Ulysse
a la cour d'
Alcinoos
, par
Francesco Hayez
(
1813
-
1815
).
Dans la
mythologie grecque
, les
Pheaciens
[
1
]
(en
grec ancien
ο? Φα?ακε?
/
hoi Phaiakes
, de
φαι??
/
phaios
, ≪ gris
[
2
]
≫) sont un peuple de marins, decrits par
Homere
(aux chants VI, VII, VIII et XIII de l’
Odyssee
.)
L'episode le plus fameux concernant les Pheaciens raconte comment ils deposerent
Ulysse
a
Ithaque
; a son reveil, celui-ci trouva a ses cotes les tresors des Pheaciens.
Poseidon
punit ces derniers en petrifiant leur vaisseau sur le chemin du retour.
Homere presente la genealogie des Pheaciens, peuple mythique appartenant a la race des
Geants
. Leur roi
Alkinoos
est en effet fils de
Nausithoos
, lui-meme fils de
Poseidon
et de
Peribee
[
3
]
. Peribee est la plus jeune fille du roi des Geants, peuple guerrier et sauvage que combattirent les dieux olympiens. Quant a Nausithoos, il eut deux fils, dont l'un engendra
Arete
; le second fils est Alcinoos lui-meme, le roi des Pheaciens. Ce dernier epousa sa propre niece, Arete, la fille de son frere
[
4
]
. Ce mariage incestueux aux yeux des Grecs situe le peuple des Pheaciens entre deux mondes : entre celui des Geants auquel ils appartiennent par leur ascendance et par leurs unions
endogames
, et celui des hommes, qui vivent dans des cites, en organisation politique, et respectent la regle de l'
exogamie
. Le roi Alcinoos affirme lui-meme etre proche des dieux : ≪ Quand nous faisons pour les dieux nos fetes d'
hecatombes
, ils viennent au festin s'asseoir a nos cotes, aux memes bancs que nous ; sur le chemin desert, s'ils croisent l'un des notres, ils ne se cachent point : nous sommes de leur sang, tout comme les
Cyclopes
ou comme les tribus sauvages des Geants
[
5
]
. ≫ Comme ces peuples anthropophages et guerriers, les Pheaciens habitent aux marges du monde des humains. Ils ne sont donc plus tout a fait des dieux, sans etre encore veritablement des hommes.
Les Pheaciens habitaient autrefois
≪ dans l’Hyperie a la grand'plaine, pres des
Cyclopes
altiers, dont ils devaient subir la force et les pillages. Aussi Nausithoos semblable aux dieux les avait-il emmenes en
Scherie
, a l’ecart des hommes laborieux
[
6
]
≫
. Le nom de cette Hyperie ne correspond a aucune terre du monde connu, pas plus que l’ile de Scherie ou ils se sont etablis par la suite
[
7
]
.
Nausicaa
precise peu apres que les Pheaciens vivent
≪ a l’ecart, au milieu d’une mer houleuse, si loin que nul mortel n’a commerce avec eux ≫
[
8
]
. La mer de Ceraunie est la partie de la mer qui s’etend entre la mer Ionienne et la mer de Cronos, en face des monts Cerauniens ; c’est la que se trouve l’ile des Pheaciens. Tout indique que le peuple des Pheaciens et leur ile n’appartiennent pas a l’
ecoumene
.
Theophraste
explique dans son livre II
Sur l’histoire
qu’aux environs du detroit se produisent dans la mer des exhalaisons de feu assez intenses pour rechauffer. Theophraste ecrit egalement que le bruit qui vient des iles d’Eole s’entend jusqu’a mille stades. Avant ce detroit,
≪ l’Ionien ≫
, il est une
ile
dans laquelle se trouve la faux avec laquelle
Cronos
a coupe les organes genitaux de son pere.
Cependant, les Pheaciens vivent en cite, et connaissent une organisation sociale et politique harmonieuse, qui rappelle a bien des egards celle des Grecs. Accompagnee d'Ulysse,
Nausicaa
traverse d'abord une region de champs et de cultures avant d'arriver a la ville qui est entouree d'un haut rempart
[
9
]
et qui possede deux ports, de part et d'autre d'un isthme. La description qu'elle en donne suggere la belle ordonnance et la richesse du pays : ≪ Tu verras la hauteur de son mur et la beaute des ports ouverts a ses deux flancs, et leurs passes etroites, et les doubles gaillards des vaisseaux remises sur le bord du chemin, chacun sous son abri. ≫ La ville possede aussi un temple a Poseidon, ainsi qu'une
agora
avec son dallage de pierre ; la vie economique se concentre autour des activites maritimes : tous les metiers qui ont trait a la mer sont representes, ≪ fabricants d'agres, de voiles, de cordages, polisseurs de rames
[
10
]
≫, mais aussi maitres-charpentiers capables d'agencer mats, avirons et navires, car les Pheaciens sont un peuple de marins.
Quant au palais royal d'Alcinoos, il laisse a Ulysse des l'abord une impression d'extreme magnificence : ≪ Ulysse fit halte un instant. Que de trouble en son cœur devant le seuil de bronze ! Car sous les hauts plafonds du fier Alcinoos, c'etait comme un eclat de soleil et de lune ! Du seuil jusques au fond, deux murailles de bronze deroulaient leur frise d'email bleu
[
11
]
. ≫ Portes d'or, montants d'argent, sculptures raffinees indiquent le luxe et la richesse. La reine est entouree de nombreuses servantes, et le roi est assis sur un siege de ceremonie, en grec
θρ?νο?
, entoure de dignitaires et conseillers. Parmi les grands du royaume, on compte douze ≪ rois a sceptre
[
12
]
≫. Alcinoos dispose de herauts et pendant le festin, un
aede
aveugle, du nom de Demodocos, divertit l'assemblee.
Peuple enigmatique, mi-humain, mi-divin, les Pheaciens semblent bien representer un royaume d'
utopie
, ou peut-etre la transfiguration d'une societe antique disparue. Les interpretations a leur sujet ne manquent pas. Dans la tradition classique et des
Thucydide
[
13
]
, les Pheaciens seraient les premiers habitants de l'ile de
Corcyre
, l'actuelle Corfou. D'autres hypotheses ont place l'
Ithaque
d'Ulysse dans l'actuelle
Cephalonie
et les Pheaciens dans l'actuelle Ithaque (dont le nom grec archaique etait
Φε?κη
/
Pheake
, que ses habitants ont toujours appelee
Θι?κη
/
Thiaki
, et dont le port s'ouvre sur un rocher pouvant evoquer un navire petrifie)
[
14
]
. Mais cette hypothese est aujourd'hui abandonnee : il ne fait plus de doute que l'ile actuelle d'Ithaque corresponde bien a l'Ithaque d'Homere et d'
Ulysse
.
En 1924,
Victor Berard
avait d'abord assimile les Pheaciens a ≪ un peuple etranger, une colonie ou une emigration maritime
[
15
]
≫, et identifie leur ≪ Hyperie a la grand'plaine ≫ a la cite de
Cumes
en
Campanie
. Quelques annees plus tard, ses recherches l'amenaient a corriger cette hypothese et a situer le palais royal d'Alcinoos sur l'ile de
Corfou
, a Paleokastritsa qui domine l'actuel Port-Saint-Spyridon
[
16
]
. Mais Victor Berard se fondait uniquement sur les caracteristiques geographiques du site. Et aucune fouille archeologique n'a confirme son hypothese. Par contre, les fouilles archeologiques recentes menees sur la presqu'ile aujourd'hui nommee Kanoni, a Corfou, ont degage les vestiges de la cite archaique de Korcyre, sur l'emplacement de l'actuel village d'Analipsis. Cette cite abritait quatre temples aux frontons ornes de sculptures. Pour Jean Cuisenier
[
17
]
, la baie de Garitsa aurait ainsi abrite le port d'Alcinoos pour ses navires de guerre, et de l'autre cote de l'isthme, dans la baie de Chalikiopoulo, se serait trouve le port Hyllaicos, le port de commerce dont parle Thucydide
[
18
]
. A ces Corcyreens bien reels, reputes pour la maitrise technique de leurs marins et leur organisation sociale, les auteurs de l’
Odyssee
auraient substitue l'utopie des Pheaciens, afin de ≪ garder a l’
epos
sa puissance de fascination ≫ et son charme.
- ↑
Apollodore
,
Bibliotheque
[
detail des editions
]
[
lire en ligne
]
, I, 9, 25 et
Epitome
[
detail des editions
]
[
lire en ligne
]
, VII, 25.
- ↑
Liddell et Scott,
A Greek-English Lexicon
,
s.v.
φαι??
.
- ↑
Homere
,
Odyssee
[
detail des editions
]
[
lire en ligne
]
, VII, 54-74.
- ↑
Arete est sans doute meme la propre sœur et epouse d'Alcinoos, comme l'indiquent clairement les vers 54-55 du chant VII.
- ↑
Odyssee
, VII, 202-206.
- ↑
Odyssee
, VI, 4-8.
- ↑
Pour un Grec, le nom de
Σχερ?α
, rapproche de
σχερ??
, evoque seulement une cote longuement prolongee.
- ↑
Odyssee
, Chant VI, 204-205.
- ↑
Odyssee
, VI, 9 et 262-263.
- ↑
Odyssee
, VI, 268-269.
- ↑
Odyssee
, VII, 81-87.
Victor Berard
note que ces revetements de metal et d'email bleu sont connus dans les palais d'Assyrie et d'Egypte mais non en Grece (
Odyssee
, traduction et notes de V. Berard, Les Belles Lettres, tome I,
p.
185.)
- ↑
Odyssee
, VIII, 47.
- ↑
Thucydide
,
La Guerre du Peloponnese
[
detail des editions
]
[
lire en ligne
]
, I, XXV, 4.
- ↑
L’
Odyssee
, traduite et commentee par
Victor Berard
, preface par
Fernand Robert
, Le Livre de Poche, 1982 et
(en)
Paul Hetherington,
The Greek Islands. Guide to the Byzantine and Medieval Buildings and their Art
, Londres, 2001
(
ISBN
1-899163-68-9
)
.
- ↑
Victor Berard,
Odyssee
, Les Belles Lettres, tome I, note
p.
167.
- ↑
Berard 1929
,
p.
45-67 ;
Cuisenier 2003
,
p.
359-364.
- ↑
Cuisenier 2003
,
p.
365-368.
- ↑
Guerre du Peloponnese
, III, LXXXI, 2.
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