Un
reclus
(ou une
recluse
) est un moine (ou moniale) qui, adoptant une forme extreme de penitence, s’enferme en solitaire dans un espace restreint (reclusion dans une ≪ celle ≫ ou cellule ou bien un
reclusoir
), soit pour un temps, soit pour la vie. Cette cellule se trouve generalement pres d’un
monastere
ou d’une
eglise
.
Dans le
christianisme
, les reclus appartiennent aussi bien a l'
Eglise catholique
qu'a l'
Eglise orthodoxe
.
Ce genre d’
ascese
extreme est deja present dans le
monachisme
chretien oriental du
IV
e
siecle
. Il aurait ete inaugure en
Syrie
par
Eusebe de Teledan
(d'autres sources citent egalement
Saint Paul Ermite
(229-342) ou selon les sources
Antoine le Grand
(vers 250-356), ou encore
Jean d'Egypte
).
Spirituellement, la reclusion monastique est une symbolique mais radicale ≪ mort au monde ≫, par l’adoption volontaire de l’enfermement et le choix delibere de la prison. En Occident, au
Moyen Age
, le ceremonial d’entree en reclusion comportait d’ailleurs le chant de funerailles
In paradisum deducant te angeli
. Le souhait du reclus est de trouver sa voie vers Dieu dans le ≪ fuis, tais-toi, reste tranquille ≫ de l’
hesychasme
.
La tradition monastique orientale est plus longue et riche que celle de l’Occident dans ce choix de la reclusion comme forme de vie religieuse. Des auteurs tels que
Rufin d'Aquilee
(lui-meme un reclus) et
Theodoret
mentionnent la presence de reclus (y compris de recluses) en Syrie ou ils sont les plus nombreux. En
Egypte
sont celebres
Nillamos
et
Jean de Lycopolis
. Durant la periode byzantine, des colonies de reclus existent sur les iles de Paphos, Rhodes, Chypre. Le plus celebre, a Chypre, est
Neophyte le Reclus
(1134-c.1214).
Etant donne l’extravagance que prend parfois l’ascetisme des reclus ? l’un s’enferme dans un
tombeau
, un autre se construit une cellule ou il ne peut se tenir ni debout ni couche ? l’
Eglise
invite a la prudence et, a partir du
VII
e
siecle
, commence a legiferer.
Ainsi
Theodore Balsamon
, interpretant un canon synodal, ecrit vers
1170
: ≪ C’est une chose grande et courageuse que quelqu’un se renferme dans une maisonnette toute sa vie, comme s’il etait mort, mais les lois des Peres ordonnent que personne ne se fasse reclus sinon apres une consideration serieuse ≫ Il ajoute des conditions : ≪ que celui qui voudrait se decider pour ce genre de vie demeure auparavant trois ans sous l’obeissance d’un superieur de monastere ; ensuite il doit presenter une declaration minutieuse sur la maniere dont il pense pratiquer ce genre de vie ; cette declaration sera examinee et approuvee par l’eveque ; et encore apres cela il doit pratiquer la vie monastique en dehors de la reclusion ≫
[
1
]
En
Russie
la reclusion comme forme de vie
eremitique
survit jusqu’au
XIX
e
siecle
. Certains des grands theologiens de l’epoque sont des reclus :
Seraphin de Sarov
(mort en
1833
), et surtout l’eveque demissionnaire
Theophane
. Ce dernier est reclus de
1866
a sa mort en
1894
. Il a rassemble de nombreux livres dans sa recluserie, est abonne a des revues
theologiques
et repond aux lettres de consultation spirituelle qu’il recoit. Ces lettres sont de petits traites de
theologie dogmatique
ou spirituelle.
En Occident, le phenomene de la reclusion monastique apparait plus tard qu’en Orient. Un
concile regional
, a
Orleans
(en
533
), mentionne la presence de reclus en Gaule merovingienne.
Gregoire de Tours
, egalement, un peu plus tard. En
Espagne
, l’Eglise commence a legiferer a partir de
648
, indiquant ainsi de maniere indirecte que cette forme de vie religieuse ascetique se repand.
C’est aux
XI
e
et
XII
e
siecles ? les grands siecles mystiques du
Moyen Age
occidental ? que les reclusions se multiplient. Nombreux sont les monasteres qui amenagent des cellules speciales pres de leur eglise pour y recevoir ceux ou celles qui choisissent, apres de nombreuses annees en communaute, de devenir reclus. Les moniales recluses sont plus nombreuses, sans doute car la vie precisement eremitique, dans l’isolement d’un bois ou de la montagne, est consideree comme peu sure pour des femmes. Les reclusions ne sont pas necessairement des choix pour la vie entiere. Au
XII
e
siecle
l'abbe
Ælred de Rievaulx
(1110-1167) du
Yorkshire
ecrit un texte tout d'abord destine a sa sœur, intitule
La Vie de recluse
et qui va inspirer un mouvement de mortification qui s'etendra dans toute l'Europe, particulierement en Grande-Bretagne, France, Belgique et Pays-Bas. Ce texte prit valeur de regle. Des recluses vont ainsi vivre dans de petites cellules percees de ces petites ouvertures appelees
hagioscopes
qui leur permettent d'assister aux offices mais aussi de recevoir eau et nourriture des passants. Le cimetiere des Saints Innocents de Paris abritait ainsi plusieurs reclusoirs tout au long du Moyen Age accueillant reclus et recluses.
La plus celebre des recluses en Allemagne est
Wiborada
de l'
abbaye de Saint Gall
qui, apres une preparation de quatre ans en communaute monastique fut enfermee en reclusion en
916
par l’abbe-eveque Salomon III, dans une cellule pres de l’eglise de Saint-Magne. Elle mourut assassinee en
926
par des bandits hongrois. C’est la premiere recluse dont on ait des details biographiques certains ; de meme Wiborada est la premiere femme officiellement
canonisee
par l’Eglise (en
1047
)
[
2
]
. D’autres celebres recluses sont les saintes
Julienne de Norwich
(en
Angleterre
) et
Ivette de Huy
(en
Belgique
).
Saint
Romuald
qui fonde en
1012
l’ordre des
camaldules
? des
benedictins
ermites ? y encourage explicitement la reclusion. Jusque vers
1450
les camaldules connaissent meme la ≪ reclusion collective ≫ durant les periodes de
careme
et d’
avent
. Seuls en etaient dispenses les moines necessaires au service de l’eglise et du monastere. L’ordre des camaldules est le seul qui, encore recemment ? dans ses constitutions de
1968
? prevoit la possibilite de vie en reclusion monastique.
Au
X
e
siecle toujours a
Treves
,
Simeon
se reclut a la
Porta Nigra
. Il fut canonise peu apres sa mort.
Aux
XIII
e
et
XIV
e
siecles la situation change : alors que les reclus tendent a disparaitre ou deviennent des ermites plus traditionnels, les recluses se multiplient, surtout dans les villes, et sous la protection des
cathedrales
et des autorites civiles. Ces recluses sont volontaires et soigneusement selectionnees. Elles recoivent l'
extreme-onction
avant d'etre enfermees, voire emmurees dans un espace de quelque neuf metres carres. Une petite fenetre a barreaux donnant sur la rue permet aux passants de leur donner a manger, en echange de prieres
[
3
]
.
En
1320
a Rome il y avait 230 recluses (au
XVI
e
siecle
, quatre recluses vivaient encore pres de la
basilique Saint-Pierre
).
A
Saint-Flour
, en France, la municipalite fait construire une recluserie sur un des ponts d’acces a la ville (le ≪ pont de la recluse ≫). La recluse est a charge de la ville et lui apporte en retour protection spirituelle. Pres d'
Amiens
vecut la recluse
Colette de Corbie
(1381-1447).
Au
XVII
e
siecle
, le phenomene se ralentit comme tout autre forme de vie religieuse mais on note encore la presence de recluses a Paris, Lyon, Bruxelles, Louvain, Lille, Anvers. La plus celebre est sans doute
Jeanne de Cambry
qui vecut comme recluse a Lille de
1625
a sa mort en
1639
[
4
]
. En
1695
Jeanne Le Ber
se fait enfermer comme recluse a
Ville-Marie
, au
Canada
.
Le
decedait a Rome, apres pres de 44 annees de reclusion a l'interieur du monastere camaldule de l'Aventin, l'une des dernieres recluses, sœur Nazarena.
Certaines recluses sont devenues celebres :
- Basilia, recluse de a l'abbaye Saint-Victor
- Jeanne Le Ber
- Dorothee de Montau
, recluse volontaire, mystique et sainte catholique, patronne de la Prusse et de l'
Ordre teutonique
- Alix la Burgotte
, recluse volontaire au
cimetiere des Innocents
ou elle est decedee en 1470, apres 46 annees d’enfermement
[
3
]
- Suster Bertken
, poetesse et mystique recluse a
Utrecht
(v. 1426 - 1514)
- Colette de Corbie
, recluse volontaire
- Catherine de Cardone
(it)
, recluse pres de Roda en Espagne
- Monegonde de Chartres
- Margaretha Grammaye
, recluse de Bruxelles (+1605)
- Hildeburge de Gallardon, recluse a Pontoise
- Hodierne, recluse pres de l'
Abbaye de Saint-Arnould
a Metz
- Ivette de Huy
, dans le diocese de Liege
- Eve de Saint-Martin
, dans le diocese de Liege
- Ermelinde de Meldert
, dans le diocese de Malines
- Marie de Montauban
, fille de
Jean de Montauban
,
amiral de France
, condamnee, le
≪ a etre enclose et emmuree ≫
pour tentative d'empoisonnement et d'ensorcellement sur la personne de son mari
Georges de La Tremoille
,
sire de Craon
et avoir empoisonne son
1
er
mari
Louis
I
er
de Rohan-Guemene
[
5
]
- Jeanne Marcelle du Moulin,
≪ Le mardi 7 avril 1416, la cour du
Parlement de Paris
ordonne que Jeanne Marcelle, femme de Andre du Moulin, bourgeois de Paris, serait enfermee ≪ en un lieu seur, honeste, a par soy ≫ et que ledit Andre du Moulin aurait une des clefs de la chambre ou serait sa femme tandis que l'autre clef serait confiee a Jean Marcel, bourgeois de Paris, ≪ cousin d'icelle femme≫. ≫
[
5
]
- Rachilde, recluse de
Saint-Gall
en
Suisse
(† 946)
- Julienne de Norwich
, recluse volontaire
- Jeanne la Panoncelle
, recluse volontaire
- Delphine de Sabran
, recluse volontaire
- Berthe d'Utrecht
, recluse volontaire
- Renee de Vendomois
, condamnee a mort pour vol, adultere et complicite dans l'assassinat de son mari, voit sa peine commuee et est condamnee le
,
≪ a demeurer perpetuellement recluse et emmuree au
cimetiere des Saints-Innocents
a
Paris
,
dans une petite maison
qui sera faite a ses depens, des premiers deniers venant de ses biens, maison
joignant l'eglise
, comme elle etait anciennement, pour y faire penitence et finir ses jours au moyen d'aumones et du residu de ses biens ≫
[
3
]
.
- Jeanne la Verriere
, recluse volontaire
- ↑
Cite d'apres l'article ≪ Reclus ≫ dans le
Dictionnaire de spiritualite
, vol. XIII,
p.
218
- ↑
Gian Franco
Schubiger
,
Saints, martyrs et bienheureux en Suisse
, Editions Saint-Augustin,
, 217
p.
(
ISBN
978-2-88011-158-8
,
lire en ligne
)
- ↑
a
b
et
c
Titiou Lecoq
,
Les Grandes oubliees. Pourquoi l'histoire a efface les femmes
, L'Iconoclaste,
, 330
p.
(
ISBN
9782378802424
)
,
p.
108-114
- ↑
H. de Boissieu,
Une Recluse au
XVII
e
siecle, Jeanne de Cambry
, Paris, 1934.
- ↑
a
et
b
La recluse Renee de Vendomois par la Revue historique et archeologique du Maine 1892 (T1) page 205 a lire en ligne sur gallica.bnf.fr