Hersz Strasfogel

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Hersz Strasfogel
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Hersz "Hermann" Strasfogel (1895-1944) est un Francais d'origine polonaise victime de la Shoah . Deporte a Auschwitz-Birkenau en 1943 il fut contraint de travailler comme Sonderkommando . Peu avant sa propre execution, il parvint a rediger et dissimuler une lettre a destination de sa famille. Ce document est a ce jour le seul texte d'un deporte ecrit en francais retrouve a Auschwitz. Sa paternite n'a pu etre definitivement etablie qu'a la fin des annees 2010.

Une vie entre Pologne et France [ modifier | modifier le code ]

Ne le 16 decembre 1895 a Varsovie dans une famille juive, Hersz Strasfogel fait ses etudes en Pologne et y commence sa vie d'adulte. Il epouse Chiona Winicka en 1920. Le couple donne naissance a une fille, Sima, en 1927 dans l'actuelle Vilnius . En 1930, les Strasfogel emigrent de maniere definitive en France , s'installant dans le 11eme arrondissement de Paris [ 1 ] . Hersz Strasfogel dispose d'un atelier ou il exerce comme tailleur. Une fois naturalise, il se fait appeler Hermann, une version francisee de Hersz. Son attachement a la France ressort de sa lettre manuscrite [ 2 ] . La redaction en francais de cette derniere, dans ce qui n'etait ni la langue maternelle ni la langue de formation de l'auteur, en apporte la confirmation.

Dans l'enfer d'une usine de la mort [ modifier | modifier le code ]

Arrete seul au debut de l'annee 1943, Hersz Strasfogel est interne a Drancy puis deporte a Auschwitz-Birkenau en mars 1943 par le convoi 49 [ 3 ] . Comme une centaine d'hommes de son convoi, il est directement affecte au Sonderkommando. C'est sous l'appellation de Sonderkommando, ou "Commando special" que les nazis designaient les hommes juifs selectionnes pour effectuer un travail abominable et servile au cœur du processus d' extermination . Ceux-ci etaient en effet contraints d'accompagner les deportes envoyes aux chambres a gaz . Une fois le gazage termine, les equipes du Sonderkommando devaient extraire les corps entasses et nettoyer les espaces de mise a mort. Charge a eux egalement de depouiller les cadavres de leurs cheveux et dents en or avant de les acheminer vers les fours crematoires, les y bruler, puis disperser les cendres. Dans sa quarante-huitieme annee au moment de son arrivee au camp , Hersz Strasfogel fait partie des deportes les plus ages verses dans ce groupe a part, compose majoritairement d'hommes jeunes [ 4 ] .

Durant toute sa vie en deportation, Hersz Strasfogel est affecte au Crematorium III (KIIII), dans le centre de mise a mort du complexe d'Auschwitz, edifie a l'extremite ouest du camp de Birkenau . Il loge alors avec ses camarades d'infortune dans les combles du KIII, coupe du reste du camp. Les Sonderkommandos (ou SK) sont soumis a un travail quotidien harassant, douze heures durant, avec une equipe de nuit et une equipe de jour. Parce qu'ils sont indispensables au processus d'extermination, les SK recoivent une ration alimentaire moins famelique que celle des deportes ordinaires et sont globalement mieux traites au quotidien. Ils n'en sont pas moins consideres comme des "stucke", des "pieces", dans le jargon des SS. Leur condition de juifs et la connaissance qu'ils ont du fonctionnement de la Solution finale les vouent a l'extermination [ 5 ] . Regulierement, des selections ont lieu parmi les unites asservies dans les crematoires. Une partie des detenus est alors executee et d'autres deportes prennent leur place, en fonction des besoins en main-d’œuvre. Avec la mort de leur peuple comme quotidien et leur propre mort comme unique horizon, les membres du Sonderkommando doivent egalement composer avec les jugements severes d'une partie des deportes juges aptes au travail [ 6 ] . Strasfogel se fait l'echo de cette reputation du groupe et defend son honneur : "si vous vivez" ecrit-il a sa femme et sa fille, "vous lirez pas mal des œuvres ecrites a propos de ce "Sonder-Kommando" mais je vous prie de ne jamais mal me juger si, parmi les notres, il y avait de bons et de mauvais, je [n']etais certainement pas parmi les derniers"

Vingt mois au Sonderkommando [ modifier | modifier le code ]

Le parcours de Hersz/Hermann Strasfogel en deportation nous est en partie connu grace aux informations livrees dans sa lettre ainsi que par des temoignages de rescapes l'ayant cotoye. A la date de redaction de son manuscrit, le 6 novembre 1944, l'auteur est parvenu a survivre vingt mois dans sa fonction de Sonderkommando. Sur la centaine d'hommes de son convoi versee dans cette unite, il affirme etre l'un des deux seuls (l'autre etant David Olere ) a etre toujours en vie a ce moment-la. Dans la premiere partie de son message, c'est au "hasard" qu'il attribue le fait d'avoir ete epargne. La suite de son recit montre toutefois qu'Hersz Strasfogel a pu beneficier d'une relative mansuetude de la part de ses bourreaux apres plusieurs mois en deportation. Avoir appris a son "chef" a jouer a la belote , lui a permis d'etre "dispense de travaux durs et penibles" a partir de septembre 1943. Il cesse alors de deperir physiquement et, comme dans le cas de David Olere, echappe probablement a plusieurs selections de par cette protection relative. Au reste, selon l'historien Andreas Kilian, l'ecriture meme du manuscrit ne peut s'expliquer que parce que l'auteur n'est pas constamment contraint aux besognes ereintantes de ses collegues d'infortune [ 7 ] .

Au sein des hommes detenus au Crematorium III, Hersz Strasfogel fait donc partie des anciens, du fait de son age autant que par sa longevite en deportation. La connaissance de nombreuses langues (polonais, yiddish , francais, allemand, russe), lui permet de comprendre sans difficulte les ordres des SS ou des kapos et de communiquer avec ses camarades, bien souvent deroutes par les langues les plus courantes dans le camp qu'ils ne maitrisent pas. Strasfogel semble avoir eu une certaine ascendance au sein du groupe. Leon Cohen rapporte le fait qu'au cours de la revolte du Sonderkommando, le 7 octobre 1944, il est, avec David Olere, de ceux ayant appele les hommes du KIII a ne pas se lancer dans une operation "futile" et vouee a l'echec, car initiee de maniere precipitee et desordonnee [ 8 ] . De fait, les deportes du KIII n'ont pu s'engager dans l'action et nombre des rescapes du Sonderkommando en sont issus. Le manuscrit de Strasfogel, redige un mois plus tard, suggere que l'auteur, qui evoque la possibilite de s'en aller "heroiquement", est toutefois actif dans les reseaux de resistance et que l'ecrasement de la revolte n'a pas aneanti la combativite d'une partie des deportes.

Des propos de l'auteur de la lettre d'adieu, autant que de ceux des survivants du Sonderkommando, se degage un sentiment puissant de fraternite au sein de l'unite. Cela semble particulierement avoir ete le cas entre les membres francophones du SK. Leon Cohen decrit Strasfogel comme son ami et ira rendre visite a sa famille apres-guerre, conformement a la promesse formulee en deportation en cas de survie de l'un d'eux. Marcel Nadjari evoque lui aussi une amitie forte, impliquant surnom, entre eux [ 9 ] . Hersz Strasfogel, de son cote, enjoint dans son courrier a sa femme de se rapprocher de la famille rescapee d'un de ses camarades d'infortune deja elimine, David Lahana, qu'il qualifie "d'ange".

Victime de la derniere selection [ modifier | modifier le code ]

Lorsqu'il redige sa lettre, Hesz/Hermann Strasfogel, evoque son execution imminente. Apres la mise a mort de plus de 350 000 juifs de Hongrie entre le printemps et l'ete 1944, qui marque le point culminant du fonctionnement du centre d'extermination et la montee en effectif maximale du Sonderkommando (alors compose de 900 hommes), le rythme du genocide a considerablement ralenti. En consequence, les esclaves des chambres a gaz commencent a etre elimines en grand nombre. Leur revolte reprimee au mois d'octobre accelere le processus [ 10 ] . Strasfogel se fait l'echo de cette angoisse d'une mise a mort imminente des ultimes temoins oculaires du genocide  : ≪ Je me trouve actuellement dans la derniere equipe de 204 personnes, on liquide actuellement le crematorium II ou je suis avec intensite, et on parle de notre propre liquidation dans le courant de cette semaine ≫ . A la fin du mois de novembre 1944, Himmler ordonne la destruction des chambres a gaz. Le 26 novembre a lieu la derniere selection. Les survivants du Sonderkommando sont regroupes. Trente deportes sont affectes a l'ultime chambre a gaz maintenue active, pour eliminer les deportes les plus faibles. Soixante-dix forment une unite destinee a demonter les infrastructures du genocide. Les autres, dont Hersz Strasfogel fait certainement partie, et avec lui la plupart des plus anciens de l'unite, sont tues par balle a Birkenau dans une fosse d'incineration [ 11 ] . La majorite des Sonderkommandos qui n'a pas ete executee ce jour-la est parvenue a profiter du chaos des derniers jours de fonctionnement du camp pour se meler aux deportes "classiques" lors des marches de la mort. Un grand nombre d'entre eux a finalement survecu.

La lettre d'adieu : son itineraire et son attribution definitive [ modifier | modifier le code ]

En tant que porteurs d'un secret sensible entre tous pour les nazis, les Sonderkommandos devaient disparaitre sans laisser de traces. Certains sont tout de meme parvenus a temoigner de l'horreur du genocide par des manuscrits enterres et quelques photos. Les huit documents textuels retrouves a ce jour, l'ont tous ete dans la zone du Crematorium III : l'arriere-cour du batiment, plantee d'arbres, offrant un espace discret, propice a la dissimulation de manuscrits [ 12 ] .

La lettre signee Hermann est le tout premier document de ce type decouvert, en fevrier 1945, deux semaines a peine apres la liberation du camp. C'est un benevole de la Croix-Rouge polonaise qui la retrouve a l'interieur d'une bouteille en verre d'un demi-litre au niveau d'un tas de cendres humaines. La zone ayant auparavant fait l'objet de fouilles sauvages de soldats sovietiques et d'habitants de la region, il est plausible que l'objet ait ete deplace de sa cachette initiale et jete la [ 13 ] .

C'est sous la seule identite "Hermann" que l'auteur du document se devoile. Hersz Strasfogel se faisait appeler ainsi, mais n'a jamais ete enregistre sous ce prenom en deportation. La fille de l'auteur, nee Sima, est egalement nommee sous une forme francisee de son prenom, Simone. Le nom de famille Strasfogel n'apparait pas et l'adresse de remise du message correspond a celle d'un protecteur de la famille et pas au domicile des epoux Strasfogel. Ces mesures de prudence, probablement destinees a proteger les siens au cas ou le manuscrit parviendrait entre de mauvaises mains, ont retarde la remise du courrier a son destinataire de quatre annees, tout en induisant les historiens en erreur. A la fin des annees 1960, le document n'est accessible aux chercheurs que sous la forme d'une copie de la lettre. Deux historiens polonais du musee d'Auschwitz en attribuent alors la paternite a Chaim Herman , lui aussi mort a Auschwitz, sur la base de la concordance du nom et de la deportation de cet homme par le convoi 49 mentionne dans le document. Aucune source historique ne permet toutefois d'attester que Chaim Herman a bien integre le Sonderkommando et il est certain qu'il n'avait ni femme ni enfant [ 14 ] .

L'elucidation de l'identite de l'auteur est recente [ 15 ] . En 2002, en vue de l'inclusion de son defunt pere sur le mur des noms des victimes francaises du genocide, Simone Strasfogel, depose une demande au Memorial de la Shoah en joignant une copie de la lettre ecrite par son pere, Hersz/Hermann. Il faut toutefois attendre 2018 pour que Karen Taieb, responsable des archives du Memorial, effectue le recoupement entre la lettre dite de Chaim Herman , bien connue d'elle, et la piece jointe au dossier Strasfogel dont le contenu est identique. Une prise de contact avec la famille permet de remonter jusqu'a l'original du document [ 16 ] . L'identification definitive de l'auteur, Hersz/ Hermann Strasfogel, formellement etablie, la "decouverte" est rendue publique au debut de l'annee 2019 [ 17 ] , [ 18 ] .

Composition et portee historique du manuscrit [ modifier | modifier le code ]

Bien que debutant par un saisissant "priere d'un mourant", la lettre n'est pas construite comme un recit au cœur des tenebres a l'attention du monde. Apres un rapide message en plusieurs langues a destination du decouvreur du courrier, "Hermann" adresse en chef de famille ses ultimes recommandations aux siens, leur temoigne de son affection et leur livre quelques informations sur sa deportation. Le tout en suggerant plus qu'en ne detaillant l'horreur de son quotidien. "C'est l'enfer, mais l'enfer de Dante est immensement ridicule envers le vrai d'ici" livre-t-il. Le texte, compose sur huit feuillets, est manifestement redige dans l'urgence, dans un francais imparfait. Il s'agit donc bien d'un ecrit de l'intime, un veritable testament sans pretentions litteraires evidentes. Pour cette raison peut-etre, le document n'a pas ete inclus dans la premiere publication des manuscrits des Sonderkommandos et a longtemps fait l'objet d'une attention moindre des historiens [ 19 ] .

En tant que document compose et dissimule au peril de la vie de son auteur, la lettre d'adieu d'Hersz Strasfogel presente une attestation parmi de nombreuses de l'entreprise de resistance au sein du Sonderkommando. Le contenu du message (chronologiquement le dernier redige par un membre de l'unite), permet egalement de comprendre l'etat d'esprit de ces hommes voues a la mort dans les dernieres semaines de fonctionnement du camp. "Hermann" se montre sans illusion sur son sort, sans que cela le conduise a une forme d'abattement. Malgre la destruction d'une large part des Juifs d'Europe sous ses yeux, il se rejouit de l'ineluctable defaite des nazis et projette un futur pour sa famille en France. Les mots de l'auteur se font egalement precis concernant le destin de son convoi et le sort des proches et connaissances de la famille Strasfogel. Le document atteste aussi d'un echange de courriers anterieur entre l'auteur et sa famille. Le fait est atteste au camp d'Auschwitz en 1943 (les cartes ne revelaient rien de l'horreur du camp et nourrissaient l’œuvre de desinformation des nazis). Pour les prisonniers du Sonderkommando, il s'agit en revanche de la seule preuve indubitable d'un lien epistolaire etabli entre un deporte actif au sein du centre d'extermination et sa famille [ 20 ] .

Annexes [ modifier | modifier le code ]

Notes et references [ modifier | modifier le code ]

  1. (en) Nicholas Chare, Dominic Williams (Dir.), Testimonies of Resistance , Berghahn Books, , 398  p. ( ISBN   1789203414 , lire en ligne ) , p.  94-95
  2. ≪  Pour lire une retranscription complete de la lettre :  ≫
  3. ≪  Information sur le convoi 49 sur le site de Yad Vashem  ≫
  4. Veronique chevillon, ≪  Regroupement des elements biographiques connus au sujet des SK  ≫, sur Sonderkommando.info
  5. Sur le quotidien des Sonderkommandos, voir le film Le Fils de Saul de Laszlo Nemes, 2015
  6. Ainsi, les propos sans nuance de Primo Levi : ≪Il emanait une odeur nauseabonde de leurs vetements; ils etaient toujours sales et avaient un aspect completement sauvage, de vraies betes feroces. Ils etaient choisis parmi les pires criminels condamnes pour de graves crimes de sang.≫
  7. Voir les interventions d'Andreas Kilian dans la video de la rencontre organisee autour de la lettre au Memorial de la Shoah le 10 mars 2019 : https://www.youtube.com/watch?v=vcomPqVg_rs&feature=emb_logo
  8. Isaac Jack Levy, Rosemary Levy Zumwalt, The Sephardim in the Holocaust: A Forgotten People , The University of Alabama Press, , 248  p. ( ISBN   0817359842 , lire en ligne ) , P.90
  9. Sur les liens entre Strasfogel et Nadjary Voir le chapitre 6 de l'ouvrage Testimonies of Resistance , 2019 (p.111 et suivantes)
  10. ≪  Un temoignage sur la revolte par Shlomo Venezia, affecte au KIII, comme Hersz Strasfogel, en octobre 1944  ≫
  11. Jacek Leociak (Trad. de Marcin Rey), ≪  Entre la France et la Pologne : les chemins de la liberte ? les chemins de la Shoah  ≫, Bulletin du Centre de recherche francais a Jerusalem ,‎ , Section 28 de la partie consacree a Chaim Herman ( lire en ligne )
  12. Eric Conan, ≪  Les temoins oublies  ≫, sur lexpress.fr ,
  13. ≪  Rencontre : La lettre retrouvee de H.Strasfogel (Sonderkommando) - 10/03/2019  ≫ Voir a ce propos la premiere intervention d'Andreas Kilian lors de la rencontre dediee a l'authentification de l'auteur de la lettre (a partir de 4 min 30 s)
  14. Sur l'attribution erronee de la lettre a Chaim Herman, voir le chapitre 3 redigee par Andreas Kilian dans T estimonies of resistance , p.90-91 [1]
  15. ≪  Resume du contexte de l'identification de l'auteur sur le site du Memorial  ≫
  16. ≪  Retour sur la decouverte de l'identite de l'auteur de la lettre  ≫
  17. ≪  Reportage televise de France television du 27 janvier 2019  ≫
  18. ≪  Reportage d'i24News du 2 mai 2019  ≫
  19. Nicholas Chare and Dominic Williams (Dir.), Testimonies of Resistance Representations of the Auschwitz-Birkenau Sonderkommando , , Chapitre 6 : "Disinterred Words, the letters of Herman Strasfogel et Marcel Najary", p.111-130
  20. ≪  Lire a ce propos la section Correspondence from Birkenau du chapitre d'Andreas Kilian  ≫

Liens externes sur l'histoire du Sonderkommando d'Auschwitz [ modifier | modifier le code ]

Articles connexes [ modifier | modifier le code ]