La
Lockheed Corporation
(d'abord appelee la
Loughead Aircraft Manufacturing Company
) etait un
constructeur americain de l'aeronautique et de l'aerospatiale
fonde en
1912
, en
Californie
. Elle fusionna avec
Martin Marietta
en
1995
et devint
Lockheed Martin
.
Les debuts : de ≪ Loughead ≫ a ≪ Lockheed ≫
[
modifier
|
modifier le code
]
En 1912 nait l'Alco Hydro-Aeroplane Company fondee par Allan et Malcolm Loughead
[
note 1
]
, financee par leur sponsor l'Alco Cab Company. Son premier hydravion, le Modele G, est un impressionnant modele a helice tractive. Les freres Loughead, evinces faute de succes commercial, fondent en 1916, avec l'aide de nouveaux investisseurs, la
Loughead Aircraft Manufacturing Co.
. La societe, etablie en Californie, obtient en
une commande de la
marine americaine
pour son bimoteur F-1 d'une capacite de 10 passagers. En raison de la
surproduction
qui conclut l’
euphorie des ≪ annees folles ≫
, la Loughead est neanmoins amenee a la banqueroute en 1921
[
1
]
. Elle est l'un des pionniers de ce qui deviendra l'
industrie aerospatiale californienne
.
Lockheed arrive a maturite a partir de
1927
avec la serie des
Lockheed Vega
concus par un jeune technicien de la compagnie,
Jack Northrop
. Le
Vega
est le premier modele commercial qui parvient a s'imposer vraiment sur le marche (avec 141 appareils), grace aux records et performances realises par
Amelia Earhart
,
Wiley Post
et
George Hubert Wilkins
. La compagnie est incorporee par la
Detroit Aircraft Corporation
en juillet 1929
[
2
]
. Allan Loughead a demissionne du poste de directeur general de l'entreprise qu'il avait fondee, il n'y reviendra plus que comme consultant en 1950
[
3
]
.
La
Crise de 1929
ruina le marche de l'aeronautique, et la compagnie, en
redressement judiciaire
avec un actif evalue a 129 861
$
(
2433468 actuels), fut reprise par un groupe d'investisseurs en 1932 pour 40 000
$
(
749561 actuels)
[
3
]
. En 1934, l'un des trois investisseurs, l’homme d'affaires Robert E. Gross, fut elu president de la nouvelle compagnie, la
Lockheed Corporation
, dont le siege social fut implante a l’
aerodrome
de
Burbank (Californie)
. Gross demeurera en poste jusqu'a sa mort en 1961, et sa succession sera reprise par son frere, Courtlandt Gross.
Dans les annees 1930, Lockheed investit 139 400
$
dans le developpement du bimoteur
Electra
. La compagnie vendit quarante de ces appareils des la premiere annee.
Amelia Earhart
et son copilote Fred Noonan volaient a bord d'un tel avion lors de leur tentative malheureuse de faire le tour du monde en 1937. Les successeurs de cet appareil, le
Lockheed L-12 Electra Junior
et le
Super Electra
L 14
permirent a la compagnie de se developper.
Le Lockheed L 14 est le prototype du
bombardier Hudson
, qui a equipe aussi bien la
Royal Air Force
que l'armee des Etats-Unis a la fin des annees 1930 et au debut de la Seconde Guerre mondiale. Il etait d'abord destine a la traque des sous-marins. Le L-14 a ete exporte dans d'autres pays : 100 appareils furent construits sous franchise au Japon pour equiper l'
Armee imperiale japonaise
[
4
]
. Lockheed continua de livrer des avions au Japon jusqu'en
[
5
]
.
Au debut de la Seconde Guerre mondiale, Lockheed (dont le directeur technique etait
Clarence (Kelly) Johnson
, considere comme l'un des plus fameux concepteurs d'appareils des Etats-Unis) repondit a un appel d'offres pour la fabrication d'un avion intercepteur avec le chasseur
P-38 Lightning
, un bimoteur de conception curieuse avec son
arriere bipoutre
, teste par le pilote d'essai
Marshall Headle
. Le P-38 aura ete le seul chasseur americain a etre produit tout au long de la guerre, de
Pearl Harbor
a la
capitulation du Japon
. Il fut utilise aussi bien en attaque au sol qu'en combat aerien ou comme bombardier strategique sur tous les theatres d'operation, et a abattu davantage d'avions japonais que tout autre type de chasseur deS
U.S. Army Air Forces
durant le conflit ; c'est notamment cet appareil qui abattit l'avion de l'amiral japonais
Isoroku Yamamoto
.
L'usine Lockheed Vega etait situee a cote de l'
aerodrome de l'Union
de Burbank, que la compagnie avait achete en 1940. Tout au long de la guerre, le terrain etait camoufle pour le preserver des reconnaissances ennemies : l'usine etait cachee sous une immense
bache agricole
en
toile de jute
dont les motifs apparents representaient une campagne inoffensive, avec des timbres en caoutchouc representant des automobiles
[
6
]
,
[
7
]
. Des centaines de faux arbres, de broussailles, de maisons et meme de bouches a incendie etaient disperses a sa surface pour creer l'illusion de relief. Les arbres et broussailles etaient faits de fil de fer de cloture couvert de ruban adhesif sur lequel on avait colle des plumes pour former une texture de feuillage
[
8
]
.
Parmi les fournisseurs de l'armee americaine de la Seconde Guerre mondiale, Lockheed se classe au dixieme rang des compagnies americaines
[
9
]
. Au total, Lockheed et sa filiale
Vega
ont construit 19 278 appareils (2 600
Ventura
, 2 750
forteresses volantes
(sous licence
Boeing
), 2 900 Hudson, et 9 000 Lightning
[
10
]
) au cours de la guerre, ce qui represente 6 % du total des avions construits au cours du conflit.
Tout au long de la Seconde Guerre mondiale, Lockheed, en collaboration avec
Trans World Airlines
(TWA), avait mis au point un long-courrier moderne, le
L-049 Constellation
, pouvant transporter jusqu'a 43 passagers entre New York et Londres a
480
km/h
soit une traversee en 13 heures. L'armee americaine eut d'abord l'exclusivite des
Constellation
(appeles plus familierement
Connies
). Apres la guerre, cet appareil donna a Lockheed plus d'une annee d'avance sur ses concurrents sur le marche de l'aviation civile, alors en pleine modernisation. Les performances du
Constellation
, avec son triple empennage de queue caracteristique, bouleversaient la donne en rehaussant le niveau des exigences. La geometrie du triple aileron de queue vient de la demande des premiers acheteurs, des petites compagnies dont les hangars n'etaient pas suffisamment hauts pour accueillir les longs-courriers de l'epoque.
Lockheed produisit bientot un plus gros porteur, le
Constitution
R6V
a deux ponts, destine a remplacer le
Constellation
; mais sa motorisation s'avera insuffisante.
Des 1943, Lockheed entreprit dans le plus grand secret ses premieres recherches a Burbank sur l’
avion a reaction
avec un projet de chasseur experimental. Ce prototype, le
Lockheed P-80 Shooting Star
, sera le premier chasseur a reaction americain a abattre un ennemi, et le premier jet vainqueur en combat aerien avec la destruction en vol d'un
MiG-15
pendant la
Guerre de Coree
, bien qu'a cette epoque le F-80 (qui recut ce nom en 1948) fut deja considere comme depasse
[
11
]
.
Le developpement du modele P-80 n'etait que la premiere realisation du centre de recherche de Lockheed, l’
Advanced Development Division
, appelee familierement les
Skunk Works
[
12
]
, par allusion a la bande dessinee d'
Al Capp
, ≪
Li'l Abner
≫. Parmi ses autres productions, il y a lieu de mentionner surtout le
U-2
(fin des annees 1950), le
Blackbird
(1962) et le chasseur furtif
F-117 Nighthawk
(1978). Les
Skunk Works
produisaient des appareils aux lignes tres pures dans des delais remarquablement courts, et avec tres peu de materiel.
La Guerre froide : du Capitole a la Roche tarpeienne
[
modifier
|
modifier le code
]
L'annee 1954 fut celle du premier vol du
Hercules C-130
, transporteur dont la longevite reste a ce jour inegalee (il continue d'etre produit encore aujourd'hui).
En 1956, Lockheed obtint le contrat de fabrication du missile balistique
Polaris
destine aux
sous-marins lanceurs d'engin
(SNLE) ; la compagnie obtiendra par la suite l'adjucation pour les missiles nucleaires
Poseidon
et
Trident
.
Lockheed developpa le chasseur
F-104 Starfighter
, le premier appareil a depasser Mach 2, a la fin des annees 1950. Au debut des annees 1960, la compagnie lanca sur le marche le
quadrireacteur militaire
C-141
Starlifter
.
Tout au long des annees 1960, Lockheed poursuivit le developpement de deux gros porteurs : le transporteur militaire
C-5 Galaxy
et le long-courrier civil
a fuselage large
TriStar
. Ces deux projets furent des echecs en termes de delai et de couts de developpement. Le C-5, issu d'un cahier des charges contradictoire, souffrait de graves defauts structurels, auxquels Lockheed dut remedier a ses propres frais; quant au
Tristar
, il etait en competition commerciale avec le
Douglas DC-10
; or les retards d'approvisionnement du motoriste
Rolls-Royce
tournerent a l'avantage du DC-10. L'echec du C-5 et du L-1011, se conjuguant a l'abandon par l'armee americaine du projet d'helicoptere de combat
AH-56 Cheyenne
et a des defections contractuelles sur le marche de l'armement naval, pousserent Lockheed au bord de la faillite.
Croulant sous les dettes, Lockheed (qui etait alors le plus gros fournisseur de l'armee de l'air americaine) sollicita en 1971 un emprunt public aupres du gouvernement federal pour echapper a la banqueroute. Cette proposition fit l'objet de debats passionnes au Senat : son principal opposant etait
William Proxmire
(elu du Wisconsin), bete noire de
Lockheed
et de son president Daniel J. Haughton. Au terme de debats houleux, le vice-president
Spiro T. Agnew
parvint a arracher le vote de la motion, et Lockheed acheva de rembourser son emprunt de 1 400 000 000
$
au gouvernement en 1977, avec 112 220 000
$
d'interets
[
13
]
.
Les scandales de Lockheed viennent de la decouverte d'une serie de
pots-de-vin
et de
retrocommissions
versees par des responsables de Lockheed entre la fin des annees 1950 et le debut des annees 1970. Au cours de l'hiver 1975-76, la
commission Church
du
Senat
parvint a etablir que des membres du directoire de Lockheed avaient effectivement verse des commissions a des representants des gouvernements allies pour obtenir des contrats de vente d'avions militaires. En 1976, la presse divulgua que Lockheed avait verse 22 000 000 de $ en pots-de-vin a des responsables etrangers
[
14
]
pour ce qu'on a appele a l'epoque le ≪ marche du siecle ≫, a savoir la negociation de la vente de plusieurs appareils dont le
Starfighter
F-104 aux autres pays de l'
OTAN
. Au terme de l’enquete, il s'avere que Lockheed avait verse 38 000 000 de $ en pots-de-vin
[
15
]
.
Le scandale a eclabousse la classe politique en
Allemagne de l'Ouest
[
16
]
, aux
Pays-Bas
, en Italie et au Japon. Aux Etats-Unis, il a eu pour consequence le vote d'une loi contre les pots-de-vin a l'etranger (
Foreign Corrupt Practices Act
) et a pratiquement pousse l'avionneur Lockheed a la banqueroute (il etait alors empetre dans le fiasco commercial du
Tristar
). Le president de la compagnie, Haughton, dut demissionner.
A la fin des annees 1980, l'
OPA
largement mediatisee sur Lockheed Corporation de
Harold Simmons
(en)
, coutumier des
rachats d'entreprise par endettement
qui s'etait deja assure 20 % du capital, tourna a l'echec. Simmons avait accumule ses premieres prises de participation dans Lockheed au debut de l'annee 1989 a la faveur des coupes de budget du Pentagone, qui avaient provoque un net flechissement du cours des fournisseurs de l'Armee americaine ; mais les analystes doutaient que Simmons se lance dans une OPA sur l'avionneur, dans la mesure ou il se battait alors pour prendre le controle du consortium chimique
Georgia Gulf
[
17
]
. Simmons s'interessait a Lockheed parce que, selon le
New York Times
, l'un de ses principaux investisseurs etait la
Caisse de Retraite
des
Agents Publics de Californie
, excedentaire alors de 1 400 000 000 de dollars et donc soupconnee de realiser prochainement ses avoirs pour rembourser ses mandants et verser l'excedent aux actionnaires de la Lockheed (dont la Caisse de retraite elle-meme). Evoquant la mauvaise gestion (
mismanagement
) du president de Lockheed,
Daniel M. Tellep
(en)
, Simmons ne cachait pas ses intentions de remplacer le directoire par ses agents en tant qu'actionnaire majoritaire. Parmi les hommes qu'il mit en place, on compte l'ancien senateur du Texas
John Tower
, un ex-president de la
Commission de Defense
, et l'amiral
Elmo Zumwalt Jr
., ex-chef des Operations Navales
[
18
]
,
[
19
]
.
- Bernard Millot,
Les avions Lockheed 1913-1988
, Paris, Lariviere,
coll.
≪ Docavia ≫ (
n
o
29),
, 446
p.
(
ISBN
2-84890-063-6
)
- ↑
≪
Lockheed's Early Years, 1912-1940
≫
(consulte le
)
- ↑
(en)
Aviation Week
,
Aviation Week 1929-06-15
,
(
lire en ligne
)
- ↑
a
et
b
(en)
Gil
Cefaratt
,
Lockheed: The People Behind the Story
, Turner Publishing Company,
(
ISBN
978-1-56311-847-0
,
lire en ligne
)
- ↑
≪
U.S. Centennial of Flight Commission
≫, sur
Centennialofflight.gov
(consulte le
)
- ↑
D'apres
Nicholson Baker
(
trad.
Eric Chedaille),
Human Smoke : premices de la Seconde Guerre Mondiale, La fin de la civilisation
[≪ Human Smoke: The Beginnings of World War II, the End of Civilization ≫], Christian Bourgois,
(
reimpr.
2009), 574
p.
(
ISBN
978-2-267-02036-6
et
2-267-02036-X
)
- ↑
≪
World War II-Lockheed Burbank Aircraft Plant Camouflage
≫, sur
Amazing Posts
,
- ↑
≪
How to Hide an Airplane Factory
≫, sur
Thinkorthwim.com
,
(consulte le
)
- ↑
≪
California Becomes a Giant Movie Set
≫, sur
Flat Rock
,
- ↑
D'apres
Merton J. Peck
et
Frederic M. Scherer
(en)
,
The Weapons Acquisition Process : An Economic Analysis
,
Harvard Business School
,
, 736
p.
(
ISBN
0-87584-025-6
)
,
p.
619
- ↑
D'apres TIME, 14 janvier 1946.
- ↑
D'apres les notes de lectures de
Joe Baugher
, ≪
Lockheed P-80/F-80 Shooting Star
≫, sur
USAF Fighter
,
(consulte le
)
.
- ↑
D'apres
(en)
Ben R. Rich,
Skunk Works : A Personal Memoir of My Years of Lockheed
, Back Bay Books,
(
reimpr.
1re brochee), 400
p.
(
ISBN
0-316-74300-3
)
- ↑
D'apres le memoire de
TP Stanton, ≪
An Assessment of Lockheed Aircraft Corporation and the Emergency Loan Guarantee Act
≫, sur
NAVAL POSTGRADUATE SCHOOL
,
- ↑
anon., ≪
SCANDALS: Lockheed's Defiance: A Right to Bribe?
≫,
Time magazine
,
n
o
18 aout,
(
lire en ligne
, consulte le
)
- ↑
Frank Browning et John Gerassi,
Histoire criminelle des Etats-Unis
, Nouveau monde,
,
p.
536
- ↑
Harris, ≪
Lockheed-Skandal: Krumme Summe
≫,
Der Spiegel
,
n
o
25,
(
lire en ligne
)
- ↑
D'apres
≪
Simmons to Lift Lockheed Stake
≫,
New York Times
,
n
o
22 novembre,
(
lire en ligne
, consulte le
)
.
- ↑
D'apres
Thomas Hayes, ≪
Lockheed Fends Off Simmons
≫,
The New York Times
,
n
o
19 mars,
.
- ↑
Richard W. Stevenson, "Simmons Is Considering Possible Lockheed Bid",
New York Times
, February 1990.