Le
ressentiment
designe, en
philosophie
et en
psychologie
, une forme de
rancune
melee d'
hostilite
envers ce qui est identifie comme la cause d'un tort subi ou d'une
frustration
. Un sentiment de faiblesse ou d'
inferiorite
ou d'
envie
face a cette
≪ cause ≫
conduit a la rejeter ou a l'attaquer. Le ressentiment pousse parfois a designer des
boucs emissaires
, selon une logique analysee notamment par
Rene Girard
(1982)
[
1
]
.
Souvent auto-justifie
[
2
]
, le ressentiment peut concerner la relation entre deux individus, entre un individu et une ou des institutions ou un ou des systemes percus comme etant sources d'
injustice
, d'
inegalite
, de
corruption
... et/ou la relation entre deux communautes humaines.
Dans ce dernier cas, il peut ≪ justifier ≫ de longues periodes de conflits, telles la ≪
guerre de Cent Ans
≫ entre la France et l'Angleterre, des
guerres de Religion
, des
guerres tribales
, les conflits ayant conduit aux
guerres mondiales
et a la
Shoah
[
3
]
, et des millenaires d'incomprehension voire de persecutions entre ethnies ou religions
[
4
]
, un certain
anarchisme
[
5
]
, et les
ideologies populistes
[
6
]
, voire des formes de
messianisme
[
7
]
.
Des ideologies, des individus ou des mouvements sociaux peuvent creer, faire croitre et/ou orienter et instrumentaliser le ressentiment. Ils le font notamment en se servant de la mediatisation rapide et simplifiante des points de vue permise par les medias audiovisuels du
XX
e
siecle, et depuis quelques decennies par les reseaux sociaux ou le ressentiment alimente les
trolls
, les
infox
et autres dialogues de sourds dans lesquels les argumentations
≪
sont mises au service d’une denegation de responsabilite, d’une disculpation, d’une justification de soi
≫
selon
Marc Angenot
[
8
]
. Dans ces contextes notamment, selon
Antoine Grandjean
et
Florent Guenard
, le ressentiment est parfois devenu une
≪ passion sociale (...) ≪ passion irrationnelle ≫, ≪ expression de l'impuissance ≫, ≪ envie deguisee ≫... ≫
[
9
]
, voire selon Angenot un ensemble de nouvelles figures de la
rhetorique
[
8
]
.
Le ressentiment peut survenir dans diverses situations, defiant l'
estime de soi
, et generant un sentiment d'
injustice
ou d'
humiliation
. Les situations durant lesquelles le ressentiment survient le plus souvent incluent : des incidents humiliants en public comme un mauvais traitement sans possibilite d'y repondre, des actes de
discrimination
ou de
prejuges
, d'
envie
/de
jalousie
, des sentiments d'etre abuse ou moque par l'entourage, et le sentiment d'avoir travaille dur et d'etre non reconnu pour son resultat tandis que d'autres y seraient parvenus sans trop d'effort. Le ressentiment peut egalement survenir lors d'un
rejet social
ou interpersonnel, deliberement humiliant, notamment
[
10
]
ou par le sentiment d'injustice genere par certaines contradictions du
neoliberalisme
[
11
]
.
Contrairement aux emotions de base, le ressentiment ne possede aucun trait facial permettant son expression. Cependant, certains traits physiques, comme le froncement des sourcils, peuvent s'associer a des emotions proches du ressentiment comme la
colere
et l'
envie
[
12
]
.
Le ressentiment peut etre auto-diagnostique grace a des signes comme le besoin de
regulation emotionnelle
. Il peut egalement etre diagnostique lors d'etats emotionnels d'agitation ou de rejet, comme une
deprime
inexplicable, un raisonnement en boucle, un etat colerique sans raison apparente, ou des
cauchemars
ou des reves perturbants concernant un ou plusieurs individus de l'entourage
[
13
]
.
Marc Angenot
insiste sur le fait que le ressentiment individuel est toujours associe a l'expression de griefs, qu'il juge etre des detournements
narcissiques
de volonte de justice ou de vengeance. Selon lui,
≪
le grief remache devient le mode exclusif de contact avec le monde, tout s'y trouve rapporte, il sert de pierre de touche et de grille
hermeneutique
. Il donne une raison d'etre et un mandat social qui permettent cependant de ne jamais sortir de soi-meme. Le grief determine une sorte de privatisation des universaux ethiques et civiques, un detournement ethno-egotiste des valeurs. Le grief est cultive pour lui-meme, la masse de griefs se gonfle, -- d'avanie en echec et en accrochages avec les Autres, -- et occupe tout l'horizon mental. L'etre de ressentiment est tellement preoccupe par ses griefs qu'il concoit mal que ses interlocuteurs ne sont pas possedes par les memes obsessions (...) Le ressentiment devient ≪une seconde nature≫
≫
[
8
]
.
Le ressentiment individuel est plus fort quand il vise un individu proche ou intime. Une blessure, emotionnelle ou physique, infligee par un ami proche ou un etre aime peut causer des sentiments de trahison, et peut avoir un impact profond
[
14
]
. L'individu affecte peut se sentir susceptible, anormalement nerveux, en pensant a ou en croisant le chemin de celui ou ceux dont il pense qu'il lui a ou qu'ils lui ont porte prejudice, avoir des sentiments de colere et de haine envers cet ou ces individus ; le ressentiment peut s'intensifier quand l'individu ou les individus vises est ou sont heureux ou felicites.
Le ressentiment devient pathologique et emotionnellement debilitant quand il n'est pas resolu par l'action, l'acceptation, le pardon ou la reconciliation ; Il finit alors par causer une attitude chroniquement
cynique
, hostile et
sarcastique
, source de
douleur morale
voire de rejet et denigrement des autres qui empeche des relations sociales harmonieuses, et cause une difficulte a passer outre, empechant d'avoir confiance dans les autres, et entretenant un manque de confiance en soi, et une hyper-compensation
[
10
]
.
Ces effets negatifs peuvent s'aggraver, jusqu'a couper toute communication avec d'autres ayant supposement cause du tort ou mal agi. L'isolement social qui s'ensuit peut a son tour engendrer de nouveaux ressentiments
[
15
]
. Selon Marc Angenot, plus qu'une forme ideologique, il devient alors un
modus vivendi
[
16
]
.
Quand le ressentiment affecte un groupe, il peut facilement alimenter dans celui-ci des ideologies auto entretenues car limitees par des impasses et des interdits logiques selon l'ouvrage de Marc Angenot
≪
les ideologies du ressentiment
≫
(1997) visant a cerner la definition et les origines du ressentiment et a produire
≪ une
phenomenologie
et une
heuristique
du ressentiment accompagnees de reflexions et d'hypotheses sur la conjoncture culturelle contemporaine ≫
[
17
]
; Angenot et d'autres voient des traces ou marques de ressentiment derriere le
feminisme
[
18
]
, l'
ecologisme
, le
populisme
et certains
nationalismes
(qui peuvent conjointement cultiver sentiment d'insecurite et ressentiment)
[
19
]
,
[
20
]
. Ce point de vue a suscite une reponse : un essai intitule "Au-dela du ressentiment : replique a Marc Angenot", ecrit par Jacques Pelletier en
1996
.
Le mot
ressentiment
, derive du verbe
ressentir
, est une refection de
recentement
puis
resentement
et signifie d'abord le
≪ fait de se souvenir avec rancune, animosite ≫
, seul sens demeure vivant. De la fin du
XVI
e
au
XVII
e
siecle, le mot
≪ ressentiment ≫
s'est dit d'une impression morale :
≪ fait d'eprouver une douleur ≫
. Puis il a eu, jusqu'a la fin du
XVIII
e
siecle, le sens de
≪ sentiment eprouve en retour ≫
[
21
]
. Aujourd'hui
[Quand ?]
, ce substantif specialise pour
≪ rancune ≫
n'a plus de rapport semantique avec le verbe dont il derive.
Le ressentiment est un des concepts philosophiques du philosophe allemand
Friedrich Nietzsche
. Son emploi de ce terme remonte probablement au penseur danois
Kierkegaard
. Il avait ensuite ete repris par
Max Scheler
[
22
]
.
Pour
Nietzsche
, dans sa
Genealogie de la morale
(1887), le ressentiment est une perversion morale trouvant son origine dans l'ancien conflit culturel et religieux entre romains et juifs et donnant naissance a l'ideal ascetique. Pour Nietzsche, les etres de ressentiment sont une race d'homme pour qui
≪ la veritable reaction, celle de l'action, est interdite et qui ne se dedommagent qu'au moyen d'une vengeance imaginaire
[
23
]
. ≫
Il lie ainsi le ressentiment a ce qu'il nomme la
≪ morale d'esclave ≫
, qui est par essence constituee par le ressentiment, par un
non
createur. Ainsi, l'etre de ressentiment est profondement
reactif
, c'est-a-dire qu'il est dans une situation d'impuissance qui engendre des frustrations. Tout homme, quel qu'il soit, a qui l'on interdit l'action, et qui de ce fait se trouve dans l'impuissance, est affecte par le ressentiment : c'est-a-dire qu'il ne peut que subir l'impossibilite de s'exterioriser.
La force consiste a surmonter cet etat (qui n'est alors plus qu'un etat passager), comme lorsque l'on surmonte le desir de
vengeance
.
La faiblesse, au contraire, est de ne pas parvenir a s'en debarrasser (par exemple, quand le desir de vengeance devient une obsession, ou encore quand le regret (?) d'un acte devient une torture morale qui ne laisse plus la pensee en repos), et le sujet transforme alors ses frustrations a son avantage en trouvant des justifications a son impuissance, par la denegation et le renversement
axiologique
. Cette volonte de se trouver des justifications caracterise precisement la mentalite d'
≪ esclave ≫
, selon Nietzsche. Une telle mentalite du ressentiment se retrouve par exemple dans les ideologies qui se definissent par rapport a un
≪ ennemi ≫
reel ou suppose : l'ennemi (la cause de l'impuissance) est juge comme etant la cause du mal subi; et par opposition, celui qui le subit s'attribue une superiorite morale imaginaire. Nietzsche resume cela ainsi :
≪ ils sont mechants, donc nous sommes bons. ≫
Une variante idealiste en est :
≪ le monde est foncierement determine par le
mal
, mais nous lui sommes superieurs. ≫
Vladimir Jankelevitch
repond a Nietzsche :
≪ S'il n'y a pas d'autre maniere de pardonner que le bon-debarras, alors plutot le ressentiment ! Car c'est le ressentiment qui impliquerait ici le serieux et la profondeur : dans le ressentiment, du moins, le cœur est engage, et c'est pourquoi il prelude au pardon cordial
[
24
]
. ≫
Pour
Dugald Stewart
, auteur des
Elements de la Philosophie de l'esprit humain
(1792), le ressentiment est instinctif ou delibere.
≪ Le ressentiment instinctif agit dans l'homme comme dans l'animal ; il est destine a nous garantir de la violence soudaine, dans les circonstances ou la raison viendrait trop tard a notre secours ; il s'apaise aussitot que nous apercevons que le mal qu'on nous a fait etoit
[
25
]
involontaire. Le ressentiment delibere n'est excite que par l'injure volontaire, et par consequent il implique un sentiment de justice, de bien et de mal moral. Le ressentiment qu'excite en nous l'injure faite a un autre, s'appelle proprement indignation. Dans ces deux cas, le principe d'action est au fond le meme ; il a pour objet, non de faire souffrir un etre sensible, mais de punir l'injustice et la cruaute. Comme toutes les affections bienveillantes sont accompagnees d'emotions agreables, toutes les affections malveillantes sont accompagnees d'emotions penibles. Cela est vrai meme du ressentiment le plus legitime
[
26
]
. ≫
Le concept de ressentiment a ete commente, notamment, par
Gilles Deleuze
dans
Nietzsche et la philosophie
(1962) dans l'optique d'un renouveau ≪ affirmatif ≫ et anti-dialectique de la
philosophie
. Apres l'hegemonie des doctrines post-hegeliennes, Deleuze propose une philosophie non plus axee sur l'idee de depassement
dialectique
et sur l'activite
critique
, mais bien sur la valorisation de l'actif sur le reactif (la critique et la dialectique etant assimiles au reactif et a la negativite).
La notion de ressentiment a egalement ete travaillee a partir des
annees 1960
par
Rene Girard
[
27
]
, qui identifie le ressentiment a l'
envie
ressentie face a un modele scandaleux, estime etre un indepassable obstacle a l'accomplissement du desir. Girard critique l'idee
≪ romantique ≫
qu'il puisse exister des individus
≪ superieurs ≫
seuls capables de sentiments autonomes, et considere que l'
imitation
est la condition ordinaire et generale de l'Homme. Selon Girard, nous sommes tous
≪ reactifs ≫
au sens indique avec mepris par Nietzsche, y compris et meme a commencer par les etres qui, apparemment, sont superieurs, au sens nietzscheen. De telles personnes, comme Stavroguine dans
Les Demons
de
Dostoievski
[
28
]
, Romeo dans
Romeo et Juliette
de Shakespeare ou les idoles du star-systeme, non seulement ne sont pas superieures, mais elles sont au contraire supremement dependantes des sentiments d'autrui pour nourrir les leurs, au risque, lorsqu'elles sont livrees a elles-memes, des addictions et du suicide. Nietzsche lui-meme apparait a Girard comme particulierement
≪ ressentissant ≫
(par exemple a l'egard de
Wagner
, qu'il admirait avant de l'attaquer), et la tension entre son mepris pour les
≪ esclaves ≫
et sa propre situation devient pour Girard un parametre explicatif de la folie de Nietzsche. Girard evoque egalement comme ideologies du ressentiment le communisme, l'anti-semitisme, et plus generalement tous les
≪ anti- ≫
quelque chose, alors que la
Bible
et le
christianisme
≪ crucifies ≫
par Nietzsche lui apparaissent au contraire comme porteurs de verite morale.
Certains objectent sur Girard qu'il s'appuie sur une lecture simplificatrice de la theorie de Nietzsche, dont il ecarte les nuances (par exemple, pour Nietzsche l'homme superieur n'echappe pas au ressentiment, mais il le surmonte) et que le lien entre sa folie et sa psychologie, admis par Girard, n'est pas si evident pour tous les auteurs (
cf. maladie de Nietzsche
).
Il semble, de surcroit, que Girard entreprend ce que Nietzsche lui-meme avait predit : un renversement des valeurs, une inversion de ce qu'il considere comme relevant du ressentiment et de ce qu'il considere comme relevant du surhomme. Et dans la perspective genealogiste (et accessoirement physiologique) qu'est la perspective nietzscheenne, on ne peut pas considerer l'homme fort avec des valeurs fortes comme etant un homme du ressentiment. On ne peut pas estimer que l'homme fort vit au diapason de l'homme faible. Ce serait comme dire que le maitre est dependant de son esclave. Par definition de Nietzsche, l'homme fort ne peut pas
reagir
a l'homme faible. Il n'a pas besoin de l'approbation de l'esclave pour valoriser ses comportements nobles et puissants, puisque precisement il est fort. Ce serait nier la perspective genealogiste du dominant et du domine, et affirmer que le lion, qui manger la gazelle, est dependant de celle-ci.
Cette objection est comparable a la manipulation semantique qui consiste a dire que celui qui ne tolere pas l'intolerance est lui-meme intolerant... De meme, l'homme fort qui aurait du ressentiment a l'egard du ressentiment ne pourrait pas devenir lui-meme un homme du ressentiment...
Pour l’historien
Marc Ferro
:
≪
A l'origine du ressentiment chez l'individu comme dans le groupe social, on trouve toujours une blessure, une violence subie, un affront, un traumatisme. Celui qui se sent victime ne peut pas reagir, par impuissance. Il rumine sa vengeance qu'il ne peut mettre a execution et qui le taraude sans cesse. Jusqu'a finir par exploser. Mais cette attente peut egalement s'accompagner d'une disqualification des valeurs de l'oppresseur et d'une revalorisation des siennes propres, de celles de sa communaute qu'il n'avait pas defendues consciemment jusque-la, ce qui donne une force nouvelle aux opprimes, secretant une revolte, une revolution ou encore une regenerescence. C'est alors qu'un nouveau rapport se noue dans le contexte de ce qui a secrete ces soulevements ou ce renouveau.
La reviviscence de la blessure passee est plus forte que toute volonte d'oubli. L'existence du ressentiment montre ainsi combien est artificielle la coupure entre le passe et le present, qui vivent ainsi l'un dans l'autre, le passe devenant un present, plus present que le present. Ce dont l'Histoire offre maints temoignages
[
29
]
. ≫
Dans son ouvrage
L'Homme du ressentiment
(1933),
Max Scheler
evoque les causes individuelles du ressentiment, qui en s'agregeant les unes aux autres, peuvent creer un ressentiment diffus mais generalise dans la societe. Certaines guerres, dans l’Antiquite ou au Moyen Age, peuvent s'expliquer par le ressentiment de certains groupes sociaux a l'egard de voisins ou d'autres groupes ; il en a ete de meme lors de la
Revolution francaise
ou lors de la
Revolution russe
, sans compter les conditions psychologiques ayant contribue a l'accession d'Hitler au pouvoir en 1933 (cf. le ≪ Diktat ≫ du
Traite de Versailles
), d'ailleurs annee de publication de l'ouvrage de Scheler.
Sur le plan
ideologique
, le concept de ressentiment a ete etudie par l'analyste et historien des discours
Marc Angenot
(
Les Ideologies du ressentiment
, 1996) qui en fait l'un des vecteurs des ideologies politiques, identitaires et nationalistes du
XX
e
siecle.
Comme ses predecesseurs Angenot concoit le ressentiment comme une attitude caracterisee par une accumulation de griefs et par un desir de revanche dont la proliferation, particulierement notoire aujourd'hui avec le
postmodernisme
, les revendications identitaires et le
≪ tribalisme ≫
, alimente diverses formes de discriminations et de conflictualites sociales. Selon lui,
≪ les ideologies du ressentiment ont ete et sont les grandes fabulatrices des raisonnements conspiratoires. Les adversaires qu’elles se donnent passent leur temps a ourdir des trames, ils n’ont de cesse de tendre des rets ; et comme ces menees malveillantes ne sont guere confirmees par l’observation, il faut supposer une immense conspiration ≫
[
8
]
.
Meme si la stabilite et l'
≪ enchantement ≫
se volatilisent sous nos yeux (ce que le philosophe allemand
Walter Benjamin
nommait le
≪ declin de l'aura ≫
), la
reflexivite
et le maintien d'une certaine esperance collective restent les meilleurs moyens, selon Angenot, pour se premunir des effets reactifs du ressentiment.
Pierre-Andre Taguieff
(historien et philosophe) a aussi consacre des ecrits sur le ressentiment dans une perspective proche de celle d'Angenot.
En
2020
, dans un ouvrage titre
Ci git l’amer - guerir du ressentiment
(Gallimard, 2020),
Cynthia Fleury
pose l'hypothese que de nombreux individus et collectivites souffrent du ressentiment, poison qui les ronge, paralyse leurs actions, et les eloigne de l'
≪
affectio societatis
≫
.
L'auteure, en s'appuyant sur des philosophes, psychanalystes, historiens, poetes et divers auteurs, ainsi que sur son experience clinique, propose des cles psychanalytiques et socio-politiques pour depasser ce sentiment negatif trop souvent source de
deni
, de defiance exacerbee voire de
haine
.
≪ Plus on penetre dans le ressentiment, moins on a la capacite de le conscientiser. Donc on rentre dans le deni et dans l'incapacite, tout en se croyant capable ≫
.
Le ressentiment est selon elle une
≪
maladie typique de la
democratie
, beaucoup moins d'un Etat autoritaire. Notre rapport a l'
egalite
est absolument determinant.
Adorno
parlait meme d'un
egalitarisme
repressif, c'est-a-dire, en somme, que notre maniere de nous ressentir egaux, c'est d'aller verifier. Or, la, bien evidemment, explosent les inegalites. Et donc, oui, vous avez un sentiment de ressentiment qui est plus fort
≫
.
Selon elle, pour sortir de la crise de la COVID-19 notamment, la
collegialite
va devoir un petit peu reprendre la main, dans un Etat social de droit. Elle estime que
≪
la traduction politique du ressentiment (le
populisme
) ...ne produit pas une action politique viable. Il y a une objectivation des conditions desastreuses du moment. Je vois comment je vais aller vers la sublimation de cette tentation du ressentiment. Encore une fois, le choix que je fais (...), je pars du principe que c'est du domaine du
pari pascalien
, que c'est un choix
ethique
, c'est une fonction regulatrice
≫
.
Ressenti
, issu du participe passe
ressentir
,
verbe du
2
e
groupe
:
- Eprouver une sensation, un etat physique, en etre affecte de facon agreable ou penible
: Ressentir une douleur. Ressentir les bienfaits d'une cure.
- Eprouver telle disposition a l'egard de quelqu'un, de quelque chose, tel sentiment
: Ressentir une grande joie a l'annonce d'un evenement.
- Etre particulierement affecte par quelque chose, eprouver, subir les effets de quelque chose
: Pays qui ressent les contrecoups de la crise economique
[
30
]
.
Le
substantif
≪ ressenti ≫ est absent de la langue francaise en tant que tel et il existe deja les mots ou expressions de meme sens : sentiment, emotion, ce que l’on ressent, eprouve, percoit
[
31
]
. On ne dit pas
quel est votre ≪ ressenti ≫ ?
mais
que ressentez-vous ?
,
qu'eprouvez-vous ?
ou
quel est votre sentiment ?
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