Le
Pasteur d'Hermas
est une œuvre
chretienne
de
langue grecque
datee du debut du
II
e
siecle. Consideree d'abord comme
canonique
, notamment par
Irenee de Lyon
ou
Clement d'Alexandrie
, elle n'a finalement pas ete retenue pour figurer parmi les textes du
Nouveau Testament
, lorsque la definition de son corpus est devenue definitive.
Le
Pasteur d'Hermas
est une œuvre chretienne du
II
e
siecle
. Bien que ne faisant pas partie du
canon neo-testamentaire
, il est recommande a la lecture
[Par qui ?]
. Le
Pasteur
jouit d'une certaine autorite durant les
II
e
et
III
e
siecles
.
Tertullien
et
Irenee de Lyon
le citent comme ≪ Ecriture ≫ ? ce qui n'implique pas forcement sa ≪ canonicite ≫ concrete. Dans le
Codex Sinaiticus
, il est annexe au
Nouveau Testament
, et il est repris dans le catalogue
stichometrique
du
Codex Claromontanus
entre les
Actes des Apotres
et les
Actes de Paul
. A l'origine ecrit a
Rome
, en grec, une traduction latine ? dont l'auteur est peut-etre Hermas lui-meme ? fait tres rapidement son apparition. Seule cette derniere version nous est parvenue complete.
C’est dans le langage et le message theologique de l’œuvre que l’on peut determiner le moment et le lieu ou elle fut ecrite. La reference a
Clement
I
er
, l'
eveque
de
Rome
, situerait les deux premieres visions entre
88
et
97
. Mais dans l’
Epitre aux Romains
(16:14),
Paul
salue les chretiens de Rome dont un certain
Hermas
. Certains critiques estiment donc, comme l'avait deja suggere
Origene
, qu'il s'agit de l'auteur du
Pasteur
. Cependant la critique textuelle, la nature de la theologie et la similitude avec les textes johanniques dont l’
Apocalypse
nous orientent plutot vers le
II
e
siecle
apr. J.-C.
Trois anciens temoignages, l’un se voulant contemporain, declarent qu’
Hermas
n’etait autre que le frere du pape
Pie
I
er
, dont le pontificat s'etendit plus ou moins entre l'an
140
et
155
de l'ere chretienne. Cela correspond a la datation proposee par
J.B. Lightfoot
(en)
en
1891
. Voici ces temoignages :
- Le
Fragment de Muratori
est une compilation ecrite vers 170
apr. J.-C.
qui constitue le tout premier canon du Nouveau Testament. Il identifie Hermas, l’auteur du
Pasteur
, comme le frere de
Pie
I
er
, eveque de Rome.
- ≪ Quant a Hermas, il redigea le
Pasteur
tres recemment, a notre epoque, dans la ville de Rome, alors que l’eveque Pie, son frere, occupait le siege de l’Eglise de la cite de Rome. Et par consequent on devrait en effet le lire ; mais il ne peut etre lu publiquement a l’eglise car il ne fait partie ni des Prophetes, dont le nombre est complet, ni des Apotres car il leur est posterieur. ≫
- Le
Catalogue Liberien
des papes, document utilise ulterieurement pour la composition du
Liber Pontificalis
, declare dans une partie qui date de 235 : ≪ Sous l’episcopat de Pie, son frere Ermes a ecrit un livre dans lequel sont contenus les preceptes que lui a delivre l’ange, lui apparaissant tel un pasteur. ≫
- Le poeme du Pseudo-Tertullien
contre Marcion
datant du
III
e
ou
IV
e
siecle
.
≪ Alors, apres lui, Pie, dont le frere selon la chair etait Hermas, le pasteur angelique, parce qu’il declama les mots qui lui furent donnes par l’ange. ≫
Ces trois autorites citent peut-etre la meme source, en l’occurrence
Hegesippe
, dont l’ouvrage perdu
Histoire de l’Eglise
fut utilise par
Eusebe de Cesaree
pour elaborer son
Histoire ecclesiastique
. Comme le Pseudo-Tertullien note quelques details de cette liste qui sont absents du
Catalogue Liberien
, il semblerait qu'il soit independant du Pseudo-Tertullien. L'affirmation voulant qu'Hermas ecrivit durant le pontificat de son frere s'explique probablement par le fait que son nom soit repris a cote de
Pie
I
er
dans la liste des papes. Sans doute etait-il le frere aine du pontife qui etait lui-meme un vieil homme en 140. Il n’est pas impossible qu’Hermas eut ete trentenaire a la mort de Clement, periode ou il recut les deux premieres visions.
Le livre se compose de
cinq visions
,
douze preceptes (ou commandements)
[
1
]
et
dix similitudes (ou
paraboles
)
. Le ton est directement donne par l’utilisation de la premiere personne du singulier : ≪ Il (mon maitre) m'avait vendu a une certaine Rhode a Rome. Bien des annees apres, je la revis et me mis a l'aimer comme une sœur. ≫ Alors que le narrateur se dirigeait vers Cumes, il fut ≪ saisi par l'esprit ≫ et eut une vision de son ancienne maitresse (probablement decedee). Elle lui expliqua avoir ete transportee au Ciel pour denoncer ses peches car il avait eu a son egard des pensees indignes (mais furtives) alors qu’il etait marie. Afin d’obtenir le pardon de Dieu pour lui et sa maison, il se mit a prier. Il est console par une vision de l’Eglise sous la forme d’une femme ≪ en habits eclatants ≫ mais agee, chetive et impuissante face aux peches des fideles. Elle lui demande de faire penitence et de corriger les peches de ses propres enfants. Au fur et a mesure des repentances la vision de la femme change. Dans un premier temps elle rajeunit mais garde rides et cheveux blancs ; ensuite elle semble encore plus jeune bien que ses cheveux restent blancs ; et prend finalement l’apparence d’une jeune mariee.
Ce langage allegorique continue tout au long de l’œuvre
[
2
]
. Dans la seconde vision elle donne un livre au narrateur afin qu’il le recopie et, le travail accompli, lui arrache des mains. La cinquieme vision, ayant lieu vingt jours apres la precedente, introduit ≪ l’Ange de la repentance ≫ sous l’apparence d’un pasteur, d’ou l’œuvre tire son nom. Il delivre a Hermas un ensemble de preceptes qui representent un developpement interessant sur la morale des premieres communautes chretiennes. Un point merite une attention particuliere : l’affirmation selon laquelle un mari trompe par sa femme doit la reprendre si elle se repent. Le onzieme commandement concerne l’humilite et traite specialement des faux prophetes qui souhaitent occuper les premiers rangs. Certains y ont vu une reference a
Marcion
qui vint a Rome en 140
apr. J.-C.
et desirait etre admis parmi les pretres (voire devenir eveque de Rome).
Apres les preceptes viennent les
dix similitudes (ou paraboles)
[
3
]
,
[
4
]
sous la forme de visions expliquees par l’Ange. La plus longue (sim. 9) est une parabole qui raconte la construction d’une tour dont avait deja parle la troisieme. La tour represente l’Eglise et ses pierres, les fideles. Mais dans cette troisieme vision seuls les saints semblent constituer l’Eglise, alors que dans la neuvieme similitude on inclut clairement tous les baptises. Cependant ces derniers doivent rester vigilants, demander le pardon pour leurs peches faute de quoi ils pourraient en etre exclus !
Comme dans la plupart des premiers textes chretiens, le
Pasteur d’Hermas
a une consonance tres optimiste et pleine d’espoir malgre la gravite des sujets dont il traite.
Indirectement, le
Pasteur
cite de facon reguliere l'
Ancien Testament
. D'apres Henry Barclay Swete, Hermas ne cite jamais la
Septante
, mais utilise une traduction de
Daniel
proche de celle qu'en fit
Theodotion
. Il utilise au moins l'un des
synoptiques
(et pourquoi pas les trois ?) et l'
Evangile de Jean
. On trouve des references a certaines epitres, dont
celle aux Ephesiens
,
aux Hebreux
et la
Premiere epitre de Pierre
. Cependant, l'
Epitre de Jacques
et l'
Apocalypse
sont les livres qu'il utilise le plus souvent.
Le texte grec que nous connaissons s'appuie principalement sur trois manuscrits, qui en contiennent chacun une partie seulement :
A cote de ces trois manuscrits, on possede de nombreux fragments, en general sur papyrus, datant du
III
e
au
VI
e
siecle. Leur publication n'a pas ete anterieure aux decouvertes de l’
Athensis
et du
Sinaiticus
, de sorte que jusqu'a la seconde moitie du
XIX
e
siecle on ne connaissait pas le texte grec du
Pasteur
, a l'exception de quelques citations chez des auteurs comme
Irenee de Lyon
,
Clement d'Alexandrie
,
Origene
ou
Athanase d'Alexandrie
ou d'emprunts tacites (Pseudo-Athanase).
Mais le
Pasteur
avait ete traduit en diverses langues :
- Versions latines. On distingue deux versions :
- la
Vulgate
, qui parait remonter a la fin du
II
e
siecle. C'est sur elle que repose la premiere edition imprimee due a
Jacques Lefevre d'Etaples
(Paris, 1513). Elle est connue aujourd'hui par de nombreux manuscrits.
- la
Palatine
, datant du
IV
e
ou du
V
e
siecles. Elle a ete publiee en 1857 par A. R. Dressel a partir du
Codex Palatinus latinus
150
[
7
]
.
- Version ethiopienne
[
8
]
: decouverte par
Antoine d'Abbadie
en 1847 au monastere de
Guindaguinde
[
9
]
et publiee en 1860. C'est une version tres complete remontant peut-etre au
VI
e
siecle, mais conservee dans un manuscrit plus recent.
- Versions coptes : fragments publies au
XX
e
siecle seulement.
- Version en moyen-perse (
pehlevi
) : les restes correspondent a une partie de la neuvieme
Parabole
.
La place du
Pasteur
dans la litterature chretienne
[
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Les commentaires de
Tertullien
et de
Clement d'Alexandrie
offrent un eclairage interessant sur la controverse et la resistance que suscitait
Le Pasteur
parmi les auditeurs de l'epoque.
Tertullien
sous-entend que le pape
Calixte
I
er
presentait l'œuvre comme faisant autorite (alors que manifestement ce n'etait pas un des livres de la Bible), il repondit ainsi :
≪ J'aurais admis votre argumentation si la redaction du
Pasteur
avait merite d'etre incluse dans le Divin Instrument et si le conseil des Eglises, vos propres Eglises y comprises, n'avait pas juge ce texte comme ≪
apocryphe
≫ et faux. ≫
Il repondit encore que l'
Epitre de Barnabe
presentait plus de credibilite aupres des Eglises que le ≪ Pasteur apocryphe ≫. (
De Pudicitia
, 10 et 20). Quant a
Clement d'Alexandrie
, il ne manquait pas une occasion de citer cette œuvre pour son utilite et son inspiration mais se desolait souvent du mepris qu'elle provoquait au sein du peuple. N'oublions pas les deux importantes controverses qui divisaient les communautes chretiennes de Rome au milieu du siecle. La premiere etait le
montanisme
(appele egalement : ≪ heresie chez les Phrygiens ≫). Montanus predisait l'imminent retour du Christ grace a des propheties recues lors d'etats de transes ou d'extases. La similitude entre ces pratiques et les revelations decrites dans le
Pasteur
auraient pu donner du poids a ce courant. L'autre etait le
docetisme
qui enseignait que le corps de Jesus-Christ n'etait qu'apparence, privilegiant ainsi sa nature divine plutot qu'humaine.
Saint Cyprien
ne fait jamais reference au
Pasteur
, ce qui semble indiquer que la communaute chretienne d'Afrique, au debut du
III
e
siecle, ignorait ou n'utilisait pas le livre d'
Hermas
. Un peu plus tard l'auteur du traite
De Aleatoribus
(Pseudo-Cyprien) le qualifiera de ≪ Scriptura Divina ≫, bien que pratiquement inconnu des Latins du temps de
saint Jerome
. En Orient, ou le livre est curieusement passe de mode, il n'existe plus que deux manuscrits incomplets en grec, alors que les copistes du Moyen Age l'ont repandu en Occident.
- ↑
Le
Pasteur Hermas
: Divisee en cinq Visions, douze Preceptes et dix Similitudes, l’œuvre propose un recit de tendance apocalyptique dont la theologie est relativement proche de l’Apocalypse de Jean, ce qui conforterait une datation basse, a l’aube du
II
e
siecle
.
- ↑
Le langage figuratif de la Bible
.
- ↑
Paraboles. Analyse, cles de comprehension
.
- ↑
Livre audio : Le Pasteur (3) - Les dix similitudes (Hermas)
.
- ↑
L'edition
princeps
(publiee par Anger a Leipzig, 1856) repose sur un faux ; il faut donc se referer a des editions ulterieures.
- ↑
Papyrus de Theadelphie
.
- ↑
Elle figure aussi sur le
Codex Urbinas latinus
486.
- ↑
Hermae Pastor : aethiopice primum edidit et aethiopica latine vertit : Le pasteur (ethiopien-latin)
(
trad.
Antoine d'Abbadie), Leipzig, Brockhaus,
, 183
p.
(
lire en ligne
)
.
- ↑
Catalogue raisonne de manuscrits ethiopiens
, L'Imprimerie imperiale, 1859,
p.
180.
- Hermas,
Le Pasteur
, Les editions du Cerf,
, 442
p.
(
ISBN
978-2-2040-2505-8
)
.
- Le Pasteur, par Hermas; introduction, texte critique, traduction et notes
par
Robert Joly
, professeur aux universites de
Mons
et
Bruxelles
; reimpression de la deuxieme edition;
Paris
, Cerf, coll. Sources chretiennes,
1997
.
- Philippe Henne,
Le Pasteur d'Hermas
, Les editions du Cerf,
, 125
p.
(
ISBN
978-2-2040-9161-9
)
.
- Christian Tornau et Paolo Cecconi (
trad.
Le berger d'Hermas en latin : edition critique de la plus ancienne traduction de la
Vulgate
),
The Shepherd of Hermas in Latin : Critical Edition of the Oldest Translation Vulgata
, De Gruyter,
, 142
p.
(
ISBN
978-3-1103-4020-4
)
.
- Antoine Eugene Genoud
,
Epitre de Barnabe, Le pasteur d'Hermas, Seconde epitre aux corinthiens : Recits anonymes apostoliques
, Independently published,
, 83
p.
(
ISBN
979-8-6117-3706-4
)
.
- Stanislas Giet,
Hermas et les Pasteurs. Les Trois Auteurs du Pasteur d'Hermas
, Paris, PUF, 1963.
- (en)
France Quere
,
Les Peres apostoliques : Ecrits de la primitive Eglise
, Points,
, 256
p.
(
ISBN
978-2-0200-5512-3
)
.
- Franciszek Szulc,
Le Fils de Dieu pour les judeo-chretiens : dans ≪ Le Pasteur ≫ d'Hermas
, Les editions du Cerf,
, 281
p.
(
ISBN
978-2-2040-9215-9
)
.
- L'epoque des Premiers Peres ou Peres Apostoliques (P.A.)
- PDF.