Maysara al-Matghari
(en
berbere
:
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ou
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), orthographie Maisara ou Meicera) est un chef
berbere
, a l'origine de la
grande revolte berbere
qui eclate en 739/740 contre le regime severe impose par le gouverneur omeyyade de
Tanger
. Il est le chef de la tribu des Matghara, et forme, sous l'influence de la doctrine heterodoxe
kharijite
, une alliance des confederations berberes Matghara,
Meknassas
,
Ghomaras
et
Berghouatas
. En 739-740, ils prennent les armes, deviennent rapidement maitres de Tanger, executent le gouverneur arabe en place, et repoussent les troupes arabes envoyees d'
al-Andalus
pour retablir l'ordre. En consequence, Maysara assume le titre de
calife
, mais pour des raisons encore obscures, est assassine par sa propre armee.
Sous son successeur
Khalid ibn Hamid al-Zanati
, les rebelles berberes confederes prennent les plaines du
Souss
sur la
cote atlantique
et mettent en deroute une armee du calife sur les rives du fleuve
Sebou
, lors de la
bataille des nobles
en 740. Une deuxieme armee arabo-syrienne est ecrasee l'annee suivante lors de la
bataille de Bagdoura
et la revolte se propage. La revolte est finalement abattue lors de deux batailles aux portes de
Kairouan
en 742-743, mais le Maghreb occidental et central demeure aux mains des rebelles berberes.
Maysara Amteghri tient son nom de famille de la tribu
berbere
Imteghren
. Les details biographiques precis sur Maysara sont obscurs, et compliques, car il s'agit probablement d'histoires calomnieuses diffusees par ses ennemis
omeyyades
. Les chroniqueurs notent des allegations selon lesquelles Maysara est un
porteur d'eau
berbere
de basse extraction sociale, a
Kairouan
ou a
Tanger
, peut-etre un porteur d'eau dans l'armee califale. Les chroniques se referent regulierement a lui par l'etiquette peu flatteuse d'
al-Hakir
,
≪ l'ignoble ≫
ou
≪ le vil ≫
.
Ibn Khaldoun
, cependant, est probablement plus proche de la verite en proposant que ses origines ne sont peut-etre pas si humbles, que Maysara est probablement un chef de clan ou
cheikh
important de la tribu berbere Matghara
[
1
]
.
Al-Tabari
rapporte que Maysara dirige meme une delegation berbere a
Damas
pour presenter les plaintes des berberes devant le calife
Hicham
[
2
]
.
Et les plaintes sont nombreuses. Les Berberes ont longtemps ressenti le statut de seconde classe qui leur est accorde par la caste militaire arabo-omeyyade au pouvoir. Les berberes sont soumis par intermittence a des impots extraordinaires, et ce contrairement a la
loi islamique
. En consequence, de nombreux Berberes deviennent receptifs aux activistes puritains
kharijites
, en particulier ceux de la secte
sufrite
, qui commencent a arriver au
Maghreb
, prechant un nouvel ordre politique dans lequel tous les musulmans seraient traites sans tenir compte de l'ethnie ou du statut tribal. La tribu Matghara de Maysara est particulierement prise par l'influence sufrite
[
1
]
.
A la fin des annees 730, le nouveau gouverneur omeyyade d'
Ifriqiya
, Obeid
Allah
ibn al-Habhab, augmente ses extorsions fiscales. Ses adjoints regionaux, notamment Omar ibn al-Moradi, gouverneur de Tanger, mettent en place des dispositifs inventifs et tres oppressifs pour extraire plus de revenus aux Berberes.
Vers 739 environ, les principales tribus berberes sous la juridiction d'Omar dans l'ouest du
Maroc
- principalement les
Ghomaras
,
Berghouata
et
Meknassas
- decident qu'elles en ont assez et se preparent a la rebellion. Ils forment une alliance et elisent le chef Matghara, Maysara, pour les diriger. Ce n'est pas un soulevement spontane. Maysara et les commandants berberes semblent avoir ete assez prudents pour attendre que la majeure partie de l'armee arabe ait quitte l'Afrique du Nord pour une expedition en Sicile avant de passer a l'action.
Au debut de l'annee 740, l'armee arabe quitte le Maghreb en toute securite, la grande revolte berbere commence finalement. Maysara rassemble sa coalition d'armees berberes, le crane rase a la mode kharidjite, les textes coraniques attaches a leurs lances, et les entraine vers Tanger. La ville tombe rapidement entre leurs mains et le gouverneur arabe hai, Omar al-Moradi, est mis a mort.
Maysara place une garnison berbere a Tanger sous le commandement d'un chretien
converti a l'islam
, Abdallah al-Hodeij al-Ifriqi, puis entreprend de balayer l'ouest du Maroc, accablant les garnisons omeyyades jusqu'a la vallee du
Souss
[
3
]
. En tres peu de temps, tout le Maroc occidental, du
detroit de Gibraltar
a l'
Anti-Atlas
, passe aux mains des rebelles de Maysara.
Apres sa victoire a Tanger (ou peut-etre un peu plus tot), il est dit que Maysara a pris le titre d'
amir al-muminin
(≪ Commandeur des croyants ≫)
[
4
]
. C'est probablement la premiere fois qu'un non-arabe revendique le titre supreme musulman. En effet, c'est peut-etre la premiere fois que quelqu'un qui n'est pas lie par le sang a la tribu
Quraych
du prophete
Mahomet
ose faire une telle declaration. Pour les musulmans orthodoxes de l'epoque, l'idee d'un "calife berbere" devait paraitre absurde. La rumeur selon laquelle Maysara etait un modeste "porteur d'eau" a probablement commence autour de cela, ne serait-ce que pour rendre la pretention califale encore plus ridicule, et par consequent, la rebellion devait etre mal-guidee.
Parce que cette demarche semble ouvrir les rebelles a la moquerie, certains se demandent si l'histoire de Maysara reprenant le titre califal n'est pas fabriquee du debut a la fin par les propagandistes omeyyades. Cependant, il faut se rappeler que cette rebellion est lancee et dirigee par des
sufrites
kharijites
. Et l'un des principes central de l'ideologie kharijite est precisement que le titre califal est ouvert a tout bon musulman pieux, independamment des qualifications dynastiques ou tribales. De plus, il faut garder a l'esprit qu'il s'agit, au moins sur le plan ideologique, d'un soulevement musulman, ouvert a tous les vrais musulmans, et non d'un mouvement de liberation berbere. Par consequent, Maysara, en tant que commandant des vrais musulmans, ne pouvait avoir d'autre titre que "calife".
Le gouverneur omeyyade, Obeid Allah ibn al-Habhab, rappelle immediatement l'armee arabe de Sicile. En attendant son retour, Obeid Allah rassemble et envoie une colonne arabe de
Kairouan
, dirigee par Khalid ibn Abi Habib al-Fihri, en direction de
Tanger
, pour contenir les rebelles et les empecher de se deplacer vers l'Est dans le
Maghreb central
.
Cette colonne rencontre les armees berberes de Maysara quelque part au sud de Tanger. La force arabe est composee en grande partie de l'elite de la noblesse arabe de Kairouan, et est bien equipee et entrainee. Les armees rebelles berberes ne sont guere autre chose qu'une populace a pied, mais les Berberes sont plus nombreux que les Arabes, peut-etre autant que dix contre un. Neanmoins, apres une breve escarmouche, Maysara ordonne aux armees berberes de se replier et de se retirer a Tanger. La colonne arabe, suivant ses instructions, ne les poursuit, mais tient une ligne au sud de Tanger, en attendant les renforts de l'expedition sicilienne.
Dans cette interlude, les commandants rebelles deposent Maysara et, peu de temps apres, l'executent. Khalid ibn Hamid al-Zanati, un chef berbere
zenete
, est elu pour le remplacer.
La plupart des chroniqueurs arabes (par exemple
Ibn Khaldoun
) affirment que Maysara est destitue pour cause de lachete, pour avoir rapidement ordonne une retraite apres l'escarmouche avec la colonne arabe. Il est aussi dit que les predicateurs puritains
sufrites
qui accompagnent les armees rebelles berberes en tant que commissaires religieux ont trouve quelques failles dans la piete de son caractere et l'ont declare inapte a etre calife.
Mais il se peut aussi que la politique et les jalousies inter-tribales jouent un role. Les chefs des tribus zenetes du Maroc oriental, qui adherent tardivement a la rebellion, ont peut-etre senti que la direction de la rebellion berbere devait leur passer, car la coalition originelle de Maysara est composee de berberes
Ghomaras
,
Berghouatas
et
Meknassas
du Maroc occidental. Ce combat est maintenant gagne et la ligne de front est maintenant deplacee. Toutes les campagnes futures contre les Arabes sont menees dans les territoires des tribus zenetes de l'Est. Et si la guerre doit etre menee dans les terres des Zenetes, alors les armees doivent etre dirigees par des chefs zenetes.
Tout ceci, bien sur, est speculatif. Neanmoins, il semble bien qu'apres la chute de Maysara, la direction de la rebellion berbere gravit rapidement et fermement entre les mains des chefs zenetes de l'Est du Maroc et de leurs predicateurs sufrites. Cela ne veut pas dire que les accusations de lachete et d'impiete n'ont pas suffi pour deposer Maysara, mais peut-etre que ces accusations avaient un certain calcul politique derriere elles.
Le chef zenete livre quoi qu'il en soit deux grandes et notables victoires sur les Arabes - a la
bataille des nobles
a la fin de 740 et a nouveau a la
bataille de Bagdoura
a la fin de 741
[
5
]
. Et cela leur a certainement donne un merite de domination sur l'alliance
[
6
]
. Que les partenaires initiaux de la coalition - les Berghouatas - sont les premiers a rompre avec l'alliance rebelle berbere, semble indiquer que l'etat des affaires post-Maysara ne leur plaisait pas.
- Ibn Khaldoun (
trad.
William Mac Guckin de Slane),
Histoire des Berberes et des dynasties musulmanes de l'Afrique
,
vol.
1, Alger, Imprimerie du Gouvernement,
, 480
p.
(
lire en ligne
)
- (en)
Khalid Yahya
Blankinship
,
The End of the Jihad State : The Reign of Hisham Ibn 'Abd Al-Malik and the Collapse of the Umayyads
, Albany, SUNY Press,
, 399
p.
(
ISBN
0-7914-1827-8
)
- (en)
Abd al-Wahid Dhannun
Taha
,
The Muslim conquest and settlement of North Africa and Spain
, Londres,
Routledge
,
- Charles-Andre
Julien
,
Histoire de l'Afrique du Nord, des origines a 1830
, Paris,
Payot
,
(
1
re
ed.
1961)