Les
concertos brandebourgeois
(le titre original est en francais :
Six Concerts a plusieurs instruments
[
1
]
) sont un ensemble de six
concertos
de
Johann Sebastian Bach
(BWV 1046 a 1051) reunis en 1721, et qui comptent parmi les plus renommes qu'il ait composes. Le qualificatif ≪ brandebourgeois ≫ est du au musicologue
Philipp Spitta
, biographe de Bach en 1873, qui, suivant l'usage germanique, fait reference au dedicataire, le
margrave
Christian-Louis de Brandebourg-Schwedt
.
L'epoque est alors au conflit entre style italien,
concerto italien
et
suite francaise
. En dehors de la France, les compositeurs ne font pas de manieres et s'illustrent avec un talent egal dans les deux styles.
Le manuscrit de Berlin, date du
, porte une dedicace de la main de
Jean-Sebastien Bach
au margrave de Brandebourg. Il s'agit d'une
epitre
redigee en francais, qui etait la langue en vigueur a la cour de Berlin.
Six Concerts
Avec plusieurs Instruments.
Dediees
A Son Altesse Royalle
Monseigneur
CRETIEN LOUIS.
Marggraf de Brandenbourg &c. &c. &c:
par
Son tres-humble & tres obeissant Serviteur
Jean Sebastian Bach,
Maitre de Chapelle de S.A S. le
Prince regnant d’Anhalt-Coethen.
A Son Altesse Royalle
Monseigneur Cretien Louis
Marggraf de Brandenbourg &c.& c. &c.
Monseigneur
Comme j’eus il y a une couple d’annees, le bonheur de me faire entendre a Votre Altesse Royalle, en vertu de ses ordres, & que je remarquai alors, qu’Elle prennoit quelque plaisir aux petits talents que le Ciel m’a donnes pour la Musique, & qu’en prennant Conge de Votre Altesse Royalle, Elle voulut bien me faire l’honneur de me commander de Lui envoyer quelques pieces de ma Composition : j’ai donc selon ses tres gracieux ordres, pris la liberte de rendre mes tres-humbles devoirs a Votre Altesse Royalle, par les presents Concerts, que j’ai accommodes a plusieurs Instruments ; La priant tres-humblement de ne vouloir pas juger leur imperfection, a la rigueur du gout fin et delicat, que tout le monde scait qu’Elle a pour les pieces musicales ; mais de tirer plutot en benigne Consideration, le profond respect, & la tres-humble obeissance que je tache a Lui temoigner par la. Pour le reste, Monseigneur, je supplie tres humblement Votre Altesse Royalle, d’avoir la bonte de continuer ses bonnes graces envers moi, et d’etre persuadee que je n’ai rien tant a cœur, que de pouvoir etre employe en des occasions plus dignes d’Elle et de son service, moi qui suis avec un zele sans pareil
Monseigneur
De Votre Altesse Royalle
Le tres humble et tres obeissant serviteur
Jean Sebastien Bach. Coethen. d. 24 Mar 1721
Au debut de 1719, Bach se rend a Berlin dans le but originel d'acquerir, au nom de l'orchestre de Coethen, un grand clavecin aupres du facteur
Michael Mietke
. A cette occasion, il rencontre l'oncle du roi de Prusse et margrave de Brandebourg, devant lequel, si nous en croyons l'epitre dedicatoire, il se produit, quoique dans des circonstances et formation qui nous sont inconnues.
En plus d'etre le compositeur que l'on sait, Bach fut un fin virtuose et improvisateur reconnu, et sans doute le margrave, pour peu qu'il ait ete melomane, dut etre emerveille (sans quoi Bach n'eut pas pris le risque de rappeler a son commanditaire le
quelque plaisir
qu'il prit).
... Elle voulut bien me faire l'honneur de me commander de lui envoyer quelques pieces de ma Composition;
Cette phrase ne nous prouve pas que Bach ait ecrit aucun des six concertos specialement. Tout au contraire, les varietes de forme et d'orchestration des six concertos tendraient a nous faire pencher pour une compilation, et l'etude precise des partitions amene les musicologues a diagnostiquer une ecriture dans l'ordre suivant : 6 1 3 2 4 5, et qui s'etalerait entre 1718 et 1720 (Cothen 1717-1723, l'epoque, justement, des œuvres instrumentales). De plus, certaines pages dateraient de l'epoque de Weimar (1708-1717).
... par les presents Concerts, que j'ai accommodes a plusieurs Instruments.
Cette phrase de la dedicace nous invite a imaginer Bach "composant" ses concertos d'elements qu'il considerait comme excellents. Ainsi, le premier concerto est compose d'elements des cantates sacree BWV 52 et profane BWV 207, et se retrouve en grande partie dans la
Sinfonia
BWV 1071 et la version BWV 1046a ; le troisieme concerto d'elements de la cantate sacree BWV 174 et de la Pastorale BWV 590 ; le quatrieme concerto existe sous forme de concerto pour clavecin (BWV 1057).
Les six concertos sont d'une diversite etonnante, tant du point de vue de la structure formelle que de l'appareil instrumental. Mais surtout, aucun ne se rattache strictement a aucun style alors en vigueur : concerto grosso ou soliste, style francais ou italien, contrepoint austere ou virtuosite pure. Au contraire, les six concertos semblent faire une synthese de l'art musical de leur temps.
Sans doute serait-il excessif de faire de ce recueil le pendant "concertant" d'autres œuvres theoriques (
L'Art de la fugue
du meme Bach, par exemple). Toutefois, il n'est pas improbable que la motivation de Bach ait ete de presenter "
son
art du concerto", d'autant que le dedicataire est le
margrave
de Brandebourg, de la famille des
Hohenzollern
, oncle du
Prince-Electeur
de Brandebourg et "roi en Prusse" (l'un des sept princes allemands qui elisaient l'
Empereur du Saint-Empire Romain Germanique
). Une intention didactique du maitre ne saurait etre ecartee.
Cette impression est renforcee par le fait troublant suivant : le margrave de Brandebourg ne disposait pas de l'orchestre adequat (tout juste ses six musiciens auraient-ils pu interpreter les concertos 5 et 6, a condition bien sur qu'ils en eussent ete capables), et le manuscrit ne porte aucune trace d'utilisation.
Pour le reste, Monseigneur, je supplie tres humblement Votre Alteße Royalle, [..] d’etre persuadee que je n’ai rien tant a cœur, que de pouvoir etre employe en des occasions plus dignes d’Elle et de son service, moi qui suis avec un zele sans pareil
Enfin, 1721 est aussi l'annee du second mariage du prince
Leopold d'Anhalt-Cothen
, ami et protecteur du compositeur, avec cette nouvelle princesse que Bach nomma
eine Amusa
(sous-entendant par la qu'elle aurait ete insensible aux arts en general). Peut-etre Bach, alors en quete d'un nouvel emploi, s'est-il souvenu avec une pointe d'opportunisme de l'interet que le puissant margrave lui avait porte deux ans auparavant, et se rappelle-t-il donc a ses bons souvenirs en lui dediant le meilleur de son art concertant dans l'espoir d'un poste.
Jusque dans la variete de la forme, de l'ensemble instrumental et du style, qui sont a chaque fois differents, ces œuvres constituent un groupe unitaire. Elles forment une sorte de petite encyclopedie qui demontre les possibilites offertes au genre du concerto, dans son acception globale et universelle. Des styles et des modes s'y cotoient qui, souvent, contrastent les uns avec les autres et tirent leur origine tantot du style italien, tantot du style francais, tantot du style allemand.
Ainsi, les concertos 2 a 6 respectent-ils le schema typique du concerto italien ? vif-lent-vif ; les instruments a archet tiennent une place preponderante, autant dans le ripieno que dans le concertino ; l'ecriture est toujours virtuose ? pensez a la place de la trompette dans le deuxieme concerto, ou a la redoutable partie de clavecin du cinquieme.
Bach, toutefois, reste le maitre du
contrepoint
et on est tente d'imaginer que son ami
Telemann
pensait notamment a lui lorsqu'il parlait de ces collegues ≪ qui contrepointent a tire-larigot ≫. Ainsi, au contraire d'un Vivaldi dont on critiquait la faiblesse de l'ecriture contrapuntique, il s'attache a proposer une texture complexe et foisonnante.
- (sans indication de tempo)
- Adagio (re mineur)
- Allegro
- (1)
Menuet
(2) Trio I (2 hautbois et basson) (3)
Polonaise
(violons et altos) (4) Trio II (2 cors et 3 hautbois a l'unisson)
Accompagnement : violons I et II,
altos
,
violoncelle
et
basse continue
(
clavecin
et
violoncelle
).
- Le mouvement introductif ouvre, sous le nom de
Sinfonia
, la cantate sacree BWV 52.
- L'allegro (3), ajoute ulterieurement, est celui qui ouvre la cantate profane BWV 207.
- Le Trio II sera repris dans la
Ritornello
de la cantate profane BWV 207.
- Une version (BWV 1046a) existe de ce concerto qui ne comporte pas l'Allegro, la Polonaise, le deuxieme trio. Seuls les mouvements 1, 2, 4-1, 4-2 et 4-4 sont repris. C'etait naguere le BWV 1071.
Ce concerto est celui qui, des six, est ecrit dans le gout le plus
francais
avec son dernier mouvement a la forme d'une suite (francaise)
[
2
]
.
- (sans indication de tempo)
- Andante
- Allegro Assai
Solistes:
flute a bec
alto,
clarino
(une petite
trompette
baroque),
hautbois
,
violon
.
Accompagnement : violons I et II, altos,
violoncelle
et
basse continue
(
clavecin
et
violoncelle
).
Ce concerto reprend la forme du concerto grosso mais avec des modalites tout a fait nouvelles ; quatre instruments solistes combines de maniere inedite, refletant davantage les pratiques francaises qu'italiennes.
Le mouvement central exclut la trompette et l'orchestre ; seuls restent les trois solistes et le continuo.
Le dernier mouvement est une splendide fugue dans laquelle les quatre solistes et le continuo auront a enoncer le sujet.
Ensemble orchestral : 3 violons, 3 altos, 3 violoncelles et la Basse continue
Dans ce concerto, les cordes sont divisees en trois groupes qui dialoguent, un dialogue assez sobre dans le premier mouvement plus majestueux, et plus enleve dans le troisieme. La partition de l'adagio de ce concerto est une courte succession d'accords, une
cadence
.
Le mouvement introductif ouvre, sous le nom de
sinfonia
, la cantate sacree BWV 174. L'allegro final est inspire du quatrieme mouvement de la Pastorale BWV 590 (
Pastorella in F Dur
).
Solistes :
violon
,
flutes a bec
altos I et II
Accompagnement: violons I et II,
altos
,
violoncelle
et
basse continue
(
clavecin
et
violoncelle
).
Ce
concerto grosso
offre au violon solo une place preponderante. On retrouve cette ambiguite entre concerto grosso et concerto solo dans le concerto V. Ce concerto est de style neanmoins tres inspire du concert royal francais surtout dans le deuxieme mouvement, contrastant avec le troisieme mouvement du "
stylus Antiquus
" par sa forme fuguee.
Ce concerto existe sous forme de concerto pour clavecin (en fa majeur) BWV 1057.
Au point de vue technique, on peut noter le fait que la partie de violon soliste est l'une des plus difficiles ecrites par Bach et que ce dernier demande des fa # suraigus aux flutes a bec, alors que cette note est tres difficile sur cet instrument car devant etre jouee en bouchant le bout de la flute avec le genou.
- Allegro
- Affetuoso
- Allegro
Solistes :
clavecin
,
flute
,
violon
Accompagnement : violons I et II, altos,
violoncelle
et
basse continue
.
Une grande cadence virtuose dans l'allegro introductif, une presence continue dans toute l'œuvre : la presence de la flute et du violon dans le
concertino
soliste ne peut pas masquer que ce concerto est pour l'essentiel un concerto soliste pour clavecin, et ainsi historiquement le premier concerto pour clavier et orchestre.
Il existe une variante BWV 1050a
Ensemble orchestral : 2 violes "da braccio" (= 2 altos), 2 violes de gambe, un violoncelle et une basse continue.
Ce concerto se presente dans le style le plus ancien des six, archaisme corrobore par le fait que sa demarche polyphonique et contrapuntique se place comme l'antagonisme direct et le plus immediat de la stricte sonate d'eglise. Le prince Leopold lui-meme etait violiste amateur auquel la simplicite des parties de viole rendait l'œuvre sans doute accessible ? les deux parties d'alto et dans une moindre mesure celle de violoncelle sont notoirement ardues ; on sait de plus que Bach aimait jouer l'alto, ce qui nous invite a imaginer que ce concerto etait destine personnellement a Leopold et qu'ils le jouerent ensemble.
Les concertos brandebourgeois ont ete au cœur du renouveau baroque, des les annees 1950, avec
Karl Ristenpart
puis plus tard avec
Jean-Francois Paillard
. Dans les annees 1980, Nikolaus Harnoncourt et plusieurs chefs ont livre des versions sur ≪ instruments anciens ≫.
- Orchestre de chambre Jean-Francois Paillard
avec
Maurice Andre
,
Jean-Pierre Rampal
,
Pierre Pierlot
et
Gerard Jarry
en 1973 chez
Erato
. Il s'agit de l'enregistrement le plus vendu de l'histoire du disque
[
3
]
- Adolf Busch
Chamber Players, chez
EMI References
- Ensemble de Solistes, et
Orchestre symphonique de Pittsburgh
, dirige par
Fritz Reiner
, chez LYS
- I Musici
, chez
Philips Classics
- Orchestre de l'
Ecole normale de musique de Paris
, dirige par
Alfred Cortot
, chez Koch Historic
- The Academy of Ancient Music
,
Christopher Hogwood
, chez l'Oiseau-Lyre
- Orchestre philharmonique de Londres
, dirige par
Adrian Boult
, chez Disky/EMI
- Ensemble de Chambre de l'
Orchestre symphonique de Vienne
, dirige par
Jascha Horenstein
, chez Archiv/Vox Box
- Academy of St Martin-in-the-Fields
dirige par
Neville Marriner
, chez Philips
- English Chamber Orchestra
, dirige par
Benjamin Britten
, chez
Decca
- Il Giardino Armonico
, chez
Teldec
- Marlboro Festival Orchestra
, dirige par
Pablo Casals
, 1964, chez Sony Classical 2004
- Orchestre philharmonique de Berlin
, dirige par
Herbert Karajan
, 1965 chez
DG
- Philharmonia Orchestra
, dirige par
Otto Klemperer
, chez EMI
- Musica Antiqua Koln
, dirige par
Reinhard Goebel
, chez Archiv
- Orchestre de chambre de la Sarre
dirige par
Karl Ristenpart
, chez Accord
- The Bath Festival Orchestra dirige par
Yehudi Menuhin
, chez EMI
- L'
English Chamber Orchestra
dirige par
Raymond Leppard
, chez
Philips
- Concentus Musicus Wien
dirige par
Nikolaus Harnoncourt
, chez Teldec
- Oregon Festival Bach Chamber Orchestra
, dirige par
Helmuth Rilling
, chez
Hanssler
- The English Concert
dirige par
Trevor Pinnock
, chez Archiv
- Solistes de l'Orchestre du
Wiener Staatsoper
, dirige par
Hermann Scherchen
,
MCA Rec.
- Le Concert des Nations
, chez Alia Vox
- Concerto Italiano
,
Rinaldo Alessandrini
, chez Naive
- Cafe Zimmermann
(
Concerts avec plusieurs instruments
), chez Alpha
- Ars Rediviva
, chez Supraphon
- Musica Florea, chez Supraphon
- Combattimento Consort Amsterdam
, dirige par Jan Willem de Vriend, chez Pony Canyon
- European Brandenbourg Ensemble
, 2007, chez AVIE
- Orchestre Bach de Munich
, sous la direction de
Karl Richter
, (solistes:
Pierre Thibaud
,
Hans-Martin Linde
(
flute a bec
), Manfred Clement (
hautbois
),
Hansheinz Schneeberger
,
Hedwig Bilgram
,
Aurele Nicolet
,
Adolf Scherbaum
, Karl Richter), 1961 et 1968, chez
DG
- Akademie Fur Alte Musik
Berlin,
Isabelle Faust
,
Antoine Tamestit
, chez
Harmonia Mundi
, 2021
[
4
]
font partie des meilleures versions disponibles.
- ↑
Johann Sebastian Bach's Werke, vol.19: Kammermusik, dritter band, Bach-Gesellschaft, Leipzig; ed. Wilhelm Rust, 1871
- ↑
≪ L'
Orchestre regional de Cannes-Provence-Alpes-Cote d’Azur
joue l'integrale des concertos brandebourgeois de
Johann Sebastian Bach
≫, video de la repetition du concerto
n
o
1 BWV 1046 en fa majeur et interview par Christophe Cornubert, pour Concertclassic.com, d'
Arie van Beek
, chef invite, et des solistes de l'orchestre : Min Suck Huh (violon), Nicolas Favreau (basson), Florent Bontron (flute), Denis Tomba (trompette),
vimeo.com
- ↑
SNEP
- ↑
≪
Troisieme Concerto Brandebourgeois de Bach
≫, sur
Radio France
(consulte le
)
.
- Alberto Basso
,
Redecouvrir Jean Sebastien Bach : La fusion des styles nationaux, La synthese entre l'Ancien et le Moderne, Vers l'abstraction absolue
, edite chez Harmonia Mundi France, coll. ≪ Passerelles ≫, 1997
(
EAN
0794881401123
)
(
BNF
38405234
)
.