchkine,
Fiodor Dostoievski
associe le the a l'harmonie au sein du foyer
[
135
]
: le the est mentionne par des personnages qui se rappellent leur enfance confortable avec emotion. Dans
Crime et Chatiment
, l'auteur compare l'amour au
≪ samovar le soir ≫
et a d'autres delices de la vie quotidienne
[
144
]
. Au debut de
L'Adolescent
, la voisine du protagoniste se suicide : le premier reflexe des voisins est de preparer un samovar pour sa mere eploree
[
145
]
. Il en deduit sobrement que
≪ en regle generale, le samovar est une chose russe tout a fait necessaire
[
2
]
≫
. De meme, pendant un accouchement difficile, le pere panique cherche une sage-femme et un samovar : l'ustensile apporte du reconfort dans les situations les plus complexes
[
146
]
. L'absence de samovar, quant a elle, represente la misere extreme, comme le service, a deux reprises dans
Crime et Chatiment
, de feuilles de the reutilisees bouillies dans une theiere felee
[
147
]
. Enfin, la famille du roman
Les Freres Karamazov
, en proie a des guerres intestines, ne boit jamais le the ensemble, malgre l'omnipresence du the dans le roman
[
148
]
.
Leon Tolstoi
presente le the comme un rituel sans lequel la vie de famille russe est inconcevable
[
137
]
. Au debut d'
Anna Karenine
, il surnomme une comtesse
≪ notre cher samovar ≫
en reference a sa tendance a
≪ bouillir ≫
d'excitation
[
149
]
. Malgre son ascetisme, l'auteur ne critique jamais le the et le traite comme un rituel social quotidien omnipresent et peu remarquable : le samovar n'est qu'un meuble autour duquel s'articulent les conversations. Chez Tolstoi, contrairement aux autres auteurs, le the est genre : les hommes boivent autant de the que les femmes, mais ce sont toujours les maitresses de maison qui servent le the aux convives
[
150
]
.
Maxime Gorki
, quant a lui, ecrit le conte pour enfants
Jil-byl samovar
(
≪ Il etait une fois un samovar ≫
), dont un samovar est le personnage principal
[
149
]
.
Dans le sud-est des Etats-Unis, le
≪ the russe ≫
est un
the de Noel
. La recette du melange comprend generalement du the noir, du jus ou zeste d'orange, de la cannelle et du clou de girofle. Le the russe americain n'a aucun lien avec la Russie et son nom date des annees 1880
[
151
]
.
Au Japon, le
≪ the russe ≫
n'est pas une variete ou un melange de the, mais une pratique de consommation. Il consiste a ajouter une cuiller de confiture, habituellement de fraise, dans son the
[
152
]
.
En France, le the
≪ Gout russe Douchka ≫
, cree en
1954
par Jean Jumeau-Lafond (actuellement,
Dammann Freres
) en hommage a son epouse russe Vera Winterfeldt, designe un melange de thes noirs de Chine, parfume aux huiles essentielles de
bergamote
et d'orange et d'un soupcon d'huile essentielle de citron
[
153
]
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