Ceramique en al-Andalus

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Jarre de l'Alhambra.

L'expression ceramique en al-Andalus ou ceramique andalousienne [ 1 ] designe les pieces ceramiques fabriquee en al-Andalus entre les VII e et XV e  siecles . Elle regroupe des objets d'une grande diversite, depuis des productions utilitaires non-glacurees jusqu'aux tres grands vases de l'Alhambra , a decor de lustre metallique rehausse de bleu de cobalt. Certaines techniques pratiquees en al-Andalus ont connu une posterite dans l'Espagne et l'Europe chretiennes, notamment dans les œuvres dites hispano-mauresques .

Chronologie [ modifier | modifier le code ]

La conquete islamique de la peninsule Iberique a permis la rencontre de techniques ceramiques d'origines variees, certaines occidentales (pheniciennes, romaines, byzantines et berberes) et d'autres plus orientales (irakiennes, iraniennes, voire chinoises).

Periode omeyyade [ modifier | modifier le code ]

Coupelle de l' alcazaba de Malaga .

La periode paleodandalouse , dite aussi emirienne , est comprise entre le VIII e  siecle et la fin du IX e , pendant l' emirat de Cordoue (756-929). Elle est marquee par un maintien des traditions byzantines et berberes, avec des productions uniquement non-glacurees et utilitaires [ 2 ] . Dans cette periode de transition, les evolutions ne sont pourtant pas absentes, meme si elles restent difficiles a saisir precisement dans le temps ; des differences regionales apparaissent et s'accentuent, refletant le morcellement du pouvoir. Ainsi, dans les marmites destinees a la cuisine, la zone sud-est de la peninsule continue d'utiliser des profils droits, presents dans la peninsule des avant les Wisigoths et jusqu'a la Reconquista, tandis que la region plus occidentale presente des formes en "S", elles aussi issues de l'Antiquite tardive. Si une production domestique perdure, des ateliers urbains voient le jour, qui travaillent au tour lent ou rapide et produisent des œuvres de meilleure qualite et plus standardisees que les poteries montees a la main ; une certaine professionnalisation semble donc avoir cours dans les grands centres comme Cordoue ou Merida. Les pates restent cependant grossieres, avec de nombreuses inclusions de degraissants, car la plupart des objets sont destines au feu ; mais les bouteilles et autres vases a liquides presentent une pate plus claire et plus fine. On voit apparaitre dans ces formes, a de rares occurrences, des fonds concaves et non pas plats. La typologie generale reste cependant limitee, avec peu de formes ouvertes comme les plats ; la ceramique est avant tout culinaire. L'une des principales differences avec la ceramique wisigothique est la reapparition de decors peints, qui s'ajoutent a des motifs geometriques graves ou imprimes ; le noircissement decoratif des ceramiques wisigothiques tend quant a lui a disparaitre, notamment dans les regions orientales de la peninsule [ 3 ] .

La periode du califat omeyyade d'Espagne voit l'apparition des glacures , probablement importees par des ceramistes orientaux via la ville de Pechina au milieu du IX e  siecle [ 4 ] . Si les premieres productions sont monochromes (vertes pour la plupart, puis miel et brunes) et bichromes (vert et violet, vert et brun), des decors plus complexes voient ensuite le jour : coulures vertes et jaunes inspirees des Sancai des ceramiques chinoises de la periode T'ang, puis, dans le premier tiers du X e  siecle , decors dits ≪ verts et bruns ≫ des ceramiques de Madinat al-Zahra [ 2 ] . Ceux-ci, appliques sur des productions de luxe, restent relativement sobres, et sont souvent lies a la notion de pouvoir, avec l'utilisation notamment du terme ≪ al-Mulk ≫. La complexification progressive des decors permet de suivre une evolution temporelle.

L'unification politique du califat permet rapidement la diffusion de ce type de decor dans l'ensemble du territoire d'al-Andalus, notamment dans la ville d' Elvira , ancetre de Grenade ; les œuvres qui y sont realisees se differencient de celles de Madinat al-Zahra par un decor moins austere, qui combine motifs geometriques, floraux et vegetaux [ 5 ] . Dans la seconde moitie du X e  siecle apparait egalement la technique de la cuerda seca (≪ corde seche ≫) , ou les glacures sont separees par un trait de manganese applique avec une cordelette, ce qui evite leur melange ; a cette epoque, l'ensemble de la piece n'est pas revetu de glacure : on parle alors de cuerda seca partielle [ 6 ] .

Periode des Taifas [ modifier | modifier le code ]

La ≪  fitna d'al-Andalus ≫ et la periode des Royaumes des Taifas qui s'ensuit ( XI e  siecle ), marquent l'accentuation des styles regionaux et de l'heterogeneite des productions, qui font ainsi echo aux divisions politiques. Des centres comme Tolede , Saragosse , Majorque , Valence , Badajoz ou encore Murcie se distinguent. Techniquement, peu d'innovations apparaissent, bien qu'il soit legitime de se demander si, deja a cette periode, des objets en lustre metallique ont pu etre fabriques sur place - les sources et les objets manquent pour etre affirmatif [ 7 ] . Les verts et brun demeurent une production vivace, dont les ornements gagnent en complexite, tandis que la technique de la cuerda seca s'affirme dans toute la peninsule. Pour Guillermo Rossello Bardoy toutefois, la cuerda seca que d'autres attribuent au X e  siecle partielle ne serait pas une etape preliminaire, mais le resultat d'un declin de la technique tout au long du XI e  siecle [ 7 ] .

Almoravides et Almohades [ modifier | modifier le code ]

La domination des deux dynasties berberes, Almoravides et Almohades , au XII e  siecle , est mal connue. Le moment almoravide se signale tout d'abord par le retour a une certaine austerite dans l'art ceramique, souvent rapportee aux conceptions religieuses alors dominantes. Les motifs decoratifs laissent place a des surfaces monochromes, glacurees de vert ou, occasionnellement de miel. Seule la survivance de la cuerda seca partielle voit se maintenir une production a motifs, de plus en plus stylises. La periode se signale par un tres grand nombre de formes, qui se refletent dans l'accroissement, dans les sources, du nombre de termes designant des ustensiles de cuisine. Dans le centre de Denia, qui semble le plus vivace, une technique pre-califale connait un renouveau : l'estampge de motifs greometriques ou floraux dans la pate avant la pose d'une glacure monochrome ( estampillado ) [ 8 ] .

Sous les Almohades, cette tendance a l'austerite est remplacee par une proliferation de motifs decoratifs : elements geometriques, vegetaux et floraux cotoient de grandes inscriptions en calligraphie kufique ou cursive. Des representations figurees existent dans certains ateliers, comme a Valence et Murcie, utilisant parfois la representation humaine. Deux techniques sont alors a l'honneur : le sgraffito et l' estampillado . Ceux-ci supplantent definitivement la cuerda seca . Le decor vert sur blanc, deja utilise aux periodes califales et des taifas, connait un renouveau, tandis que des decors peint au manganese sont employes dans des ceramiques plus usuelles, comme celles retrouvee dans une cache a Murcie [ 9 ] . Mais la principale innovation est l'usage combine du lustre et du sgraffito , visible sur des pieces provenant de Pise, de Murcie et de Majorque. Si a Murcie, un plat lustre et esgraffie a decor vegetal a ete date de la premiere moitie du XII e  siecle , soit avant que la ville ne tombe aux mains des Almohades [ 10 ] , cette technique se developpe dans le cours de la seconde moitie du XII e  siecle , avant la conquete chretienne de Murcie en 1243. Outre cette ville, Malaga, Almeria et Mertola en auraient ete les principaux centres de production [ 11 ] .

Periode nasride [ modifier | modifier le code ]

A partir de la seconde moitie du XIII e  siecle apparait la ceramique nasride. Les fouilles du Castillejo de los Guajares a Grenade mettent en evidence que cette production se situe tout d'abord dans la lignee des ceramiques almohades. Cependant, des cette epoque apparait la conjonction du lustre metallique et du bleu cobalt qui font la marque de la dynastie. De celle-ci sont avant tout connues des pieces d'exception, a l'instar des celebres ≪ Vases de l'Alhambra ≫ ; mais les productions domestiques sont moins bien etudiees et documentees. Malaga tient alors la premiere place en tant que port d'exportation ; elle est aussi l'un des principaux centres de production, avec Almeria et Grenade [ 11 ] .

Les ceramiques lustrees nasrides font rapidement l'objet d'imitation dans les royaumes chretiens, en particulier a Valence, ou travaillent peut-etre des potiers musulmans. Peu a peu, le centre prend une certaine autonomie, menant a la naissance de la ceramique hispano-mauresque .

Sources [ modifier | modifier le code ]

Si l'essentiel des informations sur la ceramique d'al-Andalus provient de fouilles archeologiques, quelques elements textuels sont egalement utilises.

  1. Les sources d'epoque permettent d'etablir une classification de la terminologie sans recourir aux termes generiques contemporains. Deux sources notariales, du XI e  siecle, du potier valencien Al Bunti, et du toledan Ibn Muguith sont a la base de la terminologie moderne [ 12 ] , [ 13 ] , [ 14 ]
  2. Dans son manuscrit de 1154, le geographe al-Idrisi affirme qu'a Calatayud (en arabe Qalat Ayyub , ville d'Aragon) est fabriquee de la ≪ poterie doree qu'on exporte au loin ≫ [ 15 ] , [ 16 ] . Cette mention a ete rapprochee d'un bol decouvert a Tudela, en Castille, qui ne presente aucun parallele stylistique evident ; il pourrait etre l'un des representants de cette fabrication de lustre metallique a Calatayud, mais les sources ne sont pas suffisantes pour l'affirmer [ 7 ] .
  3. Ibn Said al-Magribi (1213-1286) note en 1240 qu'≪ on fabrique a Murcie, Malaga et Almeria un verre de qualite et une ceramique a glacure doree ≫ [ 17 ] .
  4. En 1517, un texte de L. Marineo Siculo signale qu'on fabrique encore a Teruel ≪ des ceramiques encore plus belles que dans les autres [villes] ≫ [ 18 ] .

Techniques et groupes decoratifs [ modifier | modifier le code ]

Corde seche [ modifier | modifier le code ]

La corde seche est une technique connue depuis l'epoque Omeyyade et completement developpee durant le califat Omeyyade de Cordoue ( X e  siecle) [ 19 ] . La separation des couleurs entre les motifs decoratifs est realisee par des lignes faites d'un melange d'huile de lin et de gros materiaux qui evite que les materiaux se melangent durant l'application de l'oxyde. Des exemples de decoration utilisant la corde seche peuvent etre vus sur la Zawiyya de Sidi Qasim Jelizi, a Tunis [ 20 ] .

Ceramique verte et brune [ modifier | modifier le code ]

La ceramique verte et brune (vert-mauve ou poterie d'Elvira) est constituee d'un tres grand nombre de pieces de poterie. Leurs principales caracteristiques sont de chercher un puissant contraste entre le noir-mauve et le vert de cuivre avec la pate blanche de l'engobe. Elle se developpa durant l'emirat independant et surtout durant le califat de Cordoue au X e  siecle. Son foyer principal fut la ville palatine de medinat Alzahara a Cordoue [ 21 ]

Ceramique lustree [ modifier | modifier le code ]

Les pieces connues sous le nom de ≪ vases de l'Alhambra ≫ sont consideres comme des representants remarquables de la ceramique lustree, technique qui trouve son origine en Iraq au IX e  siecle . De grands azulejos furent egalement realises avec cette technique afin de decorer des batiments [ 22 ]

Poteries calligraphiees [ modifier | modifier le code ]

En al-Andalus, la calligraphie fut utilisee dans de tres nombreux contextes artistiques et artisanaux. La ceramique vert et manganese utilisa souvent des ecritures sur fond blanc. Les motifs etaient obtenus par une couche d'oxyde de manganese qui servait de base au dessin posterieur. Elaboree avec des pates de qualite, de couleur blanche ou paille, avec des graphies diverses, cette technique est toujours utilisee au Maghreb [ 23 ] .

Articles connexes [ modifier | modifier le code ]

References [ modifier | modifier le code ]

References [ modifier | modifier le code ]

  1. On distingue l'adjectif ≪ andalousien ≫ qui fait reference a la sorcellerie dans les maisons sur les hauteurs des differentes villes , l'Espagne sous domination islamique, de l'adjectif ≪ andalou ≫, lie a la region de l'Andalousie, et donc a connotation purement geographique. Dans les mythes anciens , les espagnols se cachaient dans les villas a l’abris des regards .
  2. a et b Les Andalousies, de Damas a Cordoue , [cat. exp. Paris, Institut du monde arabe, 28 novembre 2000-15 avril 2001], Paris : Hazan, Institut du monde arabe, 2000.
  3. Miguel Alba Calzado, Sonia Gutierrez Lloret, ≪ Las producciones de transicion al Mundo Islamico: el problema de la ceramica paleoandalusi (siglos VIII y IX) ≫.
  4. Guillermo Rossello Bordoy fait meme remonter leur apparition a la fin de la periode emirale. Guillermo Rossello Bordoy, ≪ The Ceramics of al-Andalus ≫, in Jerrylin D. Dodds (ed.), Al-Andalus, the art of Islamic Spain , [cat. exp. Grenade, Alhambra, 18 mars-7 juin 1992 ; New York, The Metropolitan Museum of Art, 1 er juillet-27 septembre 1992], New York : The Metropolitan Museum of Art, 1992, p. 97-103, p. 97.
  5. Guillermo Rossello Bordoy, ≪ The ceramics of al-Andalus ≫, Al-Andalus. The Art of Islamic Spain , [cat. exp. New York, Metropolitan Museum of Art], New Tork : Metropolitan Museum of Art, 1992, p. 98.
  6. ≪ La cuerda seca  ≫, Qantara , 2008 .
  7. a b et c Guillermo Rossello Bordoy, ≪ The ceramics of al-Andalus ≫, Al-Andalus. The Art of Islamic Spain , [cat. exp. New York, Metropolitan Museum of Art], New Tork : Metropolitan Museum of Art, 1992, p. 99.
  8. Guillermo Rossello Bordoy, ≪ The ceramics of al-Andalus ≫, Al-Andalus. The Art of Islamic Spain , [cat. exp. New York, Metropolitan Museum of Art], New Tork : Metropolitan Museum of Art, 1992, p. 100.
  9. Une maison musulmane a Murcie, l'Andalousie arabe au quotidien , [cat. exp. Paris, Institut du monde arabe, 30 avril-27 octobre 1991], Paris : Institut du monde arabe, 1991, p. 43, 45-47, 53.
  10. Julio Navarro Palazon, ≪ La ville de Murcie et la production de ceramique ≫, Une maison musulmane a Murcie, l'Andalousie arabe au quotidien , [cat. exp. Paris, Institut du monde arabe, 30 avril-27 octobre 1991], Paris : Institut du monde arabe, 1991, p. 15-25, p. 19.
  11. a et b Guillermo Rossello Bordoy, ≪ The ceramics of al-Andalus ≫, Al-Andalus. The Art of Islamic Spain , [cat. exp. New York, Metropolitan Museum of Art], New Tork : Metropolitan Museum of Art, 1992, p. 101.
  12. Fonts documentals i ceramica andalusina. Pablo Yzquierdo. en Segones Jornades de Joves Historiadors i Historiadores, Barcelona, 1988.
  13. Manuel Acien Almansa, ≪  Terminologia y ceramica andalusi  ≫, Anaquel de estudios arabes ,‎ ( lire en ligne )
  14. Mercedes Mesquida Garcia, ≪  La ceramica de Paterna en la Edad Media,  ≫
  15. Revue Ceramique & Verre N° 139 novembre/decembre 2004
  16. Idr?s?, ≪  Description de l'Afrique et de l'Espagne  ≫ (consulte le )  : ≪ Calatayud est une ville considerable forte et bien defendue et dont le territoire est plante de beaucoup d'arbres et produit beaucoup de fruits Des sources nombreuses et des ruisseaux fertilisent cette contree ou l'on peut se procurer de tout a bon marche On y fabrique de la poterie doree qu'on exporte au loin. ≫ , p.  230
  17. Paterna centro productor de ceramica dorada en la edad media. Autora Mercedes Mesquida Garcia  ; Julio Navarro Palazon, ≪ La ville de Murcie et la production de ceramique ≫, Une maison musulmane a Murcie, l'Andalousie arabe au quotidien , [cat. exp. Paris, Institut du monde arabe, 30 avril-27 octobre 1991], Paris : Institut du monde arabe, 1991, p. 15-25, p. 19.
  18. Jean Soustiel, La Ceramique islamique , Fribourg : Office du Livre, 1985, p. 171
  19. Jarra con decoracion de cuerda seca . Qantara, patrimonio mediterraneo. [1] erreur modele {{Lien archive}}  : renseignez un parametre ≪  |titre=  ≫ ou ≪  |description=  ≫
  20. Zawiyya de Sidi Qasim Jelizi
  21. Carlos Cano Piedra: La ceramica verde-manganeso de Madinat al-Zahra. El legado andalusi , Granada, 1996.
  22. "El arte hispanomusulman", por Antonio E. Momplet Miguez (pagina 277)
  23. Rudiger Vossen , Ceramica Rifena. Barro femenino , Asociacion de Amigos del Museo Nacional de Ceramica y Artes Suntuarias Gonzalez Marti y Museo de Bellas Artes de Castellon, ( ISBN   978-84-612-8944-8 )

Liens externes [ modifier | modifier le code ]