Fraxinet
ou
Fraxinetum
est un
comptoir
sarrasin
du
X
e
siecle dans le golfe de
Saint-Tropez
[
1
]
, dans l'actuel
departement
du
Var.
Le territoire de la cite, aux limites mal definies (peut-etre la commune actuelle de
La Garde-Freinet
), est conquis vers 890 par des marins venus d'
Al-Andalus
. Il est repris en 973 par le
comte de Provence
Guillaume
I
er
(surnomme ensuite ≪ le Liberateur ≫) a la suite de la
bataille de Tourtour
[
2
]
.
Fraxinet
represente la fixation du roman primitif
fraxinet
(ancien occitan provencal
fraissinet
) ≪ plantation de frenes, endroit ou il y a des frenes ≫ identique aux differents
Fraissinet
et
Frayssinet
du sud de la France. Il remonte au bas latin
fraxinetu(m)
≪ plantation de frenes, endroit ou il y a des frenes ≫, tout comme le
nom commun
francais
frenaie
, anciennement
fresnei
.
Selon l'historiographie legendaire musulmane, c'est dans les environs de l'annee 889 qu'un navire transportant vingt aventuriers
andalous
jette l'ancre dans le golfe de
Saint-Tropez
. Confiant dans la solidite de leur etablissement, ils attirent des renforts depuis l'
Espagne
.
Par la suite, ce qui n'est qu'un etablissement pirate devient, grace a l’arrivee de nouveaux colons, un veritable
comptoir
, car la mise en valeur des terres est facile. Celui-ci couvrait une distance de 60
km
environ, soit l’ensemble du
massif des Maures
. Rapidement, le lieu est reconnu comme un etablissement dependant du
califat de Cordoue
[
3
]
.
Depuis le Fraxinet, les
Sarrasins
menent des raids dans toute la region et jusqu'au
Piemont
en
Italie
. A la difference d'autres peuplements plus sporadiques, celui-ci dure pres d'un siecle et le Fraxinet ne constitue probablement pas un simple ≪ nid de brigands ≫ (
Marc Bloch
), mais bien un emplacement strategique pour les musulmans qui semblent vouloir ≪ entraver les relations entre les cites marchandes italiennes et le reste de la chretiente meridionale ≫. Les
corsaires
andalous prennent la maitrise de l'espace mediterraneen, melangeant l'esprit de profit, de conquete, de jihad et de commerce. De la meme maniere, un siecle plus tard, le
taifa de Denia
occupe les
Iles Baleares
et la
Sardaigne
.
Sur le modele de la relative ouverture du
califat de Cordoue
envers les
religions du Livre
, il n'est pas ≪ du tout exclu que le Fraxinet ait ete le theatre d'une symbiose communautaire, ce qui tendrait a expliquer sa longevite ≫
[
4
]
.
Il faut attendre 942 pour qu'une premiere offensive serieuse contre l'etablissement sarrasin soit entreprise. L'etablissement allait etre envahi lorsque le roi
Hugues
mit un terme a l'offensive. Craignant de voir le roi d'Italie
Berenger
s'emparer de son royaume, il conclut un traite avec les Sarrasins : ceux-ci devaient s'etablir dans les Alpes pour empecher toute invasion ennemie. L'historiographie ancienne y voyait les origines d'une implantation, aujourd'hui contestee, d'une partie de la communaute sarrasine dans la vallee de l'Arc, la
Maurienne
[
5
]
,
[
6
]
.
La piraterie andalouse est active en Mediterranee occidentale. Dans les annees 950, des negociations ont lieu entre Cordoue et le roi de Germanie
Otton
I
er
, futur empereur du
Saint-Empire romain germanique
, qui etait en train d'etendre son autorite a l'Italie et s'inquietait de la menace que les musulmans du Freinet faisait peser, par leurs raids dans les Alpes, sur le trafic entre les deux royaumes : fin
953
ou printemps 954, l'abbe
Jean du monastere lorrain de Gorze
est envoye en
ambassadeur
aupres du
calife
de
Cordoue
Abd al-Rahman III
. Apres un penible voyage de dix semaines, Jean est loge a Cordoue dans une
munya
de la banlieue. Mais la missive qu'il apportait ayant ete jugee insultante pour l'islam, il ne fut pas admis a la presenter au souverain : la loi aurait en effet oblige a punir de mort ces insultes. Quant a Jean, il refusait de n'apporter que les cadeaux a l'audience. De longues negociations s'engagerent alors, incluant le voyage d'un fonctionnaire
mozarabe
du palais cordouan jusqu'a la cour de Francfort. Ayant recu de cette seconde ambassade une nouvelle lettre de son souverain au ton plus modere, Jean put enfin, apres trois ans de reclusion, venir se presenter devant le calife. Le califat de Cordoue fait alors figure de puissance preponderante dans l'occident mediterraneen
[
7
]
.
En 972, dans cet equilibre precaire des rapports de force, les Sarrasins commettent une erreur. Ne a Valensole,
Maieul
,
abbe de Cluny
,
legat du pape
et ami intime de l’imperatrice
Adelaide
, est venere par les
Provencaux
. Les Sarrasins pensent qu'en l'enlevant, ils peuvent en obtenir une importante rancon. Ils reussissent a le capturer au pont du
Chatelard
, pres d'
Orsieres
, en
, alors qu'il rentre d'une mission a Rome et vient de passer le
col du Mont-Joux
(ancien nom du col du Grand-Saint-Bernard), dans les Alpes. Refusant de laisser l'abbe de Cluny aux mains des Sarrasins, les moines de Provence reussissent a reunir la rancon demandee. La somme versee, les Sarrasins liberent leur otage
[
8
]
.
Les moines se chargent alors de soulever chez les Provencaux une veritable furie guerriere contre les Sarrasins. Ils donnent a l'enlevement de Maieul de Cluny la plus grande publicite possible, reussissant a federer l'ensemble de la population autour des
comtes de Provence
Guillaume
et
Roubaud
, pour mener une offensive destinee a chasser definitivement les Sarrasins. Le comte Guillaume, appele par la suite
le Liberateur
, repond a l'appel de ses sujets et leve l'
ost
. Le comte
Arduin
de
Turin
, son vassal
Alineo di Sarmatorio
, ainsi que de nombreux guerriers de Provence, mais aussi du Bas-Dauphine et de Nice rejoignirent son armee
[
9
]
.
Cinq premieres batailles ont lieu dans les Alpes provencales, a
Embrun
,
Gap
,
Riez
,
Ampus
et
Cabasse
. Battus dans tous ces affrontements par les Provencaux, les forces des Sarrasins se regroupent a
Tourtour
. Guillaume ne tarde pas a les rejoindre et y engage la sixieme et la plus importante bataille. Ecrases par les Provencaux, les Sarrasins regroupent leurs dernieres forces, remontent dans leur forteresse du Freinet et s'y retranchent solidement. Apres avoir donne un peu de repos a ses troupes, Guillaume fait donner l'assaut au Fraxinet. Les guerriers provencaux des seigneurs de
Levens
, d'
Aspremont
, de
Gilette
, de
Beuil
et de la ville de
Sospel
sont designes pour l'attaque. Apres avoir atteint le sommet de la Garde-Freinet, les Provencaux attaquent les retranchements du Fraxinet, en chassent les Sarrasins, et enfin s'emparent entierement de la forteresse. Les Sarrasins trouvent un dernier refuge dans une foret voisine, mais, vivement poursuivis, ils sont soit tues, soit faits prisonniers.
Grace a cette offensive decisive de 973 et des batailles qui suivent, les Sarrasins sont definitivement expulses de leurs bases fortifiees en Provence. Il ne semble pas que le calife de Cordoue ait tente quoi que ce soit pour sauvegarder ce poste avance sur les cotes provencales, car entretenir une paix relative avec le monde chretien lui octroyait toute liberte d'action au Maghreb
[
7
]
.
Les traces archeologiques de ce siecle d'occupation sarrasine en Provence sont rares, menues monnaies et ceramiques tirees des epaves de navires sarrasins
[
2
]
, occupation profane d'un espace sacre documente a la
tour de Lerins
[
2
]
, et les sources litteraires, notamment des clunisiens.
On a longtemps pense que le fort de
la Garde-Freinet
pouvait etre construit sur une forteresse musulmane, verrouillant la vallee d'acces au comptoir maritime au niveau de Saint-Tropez. Au cœur du
massif des Maures
, il domine sur un eperon rocheux a pres de 450
m
d'altitude les voies d'acces au col de la Garde, seul passage entre la plaine de Vidauban et la region maritime du golfe de Grimaud. Cependant, lorsque les historiens J. Lacam (entre 1965 et 1966) puis
Philippe Senac
(de 1979 a 1989) entreprennent des fouilles, leur espoir est decu : en lieu et place du
qasr
musulman, ils mettent au jour un village fortifie dont l'occupation semble s'echelonner du
XII
e
au
XVI
e
siecle, soit apres la reconquete par les comtes de Provence
[
10
]
.
- ↑
Philippe Senac,
Musulmans et Sarrasins dans le sud de la Gaule du
VIII
e
au
XI
e
siecle
, Sycomore, 1980,
p.
47, et ≪ Les Musulmans en Provence au
X
e
siecle ≫ dans
Histoire de l'Islam et des musulmans en France du Moyen Age a nos jours
, Albin Michel, 2006,
p.
26
- ↑
a
b
et
c
≪
Nos ancetres Sarrasins
≫,
Inrap - Archeologie preventive
,
(
lire en ligne
, consulte le
)
- ↑
Jacques Dalmon
,
La Garde En Freinet
, Universud, 1994
- ↑
Philippe Senac
,
Provence et piraterie sarrasine
, Maisonneuve et Larose, 1982,
p.
70
- ↑
Philippe Senac
,
Musulmans et Sarrasins dans le sud de la Gaule du
VIII
e
au
XI
e
siecle
, Sycomore, 1980,
p.
52-53
- ↑
≪ nous voyons ensuite le meme prince, par une contradiction insigne, faire un traite d'alliance avec ces infideles, et leur donner des terres dans les montagnes qui separent l'Italie d'avec la Suisse, pour les opposer a Berenger son ennemi : de la des traces de ces Africains dans les vallees de Maurienne, de Tarentaise et du Faussigny ≫,
Francois-Emmanuel Fodere
,
Voyage aux Alpes Maritime
, Levrault, 1821, t.1,
p.
45
- ↑
a
et
b
Pierre Guichard
,
Al-Andalus : 711-1492 Une histoire de l'Espagne musulmanne
, Paris, Pluriel,
, 269
p.
(
ISBN
978-2-8185-0191-7
)
,
p.
86
- ↑
≪
L'expulsion des Sarrasins de Provence
≫, sur
pays-d-azur.hautetfort.com
(consulte le
)
- ↑
≪
Conferences sur l'archeologie. Des Sarrasins en Provence : representations ecclesiales et luttes pour l'hegemonie en Mediterranee du
10
e
au
13
e
siecle | Inrap
≫,
Inrap
,
(
lire en ligne
, consulte le
)
- ↑
https://www.lagardefreinet-tourisme.com/images/guidefortfreinet.pdf
- Philippe Senac
,
Musulmans et Sarrasins dans le sud de la Gaule du
VIII
e
au
XI
e
siecle
, Sycomore, 1980
- Philippe Senac
, ≪ Les Musulmans en Provence au
X
e
siecle ≫ dans
Histoire de l'Islam et des musulmans en France du Moyen Age a nos jours
, sous la dir. de
Mohammed Arkoun
, Albin Michel, 2006
- Jacques Dalmon
,
La Garde En Freinet
, Universud, 1994
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