Portrait photographique de Michelstaedter (Date inconnue)
Naissance
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Deces
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Nationalite
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Austro-hongrois
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Œuvres principales
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La persuasion et la rhetorique
(1910)
Dialogue de la sante
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Celebre pour
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son memoire
La persuasion et la rhetorique
et son suicide subsequent
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Fratrie
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Paula Michelstaedter
(
d
)
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Carlo Michelstaedter
(
Goritz
,
? Goritz,
) est un
philosophe
et
dessinateur
austro-hongrois
. Il est surtout connu pour son memoire
La persuasion et la rhetorique
redige en 1910.
Carlo Michelstaedter est ne en
1887
a
Goritz
. Cette ville aujourd’hui situee sur la frontiere
italo
-
slovene
appartenait alors a l'
Empire austro-hongrois
, et sa position de frontiere devait a plus d'un titre marquer la vie du
philosophe
. Ainsi, sujet
autrichien
, il est neanmoins, selon les criteres de l'empire, Italien de nationalite et
Israelite
de confession. Ces identites et ces traditions ont contribue a former une personnalite complexe qui ne se reclamera d'aucune d'entre elles.
Des quatre enfants d'Alberto Michelstaedter et d'Emma Luzzatto, Carlo est le benjamin. Il eut une enfance plutot heureuse, dans une famille assez aisee. Son pere, bourgeois moyen, descend d’une famille anciennement originaire de
Michelstadt
, pres de
Darmstadt
en
Allemagne
, et installee depuis le
XVIII
e
siecle
dans la paisible
Goritz
. Il est autodidacte, directeur de la filiale a Goritz de l'agence d’assurance triestine
Assicurazioni Generali S.P.A.
. C'est un notable apprecie des cercles cultives et un bibliomane doue d'une excellente memoire. On lit
Pirandello
dans toute la famille, ainsi que
Dante
et
D’Annunzio
. Dans la biographie consacree a son frere, Paula, sa sœur la plus proche, brosse un portrait affectueux d'un homme tres attache a ses enfants.
Agnostique
,
irredentiste
, il est le representant typique d’une
bourgeoisie
juive eclairee, prospere et totalement integree. Emma, quant a elle, est issue d’une famille etablie de plus longue date dans le
Frioul
et la
Venetie julienne
. Moins extravertie, elle semble nourrir pour Carlo une relation passionnee et instable, lui reprochant souvent injustement son ingratitude malgre l'abondante correspondance qu'il entretient avec elle. Cette relation difficile a pour beaucoup ete determinante dans le destin de Michelstaedter.
Carlo effectue ses etudes secondaires au
Stadtsgymnasium
de Goritz, ou l’on enseigne en
allemand
. Il y fait la connaissance d'Enrico Mreule et de Giovanni (Nino) Paternolli, qui seront les deux protagonistes du
Dialogue de la sante
. Recu au baccalaureat en
1905
, il s’inscrit a la faculte de mathematiques de
Vienne
, mais obtient des octobre de son pere la permission de se forger une culture artistique en parcourant la
Toscane
. Il se fixe en fait a
Florence
, ou il s'inscrit a la Faculte des Lettres (
Istituto di Studi Superiori)
.
Le sejour a Florence est l'occasion d'autres rencontres : Carlo se lie d'amitie avec Gaetano Chiavacci et Vladimir Arangio-Ruiz, qui seront ses premiers editeurs. Il se fond dans la vie culturelle intense de Florence, dont nous avons le temoignage par ses nombreuses lettres adressees a sa famille et a ses amis, il decouvre le theatre d'
Ibsen
et
Tolstoi
et fonde une revue ephemere avec des camarades,
Gaudeamus igitur
, dont il dessine les caricatures. L'universite semble en revanche lui inspirer une certaine aversion, et ses professeurs blases, l'
hegelianisme
bon teint qui y regne, constitueront a ses yeux le modele du savoir
rhetorique
.
A partir de
1906
, Carlo frequente une jeune femme russe divorcee, Nadia Baraden, qu'il semble avoir delaissee au debut de l'annee
1907
pour une condisciple de l'universite, Iolanda de Blasi. En avril, Nadia se suicide, tandis que son projet de fiancailles avec Iolanda fait l'objet d'une tres dure opposition de la famille. Par la suite, Argia Cassini, sa derniere liaison notoire, en
1908
, sera une figure centrale de sa
poesie
.
L'annee 1908 ouvre la periode de maturite de Michelstaedter, qui ira s'intensifiant jusqu'a la frenesie. On peut affirmer qu’a partir de cette date, le cœur de sa philosophie est fixe. Carlo commence a publier quelques comptes rendus de pieces dans le
Corriere friulano
, et prepare en 1909 sa
tesi di laurea
, equivalent d'un memoire de
DEA
, sur ≪ Les concepts de
persuasion
et de
rhetorique
chez
Platon
et
Aristote
≫. Il quitte Florence en juin et rejoint Goritz pour en entreprendre la redaction, qui durera un an et demi. C'est au cours de cette periode qu'il produira la quasi-totalite de ses travaux, poemes et dessins, le tout gravitant autour d’un memoire dont les proportions depasseront largement ses exigences initiales.
A sa febrilite obsessionnelle qui va grandissant s'ajoutent des evenements tragiques. En fevrier 1909, Gino, son frere aine de dix ans qu'il avait ≪ redecouvert ≫ fugitivement en 1905, se suicide a
New York
. Il dessinera et construira sa tombe, a present voisine de la sienne. En octobre, l'ami d’enfance qui constitue pour lui le modele du persuade, Enrico Mreule, s’embarque soudainement pour l'
Argentine
, accomplissant le reve d’une vie nouvelle que Carlo ne cessera de caresser. L'autre ami d’enfance, Nino, ayant rejoint l’universite a Vienne, Carlo se trouve a present seul avec son travail. Durant l’annee 1909-1910, il s'occupe des etudes de son cousin Emilio, qui a du quitter l’ecole pour des raisons de sante, et auquel il dediera le
Dialogue de la sante
.
Le
, Michelstaedter envoie a Florence son memoire, sans les
Appendices critiques
qu'il terminera le 16 octobre. Le
17 octobre
, apres un conflit avec sa mere, qui l’accuse une fois de plus d’ingratitude malgre le tableau qu'il venait de faire d'elle, Carlo Michelstaedter se tire une balle dans la tete. Il est enterre dans le
cimetiere juif
de Goritz, aujourd’hui situe en
Slovenie
.
Il nous reste de Michelstaedter un grand nombre de dessins, caricatures et portraits, d'une grande qualite expressive, des œuvres poetiques d'un interet assez inegal, et ses travaux philosophiques. Ceux-ci sont constitues d’une part de
La persuasion et la rhetorique
, accompagnee de ses
Appendices critiques
, et d'autre part de dialogues philosophiques courts ou inacheves, excepte le
Dialogue de la sante
, ainsi qu’une quantite impressionnante d'ecrits posthumes divers qui seront integres sous le nom de
Scritti vari
(
Ecrits varies
) dans l'edition complete de 1958.
La premiere publication de Carlo Michelstaedter date de
1912
, date a laquelle Vladimir Arangio-Ruiz a fait paraitre les poemes ainsi que le
Dialogue de la sante
. En 1913, c’est le tour de
La persuasion et la rhetorique
, sans les
Appendices
. Ces deux parties seront reunies en 1922, dans l’edition dirigee par Emilio Michelstaedter, accompagnees du
Point d’appui privilegie de la dialectique socratique
. Les œuvres completes de Michelstaedter seront publiees en 1958 par G. Chiavacci, sous le titre d’
Opere
(
Œuvres
).
Quelques ecrits mineurs, tels que les
Scritti scolastici
(
Ecrits scolaires
) feront l’objet d’une parution au sein de commentaires. Enfin, la tres abondante correspondance (
Epistolario
) sera publiee en 1983 aux editions Adelphi, dans le cadre d’une edition critique complete a ce jour inachevee et dirigee par Sergio Campailla.
Pour situer Michelstaedter, on parlera plus de famille ou meme de posture que d'ecole ou de courant. C'est en effet le propre de certains philosophes que d'avoir mis au cœur meme de leur pensee le rejet de toute historicite et de toute appartenance, ce qui nous engage a tenter d'en cerner le contexte en des termes philosophiques plutot qu'historiques.
Michelstaedter est en effet ce qu'il est convenu d'appeler un penseur inactuel. En se tirant une balle dans la tete des le moment qu'il avait termine son ouvrage, Michelstaedter a scelle cette posture : le livre d'un suicide est toujours, de quelque facon, inactuel puisqu'il est de quelqu'un que l'acte d'ecrire a conduit a faire cesser le cours du temps.
Ce souci de detachement s'accompagne bien souvent, et le paradoxe n'est qu'apparent, de la volonte marquee par l'auteur de s'inscrire dans une tradition qui dedouble celle qui s'est construite par l'histoire. On trouve chez
Nietzsche
ce desir de s'entourer d'une famille choisie et cette etrange idee d'un lien secret, d'une accointance profonde entre des individus tres eloignes dans l'espace et dans le temps. Dans la preface de
La persuasion et la rhetorique
, Michelstaedter enumere les elements de cette tradition cachee en ces termes :
≪ Parmenide, Heraclite, Empedocle le dirent aux Grecs, mais Aristote les traita de naturalistes inexperts ; Socrate le dit, mais on edifia sur ses propos 4 systemes. L'Ecclesiaste le dit mais ils le traiterent et l'expliquerent comme un livre sacre qui des lors ne pouvait rien dire qui fut en contradiction avec l'optimisme de la Bible ; le Christ le dit et on batit sur ses paroles une Eglise. Eschyle et Sophocle et Simonide le dirent, et Petrarque le proclama triomphalement aux Italiens, Leopardi le repeta avec douleur ? mais les hommes leur furent reconnaissants de ces beaux vers, et s'en firent des genres litteraires. Si a notre epoque les creatures d'Ibsen l'incarnent sur toutes les scenes, les hommes ≪ se divertissent ≫ en ecoutant, parmi tant d'autres, ces histoires ≪ exceptionnelles ≫ et les critiques parlent de
≪ symbolisme ≫ ; et si Beethoven le chante si bien qu'il emeut le cœur de chacun, chacun utilise ensuite l'emotion a ses fins propres ? et au fond... c'est une question de contrepoint
[
1
]
. ≫
Cette citation suggere une tradition qui se transmet par sauts au lieu d'une elaboration progressive ; elle introduit en outre l'idee d'un conflit entre cette tradition et le courant principal de la philosophie, ou mieux, d'une incessante trahison des hommes a l'egard du genre d'hommes parmi lesquels Michelstaedter se range lui-meme. La philosophie de Michelstaedter apparait a ses propres yeux comme comparable a la resurgence d'une source souterraine, et dont d'ailleurs l'expression ne lui appartient pas en propre.
La pensee de Michelstaedter n'est donc pas celle d'un auteur, ou se presente comme ne l'etant pas, et par la meme elle ne se donne pas de commencement. Pensee heritiere, sa philosophie se veut donc davantage une pratique qu'une meditation. Elle est une pensee, non un parcours ou une demarche : ce qui signifie qu'elle n'a ni point de depart ni point d'arrivee determines car ce n'est que ≪ lorsqu'une chose, pour etre dite, ne possede pas en soi la raison [qu'] il faut lui imaginer une cause occasionnelle en vertu de laquelle, une fois dite, elle paraisse raisonnable
[
2
]
≫. La progressivite de la pensee est donc abandonnee au nom d'une tres grande homogeneite qui constitue l'aspect le plus caracteristique de la philosophie de Michelstaedter : celle-ci est en effet tout entiere traversee par une seule perspective, un seul angle de perception, la preoccupation ethique. Quelle que soit la problematique que Michelstaedter aborde, elle est toujours mise au service de la question : ≪ Τ? το?το ποιε?? ; ce que tu fais, a l'instar de quoi le fais-tu
[
3
]
? ≫, et c'est le trait qui le distingue le plus manifestement d'un
Schopenhauer
ou d'un Nietzsche ; c'est aussi sa ligne d'attaque a l'egard de
Croce
et, par-dessus lui, de Hegel, qui se voit essentiellement reproche son optimisme ; enfin c'est ce qui a conduit bon nombre de critiques a le rapprocher de
Kierkegaard
, avec qui il partage en particulier le gout de l'imprecation, et l'appel a un salut qui mobilise toute l'existence de celui qui s'y engage, quoiqu'il n'ait rien a y gagner.
Mais l'horizon de Michelstaedter est resolument
ethique
, non
moral
. C'est la raison seule qui se trouve au principe de la ≪ vie bonne ≫, il n'y a dans cette pensee aucun
messianisme
. Cette exigence ethique, parce qu'elle place la raison en son centre, peut rendre problematique le fait de ranger Michelstaedter parmi les
existentialistes
, bien qu'il s'agisse avant tout d'une philosophie de l'existence. Selon Licia Semeraro, ≪
La persuasion et la rhetorique
peut etre, en realite, consideree comme une meditation sur les possibilites existentielles de l'homme
[
4
]
≫, c'est-a-dire comme un existentialisme qui ne pense pas l'existence en termes de liberte, mais de possibilites, donc un existentialisme foncierement
nihiliste
, ≪ une
phenomenologie
de limites et de negations
[citation necessaire]
≫.
Sur les autres projets Wikimedia :
Cette liste n'inclut que ceux de ses ouvrages etant parus en francais.
En 1991 l'ecrivain italien
Claudio Magris
consacre un court roman a la figure de Carlo Michelstaedter :
Une autre mer
. La pensee de ce dernier est rapportee par son ami Enrico Mreule dont la vie est bouleversee par la mort du philosophe.
- Jacques
Beaudry
,
Le tombeau de Carlo Michelstaedter
, Montreal,
Liber
,
,
1
re
ed.
, 153
p.
(
ISBN
978-2-89578-202-5
,
presentation en ligne
)
- Massimo Cacciari
,
DRAN. Meridiens de la decision dans la pensee contemporaine
, Combas, L'eclat, 1992
version lyber
- Julius Evola
,
Explorations. Hommes et Problemes, article "Carlo Michelstaedter"
, Editions Pardes, 1989
- Patricia Farazzi
, ≪Kaddish pour Carlo Michelstaedter≫, in
Pardes
14, 1991
- Patricia Farazzi,
La Vie obscure
[1]
, Paris, Editions de l'eclat, 1999
- Patricia Farazzi,
Un Crime parfait
, Paris, Editions de l’eclat, 2015.
- Guy Petitdemange, ≪Michelstaedter: Le defi de la metaphysique≫,
Archives de Philosophie
, 57-1, janvier-mars 1994,
p.
127-134
.
- Mathieu Terence
,
Presence d'esprit
, Paris, Editions Stock, 2010.
- ↑
Michelstaedter,
La persuasion et la rhetorique
, pp. 37-38
- ↑
Michelstaedter,
Appendices critiques
, IV,
p.
154
- ↑
Michelstaedter,
La persuasion et la rhetorique
,
p.
67
- ↑
Semeraro,
Lo svuotamento del futuro
,
p.
45