Affaire de Hautefaye
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Fait reproche
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Homicide
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Chefs d'accusation
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Assassinat
,
lynchage
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Pays
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France
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Ville
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Hautefaye
,
Dordogne
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Date
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Nombre de victimes
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Un mort, Alain de Moneys
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Jugement
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Statut
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Affaire jugee
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Tribunal
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Perigueux
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Date du jugement
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Recours
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Pourvoi en cassation rejete le
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modifier
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L'
affaire de Hautefaye
, dite egalement
drame de Hautefaye
, est un
fait divers
criminel survenu le
lors d'une foire dans le village de
Hautefaye
en
Dordogne
(France), lors duquel Alain de Moneys, un jeune notable des environs, a ete frappe puis
supplicie
et enfin
brule vif
par la foule.
Cette affaire se situe dans le contexte de la
guerre de 1870
et des passions exacerbees qu'elle a provoquees dans la population de ce petit village. A la suite d'un simple malentendu, Alain de Moneys a en effet ete pris pour un
Prussien
, ce qui a entraine son
lynchage
. Le caractere
barbare
de l'evenement a ete encore amplifie par des
rumeurs
? a la suite de propos attribues au maire ? sur des actes de
cannibalisme
qui auraient ete commis par les villageois. Parmi les vingt-et-un accuses de cet
assassinat
, les quatre principaux responsables ont ete
condamnes a mort
et un autre aux
travaux forces a perpetuite
.
Plusieurs ouvrages ont ete consacres a cette affaire. Pour l'ecrivain
Georges Marbeck
, elle symbolise le meurtre ritualise du
bouc emissaire
[
1
]
, alors que pour l'historien
Alain Corbin
, dans
Le Village des ≪ cannibales ≫
, les raisons tiennent davantage aux representations politiques ayant cours a cette date chez les paysans
perigourdins
, representations marquees par l’angoisse et la crainte d’un
complot
ourdi par les
republicains
, les
nobles
et les
cures
afin de renverser l’
Empereur
.
L'affaire se deroule en
, un mois apres la declaration de guerre a la
Prusse
par la France, le
. Les premieres informations de defaites sur le front de
Lorraine
, a
Wissembourg
,
Forbach
et
Frœschwiller
ont ete annoncees les
et
. Pour
Alain Corbin
, la decision du gouvernement de restreindre l'information a la suite de ces defaites a pour consequence la propagation de rumeurs sur la presence d'
espions
prussiens dans les alentours, et sur une collusion entre les nobles et les pretres pour conspirer contre l'
Empire
, et retablir la monarchie. Ceci provoque l'inquietude de l'opinion et meme des mouvements de
peur collective
[
2
]
.
Plusieurs incidents ont lieu. A quelques jours pres, a
Chatellerault
, un employe des chemins de fer est moleste pour avoir ete soupconne d'etre un espion a la solde de l’ennemi
[
3
]
. Ces inquietudes et ces rumeurs font partie des bruits qui se propagent dans le village et sur le
foirail
, lors de la
foire
annuelle aux bestiaux de Hautefaye. Cette manifestation, occasion de reunion et de negoce pour les habitants du village et des communes voisines, est en outre affectee par les consequences de la
secheresse
qui frappe la region en 1870
[
4
]
.
Le contexte politique general vient en effet s'ajouter, en Dordogne, a une situation economique desastreuse pour les
agriculteurs
. A l'ete 1870, cela fait plusieurs mois que la region souffre d'un manque de pluie, ainsi que de temperatures elevees, qui nuisent au betail et aux recoltes. Le
, jour de la foire de Hautefaye ou les ventes sont generalement bonnes, les affaires s'averent tres mauvaises : conjugue avec les nouvelles de la guerre, cela contribue a entretenir un climat de
tension
. Il fait particulierement chaud, et une partie des
paysans
et
artisans
presents a la foire consomme de l'
alcool
(
piquette
au
genievre
, vin de
noah
,
pineau
ou
absinthe
) a mesure que la journee avance
[
5
]
,
[
6
]
.
La victime, Alain Romuald de Moneys d'Ordieres, est le fils d'Amedee de Moneys, ancien maire de
Beaussac
. Il gere le domaine du chateau de Bretanges situe entre Hautefaye et Beaussac. Celibataire, age de
32 ans
, il a ete, du fait de sa constitution physique, exempte des
obligations militaires
, et par consequent de la
conscription
qui survient en 1870 a la suite de la menace prussienne. Cependant, ayant manifeste le desir de
s'engager
pour son pays, il a fait lever cette immunite et prevoit de partir bientot pour le front de
Lorraine
[
4
]
. Il est membre du
conseil municipal
de Beaussac depuis 1865 et premier adjoint de la commune. Sa famille possede
80 hectares
de terres a
Hautefaye
[
7
]
. C'est au titre de gerant du domaine qu'il se rend a la foire de Hautefaye le
[
8
]
.
Les principaux responsables du drame, designes comme tels par la justice, sont des habitants de Hautefaye et des villages voisins, venus a la foire. Il s'agit de : Francois Chambord,
33 ans
,
marechal-ferrant
a Pouvriere, localite de la commune de
Souffrignac
(
Charente
), situee a
9 kilometres
de Beaussac (considere comme le meneur du groupe, il ne connaissait pas personnellement la victime, ce qui est aussi le cas des autres principaux agresseurs
[
8
]
) ; Leonard, dit ≪ Piarrouty ≫,
53 ans
,
chiffonnier
a
Nontronneau
; Pierre Buisson, dit ≪ Arnaud ≫ ou ≪ Lirou ≫,
33 ans
, cultivateur ; Francois Maziere, dit ≪ Silloux ≫,
29 ans
,
metayer
; les freres Etienne et Jean Campot, agriculteurs a
Mainzac
[
9
]
.
Ceux qui tentent de proteger et de defendre Alain de Moneys sont l'
abbe
Victor Saint-Pasteur, cure de Hautefaye ; Philippe Dubois,
scieur de long
de Hautefaye ; Georges Mathieu,
artisan
de Beaussac et neveu de Bernard Mathieu, maire de Hautefaye ; Pascal, le
domestique
du chateau de Bretanges
[
9
]
.
L'affaire debute par un incident dont le protagoniste est Camille
de Maillard
de Lafaye, cousin d'Alain de Moneys, age de
26 ans
, fils du maire de Beaussac et connu pour ses positions
legitimistes
. Il est la victime d'un premier malentendu, sans consequence pour sa personne mais dont la repetition touche par la suite Alain de Moneys
[
9
]
.
Apres avoir lu les
depeches
sur la
bataille de Reichshoffen
, Maillard annonce que l'
armee francaise
est obligee de reculer. Il est alors pris a partie par des habitants et accuse de colporter de
fausses nouvelles
, d'etre a la solde des Prussiens, enfin. Tentant d'expliquer et de clarifier ses propos, il est alors accuse d'avoir crie
≪ Vive la Republique ! ≫
. Les esprits s'echauffant, des mouvements d'
hostilite
a son encontre deviennent de plus en plus vifs. Il reussit toutefois a prendre la fuite grace a l'intervention de son
metayer
[
9
]
.
Lors du proces, l'un des meurtriers d'Alain de Moneys, Francois Maziere, expliquera que quelques jours auparavant, le
, pendant une foire a
Charras
, il a entendu Maillard declarer :
≪ L'empereur est perdu, il n'a plus de cartouches. ≫
et regrettera que ce jour-la, indigne par ces propos, il n'ait pu lui
≪ faire son affaire ≫
. Pour l'historien Alain Corbin, cela suppose qu'il y a eu, ce
, date de la mise a mort de Moneys,
premeditation
evidente. Selon lui, la fuite de Maillard a oblige les habitants suspicieux et echauffes a se rabattre sur Moneys, en faisant une
victime substitutive
[
9
]
.
Alain de Moneys arrive sur les lieux de la foire de Hautefaye, vers deux heures de l'apres-midi, apres la fuite de Camille de Maillard
[
10
]
. Peu apres son arrivee a la foire, Moneys voit s'approcher des paysans armes de batons. S'enquerant de la situation, il apprend d'un
colporteur
nomme Brethenoux et surnomme ≪ le Mexicain ≫ (car il a participe a la
campagne du Mexique
), que son cousin, Camille de Maillard, a crie
≪ A bas Napoleon ! Vive la Republique
[
10
]
! ≫
Refusant de croire les propos de Brethenoux, Moneys accompagne le paysan sur le lieu de l'incident afin de verifier si d'autres temoins confirment les faits. Parmi ceux-ci se trouvent : Le Cussou, Pinard, Maziere, les freres Campot et Buisson, qui, tous, confirment les dires de Brethenoux. Le groupe se rassemble alors autour d'Alain de Moneys qui continue de defendre son cousin
[
11
]
.
Refusant toujours d'admettre que Maillard ait pu prononcer ces paroles, Moneys est alors pris a partie par le groupe, de plus en plus nombreux et hostile. Confondu par certains avec Maillard, il devient alors le centre de l'incident et est accuse a son tour d'avoir crie
≪ Vive la Republique ! ≫
, d'etre un
traitre
et un Prussien
[
11
]
. Malgre ses
denegations
(il assure etre du cote des paysans et qu'il va s'engager pour combattre les Prussiens), le groupe profere les premieres
menaces de mort
et porte les premiers coups
[
12
]
.
Malgre les tentatives pour dissiper le malentendu et demontrer sa
bonne foi
, Alain de Moneys se retrouve entoure par les paysans de plus en plus hargneux. L'un d'eux, Buisson, crie :
≪ C'est un Prussien, il faut le pendre, il faut le bruler
[
12
]
! ≫
Les freres Campot portent les premiers coups ; c'est l'acte qui precipite le declenchement de l'agression collective. Se protegeant des coups, criant
≪ Vive l'empereur ! ≫
afin de calmer l'assemblee, Alain de Moneys se trouve vite deborde et malmene. L'
abbe
Saint-Pasteur, cure de Hautefaye, intervient, un pistolet a la main, pour le secourir. Mais, face a la determination des agresseurs et sentant que lui-meme va etre expose a la fureur grandissante du groupe, il se refugie dans le
presbytere
. Il tente une diversion en proposant aux paysans de l'accompagner pour boire a la sante de l'
empereur
, ce qu'une partie d'entre eux acceptent de faire
[
13
]
.
Interviennent alors Philippe Dubois et Georges Mathieu, le neveu du maire du village, qui tentent de soustraire Moneys aux assauts repetes des paysans ; eux aussi submerges par la multitude, ils ne reussissent pas a mettre a l'abri le noble deja atteint par des coups de sabots, de batons et d'aiguillons. Ils veulent le faire entrer dans la maison du maire, Bernard Mathieu, mais ce dernier en interdit l'entree de peur que les forcenes y fassent irruption et brisent sa vaisselle
[
14
]
,
[
15
]
. Les protecteurs, a leur tour, ne peuvent s'interposer plus longtemps face au groupe. Maziere et Buisson s'emparent ensuite de la victime et le livrent a nouveau a la furie des paysans rassasies du vin offert par le cure
[
7
]
.
Le groupe, sous la direction de Chambord, projette un premier temps d'amener Moneys aux autorites, mais, face a la
passivite
du maire du village, les paysans decident de le
pendre
a un
cerisier
.
Alain Corbin
souligne que l'absence d'autorite du maire a cet instant permet a Chambord de devenir le chef de l'entreprise punitive : celui-ci va jusqu'a se pretendre membre du
conseil municipal
de Hautefaye, ce qui l'autorise a prendre des initiatives
[
7
]
. La tentative de pendaison echoue, du fait de la fragilite des branches de l'arbre ; il est decide de le battre a mort
[
16
]
.
Des lors, l'intention de faire durer le supplice avant la mise a mort d'Alain de Moneys est effective. Chambord harangue le groupe :
≪ Avant de faire perir le Prussien, il faut le faire souffrir ≫
[
16
]
. Les
tortionnaires
menagent des moments de repit a la victime avant de revenir a la charge
[
17
]
. Il est traine dans le local qui sert d'atelier au maire, qui est aussi
marechal-ferrant
. Les assaillants l'attachent fortement avec des sangles sur le
travail a ferrer
, tandis qu'il est violemment frappe au visage et aux jambes a coups de sabot et de baton par Bouillet dit ≪ Dejeunat ≫
[
15
]
. Corbin indique que peu d'elements sur cet episode ont pu ressortir des
interrogatoires
et des
temoignages
[
18
]
. Se rendant a la foire pour rejoindre son maitre, Pascal, le serviteur des Moneys, alerte par les cris et prevenu par Georges Mathieu et Dubois, accourt pour delivrer Alain de Moneys de l'atelier, profitant de l'absence temporaire des assaillants
[
19
]
. Le retour du groupe fait cependant echouer la nouvelle tentative de secours. A nouveau battu, Moneys est alors atteint a la tete par un coup tres violent que Piarrouty lui assene avec sa balance a crochet, et que certains temoins croient mortel
[
18
]
.
Sur l'insistance des protecteurs de la victime, le maire propose de le faire entrer dans son
etable
a moutons. Alain de Moneys est mis a l'abri et soigne par Dubois. L'acte d'accusation mentionne qu'a cet instant :
≪ il se crut cependant sauve. Il voulait qu'on achetat une barrique de vin pour faire donner a boire a ceux qui le poursuivaient ≫
. Mais la pression exterieure du groupe mene par Chambord finit par avoir raison de la porte, qui cede au moment ou Moneys, sur les conseils de Dubois, essaie d'echanger ses vetements pour une blouse pour tenter de fuir en passant inapercu
[
18
]
.
Les freres Campot se saisissent de la victime et la livrent aux paysans, dont la violence atteint son paroxysme. Selon des temoins, la tete d'Alain de Moneys est
≪ comme un globe de sang ≫
. Il est porte vers le
foirail
, mais Dubois tente de le faire entrer dans l'auberge. L'aubergiste ferme la porte sur la cheville de la victime qui commence a entrer et qui s'effondre sous la douleur. Il est considere comme mort, mais dans un sursaut inattendu, les temoins le voient se relever de lui-meme, se diriger vers une grange pour prendre un pieu et le pointer vers le groupe des forcenes
[
20
]
,
[
21
]
. Jean Campot reussit sans difficulte a desarmer Moneys et retourner le pieu contre la victime qui se traine sous une charrette. Aussitot Moneys extirpe, Pierre Buisson lui porte, avec le pieu, un coup a la nuque qui, pour les temoins, est le coup mortel
[
20
]
. Des cet instant, selon toute vraisemblance, c'est sur un moribond, voire un cadavre, que la foule s'acharne, chacun voulant participer a la
curee
qui dure environ dix minutes
[
22
]
. Corbin indique qu'a part le crochet de Piarrouty et une fourche, aucune arme tranchante, ni couteau ni hache, n'a ete utilisee. Apres les coups portes sur la depouille, Maziere et Jean Campot prennent chacun une jambe de la victime dans l'intention de l'
ecarteler
, mais ils ne reussissent qu'a le dechausser
[
23
]
,
[
24
]
.
Ayant chacun empoigne une jambe d'Alain de Moneys, Maziere et Campot le trainent en direction d'une ancienne mare, que les habitants nomment ≪ le lac desseche ≫ et ou il est de coutume de feter la
Saint-Jean
. Ils sont suivis par le cortege forme par les paysans et le maire ceint de son
echarpe
.
Alcide Dusolier
, ami d'enfance d'Alain de Moneys et qui s'est rendu sur les lieux le lendemain
[
25
]
, a evoque ce moment dans un texte de 1874 :
≪ On le trainait par les jambes a travers les ruelles du bourg, sa tete sanglante sonnait sur les cailloux, son corps dechire sautait de droite et de gauche : Vive l'empereur, vive l'empereur
[
26
]
! ≫
Arrives sur les lieux, les bourreaux jettent le corps de Moneys dans la mare assechee. Sous la direction de Chambord, on va chercher des
fagots
, des branchages, et des debris. Chambord prend une
botte de paille
a un agriculteur, tout en lui promettant le remboursement par l'empereur
[
27
]
. Jetes sur le corps, qui, aux dires de certains temoins, bouge encore, les fagots et le foin sont tasses par Chambord et Campot. Dans une ultime tentative, Dubois essaie d'empecher l'irreparable de se produire, mais il est pris en chasse par une dizaine de paysans et est force de s'eloigner
[
28
]
.
Personne n'ayant d'allumettes, Chambord va chercher
[
28
]
, ou fait chercher par le jeune Thibassou
[
27
]
, un paquet d'allumettes, et demande a trois enfants de mettre le feu au tas de fagots et de foin. Le bucher s'embrase sous les vivats de l'assistance criant
≪ Vive l'empereur
[
29
]
! ≫
Un nomme Duroulet commente l'immolation par ces mots :
≪ Voyez comment cela grille bien
[
30
]
! ≫
Un nomme Besse ajoute, voyant la graisse s'ecouler du corps en train de se consumer :
≪ Dommage que toute cette graisse soit perdue ≫
[
30
]
,
[
28
]
, un autre allume sa cigarette sur les braises du bucher
[
31
]
.
Corbin constate qu'entre le debut du supplice et son denouement tragique, il s'est deroule exactement deux heures, et explique cette gestion du temps
≪ implicitement calculee ≫
par un desir de diluer la responsabilite collective, afin que chacun puisse participer au lynchage
[
17
]
.
Le soir du drame, les habitants des alentours sont deja au courant des evenements de Hautefaye. Certains protagonistes se vantent de leurs actes, Piarrouty parle des trois coups de balance qu'il a assenes a la victime, madame Antony raconte que son metayer, Maziere, est revenu exalte de Hautefaye en lui disant
≪ Oui, nous avons tue et crame le Prussien, je l'ai frappe et je ne m'en repens pas. Il ne voulait pas crier ≪ Vive l'empereur
[
32
]
! ≫
D'autres esperent une recompense : Pierre Sarlat et le tailleur de pierre Francois Cholet croient qu'ils seront payes par l'empereur pour avoir brule Moneys
[
33
]
.
Les chatelains du voisinage, epouvantes par l'affaire, craignent le retour des
jacqueries
et certains, dont les Moneys, se constituent en groupes de defense pour faire face a une eventuelle attaque des paysans. Cette peur affecte meme la ville de
Nontron
, qui craint un episode similaire aux
jacqueries des croquants
qui ont touche le
Perigord
au
XVII
e
siecle
[
34
]
. Marbeck constate qu'a la psychose des
≪ gentilshommes prussiens ≫
, qui est a l'origine du lynchage de Hautefaye, repond la psychose des
≪ fourches levees ≫
[
35
]
.
Deux jours apres les faits, la presse regionale se fait l'echo du drame.
Le Charentais
du
, puis
Le Nontronnais
du 20, parlent d'actes de sauvagerie, de barbarie,
Le Nontronnais
utilisant le terme de
≪ cannibales ≫
pour qualifier les paysans. La presse nationale, avec
Le Moniteur universel
du
, relate egalement le drame
[
36
]
.
L'affaire remonte jusqu'au gouvernement. Le
, le ministre de l'Interieur,
Henri Chevreau
, repondant a l'interpellation d'un depute sur les soulevements paysans qui se declarent dans le pays, condamne le supplice de Hautefaye :
≪ Un acte de sauvagerie a ete accompli recemment a Nontron et sera l'objet de la reprobation generale. Un citoyen a ete brule au milieu d'une population qui n'a pas eu l'energie de s'opposer a un crime aussi odieux ≫
[
37
]
.
Le
, en vertu d'un decret date du
, Bernard Mathieu est destitue en public de sa fonction de maire de Hautefaye par le prefet de la
Dordogne
; il est remplace a titre provisoire par Elie Mondout, conseiller municipal
[
38
]
.
Un nouveau palier dans l'opprobre sur le village est atteint quand, a la chute de l'
Empire
,
Alcide Dusolier
, devenu sous-prefet republicain de la Dordogne, voyant dans ce village un foyer de rebellion bonapartiste, conseille au prefet de rayer Hautefaye de la carte en effacant son nom et en l'annexant comme arrondissement a Nontron. La proposition est transmise au ministre de l'Interieur. Mais face a l'opposition du maire par interim et ensuite de Martial Villard, le nouveau maire ? qui objectent que le droit ne reconnaissant que la responsabilite penale individuelle, il ne saurait incriminer tout un village pour des actes commis par des individus qui ne sont pas tous originaires de Hautefaye ? le projet de debaptiser le village est abandonne
[
38
]
.
Le supplice se deroule en pleine foire au betail, et plusieurs participants utiliseront des metaphores relatives a l'abattage des betes, et a la tuerie du porc ; l'un d'eux raconte :
≪ Nous avons fait griller a Hautefaye un fameux cochon ≫
[
39
]
. Le fantasme de paysans cannibales prend forme dans la presse, en particulier
Le Nontronnais
du
qui designe sous ce qualificatif les emeutiers du foirail, relaye par les villageois des environs et les nobles dont l'oncle d'Alain de Moneys qui evoque la menace des ≪ cannibales ≫ dans une lettre du
[
38
]
.
La rumeur de cannibalisme prendra une forme precise lors du proces, a partir de phrases attribuees a deux des protagonistes lors des evenements. L'un des temoins, le couvreur Jean Maurel, age de
78 ans
, affirmera avoir entendu le maire Bernard Mathieu repondre a la foule qui manifestait l'intention de faire bruler et manger la victime :
≪ Faites ce que vous voudrez, mangez-le si vous voulez
[
40
]
! ≫
Lors de la confrontation avec le temoin, le maire niera farouchement avoir tenu de tels propos et le temoin retractera ses accusations
[
38
]
. Sur la base d'un autre temoignage, seront aussi evoques les propos de Besse qui a regrette de voir s'ecouler la graisse du corps de la victime sans pouvoir la recueillir. Lors de cette audience, deux pierres plates ayant conserve des traces de graisse seront presentees comme pieces a conviction
[
31
]
.
Le corps calcine d'Alain de Moneys est depose entre deux draps dans l'eglise de Hautefaye. Le docteur Roby-Pavillon, qui en a fait l'autopsie, redige, le soir du
, le rapport qui decrit l'etat de la depouille :
≪ Cadavre presque entierement carbonise et couche sur le dos, la face un peu tournee vers le ciel, a gauche, les membres inferieurs ecartes, la main droite raidie au-dessus de la tete, comme pour implorer, la main gauche ramenee vers l'epaule correspondante et etalee, comme pour demander grace ; les traits du visage exprimant la douleur, le tronc tordu et ramene en arriere ≫
[
41
]
. De l'examen du corps, le medecin etablit qu'il a ete brule de son vivant et qu'il est mort des suites de l'asphyxie et des brulures, et qu'auparavant il a ete blesse par des objets contondants, piquants et tranchants. La blessure du crane a ete portee par un individu poste derriere Moneys, tandis que ce dernier etait debout, et il a ete traine encore vivant. Roby-Pavillon conclut que
≪ l'ensemble de ces blessures aurait inevitablement amene la mort ≫
[
42
]
.
Les
gendarmes
de Nontron, depeches sur les lieux et dans le voisinage, procedent aux premieres arrestations. Une cinquantaine de personnes sont interpellees et interrogees par le juge Marchenaud
[
37
]
. Le
,
Charles Boreau-Lajanadie
, procureur general de la cour imperiale de
Bordeaux
, se deplace sur les lieux du meurtre
[
43
]
et se charge de l'instruction de l'affaire.
Le
, les prevenus quittent la prison de Nontron pour
Perigueux
afin d'etre informes des charges retenues contre eux lors de la session extraordinaire des assises prevue pour le
, mais celle-ci est ajournee et renvoyee au
. Une proclamation est redigee par
Alcide Dusolier
afin de dissiper des rumeurs d'amnistie dont les prevenus auraient beneficie en raison de la proclamation de la Republique. Elle est affichee dans les rues de Nontron et donne le nom des inculpes
[
44
]
:
≪ Les inculpes, au nombre de vingt-et-un, ont ete transferes ce matin de notre maison d'arret au chef-lieu du departement, sous l'escorte de la gendarmerie.
Voici les noms par ordre alphabetique :
- Beauvais, dit Roumaillac, scieur de long a
Vieux-Mareuil
;
- Besse dit Duroulet, terrassier a
Javerlhac
;
- Brouillet dit Dejeunat, proprietaire aux Grezilles, commune de
Feuillade
(Charente) ;
- Brut, macon a Fayemarteau, commune d'Hautefaye ;
- Buisson, dit Lirou, a Feuillade (Charente) ;
- Campot (Etienne), cultivateur a la Chabrie, commune de
Mainzac
(Charente) ;
- Campot (Jean), cultivateur a la Chabrie, commune de Mainzac (Charente) ;
- Chambord, marechal-ferrant a Pouvriere, commune de
Souffrignac
(Charente) ;
- Delage, dit Lajou, cultivateur a Doumeyrat, commune de
Grassac
(Charente) ;
- Feytou (Girard), mineur a Fontroubade, commune de
Lussas-et-Nontronneau
;
- Frederic (Jean), macon a
Beaussac
;
- Lamongie (Leonard), cultivateur au Grand-Gilou, commune d'Hautefaye ;
- Lechelle, dit Pinart, cultivateur a Fontroubade, commune de Lussas ;
- Leonard (Francois) dit Piarrouty, chiffonnier a Nontronneau, commune de Lussas ;
- Licoine (Roland), cultivateur a Feuillade (Charente) ;
- Limay (Andre), dit Thibassou, commune de Mainzac (Charente) ;
- Maziere, cultivateur a Plambeau, commune d'Hautefaye ;
- Murguet, a la Foret, commune de Souffrignac ;
- Sallat pere, cultivateur au Grand-Gilou, commune d'Hautefaye ;
- Sallat fils, cultivateur au Grand-Gilou, commune d'Hautefaye ;
- Sarlat, dit Lamy,
tailleur d'habits
a Nontronneau, commune de Lussas. ≫
Les vingt-et-un inculpes comparaissent au tribunal de
Perigueux
le
[
44
]
.
Le proces se deroule du
au
au
palais de justice de Perigueux
, sous la presidence du juge Brochon, et connait une grande affluence. Le premier jour du proces, l'acte d'accusation determine la responsabilite directe de Chambord, Buisson, Jean Campot, Leonard dit Piarrouty et Maziere comme auteurs de l'homicide commis avec premeditation. Les autres accuses, dont Etienne, le frere de Jean Campot, sont juges pour complicite pour avoir aide les auteurs du meurtre, donne des coups ou pour les avoir encourages
[
45
]
.
Les jours suivants, jusqu'au
, sont consacres a l'audition des temoins, l'un des temoignages les plus importants etant celui de l'ancien maire Bernard Mathieu. L'accusation et la defense insistent sur son manque de courage et sur le fait qu'il n'a pas porte assistance a la victime, comme en temoignent madame Antony et le couvreur Jean Maurel qui reviennent sur les propos qu'il a prononces devant les paysans
[
46
]
.
Lors du proces, sont presentees les pieces a conviction : deux pierres prelevees dans le bucher montrant des taches de graisse, et la balance a crochet de Piarrouty, une des armes du meurtre, ainsi que la cravache qu'a possedee Alain de Moneys
[
47
]
.
Le
, apres deliberation du jury, la cour condamne Chambord, Buisson, Piarrouty et Maziere a la
peine de mort
. La justice ordonne que l'execution se deroule sur la place publique de Hautefaye. Jean Campot beneficie d'une erreur du jury (les circonstances attenuantes furent acquises a six voix au lieu des sept exigees), et se voit condamne a une peine de
travaux forces
a
perpetuite
au
bagne de Nouvelle-Caledonie
[
47
]
. Les autres accuses sont condamnes, pour les plus lourdes peines a huit ans de travaux forces, et pour les plus legeres a un an de prison. L'un des accuses, Thibaud Limay dit Thibassou, est
acquitte
mais, en raison de son jeune age, envoye en
maison de correction
jusqu'a ses vingt ans. Le
, quelques jours apres la fin du proces, l'ancien maire de Hautefaye, Bernard Mathieu ? probablement pris de remords ? meurt en Charente
[
48
]
.
Le
, le
pourvoi en cassation
des quatre condamnes a mort est rejete, ainsi que la demande de grace qui parvient le
au
ministere de la Justice
[
49
]
.
La
guillotine
devait etre initialement installee au lieu de l'ancienne mare assechee ou s'etait deroulee l'immolation d'Alain de Moneys, mais, le terrain etant trop accidente, l'echafaud est dresse le matin du
dans la halle aux bestiaux. Le
bourreau
Jean-Francois Heidenreich
ne pouvant se deplacer, c'est son premier aide
Nicolas Roch
qui procede a l'execution
[
50
]
. Les quatre condamnes sont decapites dans l'ordre suivant : Piarrouty en premier, puis Buisson, Maziere, et enfin Chambord
[
50
]
.
En 1953, Noemie Lavaud, derniere personne encore vivante a avoir ete temoin de l'affaire de Hautefaye, meurt a l’age de 92 ans. Un siecle apres l'affaire, le
, une messe de pardon est celebree dans l'eglise de Hautefaye en presence des descendants de la victime et de ceux des quatre condamnes a mort
[
51
]
. Francis Donnary, maire du village depuis 1977, propose de faire installer une stele commemorative pour marquer l'evenement, mais abandonne le projet en 2009,
≪ car il y a encore une honte dans ce village ≫
[
52
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La version du 20 mars 2014 de cet article a ete reconnue comme ≪
article de qualite
≫, c'est-a-dire qu'elle repond a des criteres de qualite concernant le style, la clarte, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.