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Ethique (Spinoza)

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Ethique
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Page de titre de l'edition de 1708.

L' Ethique (en latin  : Ethica - en forme longue Ethica Ordine Geometrico Demonstrata ou Ethica More Geometrico Demonstrata , litteralement ≪ Ethique demontree suivant l'ordre des geometres ≫) est une œuvre philosophique de Spinoza redigee en latin entre 1661 et 1675, publiee a sa mort en 1677 et interdite l'annee suivante. Il s'agit sans doute de son ouvrage le plus connu et le plus important : son influence, entre autres sur les penseurs francais, va grandissant depuis les annees 1930 .

La reflexion suit un cheminement qui part de Dieu pour aboutir a la liberte et la beatitude . Son projet releve ainsi de la philosophie pratique car le philosophe invite l'homme a depasser l'etat ordinaire de servitude vis-a-vis des affects pour s'emanciper et a connaitre le bonheur au moyen d'une connaissance veritable de Dieu, identifie a la nature, et de la causalite . Il recuse la notion de libre arbitre , conjuguant un determinisme causal integral et la possibilite de la liberte.

Le texte est repute d'un abord difficile en raison de son ecriture qui s'apparente davantage a un traite mathematique a la maniere des Elements d' Euclide qu'a un essai litteraire. Comme son titre complet l'annonce, l' Ethique se veut ≪ demontree suivant l'ordre des geometres ≫, c'est-a-dire a la maniere des mathematiques .

Composition et ecriture du texte [ modifier | modifier le code ]

Spinoza entreprend d'elaborer un texte synthetisant sa pensee philosophique des le debut de son parcours intellectuel. Le Court traite , redecouvert en 1852, presente un plan similaire a celui de l’ Ethique en traitant successivement de Dieu, de l'homme et de la beatitude. Le texte definitif, qui comprend cinq parties et de plus amples developpements anthropologiques, est redige entre 1670 et 1675 et publie de maniere posthume. Une precedente version de l’ Ethique , ecrite entre 1660 et 1665, est egalement evoquee dans la correspondance du theoricien mais n'a pas ete retrouvee [ 1 ] .

Le sous-titre de l' Ethique annonce le recours a une methode geometrique , comme le texte en possede l'apparence par l'articulation des propositions, definitions, demonstrations, lemmes et axiomes. Le texte comporte cependant une partie discursive, par les scolies, les prefaces et les postfaces, qui rappellent les enjeux du propos et montrent que Spinoza ne cherche pas a elaborer une philosophie mathematique mais s'en sert de modele de deduction [ 1 ] .

L'idee d'appliquer une methodologie inspiree de la geometrie en dehors de ce domaine se retrouve chez d'autres penseurs, mais seul Spinoza l'applique avec rigueur pour un tel sujet. Par exemple, Descartes s'y refere dans l' Abrege geometrique des Reponses aux secondes objections sans lui reconnaitre sa pertinence pour les objets metaphysiques, Geulincx y recourt pour la logique et Alain de Lille l'utilise mais en affirmant l'impossibilite de definir Dieu [ 2 ] .

Cette originalite vaut egalement par rapport aux autres œuvres de Spinoza : elles n'emploient pas ce style demonstratif. Francis Kaplan affirme cependant qu'il echoue dans son entreprise : ainsi la demonstration de la proposition 7, relative a la cause de l'essence de Dieu, est circulaire  ; ou la definition 1 ne respecte pas les criteres d'une definition, a savoir que le defini ne doit etre ≪  constitue que par un mot ou un ensemble de mots tel que le sens de l'ensemble ne soit pas la resultante de la combinaison du sens de chacun des mots [ 3 ] . Si Kaplan conteste l'approche d' Alain , qui reconnait la force des propositions independamment de leurs preuves [ 4 ] , il souligne cependant que chaque philosophie comporte ses failles et que celles-ci ne manifestent pas tant une negligence de Spinoza que les faiblesses d'une these. Ce en quoi l' Ethique nous permet d'en juger les consequences [ 5 ] .

Le contenu philosophique de l'œuvre ne s'apparente pas a un traite de morale mais bien a une ethique. Le moraliste se place en surplomb pour juger du bien et du mal alors que Spinoza affirme que ces notions n'existent pas en dehors de l'homme, que la conscience ignore les causes qui la traverse et affirme le caractere primordial de la vie sur les passions tristes pour determiner le cours de l'existence [ 6 ] . Deleuze explique que Spinoza se livre a une ethologie plus qu'a une axiologie en analysant les etres selon leurs potentialites, du pouvoir d'affecter et d'etre affecte [ 7 ] .

Resume et analyse [ modifier | modifier le code ]

Ontologie immanente [ modifier | modifier le code ]

Pour asseoir sa demonstration sur des bases solides, Spinoza commence sa reflexion par une theorie de l' etre . Si la premiere partie laisse supposer un developpement theologique de par son titre, il s'agit bien d'une consideration sur le reel, Dieu etant defini comme ≪ une substance consistant en une infinite d'attributs, dont chacun exprime une essence eternelle et infinie ≫ [ 8 ] . Il n'existe qu'une substance qui se decline en un nombre inepuisable d'attributs et de modes, une unique realite autonome, cause d'elle-meme, eternelle et regie par la necessite.

Le Dieu de Spinoza ne possede ainsi ni affections humaines, ni intellect, ni volonte, autant d'attributs finis et contradictoires avec l'idee de substance [ 9 ] . Il ne s'agit pas d'une entite capable de modifier les proprietes du triangle ou d'agir sur le reel selon son bon plaisir. Cette approche rompt avec les ontologies classiques parce qu'elle ne hierarchise pas des niveaux de realite [ 10 ] . Tout ce qui est provient du developpement des causes immanentes de Dieu. La substance s'actualise de maniere dynamique, dans le temps et dans l'espace, parce que la production est immanente a la substance qui est eternelle [ 11 ] . Cette causalite se comprend a la fois comme une ≪ nature naturante  ≫, c'est-a-dire l'ensemble des attributs de l'etre, et comme ≪ nature naturee  ≫, correspondant a la nature produite, a la totalite des choses singulieres [ 12 ] .

Origine des idees [ modifier | modifier le code ]

Deux attributs connus de l'etre [ modifier | modifier le code ]

Apres avoir examine les proprietes de la substance, Spinoza en vient a s'interroger sur l'etendue et la pensee, prealable a l'examen de la nature humaine et de sa capacite au bonheur. Robert Misrahi affirme que le substantif latin m?ns, mentis , f., tire de la racine indo-europeenne *men- [ 13 ] , ≪ penser ≫ et qui donne son nom a la deuxieme section de l'ouvrage, doit se traduire par ≪ esprit ≫ et non par ≪ ame ≫, car le texte se demarque de l'idee cartesienne de la dualite de l'homme. En effet, le philosophe hollandais ne considere pas le corps et la pensee comme deux substances separees. L'esprit humain est la conscience d'une affection exterieure par une corporeite singuliere [ 14 ] . Cependant Pierre-Francois Moreau prefere traduire le mot mens par ame car il souligne que Spinoza attribue a la fois les facultes de raisonnement et les affects a la realite mentale. Le terme ≪ ame ≫, plus general, restreint moins la signification du concept que le mot ≪ esprit ≫ [ 1 ] . Pierre Macherey , quant a lui, propose de traduire mens par ≪ regime mental ≫ [ 15 ] .

Toute chose pensante est une manifestation d'un attribut de Dieu, de meme que toute realite corporelle correspond a un mode de l'etendue. L'intellect infini de Dieu comprend l'ensemble du pensable, qu'il s'agisse d'idees vraies ou fausses [ 16 ] . Ceci explique que pour Spinoza les idees ne proviennent pas des objets qu'elles representent mais possedent une realite par elles-memes [ 17 ] . L'ame humaine, mode de l'intellect infini de Dieu, est l'idee d'un corps singulier, c'est-a-dire l'equivalent d'un corps sur le plan de la pensee, non pas son maitre ou le lien entre ses differentes parties [ 18 ] .

Theorie de la connaissance [ modifier | modifier le code ]

La realite mentale ne se connait elle-meme que par les affections qui agissent sur ce corps [ 19 ] . L'esprit n'existe donc qu'en tant que conscience de soi a travers un corps et tant qu'il forme des idees a travers des impressions corporelles [ 20 ] . Spinoza refute la conception d'une volonte absolue, abstraction nee d'une generalisation de volitions particulieres. L'intellection se confond avec la volonte [ 21 ]  : la conceptualisation reside dans l'affirmation d'un contenu intellectuel [ 22 ] .

La formation des idees, vraies ou fausses, claires ou obscures, s'explique par l'affection des corps, par l'activite consciente et conceptuelle d'un esprit mu par un corps. De cette proposition decoule que ≪ l'ordre et l'enchainement des idees est le meme que l'ordre et l'enchainement des corps ≫ [ 23 ] . Dans la perspective spinoziste, une idee adequate ne releve pas de la congruence entre une pensee et la chose qu'elle designe, contrairement aux scolastiques, mais de la coherence de l'enchainement causal au sein d'une demonstration [ 24 ] . La verite ne s'acquiert donc pas de maniere empirique mais selon une certaine disposition de l'esprit dans l'apprehension des phenomenes [ 25 ] . Le philosophe defend ainsi une approche reflexive dans la determination du vrai. Il affirme que la connaissance par les sens conduit a des generalisations abusives a partir d'impressions contingentes et singulieres. La connaissance veritable se developpe par la demonstration de propositions a partir de concepts communs. Il demontre cependant a l'aide de cette methode deductive l'existence d'un troisieme genre de connaissance, la science intuitive, qui correspond a la saisie intellectuelle d'un rapport entre l'attribut et l' essence d'une chose, autrement dit le discernement de la necessite naturelle et universelle qui traverse toute realite passagere et isolee [ 26 ] .

Theorie des affects sans jugement moral [ modifier | modifier le code ]

Spinoza debute sa theorie des affects par une preface dans laquelle il repond implicitement aux theologiens calvinistes et a Descartes . Il reproche aux premiers leurs prejuges pejoratifs sur les passions et aux cartesiens la croyance en une maitrise totale de l'ame sur le corps, these developpee notamment dans Les Passions de l'ame . Puisque rien n'existe en dehors de la nature, il est absurde de penser que les affects ne s'expliquent pas egalement par des causes naturelles, que l'homme serait un ≪ empire dans un empire ≫ [ 27 ] .

Descartes a egalement pense les passions comme une expression conjointe de l'ame et du corps. Spinoza critique cependant l'idee d'une interaction entre ces deux realites heterogenes et la conception chimerique d'une volonte absolue.

Les affects sont des diminutions ou des augmentations de la puissance d'agir, ainsi que la conscience de cette modification. Ils expriment l'unite de la corporeite et de l'esprit, meme si l'un et l'autre possedent leurs propres lois. Spinoza introduit la notion de conatus pour theoriser la maniere dont l'homme agit sur ses affects. Il n'y a pas de realite inerte, car toute chose participe de la puissance, du dynamisme interne de la nature, de son actualisation et de son deploiement permanents. Le conatus correspond a ce mouvement : ≪ chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de perseverer dans son etre ≫ [ 28 ] . Cet effort, qui s'identifie au desir, constitue l'essence de l'homme, mais non son caractere distinctif. Il n'existe pas de difference essentielle, radicale entre l'espece humaine et les animaux, mais de degre du fait de sa complexite [ 29 ] . Le but de l'existence consiste a desirer l'accroissement de la puissance d'exister, donc a etre joyeux. En effet, la joie est definie comme ≪ une passion par laquelle l'esprit passe a une plus grande perfection ≫ [ 30 ] c'est-a-dire une plus grande puissance d'agir.

Le desir, expression du conatus dans la conscience, existe en dehors de toute relation a un objet. La perseverance dans l'etre precede le choix de ce qui est desire, et cette preexistence eclaire le fait que Spinoza affirme que ≪ quand nous nous efforcons a une chose, quand nous la voulons, ou aspirons a elle, ou la desirons, ce n'est jamais parce que nous jugeons qu'elle est bonne, mais au contraire, si nous jugeons qu'une chose est bonne, c'est parce que nous nous y efforcons, la voulons, aspirons a elle et la desirons ≫. Le jugement ne cree pas le desir mais lui succede comme une rationalisation ulterieure [ 29 ] .

Le temps, parce qu'il fait intervenir la memoire, et ainsi la ressemblance entre plusieurs experiences ayant cause amour ou haine, explique la multiplication des affects. Le doute n'est pas le signe d'une suspension d'une volonte souveraine mais le conflit entre deux representations contradictoires. La complexite du corps et de l’objet rend compte egalement de la fluctuation psychologique, puisque la diversite de leurs effets comporte aussi bien des motifs rejouissants que haissables [ 29 ] .

A partir des affects fondamentaux que sont la joie, la tristesse et le desir, Spinoza analyse 48 passions symetriques : l' amour est une joie qu'accompagne l'idee d'une cause exterieure, la haine est une tristesse qu'accompagne l'idee d'une cause exterieure ; l'estime, a l'inverse du mepris, consiste a accorder un surcroit d'importance a quelqu'un par amour ; la cruaute , a l'oppose de la bienveillance , reside dans le desir de nuire a quelqu'un qui nous apitoie ou que nous aimons, etc.

Impuissance de l'homme [ modifier | modifier le code ]

Passions tyranniques [ modifier | modifier le code ]

Apres avoir analyse la composition des affects comme s'il s'agissait de ≪ lignes, de plans ou de corps ≫ [ 31 ] , c'est-a-dire sans jugement de valeur, Spinoza cherche a comprendre la vie affective du point de vue de l'interet du genre humain, qui se caracterise par un etat de servitude. Les affects constituent une force qui modele les aspirations et les etats d'ame de l'individu, le contraignant a agir contre son propre bonheur. La passivite et la finitude viennent du fait que chaque composante de la realite n'existe qu'en interaction avec les autres, dans une relation de dependance et de necessite [ 32 ] .

Les causes exterieures depassent de loin la force limitee de l'homme, reduit a un etat d'impuissance. Celui-ci se trouve comme etranger a lui-meme par les determinations de ses propres affects, qui eux-memes entrent en conflits a l'interieur d'un individu [ 33 ] . La nature se compose de rapports de forces dans lesquelles les choses singulieres se heurtent et se detruisent partiellement. Si une idee vraie triomphe d'une idee fausse, cela ne vient pas de sa veracite, mais de sa plus grande force immanente, de son degre de conviction. C'est pourquoi la connaissance seule ne suffit pas a maitriser les affects [ 34 ] .

Cet asservissement est cependant partiel, puisque dans chaque manifestation d'impuissance s'exprime l'affirmation de l'etre, et inversement, l'homme ne se debarrasse jamais totalement des forces alienantes qui l’assujettissent. L'asservissement et la liberte ne constituent ainsi pas des etats radicalement separes mais des poles opposes ouverts aux nuances et aux degres [ 35 ] .

Selon Spinoza, les notions de bien et de mal decoulent des idees de perfection et d'imperfection qui elles-memes proviennent de l'activite humaine, de la production. Le caractere acheve, reussi d'une œuvre depend de l'objectif poursuivi par celui qui la realise. Juger imparfaite une creation de la nature est une extrapolation car celle-ci ne possede pas de modele preetabli et n'existe que par necessite. Ainsi, le bien et le mal n'indiquent rien sur les choses en elles-memes mais manifestent un jugement selon des criteres particuliers et une comparaison entre deux realites [ 36 ] .

De ce point de vue, le bon correspond a ce qui aboutit a la concretisation d'un projet determine, donc a l'utile propre, a ce qui ajoute reellement de la joie a un individu specifique. La vertu, l'accomplissement des choses bonnes, consiste ainsi dans ≪ la realisation des lois de sa propre nature ≫ [ 37 ] , autrement dit dans l'effort pour perseverer dans son etre. Du point de vue de la raison, ce qui pousse a une plus grande perfection, c'est l'amelioration de la connaissance, qui est le prerequis pour comprendre les influences exterieures, les moyens de la puissance d'agir [ 38 ] . Ce qui permet de lutter contre la tyrannie des passions n'est cependant pas une conscience qui serait une entite surplombant les affects : la reconnaissance intellectuelle de ce qui accroit la puissance d'agir participe du desir, du conatus.

La raison ne peut exiger que l'homme echappe a la finitude mais elle implique la recherche de l'amour reciproque [ 39 ] . La poursuite de l'utilite necessite de prendre en consideration l'alterite, qui contient egalement des aspects positifs et profitables. Les dispositions les plus profondes de la conservation de l’individu justifient la vie en communaute, le passage a la societe qui assure une meilleure efficacite dans cette entreprise [ 40 ] .

La discordance et la force des passions rendent cependant conflictuelle la coexistence entre les hommes, tentes de se replier sur eux-memes, de s'opposer et de s’entre-detruire. La tristesse et la haine menacent de s'alimenter reciproquement par le biais de l'imagination et des transferts affectifs [ 41 ] .

Le bien supreme d'une communaute est logiquement commun a tous. La concordance entre les hommes passe par le partage de principes rationnels. Une conduite vertueuse en vue du bien-etre collectif suppose des qualites ethiques : la religio , qui est la pratique de la connaissance de Dieu, ou nature  ; la pietas , qui renvoie a l'attention aux autres ; et l' honestas , qui est l'effort pour nouer des liens amicaux [ 42 ] . Les notions de justice , de merite et de propriete decoulent de l'interet de la societe et non du droit naturel [ 43 ] .

Dimension sociale des affects [ modifier | modifier le code ]

Spinoza peut maintenant decrire les affects du point de vue de leur aspect benefique ou nocif pour l'homme, pour sa preservation dans le cadre de communautes organisees et paisibles. De nombreuses passions se manifestent par leur ambivalence, comportant a la fois des aspects nefastes et avantageux. La joie, bonne d'un point de vue abstrait, ne peut se juger reellement que dans les formes concretes par lesquelles elle se manifeste. L'allegresse, qui est la joie eprouvee simultanement dans le corps et l'esprit, ne comporte pas d'exces, mais le chatouillement peut apporter une joie mauvaise par ses debordements [ 44 ] .

Il existe en revanche des affects toujours mauvais, comme la haine, car dans son principe comme dans ses effets, elle contrarie les aspirations constitutives de l'homme, la recherche du bonheur, pour celui qui hait comme pour l'objet de la haine. En revanche, la generosite represente une vertu sociale, bonne pour l'individu comme pour la collectivite, car elle denoue les rapports conflictuels [ 45 ] .

Les affects ne regentent pas de maniere absolue les conduites humaines. La raison n'aide a les controler que dans la mesure ou elle parvient a se les representer correctement et a agir en consequence, mais nombreux sont les cas ou elle demeure impuissante. La crainte, qui invite a fuir une realite jugee negative, est necessairement un signe de limitation de la liberte qui suppose cependant une idee du bien et du mal. Agir rationnellement suppose de se regler sur la poursuite du bonheur, d'etre actif et non passif. La condamnation d'un homme ne doit pas s'effectuer par vengeance mais pour la collectivite [ 46 ] .

A la fin de cette partie, dans les propositions 67 a 73, Spinoza decrit ce que serait un homme libre : une personne qui desire avant tout les valeurs les plus profitables a la vie et qui s'efforce pour cela de questionner sans cesse le reel pour s'y conformer et s'y epanouir. Le philosophe declare qu'un ≪ homme libre ne pense rien moins qu'a la mort ≫ et que sa sagesse consiste en une ≪ meditation de la vie ≫ [ 47 ] . Vivre implique de ne pas se laisser paralyser par le terme de l'existence mais plutot de regarder la mort comme une modification du corps [ 48 ] . L'homme libre ne concevrait pas non plus de notion de bien et de mal, car il ne chercherait que ce que lui suggere son desir, le conatus , ne posant pas l'objet desire comme un absolu [ 49 ] .

L'attitude rationnelle suppose egalement d'agir avec prudence, aussi bien par son comportement que dans la relation avec autrui, ce qui implique de preferer la compagnie des hommes libres, de fait serviables et honnetes au vu des demonstrations precedentes, a celles des ignorants. Cette conclusion tend a faire d'un tel ideal une abstraction elitiste. Neanmoins, Spinoza precise que cette reserve ne vaut que dans la mesure ou elle ne renvoie pas a une exclusion meprisante mais plutot a une volonte de preservation et de bienveillance. L'homme libre cherche avant tout l'amitie la plus solide, non les conflits, les propositions inconvenantes et les relations de servitude [ 50 ] . Il ne souhaite pas non plus porter prejudice a autrui, car cela reviendrait a admettre l'opportunite de l'injustice, contraire a l'harmonie entre les hommes. La derniere proposition rappelle que l'emancipation passe par la vie en communaute, meme si aucune garantie de liberte ne s'offre dans un monde domine par les affects. Un appendice termine cette section par 32 courts chapitres qui resument le propos de maniere plus pedagogique, avec des exemples pratiques [ 51 ] .

Liberation de l'ame [ modifier | modifier le code ]

Apres cette description ideale de l'homme libre, Spinoza expose dans le dernier livre comment la puissance de la raison permet de tendre vers la liberte de l'ame et d'atteindre la beatitude. Il rappelle d'abord ses desaccords avec les stoiciens, qui affirment la force de la volonte, et avec Descartes. Il reproche notamment a ce dernier d'avoir emis l'hypothese d'une glande pineale dans lequel s'uniraient l'ame et le corps sans eclaircir la nature de cette union.

Les vingt premieres propositions expliquent comment la demarche rationnelle, le deuxieme genre de connaissance, contribue de maniere relative a remedier a l'emprise des passions. Cette demarche, qui s'inscrit dans la duree, s'apparente a un ≪ traitement psychophysiologique de l'affectivite ≫ [ 52 ] . Avoir une idee claire et distincte d'un affect permet d'avoir un plus grand pouvoir sur lui, car cela revient a saisir ses causes et son caractere contingent ou necessaire si c'est un evenement. L'activite rationnelle libere de la tyrannie des passions non en se debarrassant des affects, ce qui est impossible, mais en eclaircissant leur logique, leur necessite, et en dissipant ainsi ce que l'homme recele en lui de passif et de nocif. L'amour envers Dieu est la consequence de cette recherche, car plus vaste est la connaissance des lois naturelles, plus grande est la puissance d'agir [ 53 ] .

Vanite de N. L. Peschier (1660, Rijksmuseum ). Selon Spinoza, la peur de mourir disparait avec l'amour intellectuel de Dieu.

Definissant le terme de ce processus d'emancipation, les propositions 21 a 42 developpent les aspects cognitifs et atemporels de la liberte de l'ame . Le troisieme genre de connaissance, la science intuitive , s'accomplit quand l'homme arrive a regarder les choses sous le regard de l'eternite ( ≪ sub specie aeternitatis ≫), autrement dit en saisissant l'essence des phenomenes, le caractere immuable de leurs proprietes [ 54 ] . La scolie de la proposition 23, dans laquelle Spinoza affirme que ≪ nous sentons pourtant que notre esprit, en tant qu'il enveloppe l'existence actuelle du corps sous l'aspect de l'eternite ≫ [ 55 ] , exprime cette maniere de connaitre qui ne correspond pas aux raisonnements abstraits mais a l'intuition que la verite s'enracine de maniere concrete et personnelle dans la singularite des experiences [ 56 ] . Decoulant de cet acces intuitif a l'eternite, l'amour intellectuel de Dieu, detache de tout lien avec le corps, reside dans cet elan de l'ame dans la comprehension intime de toute chose, non seulement dans leur generalite mais dans leur singularite meme. La science intuitive n'apporte aucune connaissance supplementaire mais consiste dans une apprehension de la realite qui reconcilie rationalite et affectivite [ 57 ] .

La liberation de l'ame se traduit par la disparition de la crainte de la mort , une plus grande maitrise sur le corps et un deploiement de toutes ses potentialites [ 58 ] . La proposition 41 etablit que l'ignorance de l'eternite de l'ame n'empeche pas de s'engager sur la voie de la liberte en tenant pour premiers le courage et la generosite , conduites qui s'expliquent par la seule recherche de l’utile explique dans la partie precedente. La proposition 42, qui conclut l' Ethique , affirme que ≪ La beatitude n’est pas la recompense de la vertu mais la vertu elle-meme ; et ce n'est pas parce que nous reprimons les desirs capricieux que nous jouissons d'elle, c'est au contraire parce que nous jouissons d'elle que nous pouvons reprimer les desirs capricieux ≫ [ 59 ] . A contrario d'une morale du renoncement a l'instar des ascetes Spinoza defend l'idee que vivre libre suppose d'agir ≪ artistiquement ≫ sous la conduite de la raison au present et en accord avec ce qui en nous echappe au temps [ 60 ] . On peut le rapprocher a une sorte de ≪ vivre conformement a la nature ≫ c'est-a-dire la sienne, celle de Dieu et des choses, donc avoir des pensees adequates sur celles-ci, pour atteindre la beatitude, qui est un etat non une fin ou si on veut un moyen qui est a la fois sa propre fin et la liberte car la puissance d'agir augmente avec la puissance de connaitre.

Traductions en francais [ modifier | modifier le code ]

Notes et references [ modifier | modifier le code ]

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  3. Kaplan 1998 , p.  42-49
  4. Kaplan 1998 , p.  196
  5. Kaplan 1998 , p.  202-203
  6. Deleuze 2003 , p.  27-42
  7. Deleuze 2003 , p.  165-166
  8. Spinoza 2010 , p.  15
  9. Spinoza 2010 , p.  46-53
  10. Misrahi 2005 , p.  137
  11. Misrahi 2005 , p.  304-305
  12. Misrahi 2005 , p.  241
  13. A. Ernout, A. Meillet, Dictionnaire etymologique de la langue latine ou Histoire des mots , 1985, p. 396.
  14. Misrahi 2005 , p.  153-154
  15. Macherey 1997 , p.  5
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  18. Charles Ramond , Dictionnaire Spinoza , Ellipse, , p.  23-24
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  25. Misrahi 2005 , p.  27
  26. Misrahi 2005 , p.  10-103
  27. Spinoza 2010 , p.  209
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  29. a b et c Cours de Pierre-Francois Moreau sur L' Ethique , 3 e  lecon sur la troisieme section du livre, ENS de Lyon Video en ligne
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  61. Edition originale en ligne , Hathi Trust.
  62. Baruch (1632-1677) Auteur du texte Spinoza , Ethique : B. de Spinoza ; traduite et annotee par J.-G. Prat... , 1880-1883 ( lire en ligne )
  63. Baruch Spinoza ( trad.  du latin par Jules Gustave Prat ), Ethique , Paris, Allia , , 304  p. ( ISBN   979-10-304-2262-7 )
  64. Sheridan (congres juillet 1995) , p.  778.
  65. Edition Guerinot , en ligne.

Annexes [ modifier | modifier le code ]

Bibliographie [ modifier | modifier le code ]

Editions [ modifier | modifier le code ]

  • Spinoza (presentation, traduction et notes par Charles Appuhn), Ethique , Flammarion , coll.  ≪ GF / Œuvres ≫ ( n o  57), , 382  p. ( ISBN   978-2-08-070057-5 , lire en ligne )
  • Spinoza ( trad.  du latin, introduction, traduction, notes, commentaires et index Robert Misrahi), Ethique , Paris, Hachette , coll.  ≪ Livre de poche. Classiques de la philosophie ≫, , 627  p. ( ISBN   978-2-253-08920-9 )
  • Spinoza ( trad.  du latin, presente et traduit par Bernard Pautrat), Ethique , Paris, Seuil , coll.  ≪ Points ≫, , 713  p. ( ISBN   978-2-7578-1937-1 )
  • Spinoza ( trad.  du latin, traduction de l’ Ethique et du Traite de la reforme de l'entendement par Jean Paul Guastalla), Mettre les Neurones a l’Equerre suivi de l'Ethique , Paris, Les Editions du Net, , 396  p. ( ISBN   978-2-312-05588-6 )

Etudes [ modifier | modifier le code ]

Ouvrages [ modifier | modifier le code ]
  • Chantal Jaquet , Les expressions de la puissance d'agir selon Spinoza , Paris, Publications de la Sorbonne, coll.  ≪ Serie Philosophie ≫ ( n o  14), , 304  p. ( ISBN   978-2-85944-537-9 , lire en ligne )
  • Paolo Cristofilini , Chemins dans l' Ethique , Paris, Puf , coll.  ≪ Philosophies ≫ ( n o  69), , 136  p. ( ISBN   978-2-13-047496-8 )
  • Gilles Deleuze , Spinoza : philosophie pratique , Paris, Minuit, coll.  ≪ Reprises ≫ ( n o  4), , 175  p. ( ISBN   978-2-7073-1844-2 )
  • Bruno Giuliani , Le Bonheur avec Spinoza : l'Ethique reformulee pour notre temps , Paris, Almora, , 254  p. ( ISBN   978-2-35118-069-3 )
  • Martial Gueroult , Spinoza , vol.  1 : Dieu , Paris, Aubier, coll.  ≪ Analyse et raisons ≫, , 621  p. ( ISBN   978-2-7007-3309-9 , presentation en ligne )
  • Martial Gueroult , Spinoza , vol.  2 : L'ame , Paris, Aubier, coll.  ≪ Analyse et raison ≫, , 392  p. ( ISBN   978-2-7007-3310-5 )
  • Julie Henry , Spinoza, une anthropologie ethique : variations affectives et historicite de l'existence , Paris, Classique Garnier, coll.  ≪ Les anciens et les modernes, etudes de philosophie ≫ ( n o  24), , 517  p. ( ISBN   978-2-8124-3720-5 )
  • Chantal Jaquet, Pascal Severac et Ariel Suhamy ( dir. ), Fortitude et servitude : lectures de l'Ethique IV de Spinoza , Paris, Kime , coll.  ≪ Philosophie, epistemologie ≫, , 187  p. ( ISBN   978-2-84174-298-1 )
  • Francis Kaplan , L'ethique de Spinoza et la methode geometrique : introduction a la lecture de Spinoza , Paris, Flammarion , , 234  p. ( ISBN   978-2-08-067614-6 )
  • Pierre Macherey , Introduction a l'Ethique de Spinoza , La premiere partie : la nature des choses , Paris, Puf , coll.  ≪ Les grands livres de la philosophie ≫, , 224  p. ( ISBN   978-2-13-049138-5 )
  • Pierre Macherey , Introduction a l'Ethique de Spinoza , La deuxieme partie, la realite mentale , Paris, Puf , coll.  ≪ Les grands livres de la philosophie ≫, , 424  p. ( ISBN   978-2-13-048890-3 )
  • Pierre Macherey , Introduction a l'Ethique de Spinoza , La troisieme partie, la vie affective , Paris, Puf , coll.  ≪ Les grands livres de la philosophie ≫, , 424  p. ( ISBN   978-2-13-047374-9 )
  • Pierre Macherey , Introduction a l'Ethique de Spinoza , La quatrieme partie, la condition humaine , Paris, Puf , coll.  ≪ Les grands livres de la philosophie ≫, , 448  p. ( ISBN   978-2-13-048087-7 ) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Pierre Macherey , Introduction a l'Ethique de Spinoza , La cinquieme partie : les voies de la liberation , Paris, Puf , coll.  ≪ Les grands livres de la philosophie ≫, , 240  p. ( ISBN   978-2-13-046670-3 ) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Robert Misrahi , 100 mots sur l' Ethique de Spinoza , Paris, Les empecheurs de penser en rond , , 408  p. ( ISBN   978-2-84671-065-7 ) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • David Rabouin , Vivre ici : Spinoza, une ethique locale , Paris, Puf , coll.  ≪ Metaphysiques ≫ ( n o  24), , 190  p. ( ISBN   978-2-13-057966-3 , presentation en ligne )
  • Maxime Rovere , Comment vivre : Spinoza : methodes pour exister , Paris, CNRS editions , , 370  p. ( ISBN   978-2-271-06767-8 , presentation en ligne )
Articles [ modifier | modifier le code ]
  • Saverio Ansaldi , ≪  Amour, perfection et puissance : un modele de la nature humaine ? En marge de la cinquieme partie de l' Ethique (Spinoza et G. Bruno)  ≫, Archives de philosophie , n o  64,‎ ( lire en ligne )
  • Chantal Jaquet , ≪  La specificite de la conception spinoziste de l'eternite de l'esprit  ≫, Revue Philosophique de la France et de l'Etranger , n o  185,‎ , p.  229-237 ( JSTOR   41097445 )
  • Karl Schuhmann , ≪  Le concept de reflexion dans l' Ethique de Spinoza  ≫, Revue Philosophique de Louvain , vol.  65, n o  88,‎ , p.  449-466 ( lire en ligne )
  • Andre Tosel , ≪  De la ratio a la scientia intuitiva ou la transition ethique infinie selon Spinoza  ≫, Philosophique , n o  88,‎ , p.  193-205 ( lire en ligne )
  • Alain Vuillot , ≪  Amour et totalite dans l'ethique de Spinoza  ≫, Le Philosophoire , n o  11,‎ , p.  157-168 ( DOI   10.3917/phoir.011.0157 )

Articles connexes [ modifier | modifier le code ]

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Liens externes [ modifier | modifier le code ]