Une illustration de la defense de Montevideo empruntee au livre d'Isidoro De-Maria,
Anales de la defensa de Montevideo
.
Informations generales
Date
|
1839
a
1851
|
Lieu
|
Uruguay
|
Issue
|
Victoire des
Colorados
|
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On appelle la
grande guerre
(
Guerra Grande
en
espagnol
) les evenements qui se produisirent dans la region du
Rio de la Plata
, entre le
et le
. Il s'agissait a l'origine d'une guerre civile orientale
[
1
]
qui se transforma en conflit regional avec l'intervention de l'Argentine (elle-meme en proie a une guerre civile) et du Bresil. Le conflit prit egalement une dimension internationale lorsque la France, la Grande-Bretagne et des forces etrangeres - notamment la
Legion italienne
de
Giuseppe Garibaldi
? se joignirent aux combats.
La grande guerre opposa les
blancos
uruguayens diriges par
Manuel Oribe
(soutenus par les federalistes argentins avec, a leur tete, Juan Manuel de Rosas) aux
colorados
, conduits dans un premier temps par
Fructuoso Rivera
et allies aux unitaires argentins, aux Bresiliens et aux Europeens. Elle se conclut par la victoire des colorados.
La
Bande orientale
devint independante sous le nom de
republique orientale de l'Uruguay
en 1828. Mais apres plusieurs annees de guerre, le nouvel
Etat
etait totalement desorganise et la situation ne s'ameliora pas reellement avec l'election en 1830 du premier president constitutionnel du pays,
Fructuoso Rivera
. En effet, ce dernier ? caudillo sans formation politique ni aptitude pour les questions administratives ? n'avait pas l'etoffe d'un homme d’Etat. Plus a son aise au milieu des gauchos que des Montevideens, il passa l'essentiel de son temps a parcourir la campagne et abandonna la direction des affaires a ses partisans (notamment le clan "
Los cinco hermanos
"). Une telle conduite deboucha sur le developpement de la corruption, une mauvaise gestion et l'endettement croissant du nouvel Etat. Il affronta egalement plusieurs insurrections organisees par son rival ? depuis la guerre d'independance -
Juan Antonio Lavalleja
. Mais ce dernier fut vaincu en 1832 et 1834.
L'impopularite de Rivera etait telle au terme de son mandat que la victoire de Lavalleja semblait inevitable a l'election presidentielle de 1835. Pour eviter ce scenario, Rivera decida d'appuyer la candidature de
Manuel Oribe
, son ministre de la Guerre. Enfin, il recut la charge de Commandant General de la Campagne ; ce qui lui permettait d'echapper, en grande partie, a l'autorite du futur president dans l'interieur du pays.
Le
, Oribe devint le second president constitutionnel du pays. Mais les relations avec son predecesseur se degraderent rapidement, en raison de l'amnistie accordee aux partisans de Lavalleja et de la nomination d'une commission chargee de verifier les comptes de la precedente administration. Oribe s'inquietait egalement des contacts de Rivera avec les revolutionnaires bresiliens
farrapos
(ce qui signifiait des ennuis diplomatiques avec
Rio de Janeiro
) et de son soutien aux unitaires argentins refugies a Montevideo (d'ou le risque de tensions avec le gouvernement de Juan Manuel de Rosas). Lorsque la
revolution Farrapos
eclata dans la region bresilienne du Rio Grande do Sul, le president prit la tete de l'armee et se dirigea vers la frontiere pour assurer la neutralite du pays : Rivera en prit ombrage. Oribe decida egalement de fermer
El Moderador
, un journal publie par des unitaires
portegnes
et tres virulent a l'egard de Rosas. Rivera protesta et, en
, le president supprima le poste de Commandant General de la Campagne.
Finalement, la rupture definitive intervint avec la publication des conclusions de la commission d'enquete (qui mettait en evidence le gaspillage et la corruption de l'administration precedente) et le retablissement de la charge de Commandant General de la Campagne au profit d'Ignacio Oribe, le frere du president. Face a de telles mesures, jugees inacceptables, Rivera se souleva en
.
Une guerre civile debutait, mais il ne s'agissait pas cette fois-ci d'un simple combat entre caudillos. En effet, le conflit s'internationalisa.
L'instabilite politique de l'Uruguay favorisa les interventions etrangeres, notamment de la part des deux grandes puissances de la region - la
Confederation argentine
et l'
empire du Bresil
.
L'Argentine connaissait, depuis son independance, d'incessantes guerres civiles qui opposaient les
federalistes
(conservateurs partisans de l'autonomie des provinces) aux
unitaires
(liberaux favorables a un gouvernement centralise). Ces divisions eurent de profondes repercussions sur le conflit uruguayen : les federalistes soutinrent Lavalleja et Oribe alors que les unitaires appuyerent Rivera. Par ailleurs, la
guerre de Cisplatine
(1825-1828) entraina une grande instabilite politique qui permit au federaliste
Juan Manuel de Rosas
de devenir gouverneur de Buenos-Aires et le maitre du pays. Il s'immisca alors dans les affaires uruguayennes pour faire taire les opposants unitaires refugies a Montevideo, s'assurer du soutien de Oribe et mettre en œuvre son projet de restauration de la
vice-royaute du Rio de la Plata
.
Quant a l'empire du Bresil, il ne pouvait negliger le climat de troubles croissants sur ses frontieres meridionales ou, par ailleurs, il affrontait depuis 1835 la revolution des farrapos (un mouvement separatiste republicain, lie aux Orientaux). D'autre part, ses pretentions historiques le poussaient a s'etendre le plus pres possible du Rio de la Plata, considere comme une frontiere naturelle (la
Bande orientale
avait d'ailleurs fait partie de l'Empire portugais puis bresilien, entre 1816 et 1828, sous le nom de
Province cisplatine
et Rio de Janeiro continuait d'occuper les Missions orientales ? un territoire a l'origine espagnol, au nord de l'Uruguay). Enfin, il s'agissait de limiter au maximum l'influence de Rosas sur la Bande orientale et de l'empecher de reconstituer la
vice-royaute du Rio de la Plata
a son profit : le Bresil s'opposa donc a Oribe, l'allie du gouverneur de Buenos-Aires .
Le Royaume-Uni et la France intervinrent dans le conflit pour des raisons politiques et commerciales.
Londres voulait conserver la position privilegiee qu'elle avait acquise dans la region depuis l'epoque des revolutions hispano-americaines. En effet, elle beneficiait d'un traite economique avantageux avec l'Argentine depuis 1825 et constituait une puissance diplomatique incontournable (elle avait impose a l'Argentine et au Bresil l'independance de la Bande orientale en 1828).
Quant a la France, elle ambitionnait d'etre traitee sur un pied d'egalite avec le Royaume-Uni. Mais il fallut attendre la
monarchie de Juillet
pour que Paris reconnut officiellement les republiques sud-americaines ; la
Restauration
s'y etait toujours refusee par solidarite avec les Bourbons d'Espagne. Pour parvenir a ses fins, la France n'hesita pas a organiser le blocus du Rio de la Plata du
au
. L'entreprise fut justifiee par le refus du gouvernement de Rosas d'exempter les ressortissants francais du service militaire, de leur accorder des reparations pour divers affronts et d’octroyer a la France ? comme au Royaume-Uni ? la
clause de la nation la plus favorisee
. La France demanda alors a Oribe l'autorisation d'utiliser Montevideo comme base navale ; son refus poussa Paris a soutenir Rivera.
Par ailleurs, le Royaume-Uni et la France reclamaient la libre navigation sur les fleuves
Parana
et
Uruguay
. Mais Rosas les considerait comme des fleuves interieurs de la Confederation argentine et, a ce titre, refusait leur acces aux navires etrangers. Pour y penetrer, ces derniers devaient obtenir une autorisation et transiter par les douanes de Buenos Aires, le seul port habilite a commercer avec l'exterieur. Ce desaccord deboucha sur un
second blocus du Rio de la Plata
, par une escadre franco-britannique entre le
et le
.
Le debut de la guerre civile uruguayenne (1836-1839)
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Rivera recut l'appui du general unitaire
Juan Lavalle
, alors que
Rosas
envoya a Oribe des renforts sous le commandement de Lavalleja (qui revenait ainsi dans sa patrie a la tete de forces argentines). Le
, les deux armees s'affronterent lors de la
bataille de Carpinteria
. Chaque camp utilisa, pour la premiere fois, une couleur distinctive : le blanc pour les partisans de Oribe (d'ou le terme de
blancos
pour les designer) et le rouge pour ceux de Rivera (les
colorados
), donnant ainsi naissance aux premieres formations politiques uruguayennes - les conservateurs du
Parti Blanco
ou
Parti National
et les liberaux du
Parti Colorado
. Finalement, Oribe remporta la bataille et son adversaire se refugia au Bresil ; mais ce ne fut la que le debut d'une longue guerre.
En 1837, Rivera revint et envahit le pays avec l'appui des caudillos
riograndenses
Bento Manuel Ribeiro et
Bento Goncalves da Silva
. Cette fois le sort lui fut plus favorable : il defit Oribe a Yucutuja, subit certes un revers lors de la bataille de Yi, mais remporta la victoire decisive de Palmar, le
. Enfin, le soutien de la France lui permit de triompher definitivement de son adversaire. En
, l'escadre francaise dans le Rio de la Plata ? commandee par le contre-amiral
Leblanc
- neutralisa une flottille argentine avant de s'emparer de l'ile
Martin Garcia
, d'ou elle menaca directement
Montevideo
.
Les Francais maitres des mers, sans flotte et a la tete de troupes affaiblies apres la defaite de Palmar, Oribe se resigna a ceder le pouvoir. Le
, il se refugia a Buenos Aires ou Rosas le recut en qualite de president constitutionnel et lui offrit, peu apres, le commandement des armees de la
Confederation argentine
. Rivera, lui, entra a Montevideo debut novembre et s'empara du pouvoir politique avec le titre de dictateur, en remplacement de
Gabriel Antonio Pereira
, le president par interim. Le
, il devenait le troisieme president constitutionnel de l'Uruguay et declarait la guerre a
Rosas
des le
: la grande guerre debutait.
Entre 1839 et 1843, le conflit se deroula principalement sur le territoire de l'actuelle Argentine.
Rivera s'allia avec Genaro Beron de Astrada - le gouverneur de
Corrientes
- qui etait alors en conflit avec Rosas (ce dernier s'opposait a la libre circulation sur le fleuve Parana, entravant par la meme le developpement du commerce
correntino
). Les unitaires argentins refugies a Montevideo se joignirent egalement a la coalition ≪ anti-rosiste ≫ avec, a leur tete, le general Lavalle.
En depit d'une armee mal preparee et sans l'aide promise par son allie oriental, Beron de Astrada decida de passer a l'action. Mais il fut vaincu, le
, a Pago Largo par le gouverneur d’
Entre Rios
- le federaliste Pascual Echague ? qui penetra alors en Uruguay accompagne du
blanco
Lavalleja. Conscient de sa faiblesse, Rivera se replia et attendit des renforts. Apres deux victoires mineures de ses lieutenants sur des colonnes ennemies isolees, il affronta et defit Echague lors de la bataille de Cagancha, le
.
Entre-temps, Lavalle debarqua dans la province de
Entre Rios
(
). A la tete d'une troupe d'a peine 400 hommes, il vainquit les federalistes a Yerua mais la population refusa de le soutenir. Il se dirigea alors vers Corrientes, ou le gouverneur unitaire Pedro Ferre lui confia le commandement des milices de la province. En
, Lavalle organisa une nouvelle expedition en
Entre Rios
. Vaincu a Sauce Grande le
, il feignit de se retirer vers Corrientes puis debarqua a la surprise generale dans la province de Buenos-Aires et marcha sur la capitale. Face a l'hostilite de la population, il se replia sur
Santa Fe
puis
Cordoba
, tout en essayant de prendre contact avec le general
Gregorio Araoz de Lamadrid
qui etait a la tete d'une alliance hostile a Rosas (la ≪ Coalition du Nord ≫).
Le
, le traite Arana-Mackau constitua un coup tres dur pour les ≪ anti-rosistes ≫ ; l'accord franco-argentin mettait fin au blocus de Buenos-Aires et a l'appui de la France aux
colorados
. Un nouveau desastre survint, le
, lorsque Oribe ecrasa Lavalle lors de la bataille de Quebracho Herrado. Les victoires federalistes se succederent alors et, le
, Oribe infligea un ultime revers a son adversaire au cours du combat de Famailla. A la tete d'une troupe reduite et talonne par ses ennemis, Lavalle se replia sur
Salta
puis
San Salvador de Jujuy
avant d'y etre abattu par les federalistes lors d'une escarmouche. Ses partisans recupererent sa depouille et se dirigerent vers la
Bolivie
, ou ses restes furent finalement deposes dans la cathedrale de
Potosi
.
Pendant ce temps, une escadre de la Confederation argentine interdisait l'acces de l'estuaire du Rio de la Plata a la flotte orientale, et le general unitaire Jose Maria Paz triomphait de Echague a Caaguazu, le
. Echague s'enfuit et se refugia en Entre Rios, ou
Justo Jose de Urquiza
le remplaca peu de temps apres a la tete de la province. Paz s'autoproclama gouverneur de
Entre Rios
et organisa une reunion avec Rivera, Pedro Ferre (gouverneur de
Corrientes
) et Juan Pablo Lopez (gouverneur de
Santa Fe
). En
, ils deciderent de poursuivre la guerre contre la Confederation argentine et de creer un nouvel Etat, compose de leurs territoires et
Rio Grande do Sul
(qui formait a l'epoque la
Republique riograndense
et dont le principal chef,
Bento Goncalves da Silva
, avait donne son accord).
Mais le projet de ≪ Grand Uruguay ≫ ne vit jamais le jour. Personne ne reconnaissait vraiment Paz comme le gouverneur de Entre Rios et, en
, les dirigeants de l'alliance confierent le commandement supreme a Rivera : exaspere, Paz se retira. Au meme moment, l'amiral argentin Guillermo Brown vainquit la flotte orientale (commandee par Giuseppe Garibaldi) a
Martin Garcia
, pendant que les adversaires de Rosas etaient activement pourchasses a Buenos Aires par la
Mazorca
(organisation para-policiere).
Lavalle elimine, Oribe fit route vers la province de Entre Rios tandis que Rivera franchissait le fleuve Uruguay pour l'affronter. Le
, a Arroyo Grande, Oribe triompha de son rival qui se replia a marche forcee sur Montevideo. Le
, l'avant garde des troupes federalistes campait aux portes de la ville.
Le
Grand Siege de Montevideo
marque la seconde etape de la grande guerre. L'episode, appele ≪ le Grand Siege ≫ (
El Sitio Grande
), dura pres de 9 ans ; du
au
.
A l'approche des troupes de Oribe, les autorites montevideennes preparerent activement la defense de la ville et edifierent des fortifications. Quant aux assiegeants, pourtant en position de force, ils ne menerent aucun assaut serieux et se contenterent d'isoler la ville. La
marine argentine
, sous les ordres de
Guillermo Brown
, chercha a bloquer le port pour faire plier les
colorados
, mais l'Angleterre imposa la levee du blocus. Par la suite, l'armee de Oribe (a peu pres 7 000 hommes, soit 4 000
blancos
et 3 000 soldats de la
Confederation argentine
) affronta sans resultat les assieges (environ 6 000 combattants, a savoir une majorite d'Europeens organises en legions ? francaise, basque et italienne ?, des unitaires argentins, des affranchis noirs et des Montevideens). En realite, il n'y eut pratiquement pas d'actions militaires d'envergure durant toutes ces annees; ni pour prendre d'assaut la ville, ni pour briser le siege.
Le pays compta alors deux gouvernements rivaux.
Les assieges creerent le
gouvernement de la Defense
avec, a leur tete, le president Rivera. A la fin de son mandat - le
-, des elections ne purent etre organisees et
Joaquin Suarez
assura la presidence par interim jusqu'a la fin de la guerre. Les circonstances empecherent egalement le renouvellement des Chambres en 1846 : le Pouvoir legislatif fut alors exerce par une Assemblee des notables et un Conseil d’Etat, qui exercerent reellement leur role de controle de l'executif. Les hommes de la Defense, ouverts aux idees venues d'Europe, se voulaient les defenseurs des libertes et de la civilisation face a la tyrannie et la barbarie des caudillos. Ils pretendaient egalement garantir l'independance nationale remise en cause, selon eux, par l'alliance de Oribe avec Rosas.
Oribe organisa dans les faubourgs de Montevideo un gouvernement concurrent ? le
Gouvernement du Cerrito
, du nom d'une colline sur les hauteurs de la ville ? comme si rien ne s'etait passe depuis son depart force de la presidence en 1838. Se considerant comme le president legal du pays, il retablit la Chambre des deputes et le Senat dissous par Rivera, designa des ministres et deploya une intense activite legislative. Ce gouvernement controla la totalite du pays - a l'exception de la capitale - jusqu'en 1851. Il s'organisait autour de trois zones : la colline du Cerrito (le centre militaire), la Villa Restauracion (le centre politique) qui correspond a l'actuel quartier de la Union, et le port du Buceo (le centre economique) par ou transitaient les marchandises. Les hommes du Cerrito se consideraient comme les defenseurs de la souverainete nationale. Ils rejeterent toute intervention europeenne et s'efforcerent de limiter l'ingerence argentine, malgre la dependance militaire a l'egard du gouvernement de Rosas.
Le siege de Montevideo ne fut pas le seul theatre d'operations militaires. En fait, l'essentiel des combats se deroula loin de la capitale. Apres la defaite de Arroyo Grande, Rivera mena une guerre de harcelement. Mais Oribe parvint avec l'appui de
Urquiza
a le vaincre lors de la bataille de India Muerta (
), obligeant son adversaire a se refugier au Bresil. Les jours de Montevideo semblaient alors comptes.
Pourtant, le Bresil ? inquiet de l'influence grandissante de l'Argentine en Uruguay ? se rapprocha de la France et de la Grande-Bretagne. Les puissances europeennes deciderent cependant d'intervenir seules et envoyerent, en
, une puissante escadre dans l'estuaire du Rio de la Plata et les fleuves de la Confederation. L'aide europeenne permit au
gouvernement de la Defense
de resister et de mener des expeditions militaires, notamment celle de la
Legion italienne
(prise de
Colonia del Sacramento
, de l'ile
Martin Garcia
, de
Gualeguaychu
, de
Salto
,
bataille de San Antonio
).
La position bresilienne permit a Rivera de rentrer a Montevideo en
, d'y organiser un soulevement et de reprendre le controle du gouvernement. Il rejoignit ensuite l'armee qui operait a
Colonia del Sacramento
, puis reussit a occuper
Mercedes
et
Paysandu
en
. Il essaya alors de s'entendre directement avec Oribe, mais desavoue par son gouvernement et defait par les
blancos
lors du combat du Cerro de las Animas (
), il se refugia une nouvelle fois au Bresil.
Enfin, la fermete de Rosas et les changements politiques en Europe (victoire des liberaux en Angleterre, revolution de 1848 et retablissement de la Republique en France) permirent de mettre fin au blocus anglo-francais. La signature des traites Southern-Arana avec l'Angleterre (
) et Le Predour-Arana avec la France (
) constituerent de veritables succes pour Rosas. Le
gouvernement de la Defense
depecha aussitot le general
Pacheco y Obes
a Paris pour obtenir la poursuite de l'aide francaise, mais sans succes (c'est alors que
Alexandre Dumas
defendit la cause orientale dans son ouvrage
Montevideo ou la Nouvelle Troie
).
La ville paraissait condamnee a une chute certaine. Les
colorados
chercherent alors de nouvelles alliances, mais cette fois en Amerique : ils se tournerent vers le Bresil et la province argentine de Entre Rios.
En 1851, la situation evolua radicalement. D'abord, l'empire du Bresil - desireux de limiter l'influence croissante de Rosas en Uruguay - decida de soutenir ouvertement le
gouvernement de la Defense
en echange de traites avantageux. Ensuite, le gouverneur de Entre Rios - Urquiza - denonca son alliance avec Rosas. Cette rupture s'expliquait par la mefiance grandissante entre les deux hommes, mais aussi pour des raisons economiques : la province de Entre Rios, favorable a la libre navigation sur les fleuves, souffrait de l'obligation qui lui etait faite de transiter par la douane de Buenos Aires pour commercer avec l'exterieur.
Le
, un traite d'alliance fut signe a Montevideo entre le
gouvernement de la Defense
, l'empire du Bresil et la province argentine de Entre Rios afin d'assurer l'independance de l'Uruguay et d'en expulser les forces de Oribe. En juillet, Urquiza et le general Eugenio Garzon (un ancien
blanco
) penetrerent en territoire oriental. Debut septembre, le Bresil prenait part a son tour aux operations et depechait un contingent de 13 000 hommes sous le commandement du baron de Caxias, ainsi qu'une flotte pour bloquer les fleuves
Uruguay
et
Parana
. Oribe, conscient de l'inutilite de toute resistance, decida de negocier un armistice.
Les belligerants signerent le
un traite - ≪ la Paix d'Octobre ≫ - qui mettait fin a la grande guerre. Cet accord prevoyait la reconnaissance de l'autorite du
gouvernement de la Defense
sur tout le territoire de l'Uruguay, l'organisation d'elections dans les plus brefs delais, la liberte pour Oribe, l'egalite de tous les Orientaux face a la loi (quel que fut leur camp durant la guerre) et la validite juridique des decisions prises par le
gouvernement du Cerrito
(et donc la reconnaissance de ses dettes par les nouvelles autorites). Enfin, il etait convenu que les deux partis avaient agi en faveur de l'independance du pays en resistant aux puissances etrangeres et, qu'en definitive, la guerre se terminait ≪ sans vaincus, ni vainqueurs ≫.
Le
, les gouvernements de l'Uruguay, du Bresil et des provinces argentines de Entre Rios et Corrientes scellerent une nouvelle alliance pour, cette fois, attaquer directement Rosas. Plusieurs colonnes se dirigerent alors vers la province de Entre Rios. De la, l'armee alliee ? qui prit le nom de ≪ Grande Armee≫ (
el Ejercito Grande
) ? franchit le
Parana
, s'empara sans difficulte de la province de Santa Fe (recevant au passage le renfort de troupes locales) et marcha sur Buenos Aires.
La bataille decisive eut lieu a
Caseros
, le
.
El Ejercito Grande
, commande par Urquiza et compose d'environ 20 000 Argentins, 4 000 Bresiliens et 2 000 Orientaux, ecrasa Rosas et le forca a abandonner le pouvoir.
Le Bresil negocia au prix fort son intervention en faveur du
gouvernement de la Defense
. Il obtint, le
, la signature de cinq traites tres avantageux :
- Traite de limites. Il impliquait le renoncement de l'Uruguay a ses droits historiques sur les Missions orientales (territoire attribue a l'Espagne en 1777, par le
traite de San Ildefonso
). La nouvelle frontiere suivait les fleuves
Cuareim
et
Yaguaron
, puis la
lagune Mirim
et la riviere
Chuy
(qui se jette dans l'Ocean Atlantique). Par ailleurs, le Bresil se voyait accorder un droit exclusif de navigation sur le fleuve
Yaguaron
et la
lagune Mirim
, ainsi que l'autorisation de batir des forteresses a l'embouchure des rivieres
Cebollati
et
Tacuari
, en plein territoire oriental.
- Traite d'≪ alliance perpetuelle ≫. Les deux Etats signerent une ≪ alliance perpetuelle ≫ et se promettaient une aide reciproque : le Bresil s'engageait, en cas de menace, a secourir le gouvernement legal de l'Uruguay qui, de son cote, devait soutenir l'empire en cas d'insurrections dans ses provinces frontalieres (en d'autres termes, le
Rio Grande do Sul
). Dans les faits, ce traite permettait au Bresil d'intervenir dans les affaires internes de son voisin.
- Traite de secours. L'empire accordait un pret au gouvernement uruguayen, qui s'engageait a le rembourser avec interets et donnait en garantie les revenus de la douane (les seules veritables recettes de l’Etat). L'Uruguay reconnaissait egalement la dette contractee durant le siege de Montevideo par le
gouvernement de la Defense
aupres du
baron de Maua
- un banquier bresilien. Finalement, le gouvernement qui avait hypotheque les rentes de la nation dependait du Bresil et d'un particulier protege par son puissant voisin.
- Traite d’extradition. Chaque gouvernement devait livrer les criminels et les deserteurs refugies sur son territoire. L'Uruguay, qui avait pourtant aboli l'esclavage, s'engageait egalement a remettre aux autorites bresiliennes les esclaves en fuite.
- Traite de commerce et de navigation. Le Bresil disposait de la libre navigation sur le fleuve Uruguay et ses affluents, alors que les deux pays s'accordaient reciproquement la clause de la nation la plus favorisee. Par ailleurs, le betail sur pied exporte vers le Bresil et le
tasajo
(viande sechee et salee) achemine par voie terrestre vers le
Rio Grande do Sul
etaient exoneres de taxes douanieres. Ces dispositions lesaient les industriels uruguayens de la salaison (les
saladeros
) : ils affrontaient desormais une concurrence bresilienne qui pouvait aisement s'approvisionner en betail.
A la fin de la grande guerre, le pays etait ravage.
La population uruguayenne diminua fortement, passant de 140 000 habitants (dont pres de 40 000 pour Montevideo) en 1840 a 132 000 habitants (34 000 pour la capitale) a la fin du conflit. De nombreux immigres retournerent vers leur pays d'origine ou tenterent leur chance ailleurs en Amerique. La population, analphabete a 80 %, souffrit d'une pauperisation sans precedent, notamment dans les campagnes.
La guerre provoqua ou facilita l'abandon des proprietes, la fuite des ouvriers ou leur enrolement dans les differentes armees. La paix revenue, le manque de main d’œuvre se fit sentir, notamment dans les exploitations agricoles et les
saladeros
(usines de salaison de la viande). Enfin, la guerre renforca le caractere nomade des populations rurales. Habituees a la vie militaire, elles se fixerent difficilement, preferant errer d'un camp a un autre, conduire le betail jusqu'au
Rio Grande do Sul
ou depecer les betes volees pour les revendre aux
pulperos
(les epiciers de l'epoque).
Les ravages de la guerre entrainerent egalement une chute de la valeur des terres d'environ 30 %, et la possibilite pour les investisseurs etrangers - europeens et surtout bresiliens - d'acquerir les proprietes des Orientaux ruines. Des lors, le poids des etrangers augmenta considerablement : en 1857, les Bresiliens possedaient 30 % du territoire uruguayen.
Dans le domaine economique, la situation etait dramatique. La guerre mit en peril l'elevage bovin : le cheptel, estime a 6 / 7 millions de tetes en 1843, tomba a 2 millions en 1852 - dont un tiers etait retourne a l'etat sauvage. L'elevage ovin, qui avait commence son developpement a la veille de la guerre, enregistra un coup d'arret ; en 1852, il n'y avait pas plus d'un million de tetes. Quant a l'industrie de la salaison, elle etait ruinee. Des 24 etablissements qui fonctionnaient en 1842, il n'en restait plus que 3 ou 4 en 1854. Le manque de matiere premiere etait la principale cause de cette situation, et s'expliquait par les prelevements des differents armees et les razzias bresiliennes (les ≪
californias
≫ qui s'intensifierent a partir de 1845, quand la guerre civile prit fin dans le
Rio Grande do Sul
). Enfin, le traite de commerce avec l'empire du Bresil accentua la crise ; il facilitait l'entree du betail oriental - pourtant en forte diminution - dans le
Rio Grande do Sul
, privant les industriels uruguayens d'une precieuse ressource et favorisant la concurrence
riograndense
.
De son cote, l’Etat s'etait fortement endette aupres de certains pays (le Bresil, la France, le Royaume-Uni) et continuait a dependre de l'aide bresilienne pour faire face aux depenses courantes. Toutes ses ressources etaient hypothequees ; des rentes de la douane jusqu'aux proprietes publiques (y compris la
Plaza Independencia
, la
Plaza de Cagancha
, l'Hotel de ville - le
Cabildo
- a Montevideo).
Pour autant, tout n'etait pas negatif. Le conflit favorisa le developpement d'un sentiment national qui se manifesta a travers la mise en place d'une ≪ politique de fusion ≫ (c'est-a-dire le rassemblement des Uruguayens et la volonte de mettre fin aux partis politiques responsables de la guerre civile). Mais les partisans de la fusion s'imaginerent que les vieilles divisions pouvaient s'effacer par decret, alors que les
blancos
et les
colorados
sortaient du conflit bien plus determines qu'ils n'y etaient entres.
- ↑
Oriental signifie ici Uruguayen, ou ce qui est uruguayen. Cette expression vient du fait que l'actuelle Uruguay formait la partie la plus orientale de la
vice-royaute du Rio de la Plata
et portait alors le nom de Bande orientale. Cette derniere fut, ensuite, brievement integree aux Provinces-Unies du Rio de la Plata et rebaptisee Province orientale. Avec l'independance, le nouvel Etat devint la Republique orientale de l'Uruguay (c'est-a-dire la Republique a l'est du fleuve Uruguay).
- Estela Nari,
Les rapports franco-uruguayens pendant la "Guerra Grande" : le conflit vu par les Francais (pourquoi l'Uruguay n'est-il pas devenu francais)
, IHEAL, Universite Paris 3, 1998, 644 p. (these de doctorat)