Un
accident de criticite
(ou
excursion nucleaire
) est un
accident nucleaire
provoque par une
reaction nucleaire en chaine
involontaire et incontrolee dans un
combustible nucleaire
fissile
comme l'
uranium
ou le
plutonium
. Il s'accompagne d'une emission de rayonnements neutrons et gamma eventuellement intense, rapidement mortelle.
L’accident de criticite peut etre defini comme une liberation fortuite d’energie survenant a la suite d’une
reaction en chaine
de
fission
. Une telle situation peut se produire dans une installation lorsque la quantite de
matiere fissile
presente est superieure a la
masse critique
qui depend de la geometrie et des proprietes physico-chimiques du milieu considere.
L’excursion de puissance est accompagnee de l’emission intense de
neutrons
et de rayons
gamma
ainsi que de la production de
produits de fission
[
1
]
.
La grandeur decrivant la
criticite
d’un milieu est caracterisee par le
coefficient de multiplication effectif
(ou
facteur de multiplication effectif du systeme
) :
du milieu, qui traduit un
bilan neutronique
entre la production de neutrons par fission et les pertes par absorption et par fuite.
C'est le rapport des nombres de neutrons correspondant a deux generations successives de neutrons, calcule sur la base du devenir d'une generation de neutrons (une analogie fidele pourrait etre faite avec la natalite d'un pays pour une generation donnee, si ce n'est qu'avec les neutrons, le temps de vie entre deux generations serait de l'ordre de la milliseconde)
[
2
]
.
Selon que le
est superieur, egal ou inferieur a 1, le systeme est dit sur-critique, critique ou sous-critique.
Pour caracteriser les ecarts par rapport a une situation critique, la notion de
≪ reactivite ρ ≫
est souvent introduite.
Par definition,
est une valeur sans unite s’exprimant de facon conventionnelle en pcm (pour cent mille).
Une unite plus physique et plus representative de la reactivite est souvent utilisee : il s’agit du ≪
Dollar
≫ qui correspond a la proportion β de neutrons emis de facon retardee. Cette unite permet d’identifier, selon que ρ est inferieure ou superieure a β, la nature des neutrons qui ≪ piloteront ≫ la dynamique d’un accident de criticite.
L'accident peut etre mortel pour les personnes a proximite du siege de l'accident ; elles developpent generalement le
syndrome d'irradiation aigue
("maladie des rayons") dans les heures suivantes. Dans les cas de manipulation manuelle, l'operateur est generalement expose a un
equivalent de dose
de plusieurs dizaines de
sieverts
et decede en quelques jours.
Une telle reaction, qui se declenche brutalement des que les conditions propices sont reunies, peut donc causer une irradiation grave, voire mortelle, des personnes se trouvant a proximite de l'equipement concerne, et conduire a une emission limitee de gaz radioactifs. Cependant, dans les configurations typiques des installations du cycle du combustible, elle n'induit pas de degagement important d'energie et, en tout etat de cause, ne presente pas de caractere
explosif
, elle ne peut donc pas produire d’
explosion nucleaire
[
3
]
.
Ce risque peut se manifester a plusieurs stades du
cycle du combustible nucleaire
: dans l'usine d'enrichissement, lors du transport, du traitement de combustible irradie, de
dechets nucleaires
ou de l'utilisation de combustible.
L'accident peut etre lie a une erreur humaine ou a la defaillance d'un equipement durant laquelle un parametre depasse son seuil critique. Cet etat peut etre atteint par un non-respect de procedure (utilisation d'un conteneur de trop grand diametre pour une solution concentree de plutonium) ou de manipulation (transfert d'une solution concentree dans un equipement de geometrie quelconque). Il peut aussi resulter d'une perte de geometrie (rupture de
confinement
) ou d'une agression externe (
seisme
,
inondation
).
Le risque d'accident de criticite existe lorsque les processus industriels traitent du plutonium ou de l'uranium enrichi a plus de 1 % en uranium 235
[
4
]
.
Ce risque existe pour des assemblages massifs de materiaux
fissiles
, et dans des conditions favorables de ralentissement neutronique. Pour les quantites d'emploi courant, l'uranium ne souleve reellement des questions de criticite dans les processus industriels qu'au-dela d'un enrichissement de l'ordre de 20 %, ce qui correspond a la limite generalement admise pour l'enrichissement d'uranium ≪ a usage militaire ≫. Quand de tels materiaux (susceptibles d'occasionner un accident de criticite) sont impliques dans un processus industriel, les masses assemblees en un meme lieu ne doivent jamais exceder la
masse critique
du materiau considere.
La
physique nucleaire
permet de predire a partir de quelle valeur un parametre (
masse
, diametre, volume, concentration…) permet de rendre critique un equipement ou une installation, en fonction du type de combustible (
uranium
,
plutonium
), de sa nature (
compose chimique
,
concentration
lorsqu'il est dans une
solution
), de la geometrie de l'equipement et de son environnement. Ces calculs complexes, mettant en jeu des hypotheses pessimistes, permettent de verifier
a priori
les procedures afin de s'assurer que la criticite ne puisse jamais etre atteinte. Des marges amont et des mesures de securite adaptees sont prises pour se premunir contre les erreurs humaines et les defaillances.
La discipline visant a prevenir l'accident de criticite est appele
criticite
.
En France, le reacteur experimental Silene
[
5
]
a ete developpe en 1974 pour etudier la phenomenologie et les consequences d'un accident de criticite
[
6
]
.
Outre un travail d'analyse de
retour d'experience
fait a partir des donnees disponibles pour les accidents connus, des programmes experimentaux d'etudes de la criticite ont ete conduits (durant plus de 20 ans) par l'industrie nucleaire francaise (AREVA-NC, AREVA-NP) avec l'
ANDRA
et l'autorite de surete et l'IRSN, associant parfois des acteurs internationaux (US-DOE235
[
7
]
dans la ≪
Station de criticite de Valduc
≫ pour notamment qualifier les outils de calculs et les modeles, dans le cadre de plusieurs programmes de recherche dont
- Le programme HTC (Haut
Taux de Combustion
),
- Le programme PF (Produits de Fission)
- Le programme MIRTE (Materiaux en Interaction et Reflexion Toutes Epaisseurs),
Les deux premieres excursions nucleaires accidentelles mortelles ont eu lieu en
1945
et
1946
a
Los Alamos
[
8
]
.
Selon une etude de l'
IRSN
d'
, une soixantaine d’accidents de criticite ont ete declares dans des
installations nucleaires
depuis
1945
:
Ces accidents n’ont pas provoque de rejets radioactifs significatifs dans l’environnement, mais des irradiations importantes entrainant 19 deces dont 15 entre
1945
et
1971
[
9
]
.
Des accidents de criticite se sont produits en contexte civil et militaire, dont deux en France en
1960
et
1968
a
Saclay
:
- ,
Laboratoire national de Los Alamos
,
Nouveau-Mexique
(
Etats-Unis
). Cet accident (
Demon Core
) provoque la mort de
Harry Daghlian Jr.
.
- ,
Laboratoire national de Los Alamos
, Nouveau-Mexique (Etats-Unis). Cet accident (
Demon Core
) provoque la mort de
Louis Slotin
.
- ,
Complexe nucleaire Maiak
. Amputation des jambes de l'un des deux operateurs (decede 35 ans apres l'accident).
- ,
Complexe nucleaire Maiak
. Un operateur est decede 12 jours apres l'accident (dose : 30
Gy
), 5 autres operateurs recurent des doses estimees 3
Gy
,
- ,
Complexe nucleaire Maiak
. 3 operateurs decederent 5-6 jours apres, le
4
e
operateur eut de graves problemes de sante et perdit la vue quelques annees plus tard.
- , Oak Ridge,
Y-12 National Security Complex
, 1 personne vecut 14,5 ans, 1 personne vecut 17,5 ans, 5 en vie 29 ans apres,
- ,
Institut des sciences nucleaires de Vin?a
(Yougoslavie).
- ,
Laboratoire national de Los Alamos
- Nouveau-Mexique (Etats-Unis). L’operateur (
Cecil Kelley
) recut 120
Gy
et deceda 35 heures apres l’accident, 2 autres operateurs recurent une dose 1,34 et 0, 53
Gy
.
- ,
Usine de traitement chimique de l'Idaho
.
- Saclay
(France)
[
10
]
Pas de personne irradiee. 3x10^18 fissions de noyaux, 1 pic. Maquette critique (Alize) - 2,2 tonnes de barreaux d'oxyde d'uranium enrichis a 1,5%, sous eau. Pour une raison inconnue, un operateur a effectue le retrait total d'une barre absorbante (au lieu d'un retrait partiel) - arret de la reaction par
effet Doppler
- non destruction du cœur.
- ,
Complexe nucleaire Maiak
. 5 operateurs recurent des doses comprises entre 2,4 et 20
mSv
.
- ,
Combinat chimique de Siberie
. Un operateur recut 2
Gy
, sans lesion clinique durable.
- ,
Complexe nucleaire de Hanford
. 3 personnes recurent des doses importantes sans lesion clinique apparente.
- ,
Complexe nucleaire Maiak
. Pas de personnel ayant subi des doses significatives.
- ,
Combinat chimique de Siberie
. 4 personnes se situant a environ 10 metres du reservoir ont recu des doses comprises entre 0,06 et 0,17
Gy
.
- ,
Combinat chimique de Siberie
. Equivalent de dose maximale de
5
rem.
- , United Nuclear Fuels Recovery Plant (
Wood River Junction (Rhode Island)
).
- ,
Elektrostal
Machine Building Plant. Un operateur situe a env. 4,5
m
de la pompe recut 34
mSv
.
- ,
Complexe nucleaire Maiak
. 17 operateurs recurent des doses < 10
mSv
, 7 operateurs < 20
mSv
et 3 operateurs < 7
mSv
.
- Saclay
(France)
[
10
]
1 personne legerement irradiee 1 pic ISIS Maquette critique du reacteur OSIRIS - combustible U-Al enrichi a 93% Excursion de puissance due a un retrait anticipe d’une experience tres absorbante alors que toutes les barres n'etait pas en position basse. La reaction en chaine a ete arretee lorsque l'operateur a laisse retomber le dispositif experimental. Quelques elements du cœur ont ete deformes. La hauteur d’eau a ete suffisante pour assurer la protection de l’agent - accident non documente.
- ,
Complexe nucleaire Maiak
. Le Chef d’atelier deceda 1 mois apres l’accident (24,5
Sv
), l’operateur a perdu la vue et il fut ampute d’une main et des deux jambes (7
Sv
), 6 operateurs recurent des doses < 16
mSv
, 4 operateurs < 1,5
mSv
.
- ,
Windscale Works
? Royaume-Uni. Irradiation tres faible de deux agents.
- ,
Idaho Chemical Processing Plant
. 2 personnes faiblement irradiees.
- ,
Combinat chimique de Siberie
. Un operateur recut 2,5
Gy
et 20
Gy
au niveau des bras et des mains ? amputation des bras et degradation de la vue, 7 autres personnes recurent des doses comprises entre 0,05 et 0,6
Gy
.
- ,
Constituyentes
(
Argentine
).
- ,
Usine de concentres chimiques de Novossibirsk
. Doses insignifiantes.
- , JCO Fuel Fabrication Plant -
Tokaimura
Ibaraki (Japon). Trois operateurs recurent respectivement 17 Sv, 10 Sv et 3 Sv. Les deux premiers decederent quelques mois apres l'accident.
- ↑
Casoli P, Gagnier E, Laget M & Lebaron-Jacobs L (juin 2017)
Dosimetrie des accidents de criticite dans les installations du CEA: reflexions sur l'utilisation du spectrometre neutron de type SNAC2
. In
Congres national de radioprotection
. Congres national de radioprotection
- ↑
IRSN (2009)
Les accidents de criticite dans l'industrie nucleaire
; note d'information, octobre 2009 voir
p.
4/21
- ↑
Audition du president de l'IRSN
- ↑
IRSN (2009)
Les accidents de criticite dans l'industrie nucleaire
; note d'information, octobre 2009 voir
p.
6/21
- ↑
Le reacteur SILENE, reacteur d'irradiations technologiques
- ↑
http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=13844060
- ↑
IRSN (2009)
Les accidents de criticite dans l'industrie nucleaire
; note d'information, octobre 2009 voir
p.
8/21
- ↑
Karas J.S & Stanbury J.B (1965)
Fatal radiation syndrome from an accidental nuclear excursion
. New England Journal of Medicine, 272(15), 755-761. DOI: 10.1056/NEJM196504152721501. (
resume
)
- ↑
IRSN - Les accidents de criticite dans l'industrie nucleaire - Direction de la surete des usines, des laboratoires, des transports et des dechets, Service d'expertise, d'etudes et de recherche en criticite - Octobre 2009
, voir
p.
8/21 du PDF
- ↑
a
et
b
≪
Les accidents de criticite dans l'industrie nucleaire
≫
|
Accidents et incidents
classes suivant l'
echelle INES
|
7
|
|
6
|
- Kychtym
(
, Union sovietique)
|
5
|
|
4
|
|
3
|
- Usine de la Hague
(
, France)
- Gravelines
(
, France)
- Vandellos
(
, Espagne)
- Forbach
(
, France)
- Roissy
(
, Suede-France-Etats-Unis)
- Sellafield (Windscale)
(
, Royaume-Uni)
- ONERA
(
, France)
- Fleurus
(
, Belgique)
- Fukushima Daini
(
, Japon)
- Anshas
(
, Egypte)
|
2*
|
|
|
|
Consequences
|
|
Organisations
de
surete nucleaire
|
|
Autres organisations
|
|
Articles lies
|
|
*
Liste non exhaustive (l'
ASN
indique qu'il y a en France dans l'industrie nucleaire environ 2 incidents de classe 2 par an).
|