Etienne-Gabriel Morelly

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Etienne-Gabriel Morelly
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Page de titre du Code de la nature, 1755
Naissance
Paris , Quartier Saint-Gervais
Deces  ?
Activite principale
Auteur

Œuvres principales

  • Basiliade du celebre Pilpai (1753)
  • Code de la nature (1755)

Etienne-Gabriel Morelly , ne vers 1717 et mort peut-etre en 1778, est un philosophe francais meconnu, qui s'inscrit dans le mouvement des Lumieres . Son ouvrage principal, le Code de la nature repose sur le postulat que l'homme est naturellement bon, et que tous ses maux proviennent de la notion de propriete .

Biographie [ modifier | modifier le code ]

La vie de Morelly est tres mal connue : aucun des documents habituels d' etat-civil , ni aucun manuscrit n'a ete retrouve. Il a meme ete avance qu'il y aurait eu deux Morelly philosophes, le pere et le fils [ 1 ] . Les recherches de Coe [ 2 ] et de Wagner [ 3 ] sont restees infructueuses face aux sources contradictoires, mais Antonetti pense avoir leve une grande partie du mystere et a reconstitue l'arbre genealogique de la famille [ 4 ] .

Le grand-pere d'Etienne-Gabriel Morelly, prenomme Jean-Jacques, est ne en 1659 a L'Isle-sur-Sorgue . Il est tabellion , puis controleur au grenier a sel d' Avignon . Son pere, Gabriel, probablement ne en 1687, est employe dans les fermes du roi puis dans le service des vivres des armees. Il decede en 1764 a Vitry-le-Francois . Etienne-Gabriel est probablement ne en 1717 a Paris, paroisse Saint-Gervais , et non a Vitry-le-Francois comme l'indiquent tous ses biographes ? il n'y a pas d'acte de naissance au nom de Morelly entre la fin du XVII e  siecle et 1722. Par contre, il est arrive dans cette ville dans sa toute prime enfance [ 4 ] .

Etienne-Gabriel Morelly ne vit plus a Vitry-le-Francois en 1764, a la mort de son pere, mais y vit encore en 1743 a la mort de sa mere. C'est a cette periode qu'il rencontre son premier protecteur, Armand de Rohan-Soubise , qui vient d'etre nomme eveque coadjuteur de Strasbourg [ 4 ] , a qui il dedie son Essai sur le cœur humain [ 5 ] . Par l'intermediaire de son pere, le jeune Morelly fait la connaissance d' Helvetius , alors fermier general charge d'inspections dans la region, ainsi que de Dumarsais , qui l'accompagnait dans ses tournees [ 6 ] . Ceux-ci l'introduisent aupres de Fontenelle [ 5 ] .

Il s'installe a Paris entre 1743 et 1745 [ 7 ] . Jusqu'en 1748, ses œuvres sont celles d'un jeune moraliste traitant surtout des sujets d'education, dediant Physique de la beaute a une membre de la famille Conti , qui n'est pas encore brouillee avec Madame de Pompadour [ 8 ] . Vers 1748-1749, il devient un ecrivain politique, fidele a la monarchie , oppose a l' Autriche , au clerge, mais toujours fidele a Madame de Pompadour. C'est ce qui ressort du Prince des delices , qui parait en 1751 [ 9 ] . Puis il change d'attitude : l'auteur de La Basiliade et du Code de la nature , visiblement decu par le gouvernement de Louis XV , se fait le porte- parole de l'opposition a la Cour des Parlements et des princes ? en particulier Louis-Francois de Bourbon-Conti  ? apres le renversement d'alliance au profit de l'Autriche et au detriment de la Prusse [ 10 ] , [ 11 ] .

Souvent absent de France, Morelly a peut-etre ete employe comme courrier diplomatique par le prince de Conti, charge du Secret du roi , en lien plus ou moins occulte en particulier avec l'ambassadeur en Pologne Louis-Adrien Duperron de Castera , egalement precepteur du prince Adam Kazimierz Czartoryski . ≪ Ceci pourrait expliquer qu'il ait traverse comme une ombre la societe de son temps [ 12 ] , [ 13 ] . ≫

Cette lecture de Morelly comme plume et agent du prince de Conti, faite par Antonetti [ 14 ] , s'oppose a celle de Coe [ 15 ] . Pour ce dernier Morelly aurait sejourne a la Cour de Frederic II de Prusse , ce qui lui aurait inspire ≪ le degout de tout ce dont il etait le symbole [ 16 ] . ≫ Toujours selon Coe, c'est ainsi que, des 1752, il decouvre sa vocation reelle et, dans la Basiliade , preche le socialisme, non plus dans les termes d'un sycophante cherchant a plaire a son mecene, mais avec toute la ferveur du proselyte nouvellement converti [ 15 ] . L'ouvrage ne connait aucun succes. Plus tard, le Code de la nature est recu avec le meme silence indifferent, rompu seulement par les quelques sarcasmes de critiques scandalises [ 17 ] .

On perd la trace de Morelly apres 1755, date de la parution des Lettres de Louis XIV . Peut-etre vit-il jusqu'en 1778, date de publication de L'Hymen venge , mais sa paternite de l’œuvre est remise en cause [ 18 ] .

Œuvres principales [ modifier | modifier le code ]

Basiliade du celebre Pilpai [ modifier | modifier le code ]

Basiliade du célèbre Pilpai
Basiliade du celebre Pilpai

Naufrage des iles flottantes, ou Basiliade [ 19 ] du celebre Pilpai, Poeme heroique, traduit de l'indien par M. M*****, parait en 1753. Trois editions sont connues, dont deux sont sans doute des contrefacons. Malgre une forme desastreuse [ 20 ] ? six cents pages de prose quasi poetique ? l'ouvrage connait un succes ephemere, se trouve toujours en circulation cinq ans plus tard et fait l'objet d'une traduction anglaise [ 20 ] .

La Basiliade raconte comment Zeinzemin, le roi d'un peuple innocent et heureux, enleve par des envahisseurs europeens, revient chez lui apres avoir mesure la turpitude des civilisations proprietaires qui fleurissent dans les Iles Flottantes, c'est-a-dire l' Europe [ 21 ] . Dans ce texte, ≪ roman utopique decrivant une societe basee sur l'amour du prochain, l'egalite entre tous et la bienfaisance mutuelle de ses membres [ 22 ]  ≫ , Morelly, contrairement a ses predecesseurs en Utopie , defend l'idee que la communaute de biens est la matrice de l'organisation sociale, et la propriete privee, son detournement [ 23 ] . ≪ L'auteur oppose la sociabilite, la moralite collective et l'affection universelle qui emanent spontanement d'une organisation communautaire a l'hypocrisie morale et religieuse, a l'alienation des etres, a une structure sociale absurde et barbare [ 24 ] . ≫

Un compte-rendu parait en novembre 1743 dans La Nouvelle bigarrure [ 25 ]  : ≪ Le but de cette pretendue traduction est de montrer quel serait l'etat heureux d'une societe formee selon les principes de la loi naturelle, et de faire sentir les meprises de la plupart des legislateurs qui ont voulu reformer le genre humain. L'auteur a bati un systeme impraticable de morale et de politique. ≫ Un autre article, paru dans la Bibliotheque impartiale [ 26 ] , parait suffisamment important a Morelly pour qu'il consacre les premieres pages du Code de la nature a le refuter point par point.

Pour Abdelaziz Labib, la Basiliade, ≪ utopie typiquement amoureuse et feministe [ 27 ]  ≫ , decrit la constitution d'une republique egalitaire. Son peuple vit sans contrainte politique ou domination religieuse. Son roi n'est que l'ame du peuple et ne renvoie a aucune realite contingente ou personnifiee. Pacifiste et anticolonialiste, la Basiliade depouille l'univers de toute relation de crainte, d'etrangete et de violence [ 28 ] .

Selon l'analyse de Nadia Minerva, Morelly se range dans une forme litteraire dont il respecte la forme et le contenu ? manuscrit, voyage imaginaire, naufrage ?, mais en fait un usage desinvolte et quelque peu desacralisant : ce n'est plus le representant de notre civilisation qui part a la decouverte d'Utopie, c'est l'utopien qui en sort et nous observe de son regard revelateur. Quant au cadre fabuleux, depassant les imperatifs structurels du genre, il contamine le contenu speculatif. Ainsi l'organisation socio-politique de la societe utopique n'est nullement detaillee. Il s'agit la d'une conception providentielle de l'histoire : les problemes sont miraculeusement resolus aussitot que poses, la reponse fantastique deforme le fond meme des questions en assignant aux problemes une solution qui les dissout.

Morelly ressent l'urgence d'extraire ≪ la verite de speculation ≫ de son utopie : ce sera le Code de la nature [ 29 ] .

Code de la nature [ modifier | modifier le code ]

Historique [ modifier | modifier le code ]

Lors de sa publication, ce texte ? le plus celebre des ouvrages de Morelly ?, date de 1755 mais paru en 1754 [ 30 ] , [ 31 ] , est attribue a La Baumelle , a Francois-Vincent Toussaint ou a Diderot . Cette paternite est reprise par Babeuf , jusqu'a ce qu'elle soit refutee par Barbier en 1805 [ 32 ] . L'ouvrage fait l'objet de plusieurs reeditions jusqu'en 1773, malgre sa mise a l' Index par le pape Clement XIII en janvier 1761 [ 30 ] .

Contenu [ modifier | modifier le code ]

Le Code de la nature est structure en quatre parties :

  • Defauts des principes generaux de la politique et de la morale. Morelly definit sa conception de la nature humaine, fondee sur l'egalite, l'amour de soi et la dependance qui l'oblige a collaborer avec ses semblables [ 33 ] . Pour lui, l'homme est bon. Il recuse donc le presuppose de depart des moralistes ? la mechancete fonciere de l'homme. Pour lui, ce presuppose provient de leur aveuglement quant aux effets devastateurs de ce qu'il considere comme la cause majeure, voire unique, des maux de l'humanite : la notion de propriete [ 34 ] .

≪ Je crois qu'on ne contestera pas l'evidence de cette proposition que la ou il n'existerait aucune propriete, il ne peut exister aucune de ses pernicieuses consequences. ( ed. Roza, 2011, p. 58 ) ≫

  • Defauts particuliers de la politique. A partir de l'exemple de ≪ peuples de l' Amerique  ≫ est esquissee l'histoire fictive, mais possible, d'un progres historique sans violence sociale, car sans partage ≪ de ce qui ne devait point l'etre. ≫ [ 35 ]

≪ Les hommes naissent dans une mutuelle dependance qui les fait tour a tour commander et servir , c'est-a-dire etres secourus et secourir  ; mais dans cette signification, et selon le veritable droit de la nature, il n'y a et ne doit y avoir ni maitre ni esclave . (ed. Roza, 2011, p. 97)  ≫

  • Defauts particuliers de la morale vulgaire. Dans cette partie polemique, Morelly denonce les maximes du Droit civil et du Droit des gens , la decheance de l'esprit originel du christianisme qui rapprochait les hommes des lois naturelles, et le sacrifice de l'interet general a l'interet du seul souverain [ 36 ] .

≪ J'ai fait des efforts pour trouver la solution du probleme que je propose des le commencement de cet ouvrage. C'est, je le repete, de trouver une situation dans laquelle l'homme soit aussi heureux et aussi bienfaisant qu'il peut l'etre en cette vie. Qu'il etende ou non ses esperances au-dela de son etat present, il faut rendre sa bonte morale independante de tout espoir futur, et qu'elle soit le motif et l'objet de son bonheur present. (ed. Roza, 2011, p. 144)  ≫

  • Modele de legislation conforme aux intentions de la nature . Ce code legislatif marque une rupture avec la fiction utopique, qui laisse la societe ideale dans l'imaginaire [ 37 ] . Sont definies des ≪ Lois fondamentales et sacrees ≫ , des lois distributives ou economiques, des lois de police, des lois de la forme et de l'administration du gouvernement, des lois conjugales, des lois d'education et des lois penales.
    - Trois lois sacrees sont mises en exergue : la premiere abolit la propriete privee, la seconde proclame le droit de vivre et le droit au travail, la troisieme etablit un systeme de cooperation, avec l'obligation pour le citoyen de prendre part aux efforts collectifs ≪ en fonction de ses forces, de ses talents, de son age ≫ [ 38 ] .
    - Un systeme d'education collective unit etroitement les apprentissages du travail intellectuel et du travail manuel. Le mariage est obligatoire, mais le divorce possible [ 39 ] .

Reception [ modifier | modifier le code ]

Morelly a la malchance de publier son ouvrage en 1755, a peu pres en meme temps que parait le Discours sur l'origine et les fondements de l'inegalite parmi les hommes de Rousseau , qui l'eclipse par son retentissement extraordinaire [ 40 ] .

Le premier compte-rendu, relativement favorable, parait dans la Bibliotheque des sciences, et des beaux arts d'octobre-1754 [ 41 ]  : ≪ Quoi qu'en qualite de Legislateur il eleve quelquefois le ton, c'est un Philosophe d'une humilite exemplaire. ≫

Puis les critiques s'accumulent. Raynal , dans les Nouvelles litteraires de janvier 1755, remet en cause l'hypothese fondamentale du livre : ≪ Depuis Platon jusqu'a M. de la Baumelle [Morelly], nous avons eu je ne sais combien de faiseurs de republiques de speculation ; mais ces legislateurs ont presque toujours suppose les hommes comme ils ne sont pas [ 42 ] . ≫

Grimm , dans sa Correspondance litteraire de fevrier 1755 [ 43 ] assassine l'auteur : ≪ Il n'y a ni principes, ni lumiere dans ce livre. ≫

Freron , dans son Annee litteraire ecrit, en avril 1755 [ 44 ]  : ≪ Quelques traits lances avec autant d'injustice que de fureur contre les Ecclesiastiques et les Moines, des expressions hardies ou singulieres, le titre meme du livre, lui ont procure une espece de vogue, uniquement fondee sur la malignite ou la sottise d'un certain ordre de lecteurs. Un peuple qui serait gouverne selon ces principes ne ressemblerait pas mal a un theatre de marionnettes.Le style de l'auteur n'est pas plus capable de faire illusion que le fond de l'ouvrage. Vous le trouverez dur, sec, froid, plat. Je ne parle ni des contradictions grossieres et multipliees que l'on rencontre a peu de distance les unes des autres, ni de la confusion generale qui regne dans la distribution des matieres. Ce grand Philosophe qui veut mettre de l'ordre dans une Republique ne sait pas en mettre dans ses idees. ≫

Quant a La Harpe , il qualifie la communaute de biens et de travaux de ≪ folle hypothese d'un cerveau malade [ 45 ] . ≫

Analyses [ modifier | modifier le code ]

Pour Coe, ≪ Quelques sept ans avant le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau , Morelly reussit a presenter une image claire d'une ≪ democratie totale ≫ qui soit a la fois economique et politique, concue pour donner a tous ses membres le maximum de securite, et en meme temps pour eviter les dangers de degeneration inherents a toute republique elective. La critique la plus evidente qui doive lui etre adressee est que Morelly ne donne aucune indication concernant les moyens par lesquels cette societe ideale pourrait s'etablir [ 46 ] . ≫

Selon le fourieriste [ 47 ] Villegardelle, ≪ il doit etre facile a ceux qui ont eu connaissance des theories sociales de Saint-Simon et de Charles Fourier de noter les rapports qui existent entre elles et le systeme de Morelly. Et, d’abord, on voit tres bien que les trois reformistes sont d’accord sur deux points essentiels : 1° la possession en commun du fonds, des immeubles et des instruments de travail ; 2° la communaute d’education. Mais Morelly n’admet pas la repartition selon la capacite et les œuvres comme l’ecole saint-simonienne, encore moins selon le capital, comme l’ecole phalansterienne , mais il veut l’usage commun des productions aussi bien que des immeubles. Il n’y a donc pas, dans la cite Morellyste, de categories, de classes, de distinctions [ 48 ] . ≫

Jacques Droz considere que ≪ son utopie rationnelle et moralisante fige l'histoire. La conception du progres chez Morelly est avant tout morale. Pour parvenir a l'age d'or, il faut retablir dans le coeur de l'homme des sentiments de ≪ probite naturelle ≫. Morelly est l'un des premiers defenseurs de la ≪ democratie totale ≫ : il ne recherche pas seulement l'abolition des privileges, mais l'abolition de toutes les distinctions sociales, y compris celles de la richesse et du talent, et meme de l'autorite deleguee : l'election est bannie. Sa conception de l'egalite represente une premiere tentative pour formuler le dogme essentiel des systemes socialistes du XIX e  siecle : que chacun contribue selon sa capacite, que chacun recoive selon ses besoins [ 49 ] . ≫

Benoit Hepner relit Morelly a la lumiere d'evenements posterieurs : ≪ Philosophe de la Nature comme Jean-Jacques , il nous mene dans le havre d'un communisme tyrannique qui ne nous laisse nulle illusion sur l'impasse dans laquelle debouche cet esprit raisonneur et passionne [ 50 ] . ≫

En synthese, selon Nicolas Wagner, le Code de la nature est un de nos grands pamphlets politiques. ≪ Livre bacle, improvise, furibond, c'est un entassement de fragments bien venus et bien ecrits. L'ensemble est grandiose et grotesque, souverainement inclassable [ 51 ] . ≫

Œuvres mineures [ modifier | modifier le code ]

  • L' Essai sur l'esprit humain ou principes naturels de l'education , ecrit en grande partie en 1741, publie entre le 15 mars et le 18 mai 1743 [ 52 ] , est un ≪ traite de pedagogie liberale [ 53 ]  ≫
    Villegardelle resume sa ≪ substance ≫ en retenant deux de ses propositions [ 54 ]  : ≪ Les inclinations de l’intelligence peuvent se reduire a deux ; savoir : le desir de connaitre et l’amour de l’ordre ; il faut rapporter a ces deux fins jusqu’aux divertissements des enfants. ≫ et ≪ Il suffit de presenter a l’ame les objets dans l’ordre qu’elle suit ordinairement, sans lui faire apercevoir qu’elle y doit faire attention. ≫
    L'ouvrage fait l'objet d'un compte-rendu elogieux et tres detaille de l' abbe Desfontaines dans ses Observations sur les ecrits modernes [ 55 ]  : ≪ Son but est de conformer l'education a la nature. [Sur l'imagination] les deux premiers chapitres sont un peu abstraits, mais il y regne un esprit philosophique qui sait donner corps aux idees. Le troisieme chapitre est encore fort bon. Sur les quatrieme et cinquieme chapitre, je ne suis point du sentiment de l'auteur. Le sixieme chapitre a un air sense. L'objet de la seconde partie est la memoire. L'auteur ne confond-il point la memoire machinale et la memoire intellectuelle ? Sur la troisieme partie, ou il s'agit du jugement. M. M. me pardonnera si je pense autrement sur un article si important. [Ce livre] m'a semble la production d'un homme qui a des idees fort eloignees des idees triviales et tres au-dessus des lumieres communes. ≫ Un resume detaille de l'ouvrage parait egalement dans le Mercure de France de juin 1743, lui reconnaissant un ≪ merite reel [ 56 ] . ≫
  • L' Essai sur le cœur humain, ou principes naturels de l'education , sans doute compose a la meme periode que le precedent, ne parait qu'en 1745 et inaugure une longue serie d'echecs [ 57 ] .
    C'est un ≪ traite de morale [ 58 ]  ≫ que Villegardelle resume ainsi : ≪ Le lecteur a du remarquer ce mot profond : l’homme n’est sensible que par ce qu’il peut etre heureux ; et il n’est raisonnable que parce qu’il est sensible . C’est le premier jet lumineux d’une idee qui prit son developpement complet dans le Code de la Nature . La raison n’est pas faite pour contrarier en nous les penchants qui nous portent a former un vœu tres legitime, celui d’etre heureux [ 48 ] . ≫
    Serge Baudiffier considere l' Essai sur le cœur humain et l' Essai sur l'esprit humain comme un programme philosophique et pedagogique unique [ 59 ] . Celui-ci est encore plus sensualiste que John Locke , qui l'inspire. ≪ Son sensualisme est un humanisme , avec sa confiance dans la nature humaine et son aspiration au bonheur terrestre. Cependant Morelly a tendance a avancer plus loin que ses modeles anglais et a consommer, par la radicalisation de sa reflexion, la rupture avec l'ordre social etabli et avec ses fondements metaphysiques et religieux [ 60 ] . ≫
  • Physique de la beaute , ≪ traite d'esthetique d'un classicisme etroit [ 61 ]  ≫ , ≪ livre mal venu [ 62 ]  ≫ paru en 1748, passe inapercu et ne fait l'objet d'aucun compte-rendu [ 63 ] .
  • Le Prince, les delices des cœurs, ou Traite des qualites d'un grand roi et systeme general d'un sage gouvernement , publie en 1751, est a nouveau un echec. L'ouvrage ne s'attire qu'un compte-rendu peu flatteur dans une revue des Pays-Bas [ 63 ] .
    ≪ Morelly a voulu refaire un Louis XIV a sa guise, mais il n'a pas pour autant remis en cause les principes essentiels du pouvoir ludovicien. S'il ne renie pas les revendications des liberaux, il tente de sauver le principe monarchique dans ce qu'il a d'essentiel : la puissance au-dessus de toute puissance ≫ [ 64 ] .
  • Les Lettres de Louis XIV aux princes de l'Europe , ≪ pur travail de mercenaire qui montre, a defaut d'autres choses, que Morelly dut se trouver dans la gene entre 1749 et 1751 ≫ sont ecrites en 1751 et paraissent au debut de 1755 avec un assez fort tirage [ 30 ] . La Bibliotheque des Sciences et des Beaux-Arts [ 65 ] considere que l'ouvrage aurait du etre reduit a un seul volume, et s'etonne parfois du contenu : ≪ N'est-il pas singulier de voir Louis XIV precher le Tolerantisme ? ≫
  • L' Hymen venge , paru en 1778, est attribue a Morelly car deux courts passages en vers sont des versions retouchees en mauvais alexandrins de passages de la Basiliade. Il n'apporte pas la preuve que Morelly vivait encore a la date de parution et ≪ n'ayant aucune valeur peut etre oublie sans inconvenient [ 66 ] . ≫ Wagner considere l'ouvrage ≪ qui n'est pas mediocre ≫ , comme apocryphe [ 67 ] .

Influence [ modifier | modifier le code ]

L'influence de Morelly, penseur isole [ 68 ] , meconnu des Lumieres [ 3 ] , est faible.

Il inspire la Conjuration des Egaux menee par Babeuf . Meme s'il confond Morelly avec Diderot , celui-ci voit en l'auteur du Code de la nature ≪ le plus determine, le plus intrepide, j'ai presque dit le plus fougueux athlete du systeme [ 69 ] . ≫

Proudhon s'inspire largement de Morelly, non seulement dans son collectivisme , mais peut-etre egalement dans son antiparlementarisme [ 70 ] . Les idees d' Etienne Cabet [ 71 ] et de Theodore Dezamy sont influencees par le Code de la nature [ 72 ] .

Morelly a quelque succes en U.R.S.S. Le Code de la Nature y parait en 1923 puis en 1947. Pour son editeur, Morelly est le representant de l' intelligentsia obscure issue de la petite bourgeoisie urbaine du XVIII e  siecle. Mais ≪ les anticipations les plus frappantes de Morelly ne sont pas precisement celles dont font etat les travaux d'un savant sovietique ≫ [ 73 ] .

A la suite de Lichtenberger et d' Edouard Dolleans , Jacques Droz considere que Morelly ≪ merite d'etre place au premier rang de l'histoire des origines de la pensee socialiste [ 49 ]  ≫ , tandis qu' Alfred Sudre le critique dans son Histoire du communisme ou Refutation historique des utopies socialistes , de meme que Gilbert Chinard .

Publications [ modifier | modifier le code ]

  • Essai sur l'esprit humain, ou Principes naturels de l'education , Paris, C.-J.-B. Delespine, ( lire en ligne )
  • Essai sur le cœur humain, ou Principes naturels de l'education , Paris, C.-J.-B. Delespine, ( lire en ligne )
  • Physique de la beaute, ou Pouvoir naturel de ses charmes , Amsterdam, Aux depens de la compagnie, ( lire en ligne )
    Reedition : Lille-Paris, editions Laborintus, 2017, preface de Simone Mazauric , ( ISBN   979-10-94464-16-8 )
  • Mr M***, Le Prince, les delices des cœurs, ou Traite des qualites d'un grand roi et systeme general d'un sage gouvernement , Amsterdam, 2 vol., ( lire en ligne )
  • Mr M******, Naufrage des iles flottantes, ou Basiliade du celebre Pilpai, Poeme heroique, traduit de l'indien , Messine, par une societe de libraires., 1753, 2 vol. Lire en ligne : Tome I . Tome II .
  • Code de la nature, ou Le veritable esprit de ses lois de tout temps neglige ou meconnu , Partout, chez le vrai sage, ( lire en ligne )
    - Reedition chez Masgana, 1841, augmentees des fragments importants de La Basilisade , avec une Analyse raisonnee du Systeme social de Morelly par Villegardelle. Lire sur Gallica . Lire l'analyse sur Wikisource
    - Edition critique par Stephanie Roza , Montreuil : la Ville brule, 2011. ( ISBN   978-2-36012-014-7 ) [ 74 ]
  • Lettres de Louis XIV aux princes de l'Europe, a ses generaux, ses ministres, etc., recueillies par Mr. Rose, secretaire du cabinet ; avec des remarques historiques, par M. Morelly , Edimbourg, Hamilton, Balfour et Neill, ( lire en ligne )
  • L'Hymen venge en cinq chants, suivi de la traduction libre en vers francois de Medee, tragedie de Seneque, et de quelques pieces fugitives, par M*** , Londres, Paris, [ 75 ]

Bibliographie [ modifier | modifier le code ]

Ouvrage [ modifier | modifier le code ]

These [ modifier | modifier le code ]

  • Sylvie Courtine-Sinave, Morelly, auteur du Code de la Nature  : philosophe-utopiste, libre penseur, homme subversif ? , Universite de Sherbrooke, ( lire en ligne )

Articles [ modifier | modifier le code ]

  • Guy Antonetti, ≪  Etienne-Gabriel Morelly : l'homme et sa famille  ≫, Revue d'Histoire litteraire de la France , n o  3,‎ ( lire en ligne )
  • Guy Antonetti, ≪  Etienne-Gabriel Morelly : l'ecrivain et ses protecteurs  ≫, Revue d'Histoire litteraire de la France , n o  1,‎ ( lire en ligne )
  • Serge Baudiffier, ≪  Morelly pedagogue  ≫, Dix-Huitieme Siecle , n o  14,‎ ( lire en ligne )
  • R. N. C. Coe, ≪  A la recherche de Morelly: Etude bibliographique et biographique  ≫, Revue d'Histoire litteraire de la France , n o  3,‎ ( lire en ligne )
  • R. N. C. Coe, ≪  A la Recherche de Morelly: Etude bibliographique et biographique (suite et fin)  ≫, Revue d'Histoire litteraire de la France , n o  4,‎ ( lire en ligne )
  • R. N. C. Coe, ≪  La Theorie morellienne et la Pratique babouviste  ≫, Annales historiques de la Revolution francaise , n o  150,‎ ( lire en ligne )
  • Daniel Droixhe, ≪  "Voici un livre qu'on dit imprime a Liege": le Code de la nature de Morelly  ≫, Revue d'Histoire litteraire de la France , n o  5,‎ ( lire en ligne )
  • Benoit P. Hepner, ≪  Morelly ou aux sources du totalitarisme : a propos d'une reedition du Code de la Nature  ≫, Revue d'histoire economique et sociale , vol.  30, n o  1,‎ ( lire en ligne )
  • Abdelaziz Labib, ≪  La Basiliade  : une utopie orientale ?  ≫, Dix-Huitieme Siecle , n o  23,‎ ( lire en ligne )
  • Nadia Minerva, ≪  De l'utopie litteraire a l'utopisme reformateur : La Basiliade et le Code de la nature de Morelly  ≫, Francofonia , n o  18,‎ ( lire en ligne )
  • Stephanie Roza, Preface a la reedition du Code de la nature , Montreuil, La ville brule,
  • Stephanie Roza , ≪  Comment l’utopie est devenue un programme politique : Morelly, Mably, Babeuf, un debat avec Rousseau  ≫, Annales historiques de la Revolution francaise , n o  378,‎ , p.  111?118 ( ISSN   0003-4436 , lire en ligne )
  • Stephanie Roza, ≪  Utopie, democratie totale et souverainete populaire : du Code de la Nature de Morelly a la Conjuration des Egaux (1755-1797)  ≫, Tumultes , n o  49,‎ ( lire en ligne )
  • Francois Villegardelle, ≪ Analyse raisonnee du Systeme social de Morelly ≫ , dans Morelly, Code de la nature , Paris, Masgana, ( lire en ligne )
  • Nicolas Wagner, ≪  Etat actuel de nos connaissances sur Morelly. Biographie, accueil et fortune de l'œuvre  ≫, Dix-Huitieme Siecle , n o  10,‎ ( lire en ligne )
  • Nicolas Wagner, ≪  Morelly - Dom Deschamps : divergences, convergences  ≫, Revue d'Histoire litteraire de la France , n o  4,‎ ( lire en ligne )

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Liens externes [ modifier | modifier le code ]

Notes et references [ modifier | modifier le code ]

  1. Cette theorie, avancee par Michaud, Hoefer et Lichtenberger , mais refutee par Barbier , est definitivement mise en piece par Coe 1957 , p.  329-334
  2. Coe 1957 .
  3. a et b Wagner 1978 .
  4. a b et c Antonetti 1983 .
  5. a et b Antonetti 1984 , p.  25.
  6. Antonetti 1984 , p.  21-22.
  7. Antonetti 1984 , p.  24.
  8. Antonetti 1984 , p.  19.
  9. Antonetti 1984 , p.  20.
  10. Antonetti 1984 , p.  20, citant Wagner 1978
  11. Coe 1957 , p.  522 considere ce ≪ changement radical de theorie politique ≫ comme provoque par une desillusion face a Frederic II de Prusse
  12. Antonetti 1984 , p.  34-36
  13. Coe 1957 , p.  520-522 pense au contraire que Morelly aurait vecu quelque temps en Allemagne, gravitant sans succes autour de la Cour de Frederic II de Prusse
  14. Antonetti 1984 .
  15. a et b Coe 1957
  16. Coe 1957 , p.  522
  17. Coe 1957 , p.  522
  18. Coe 1957 , p.  523
  19. Basiliade signifie en grec ≪ les actions heroiques d'un homme vraiment digne de l'empire du monde. ≫ Roza 2011 , p.  45
  20. a et b Coe 1957 , p.  326
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  25. La nouvelle bigarure: contenant a qu'il y a des plus interessant dans le Mercure de France, et de plus curieux dans les autres journaux & feuilles periodiques etc , ( lire en ligne )
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  73. Hepner 1952 , p.  74.
  74. Claude Mazauric , ≪  Etienne-Gabriel Morelly, Code de la nature, edition critique par Stephanie Roza. Paris, La ville brule, 2011, 174 p.  ≫, Annales historiques de la Revolution francaise , vol.  369, n o  3,‎ , p.  176?178 ( ISSN   0003-4436 , DOI   10.4000/ahrf.12656 , lire en ligne )
  75. Coe 1957 , p.  329 et Wagner 1978 , p.  274 mettent en cause l'attribution a Morelly