Anne Robert Jacques Turgot,
baron de l’Aulne
Anne Robert Jacques Turgot (ecole francaise, chateau de Versailles).
Biographie
Naissance
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Formation
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Activites
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Autres informations
Membre de
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Distinctions
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Anne Robert Jacques Turgot, baron de l'Aulne
[
note 1
]
[
note 2
]
, souvent appele
Turgot
, ne le
a
Paris
et mort le
, est un
homme politique
et
economiste
francais
. Partisan des theories liberales de
Quesnay
et de
Gournay
, il est nomme
secretaire d’Etat a la Marine
, puis
controleur general des finances
du roi
Louis
XVI
. Neanmoins, ses mesures pour tenter de reduire dans le long terme la dette nationale et ameliorer la vie du peuple n'ont pas porte leur fruit, et furent revoquees par son successeur, le baron
Jean Clugny de Nuits
.
Les commentateurs decrivent Turgot comme un homme simple, honorable et droit, passionne de justice et de verite, un idealiste, ou
≪ un doctrinaire ≫
; les termes
≪ droits naturels ≫
ou
≪ loi naturelle ≫
se trouvent frequemment sous sa plume. Ses amis parlent de son charme et de sa gaiete dans les relations intimes, tandis qu’entoure d’etrangers, silencieux et maladroit, il donne une impression de reserve et de dedain. Ainsi ses amis comme ses ennemis s’accordent sur un point : sa brusquerie et son manque de tact dans les relations humaines ;
August Oncken
(de)
[
2
]
releve et souligne le ton de ≪ maitre d’ecole ≫ de sa correspondance, meme avec le roi.
Il est le plus jeune fils de
Michel-Etienne Turgot
,
prevot des marchands de Paris
, et de Madeleine Francoise Martineau de Bretignolles. Sa famille vient de
Normandie
. Le patronyme Turgot viendrait de
Thor-God
(Dieu Thor)
[
3
]
. Son grand-pere paternel Jacques-Etienne a ete intendant successivement a
Metz
,
Tours
et
Moulins
. Son pere Michel-Etienne a ete prevot des marchands de Paris, un poste important ou il est en contact tant avec le lieutenant general de police qu'avec l'intendant de la generalite de Paris ou avec le ministre charge de l'ordre public
[
3
]
. Son frere aine, Michel-Jacques, est magistrat au parlement de Paris ; le second, Etienne-Francois, fait une carriere dans l'armee et sa sœur epouse le duc de Beauvillier de Saint-Aignan
[
4
]
.
Fils cadet, Jacques Turgot est destine a entrer dans les ordres. Jeune, il a un precepteur qui ne lui impose rien. La lecture le passionne et il observe ; surtout, il est dote d'une bonne memoire. A dix ans, il entre au college du Plessis, puis etudie
≪ la philosophie de Locke et la physique de Newton ≫
au
college de Bourgogne
[
4
]
. S'il etudie les auteurs classiques, il lit egalement des auteurs plus recents tels que
Fenelon
et
Voltaire
.
Il commence les etudes de theologie en 1746 a la
Sorbonne
et devient bachelier en 1747. Trop jeune pour entamer une licence de theologie, il passe un an au
seminaire de Saint-Sulpice
ou il etudie les œuvres de
Descartes
,
Spinoza
, Maupertuis et Buffon. C'est surtout
John Locke
qu'il loue pour etre le premier a nous avoir appris
≪ que les idees viennent des sens ≫
[
5
]
. En 1749, il integre
≪ la maison de Sorbonne, annexe de la faculte de theologie ≫
, qui accueille des membres du clerge et douze bacheliers. Nombre de ces bacheliers occupent plus tard des postes importants, comme
Lomenie de Brienne
, qui est cardinal et controleur general des finances. Il s’appelle alors l'abbe de
Brucourt
. Il remet deux dissertations
latines
remarquees,
Les avantages que la religion chretienne a apportes a l'espece humaine
, et sur
L'Histoire du progres dans l'esprit humain
.
Le premier signe de son interet pour l'
economie
est une lettre de 1749 sur le billet de banque, ecrite a son camarade l'abbe de
Cice
, et refutant la defense par l'abbe
Terrasson
du
systeme de Law
. Il se passionne pour la poesie et tente d'introduire dans la poetique francaise les regles de la
prosodie
latine
. Sa traduction du quatrieme livre de l’
Eneide
est accueillie par
Voltaire
comme la seule traduction en prose ou il ait trouve le moindre enthousiasme.
En 1750, il decide de ne pas entrer dans les ordres et s'en justifie, selon
Dupont de Nemours
, en disant qu'il ne peut porter un masque toute sa vie. En 1752, il devient substitut, et plus tard conseiller au
Parlement de Paris
, et, en 1753,
maitre des requetes
. En 1754, il fait partie de la chambre royale qui siege pendant un exil du Parlement.
En 1755 et 1756, il accompagne
Gournay
, alors
intendant du commerce
, dans ses tournees d'inspection dans les provinces, et en 1760, pendant qu'il voyage dans l'est de la France et en
Suisse
, il rend visite a Voltaire, avec qui il se lie d'amitie. A Paris, il frequente les
salons
, en particulier ceux de
Francoise de Graffigny
? dont on suppose qu'il a voulu epouser la niece,
Anne-Catherine de Ligniville
(≪ Minette ≫), plus tard epouse du philosophe
Helvetius
et son amie a vie ?
Marie-Therese Geoffrin
,
Madame du Deffand
,
Julie de Lespinasse
et la duchesse d'Enville. C'est pendant cette periode qu'il rencontre les theoriciens
physiocrates
Quesnay
et
Gournay
, et avec eux
Dupont de Nemours
, l'
abbe Morellet
et d'autres economistes.
Parallelement, il etudie les diverses branches de la science, et des langues a la fois anciennes et modernes. En 1753, il traduit les
Questions sur le commerce
de l'Anglais
Josiah Tucker
, et redige ses
Lettres sur la tolerance
ainsi qu'un pamphlet,
Le Conciliateur
, en defense de la tolerance religieuse. Entre 1755 et 1756, il compose divers articles pour l'
Encyclopedie
, et entre 1757 et 1760, un article sur les
Valeurs des monnaies
, probablement pour le
Dictionnaire du commerce
de l'abbe Morellet. En 1759, parait son
Eloge de Gournay
.
En
, Turgot est nomme
intendant
de la
generalite de Limoges
, laquelle inclut certaines des regions les plus pauvres et les plus surtaxees de France
[
ref.
souhaitee]
. Il y resta treize ans et retrouva
Louis Charles du Plessis d'Argentre
[
6
]
. Il est deja profondement marque par les theories de
Quesnay
et
Gournay
, et s'emploie a les appliquer autant que possible dans sa province. Sa premiere idee est de continuer le travail, deja commence par son predecesseur Tourny, de faire un releve du territoire (
cadastre
), afin d'arriver a une estimation plus exacte pour la
taille
. Il obtient egalement une large reduction dans la contribution de la province. Il publie un
Avis sur l'assiette et la repartition de la taille
(1762-1770), et comme president de la Societe d’agriculture de Limoges, offre des prix pour des experimentations sur le principe de taxation. Quesnay et
Mirabeau
ont eux propose une taxe proportionnelle (≪ impot de quotite ≫), mais c'est une taxe distributive (≪ impot de repartition ≫) que propose Turgot. Une autre idee est la substitution en ce qui concerne les
corvees
d'une taxe en monnaie levee sur la province entiere, la construction de routes etant donnee a des contracteurs, ceci afin d'etablir un reseau solide tout en distribuant plus justement les depenses de sa construction. Du
charbon est decouvert
le
grace a son initiative sur le territoire de
Cublac
[
7
]
,
[
8
]
.
En 1769, il ecrit son
Memoire sur les prets a interet
, a l’occasion de la crise provoquee par un scandale financier a
Angouleme
. Pour lui, il s'agit que la question du pret soit traitee scientifiquement, et non plus seulement d'un point de vue dependant des recommandations d'une morale du religieux, issue en partie de la
scholastique
et reprouvant le profit
[
9
]
.
Parmi les autres travaux ecrits pendant l'intendance de Turgot figurent le
Memoire sur les mines et carrieres
et le
Memoire sur la marque des fers
, dans lesquels il proteste contre les normes etatiques et l'intervention de l’Etat, et defend la libre concurrence. En meme temps, il fait beaucoup pour encourager l’agriculture et les industries locales, entre autres les
manufactures
de
porcelaine
.
Pendant la famine de 1770-1771, il applique cependant aux proprietaires terriens l'obligation d’aider les pauvres et particulierement leurs metayers, et organise dans tous les ateliers de la province des bureaux de charite pour fournir une activite a ceux capables de travailler, et un secours aux infirmes. Parallelement, il condamne la charite non discriminatoire. Turgot fait des cures, quand il peut, les agents de ses charites et de ses reformes. C'est en 1770 qu’il ecrit ses fameuses
Lettres sur la liberte du commerce des grains
adressees au
controleur general des finances
, l'
abbe Terray
. Trois de ces lettres ont disparu, ayant ete envoyees a Louis XVI par Turgot plus tard et jamais recuperees, mais celles qui restent demontrent que le commerce libre est de l'interet du proprietaire foncier, du fermier et aussi du consommateur, et demandent energiquement un retrait des restrictions :
≪ [Lettre du 24 aout] Je me borne en ce moment, Sire, a vous rappeler ces trois paroles : Point de banqueroute ; Point d'augmentation d'impots ; Point d'emprunts. Point de banqueroute, ni avouee, ni masquee par des reductions forcees. Point d'augmentation d'impots, la raison en est dans la situation de vos peuples, et encore plus dans le cœur de Votre Majeste. Point d'emprunts, parce que tout emprunt diminue toujours le revenu libre ; il necessite au bout de quelque temps ou la banqueroute, ou l'augmentation des impositions. ≫
[
10
]
L'un des travaux les plus connus de Turgot,
Reflexions sur la formation et la distribution des richesses
, est ecrit au debut de son intendance, au benefice de deux etudiants chinois.
En 1766, il redige les
Ephemerides du citoyen
, qui paraissent en 1769-1770 dans le journal de
Dupont de Nemours
, et sont publies separement en 1776. Dupont, cependant, a altere le texte pour le mettre plus en accord avec la doctrine de
Quesnay
, ce qui refroidit ses relations avec Turgot.
En 1767, il participe egalement a l'affaire
Belisaire
, prenant la defense de l'ouvrage par un pamphlet,
Les XXXVII verites opposees aux XXXVII impietes de Belisaire, par un bachelier ubiquiste
.
Apres avoir trace l'origine du commerce, Turgot developpe la theorie de Quesnay selon laquelle le sol est la seule source de richesse, et divise la societe en trois classes : les cultivateurs, les salaries ou les artisans, et les proprietaires. Apres avoir discute de l'evolution des differents systemes de culture, de la nature des echanges et des negociations, de la monnaie, et de la fonction du capital, il choisit la theorie de l'≪ impot unique ≫, selon laquelle seul le produit net du sol doit etre taxe. En consequence, il demande encore une fois la liberte totale du commerce et de l'industrie.
Turgot est nomme ministre sur proposition de
Maurepas
, le mentor du roi, auquel il a ete chaudement recommande par l'
abbe de Very
, un ami commun. Sa nomination comme
ministre de la Marine
en
est bien accueillie, notamment par le
parti philosophique
. C'est a cette epoque que ce parti est a l'apogee de son pouvoir politique
[
11
]
. Un mois plus tard, il est nomme
controleur general des finances
. De 1774 a 1776, il essaie de mettre en application le programme de reforme des
physiocrates
. Comme ces derniers, la critique qui lui est le plus frequemment adressee est d'etre systematique
[
12
]
, un mot vu tres negativement en France depuis au moins 1748. A cette date,
Dortous de Mairan
adresse un ecrit a l'Academie des sciences ou il s'inquiete de l'opprobre qui entoure le mot systeme. Plus tard, d'Alembert souligne que le scepticisme dogmatique qui accompagne le refus du mot systeme n'est qu'une des formes du dogmatisme
[
13
]
.
Le premier acte de Turgot est de soumettre au roi une declaration de principe : pas de
banqueroute
, pas d'augmentation de la taxation, pas d'emprunt. La politique de Turgot, face a une situation financiere dramatique, est de contraindre a de strictes economies dans tous les ministeres. Des sa nomination, il montre l'exemple : il baisse ses emoluments de
142 000
a
80 000
livres, et renonce a la prise en charge de son installation de meme qu'au pot-de-vin (une pratique qui n'etait pas illegale) accorde traditionnellement par les fermiers generaux. Toutes les depenses doivent desormais etre soumises pour approbation au controleur. Un certain nombre de sinecures sont supprimees, et leurs titulaires sont dedommages. Les abus des ≪ acquis au comptant
[
14
]
≫ sont combattus, cependant que Turgot fait appel personnellement au roi contre le don genereux d'emplois et de pensions.
Il envisage egalement une grande reforme de la
ferme generale
, mais se contente au debut d’imposer ses conditions lors du renouvellement des baux : employes plus efficaces, suppression des abus des ≪ croupes ≫ (nom donne a une classe de pensions) ? reforme que l'
abbe Terray
avait esquivee, ayant note combien de personnes bien placees y etaient interessees. Turgot annule egalement certains fermages, comme ceux pour la fabrication de la poudre a canon et l'administration des messageries, auparavant confiee a une societe dont
Antoine Lavoisier
est conseiller. Plus tard, il modernise le service de diligences en remplacant celles-ci par d'autres plus confortables qui sont surnommees ≪
turgotines
≫. Il prepare un budget ordinaire.
Les mesures de Turgot reussissent a reduire considerablement le deficit, et ameliorent tant le credit national qu’en 1776, juste avant sa chute, il lui est possible de negocier un pret a 4 % avec des banquiers. Le deficit est toutefois encore si important qu’il l'empeche d’essayer immediatement la mise en place de son idee favorite, le remplacement des impots indirects par une taxe sur l'immobilier. Il supprime cependant bon nombre d'octrois et de taxes mineures, et s'oppose vainement a l'entree en guerre contre l'Angleterre pour le soutien de l'
independance des colonies americaines
.
Avec l'aide de son conseiller, le banquier suisse
Isaac Panchaud
, il prepare a la fin de son mandat la creation de la
Caisse d'Escompte
, ancetre de la
banque de France
, qui a pour mission de permettre une baisse des taux d'interet des emprunts commerciaux, puis publics.
Des sa nomination aux finances, Turgot se met au travail pour etablir le
libre-echange dans le domaine des grains
(suppression du
droit de hallage
), mais son decret, signe le
, rencontre une forte opposition dans le
Conseil
meme du roi. Le preambule de ce decret, exposant les doctrines sur lesquelles il est fonde, lui vaut l'eloge des philosophes mais aussi les railleries des beaux esprits ; aussi Turgot le reecrit-il trois fois pour le rendre
≪ si purifie que n'importe quel juge de village pourrait l'expliquer aux paysans. ≫
Turgot devient la cible de tous ceux qui ont pris interet aux speculations sur le grain sous le regime de l'
abbe Terray
, ce qui inclut des
princes de sang
. De plus, le commerce des bles a ete un sujet favori des salons et le spirituel
Galiani
, l'adversaire des
physiocrates
, a de nombreux partisans. L'opposition de l'epoque est le fait de
Linguet
et
Necker
, qui en 1775 a publie son
Essai sur la legislation et le commerce des grains
.
Pourtant, le pire ennemi de Turgot s'avere etre la mediocre moisson de 1774, qui mene a la hausse du prix du pain pendant l'hiver 1774 et le printemps 1775. En avril, les perturbations surgissent a
Dijon
, et, au debut de mai, ont lieu les grandes emeutes frumentaires connues sous le nom de ≪
guerre des farines
≫, qui peut etre consideree comme le signe avant-coureur de la
Revolution francaise
. Turgot fait preuve de fermete et de resolution dans la repression des emeutes, et beneficie du soutien de Louis XVI. Sa position est affermie par l'entree de
Malesherbes
parmi les ministres en
.
Pour ce qui est de ses relations avec
Adam Smith
, Turgot ecrit :
≪ je me suis flatte, meme de son amitie et estime, je n'avais jamais celui de sa correspondance ≫
, mais il n'y a aucun doute qu'
Adam Smith
a rencontre Turgot a Paris, et il est generalement admis que
Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations
doit beaucoup a Turgot
[
15
]
.
Conflit avec le parlement concernant les Six Decrets
[
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]
En
, Turgot presente au
Conseil du roi
les fameux ≪
six decrets de Turgot
≫. Sur les six, quatre sont d'importance secondaire. Les deux qui ont rencontre une opposition violente sont le decret supprimant la
corvee royale
et la suppression des
jurandes
et
maitrises
. Dans le preambule, Turgot annonce son objectif d'abolir les privileges et de soumettre les trois ordres a taxation ? le
clerge
en a ensuite ete exempte, notamment a la demande de
Maurepas
. Dans le preambule au decret sur les
jurandes
, il fixe comme principe le droit sans restriction, pour chaque homme, de travailler.
Le texte est soumis pour enregistrement au parlement en
, qui refuse et emet deux remontrances. La premiere concerne la suppression de la corvee et son remplacement par un taxe sur les proprietaires. Le parlement evoque pour la refuser le droit naturel a la propriete. Les remontrances s'attaquent a la liberte du commerce et insistent sur le fait que le commerce des grains est different des autres marches. Les parlementaires considerent en outre que les economistes n'ont qu'une connaissance speculative, peu ancree dans la pratique, et font etat de la mefiance alors tres en vogue envers les opinions systematiques
[
16
]
. Un ecrit d'un soutien de Turgot, Pierre-Francois Boncerf, envenime les choses. En effet, ce dernier ne demande rien dans
Les inconvenients des droits feodaux
que leur elimination, ce qui fait reagir le
prince de Conti
qui soumet le document a l'attention du Parlement. Ce dernier conclut dans une remontrance que
≪ la multiplicite d'ecrit systematique dans une nation est toujours un signe de decadence… et… de revolution ≫
[
16
]
. Le parlement veut alors interroger l'auteur de l'ecrit et le censeur qui a autorise la publication mais le roi s'y oppose
[
17
]
.
Un mois de tractations infructueuses s'ecoule au cours duquel le roi lui-meme est contraint de subir les remontrances du Parlement, ce qui fait dire a Louis
XVI
: ≪ il n'y a que
M.
Turgot et moi qui aimions le peuple ≫
[
18
]
. Il obtient finalement l'enregistrement des decrets par le
lit de justice
du
, mais, a ce moment-la, presque tout le monde est contre lui. Ses attaques contre les privileges lui ont gagne la haine de la noblesse et du
Parlement
; sa reforme de la
Maison du roi
, celle de la Cour ; sa legislation de libre-echange, celle ≪ des financiers ≫ ; ses avis sur la tolerance et sa campagne contre les serments du
sacre
vis-a-vis des protestants, celle du clerge ; enfin, son decret sur les jurandes, celle de la bourgeoisie riche de Paris et d’autres, comme le
prince de Conti
, dont les interets sont engages.
Dans l'opposition du parlement, il y a aussi une opposition aux
physiocrates
antiparlementaristes
[
19
]
. Turgot croit en l'aspect eclaire de l'
absolutisme
politique et compte sur le roi pour mener a bien toutes les reformes. Quant au Parlement, il s'est oppose a toute intervention de leur part dans la legislation, considerant que les physiocrates n'ont aucune competence hors la sphere de la justice. Turgot reconnait le danger des vieux Parlements, mais se revele incapable de s'y opposer efficacement depuis qu'il a ete associe au renvoi du chancelier
Maupeou
et de l'
abbe Terray
et semble avoir sous-estime leur pouvoir. Il s'oppose a la convocation des
Etats generaux
preconisee par
Malesherbes
le
, probablement en raison de l'important pouvoir qu'y ont les deux ordres privilegies. Son plan personnel se trouve dans son
Memoire sur les municipalites
qui a ete soumis d'une facon informelle au roi. Dans le systeme propose par Turgot, les proprietaires seuls doivent former l'electorat, aucune distinction n'etant faite entre les
trois ordres
. Les habitants des villes doivent elire des representants par zone municipale, qui a leur tour elisent les municipalites provinciales, et ces dernieres une grande municipalite, qui n'a aucun pouvoir legislatif mais doit etre consultee pour l'etablissement des taxes. Il faut y combiner un systeme complet d'education et de charite visant a soulager les pauvres.
Louis
XVI
recule devant l'ampleur du plan de Turgot. Il reste a Turgot a choisir entre une reforme superficielle du systeme existant et une reforme totale des privileges ? mais il aurait fallu pour cela un ministre populaire et un roi fort.
La reine
Marie-Antoinette
ne l'aime guere depuis qu'il s'est oppose a l’octroi de faveurs a ses favoris, comme la
princesse de Lamballe
, pour laquelle la reine avait demande la reinstauration de la fonction de
surintendante de la Maison de la Reine
, office aboli en 1741, ainsi qu'une forte augmentation de la pension attachee a cette fonction. Tout pouvait continuer a aller bien si Turgot avait conserve la confiance du roi, mais le roi ne manque pas de voir que Turgot n'a pas l'appui des autres ministres. Meme son ami
Malesherbes
pense qu'il est trop impetueux. La mefiance de
Maurepas
va egalement croissant. Que ce soit par jalousie de l'ascendant que Turgot a acquis sur le roi, ou par l'incompatibilite naturelle de leurs personnages, Maurepas bascule contre Turgot et se reconcilie avec la reine. C'est vers cette epoque qu'apparait une brochure,
Songe de M. Maurepas
, generalement attribue au comte de Provence (futur
Louis
XVIII
), contenant une caricature acide de Turgot. La cause immediate de la chute de Turgot est incertaine
[
20
]
. Certains parlent d'un complot
[
21
]
, de lettres fabriquees de toutes pieces et attribuees a Turgot, contenant des attaques sur la reine
Marie-Antoinette
, d'une serie de notes sur le budget de Turgot preparee, dit-on, par
Necker
et montree au roi pour prouver son incapacite
[
22
]
. D'autres l'attribuent a la reine et il n'y a aucun doute sur sa haine de Turgot depuis qu'il a soutenu
Vergennes
dans l'affaire du
comte de Guines
[
23
]
.
D'autres encore supputent une intrigue de Maurepas
[
24
]
. En effet, apres la demission de Malesherbes en
, Turgot tente de placer l'un de ses candidats
[
24
]
. Tres mecontent, Maurepas propose au roi comme son successeur un nomme Amelot
[
24
]
. Turgot, l'apprenant, ecrit une lettre indignee au roi, et lui montre en termes energiques les dangers d'un ministere faible, se plaint amerement de l'indecision de Maurepas et de la soumission de ce dernier aux intrigues de cour
[
24
]
. Bien que Turgot ait demande a Louis
XVI
de garder la lettre confidentielle, le roi la montre a Maurepas
[
24
]
.
La chute de Turgot est aussi imputable a Turgot lui-meme. En effet, s'il est moins systematique que les physiocrates, il montre une rigidite dogmatique qui l'empeche de concilier diplomatie et administration efficace
[
25
]
,
[
26
]
. Pour Keith Baker
[
27
]
, le fait qu'il pense avec les esprits eclaires de son temps
≪ qu'il n'y a rien de plus a craindre et a reprimer que les dispositions irrationnelles d'une populace enflammee et ignorante ≫
[
28
]
le conduit a un autoritarisme qui lui aliene un soutien populaire. Comme le souligne
Joseph-Alphonse de Veri
, Turgot est egalement trop confiant en ses capacites :
≪ sans egard pour personne, sans consideration de l'ignorance dont vous pourriez etre de milliers de details, vous prononcez votre jugement. Vous ne prononcez jamais un mot qui pourrait montrer la moindre hesitation ≫
[
29
]
.
Avec tous ces ennemis, la chute de Turgot est certaine, mais il tente de rester a son poste assez longtemps pour finir son projet de la reforme de la
Maison du roi
, avant de demissionner. Cela ne lui est meme pas accorde : le
, on lui ordonne d’envoyer sa demission
[
30
]
. Il se retire, des le
, partant pour
La Roche-Guyon
au chateau de la duchesse d'Enville, puis retourne a Paris, ou il consacre le reste de sa vie aux etudes scientifiques et litteraires. En 1777, il est fait vice-president de l’
Academie des inscriptions et belles-lettres
.
Le
, Turgot s'eteint des suites d'une fievre bilieuse provoquee par une accumulation de calculs hepatiques a l'age de 53 ans. Dans un mot adresse a Malesherbes, il disait
≪ Chez les Turgot, on meurt a cinquante ans. ≫
[
31
]
.
L'œuvre la plus connue de Turgot est ses
Reflexions sur la formation et la repartition des richesses
[
note 3
]
.
Ecrit en 1766, il parut en 1769-1770 dans le journal de Dupont, les ≪ Ephemerides du citoyen ≫, et fut publie separement en 1776. Dupont, cependant, apporta diverses modifications au texte, afin de le rendre plus conforme a celui de Quesnay. doctrines, qui ont conduit a une certaine froideur entre lui et Turgot
[
32
]
.
Dans ses
Reflexions
, apres avoir retrace l'origine du commerce, Turgot developpe la theorie de Quesnay selon laquelle la terre est la seule source de richesse, et divise la societe en trois classes, les productives ou agricoles, les salaries (la ≪ classe stipendiee ≫) ou la classe des artisans et la classe des proprietaires fonciers (≪ classe disponible ≫). Il propose egalement une remarquable
theorie du taux d'interet
. Apres avoir discute de l'evolution des differents systemes de culture, de la nature de l'echange et du troc, de l'argent et des fonctions du
capital
, il expose la theorie de l'≪ impot unique ≫, c'est-a-dire que seul le produit net du terrain devrait etre taxe. En outre, il exige la liberte totale du commerce et de l'industrie.
Les jugements sont partages a propos de ses qualites d'homme d'Etat, mais on considere generalement que Turgot est a l'origine d'un grand nombre des reformes et des idees de la
Revolution francaise
. Souvent ce ne sont pas ses idees propres, mais on lui doit de les avoir rendues publiques. Concernant ses qualites d'
economiste
, les avis sont aussi partages. Oncken, pour prendre le plus negatif des avis, le voit comme un mauvais
physiocrate
et un penseur confus, tandis que
Leon Say
considere qu'il est le fondateur de l'economie politique moderne et que
≪ bien qu'il ait echoue au
XVIII
e
siecle, il a triomphe au
XIX
e
siecle ≫
.
Ce jugement est partage par
Murray Rothbard
, qui voit en Turgot le plus grand economiste du
XVIII
e
siecle avec
Cantillon
et estime que, sur certains points, la theorie economique a perdu plusieurs dizaines d'annees en ne s'inspirant pas de ses conceptions :
≪ C'etait un genie unique, ce qu'il est quand meme difficile de dire des Physiocrates. Sa comprehension de la theorie economique etait incommensurablement superieure a la leur, et la maniere dont il traita le capital et l'interet est quasiment inegalee encore aujourd'hui. ≫
Pour
Schumpeter
, sa theorie de la
formation des prix
etait
≪ presque irreprochable et, mis a part une formulation explicite du principe marginaliste, se trouve a une distance palpable de celle de
Bohm-Bawerk
. ≫
La theorie de l'epargne, de l'investissement et du capital etait ≪ la premiere analyse serieuse de ces questions ≫ et
≪ a tenu remarquablement longtemps. Il est douteux qu'
Alfred Marshall
soit parvenu a la depasser, et certain que
J. S. Mill
ne l'a pas fait.
Bohm-Bawerk
y a sans doute ajoute une nouvelle branche mais, pour l'essentiel, il avait repris les propositions de Turgot. ≫
≪ La theorie de l'interet de Turgot est non seulement le plus grand exploit […] du
XVIII
e
siecle, mais elle prefigurait nettement une bonne partie des meilleures reflexions des dernieres decennies du
XIX
e
siecle. ≫
En somme,
≪ il n'y a pratiquement aucune erreur discernable dans ce tout premier traite de la valeur et de la distribution, traite dont la mode allait tellement se developper dans les dernieres decennies du
XIX
e
siecle. Ce n'est pas exagerer que de dire que l'analyse economique a pris un siecle pour se retrouver ou elle aurait pu en etre vingt ans apres la publication du
Traite
de Turgot si son contenu avait ete correctement compris et assimile par une profession plus eveillee. ≫
- ↑
egalement orthographie ≪ de Laune ≫ ou ≪ de Launes ≫, selon les auteurs.
- ↑
Du nom du chateau de
Laulne
(Manche) qu'il avait acquis en 1766
[
1
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- ↑
Dispositif litteraire familier qui permet de presenter le sujet de fond en comble, sans paraitre sous-evaluer l'intelligence du lecteur. Comparez les
Lettres persanes
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