Edit de Milan

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Follis figurant Licinius, c. 311.

L’≪  edit de Milan  ≫ est le nom traditionnel d'un rescrit conserve sous forme de deux lettres circulaires adressees a l'ete 313 aux gouverneurs des provinces orientales de Bithynie et de Palestine par les co-empereurs romains Licinius et Constantin , rapportant localement un accord conclu entre eux lors de leur rencontre a Milan en fevrier de la meme annee.

Prolongeant les dispositions de l' edit de Galere , le texte accorde la liberte de culte aux chretiens et ordonne que leur soient restitues tous les biens et batiments qui leur ont ete confisques durant la Grande persecution . Cette tolerance, motivee par des enjeux de securite publique, s'applique sans distinction a chaque individu ainsi qu'a tous cultes et religions d'un Empire qui, de facto , ne repose desormais plus sur la faveur des dieux romains traditionnels.

Bien que ce ne soit pas un edit et qu'il ne provienne peut-etre pas de Milan, et meme si la nature du texte, son commanditaire ou sa portee, peut-etre seulement locale, demeurent l'objet de debats dans la recherche, le document constitue l’un des plus anciens textes juridiques connus a identifier la communaute des chretiens sous la forme d’un corps a part entiere.

C'est ainsi sous le nom d'≪ Edit de Milan ≫ que l' historiographie a souvent retenu ce texte comme marqueur de la reconnaissance du christianisme en tant que culte legitime au sein de l'Empire romain et du passage entre l'Antiquite paienne et l'epoque chretienne. L’historiographie contemporaine n'a pas vraiment fixe d'appellation alternative a ce ≪ pretendu edit ≫, usant d'expressions telles que ≪ edit de Constantin ≫, ≪ lettre de Licinius ≫ voire ≪ edit de Constantin et Licinius ≫, ≪ lettre de Milan ≫, ≪  mandatum de Milan ≫ ou encore et plus recemment ≪ Rescrit de Nicomedie ≫…

Contexte [ modifier | modifier le code ]

Persecution [ modifier | modifier le code ]

Dioceses imperiaux vers 300.

Apres plusieurs dizaines d'annees de quietude pour les populations chretiennes de l'Empire depuis l' edit de Galien promulgue en 260 , la situation bascule en 303 quand se succedent quatre edits draconiens a l'encontre des chretiens, les interdisant de reunions, ordonnant la destruction de leurs lieux de culte, la saisie de leurs biens, l'incarceration de leurs clercs ainsi que l'obligation pour ces derniers puis pour l'ensemble des chretiens ? desormais frappes d'incapacite a ester en justice ? de sacrifier [ 1 ] .

La persecution est largement motivee par la conviction des co-empereurs de la Tetrarchie que le refus chretien de reconnaitre les dieux qu'ils tiennent pour garants de leur regne ? en particulier Jupiter et Hercule dont le patronage permet de sacraliser l'empereur comme jamais auparavant [ 2 ] ? oblitere les bonnes relations necessaires avec les forces divines jugees essentielles a la paix, la prosperite [ 3 ] et la restauration de l'empire [ 2 ] .

L'application de la persecution est cependant tres inegale selon les regions, souvent tres rigoureuse en Orient, severe a Rome et en Afrique mais a peu pres nulle en Gaule , ou Constance Chlore , favorable aux chretiens, se contente de faire detruire les edifices [ 1 ] . Cette periode, connue par l'historiographie comme la ≪  Persecution de Diocletien  ≫ ou ≪ Grande persecution ≫, est ainsi entrecoupee d'amnisties et de sursauts de tolerance sans qu'on puisse y deceler une quelconque logique en ces temps politiquement troubles [ 4 ] .

Edit de Galere [ modifier | modifier le code ]

Buste en porphyre figurant un tetrarque generalement identifie comme Galere, IV e  siecle, Musee national de Zajecar .

Avec l' edit de tolerance promulgue a Sardique par Galere en 311 , le principe de la fin de la Grande persecution est acquis dans la mesure ou, emanant du premier Auguste , il est cense s'imposer a ses collegues et donc a l'ensemble de l'Empire [ 5 ] . Mais s'il est effectivement applique en Gaule par Constantin ainsi qu'en Italie et en Afrique par Maxence , il reste lettre morte dans la partie orientale de l'Empire dont a la charge Maximin Daia [ 5 ] et la ou les populations chretiennes sont les plus importantes.

Galere emporte par la maladie en , Constantin s'engage a l'automne 312 dans une campagne italienne contre les troupes de Maxence qui se solde par la defaite et la mort de ce dernier a Rome , lors de la bataille du pont Milvius le 28 octobre [ 6 ] . Recuperant les territoires de son rival, Italie et Afrique , qui s'additionnent a la Gaule , la Bretagne et l' Espagne qu'il dirige deja, Constantin devient ainsi le maitre de la partie occidentale de l’Empire [ 7 ] , se voit accorder le titre de premier Auguste par le Senat romain [ 8 ] et, ayant herite de son pere Constance d'une tolerance de fait a l'egard des chretiens [ 9 ] , applique peut-etre deja alors a son territoire l’edit instaure l'annee precedente par Galere [ 7 ] . Les deux co-empereurs restants se partagent, pour Licinius , la Dalmatie et la Thrace , et pour Maximin Daia , l' Asie Mineure , la Syrie et l' Egypte [ 10 ] .

Dans un premier temps, Maximin Daia refuse d'appliquer l'edit de Galere et poursuit les persecutions sur son vaste territoire [ 11 ] , la lutte contre les chretiens constituant meme un marqueur assume de son gouvernement [ 12 ]  ; mais le nouveau premier Auguste lui ordonne bientot de cesser et Maximin semble s'executer ainsi qu'en atteste un edit de tolerance qu'il promulgue en novembre ou decembre 312 [ 11 ] .

En , Constantin et Licinius se rencontrent a Milan dans le but de conclure une alliance politique dirigee contre le troisieme auguste en titre et se partager l'Empire [ 13 ] . L'alliance dynastique entre les deux hommes est scellee par le mariage de Constantia , demi-sœur de Constantin, avec Licinius [ 10 ] et la rencontre se prolonge a Milan jusqu'au mois de mars [ 10 ] .

Le document [ modifier | modifier le code ]

Promulgation [ modifier | modifier le code ]

Solidus en or a l'effigie de Constantin  I er et du Sol Invictus , 313 , Cabinet des medailles (Beistegui 233).

C'est dans le cadre de cette rencontre que les deux co-empereurs decident des modalites d’application de l’ edit de Galere , qu’ils actualisent [ 14 ] et conviennent d'etendre a la partie orientale de l'Empire, retablissant de la sorte la liberte de culte pour le bien de la securite publique [ 14 ] . Sans qu'il faille y chercher un antecedent anachronique au concept moderne de tolerance [ 15 ] , les deux Augustes entendent donner aux chretiens en particulier ≪ la liberte pleine et entiere de pratiquer leur religion ≫ [ 16 ] et ordonnent en outre que leur soient restitues les biens confisques avant 303, dans le cadre de la persecution [ 17 ]  ; on peut d'ailleurs considerer que le texte porte avant tout cette restitution des biens des Eglises [ 18 ] plutot que sur la tolerance generale [ 19 ] .

Il n'existe ainsi aucun document pouvant confirmer que, soit Constantin et Licinius conjointement, soit l'un ou l'autre isolement aient emis un edit ou une loi generale concernant le christianisme [ 20 ] pendant ou immediatement apres cette reunion de Milan [ 21 ] . Il semble en outre qu'aucune declaration publique n'a ete faite a Milan, peut-etre parce que ≪ aucune n'etait necessaire ≫ [ 22 ] , dans la mesure ou, pour certains chercheurs, Constantin avait deja accorde ces liberalites aux chretiens des sa nomination comme Auguste a York en 306 [ 23 ] quoique, selon d'autres, rien n'atteste d'une telle inclination avant 312 dans les sources contemporaines [ 24 ] . Les textes de Lactance et Eusebe semblent neanmoins attester qu'ils sont la consequence d'une decision plus generale prise a Milan, de portee probablement universelle mais dont seules ces deux copies de la procedure administrative ont ete conservees [ 25 ] , adressees a un unique individu agent de l'Empire, un praeses [ 26 ] .

Si Constantin et Licinius sont explicitement mentionnes comme ≪ expediteurs officiels ≫ du rescrit [ 27 ] , il est vraisemblable que seul le second des deux en soit l'auteur dans la mesure ou, a l’issue de sa victoire sur Maximin en avril 313, c'est a lui que revient la direction de la partie orientale de l’Empire, incluant la Bithynie, et la Palestine [ 26 ] .

Ainsi, apres sa victoire decisive sur Maximin a Tzirallum , qui elimine le dernier tetrarque persecuteur [ 9 ] , Licinius rejoint Nicomedie et le texte contenant les mesures decidees a Milan quelques mois plus tot y est affiche aux ides de juin (13 juin) [ 28 ] . La presence de l'Auguste dans cette ville a ce moment a souleve la question de savoir s'il a ou non promulgue lui-meme [ 28 ] le texte [ 29 ]  : dans la mesure ou il s'agit vraisemblablement seulement d'une lettre circulaire adressee a un gouverneur [ 26 ] , la promulgation etait plutot du ressort de l'autorite locale [ 28 ] . En effet, le texte de Lactance precise que c'est au gouverneur de Bithynie qu'il est demande de publier la lettre circulaire en tete d'un de ses edits locaux (en latin : programma [ 30 ] ). Par ailleurs, la missive reproduite par Eusebe et adressee au gouverneur de Palestine est probablement affichee a Cesaree un peu plus tard dans la meme annee [ 31 ] .

Nature et appellation [ modifier | modifier le code ]

Fresque representant peut-etre Lactance, IV e  siecle.

Ainsi, ce que l'on appelle ≪ edit de Milan ≫ repose sur deux lettres adressees durant l'ete 313 a des autorites romaines orientales, reproduites par deux auteurs anciens [ 25 ] , dont aucune ne mentionnent un ≪ edit ≫ [ 26 ] : Lactance (v. 250-v.325) a la fin de son traite De Mortibus Persecutorum 48.2?12 , evoque une lettre en latin adressee par Licinius au gouverneur de Bithynie et affiche a Nicomedie au mois de juin de la meme annee [ 32 ] .

Eusebe de Cesaree (v. 265- 339 ), dans le dixieme livre de son Histoire ecclesiastique 10.5.2?14 , reproduit une version grecque traduite du latin d'un courrier adresse aux fonctionnaires de Palestine peu apres la defaite de Maximin Daia [ 33 ] . La ou Lactance evoque une ≪ lettre circulaire de Licinius ≫, Eusebe mentionne les ≪ ordonnances imperiales de Constantin et Licinius ≫ [ 34 ] .

Premieres lignes de la traduction par John Christopherson de l’ Histoire ecclesiastique , livre X ch. V, ou pour la premiere fois apparait le terme latin ≪ edictum ≫ ; imprime a Cologne en 1570, Bayerische Staatsbibliothek .

La qualification d'≪ edit ≫ attachee au document de 313 n'apparait qu'a la fin du XVI e  siecle, dans l'historiographie de la Contre-Reforme , sous la plume de l'historien ecclesiastique Cesare Baronio , quand il cite Eusebe dans ses Annales ecclesiastiques [ 26 ] , Baronio puisant lui-meme dans une traduction d'Eusebe par le cistercien anglais John Christopherson [ 35 ] , qui semble a l'origine du contresens en traduisant le terme δι?ταξι? de l'original grec par le latin edictum [ 26 ] . Cesare Baronio utilise cette version latine et, sans revenir au texte grec, fonde son commentaire historique entierement sur celle-ci, diffusant de la sorte l'erreur et un usage qui devient une norme historiographique [ 26 ] .

Cette appellation reconstruite connait une longue prosperite avant d'etre remise en question a la fin du XIX e  siecle par l'historien allemand Otto Seeck [ 36 ]  : dans un court article fondateur publie en 1891, celui-ci releve que l'expression est impropre pour un document que Lactance nomme epistula (lettre), qui ne contient pas d'innovation juridique par rapport a l'edit de Galere et dont l'objet est d'etendre les dispositions de ce dernier a la partie orientale de l'Empire ou Maximin Daia ne l'a pas applique ; en outre, pour Seeck, le texte a ete publie sous forme de lettre par Licinius seul, sans l'implication de Constantin [ 36 ] .

Ce n'est que tres progressivement que les arguments de l'historien allemand vont gagner en reconnaissance et aujourd'hui, la plupart des chercheurs s'accordent desormais sur le fait que c'est improprement [ 17 ] que le texte de 313 a ete qualifie d'≪ edit ≫ [ 37 ]  : un edit est en effet une declaration officielle qui a force de loi et est affichee dans tout l'Empire [ 38 ] alors qu'il s'agit plutot ici d'un decret d'application, un mandatum (circulaire imperiale aux agents imperiaux) communique par une lettre contenant des indications complementaires adressees aux hauts fonctionnaires provinciaux [ 37 ] , ou d'un rescriptum [ 14 ] (reponse a une correspondance ou une petition), voire d'un decretum (decision juridique finale) [ 26 ] .

Otto Seeck (1850?1921).

En tout etat de cause, le texte original n'en est pas moins perdu et si l'on connait les mesures qui en ont decoule, la nature premiere de celui-ci reste inaccessible [ 11 ] . Cependant, tandis qu'il n'existe absolument aucune preuve que le texte du rescrit a ete ecrit dans cette ville et que la date precise de sa redaction soit inconnue [ 26 ] , la constitution imperiale concernee est encore parfois qualifiee d' ≪ Edit de Milan ≫ voire consideree comme la resultante d’un tel acte milanais desormais perdu [ 26 ] .

Pour certains chercheurs qui considerent neanmoins encore qu'un accord a bien ete conclu a Milan par Constantin et Licinius [ 39 ] et que s'il est de la sorte plus exact de parler d'≪ accord ≫ ou de ≪ pacte ≫ de Milan, l'appellation ≪ edit de Milan ≫ mise entre guillemets reste acceptable, d'autant plus que des travaux ont releve que les epistulae imperiales du quatrieme siecle ont progressivement gagne la meme force que les edits des epoques imperiales anterieures [ 39 ] . Ainsi, certains s'accordent aujourd'hui encore sur l'appreciation de l'historien Norman H. Baynes qui, relativisant l'enjeu, expliquait que ≪ l’edit de Milan peut etre une fiction, mais le fait que recouvre le terme reste entier ≫ [ 40 ] .

De la meme maniere, l'implication dans l'accord et ses dispositions de Constantin, alors en position de force sur les plans politique et militaire [ 8 ] , tend a etre reevalue au point qu'on lui en attribue regulierement l'initiative [ 34 ] . D'ailleurs, par la suite, la ou Constantin, dont la proximite avec le christianisme s'affiche de plus en plus [ 9 ] , instaure une protection active des chretiens sur son territoire, Licinius, qui ne manifeste aucune position religieuse particuliere, applique a minima les decisions de Milan sans jamais s'engager en faveur des chretiens [ 41 ] .

Quoi qu'il en soit, s'il est certain que le document n'est pas un edit, l’etat de la documentation dans les annees 2020 ne permet pas de trancher de maniere definitive sur sa nature initiale, ≪ aucun des arguments et contre-arguments qui font pencher la balance en faveur [d'un rescriptum , d'un decretum ou d'un mandatum ] n’eliminant totalement les autres ≫ [ 26 ] .

Ainsi, l’historiographie n'a pas vraiment fixe une appellation alternative a ce ≪ soi-disant ≫ ou ≪ pretendu ≫ [ 42 ] ≪ edit de Milan ≫, usant d'expressions comme celles de ≪ lettre de Milan ≫ [ 13 ] , de ≪  mandatum de Milan ≫ [ 43 ] , de ≪ lettre(s) de Licinius ≫ [ 44 ] , d' ≪ edit de Constantin ≫ [ 45 ] voire d' ≪ edit de Constantin et Licinius ≫ [ 46 ] ou encore de ≪ rescrit de Nicomedie ≫ [ 14 ] … Ainsi, l'expression ≪ edit de Milan ≫ a continue d'etre en usage dans la recherche jusqu'a nos jours, quelquefois ≪ par fidelite aveugle a la tradition recue ≫ mais souvent plus simplement ? tout en acceptant que le terme ne soit pas strictement approprie ? par commodite pour designer un document qui reste, pour beaucoup, un jalon important dans l'histoire des religions.

Le texte [ modifier | modifier le code ]

Texte de l'edit de Milan dans l' Histoire ecclesiastique d' Eusebe de Cesaree , manuscrit du XVI e  siecle.

Le texte de Lactance reprend la circulaire communiquee par Licinius au gouverneur de Bithynie et affichee a Nicomedie le 13 juin 313. Comme elle est redigee en latin et affichee dans la capitale meme de Licinius, c'est la version qui a le plus de chances de s'approcher de l'original [ 25 ] . En resume le texte annonce [ 32 ]  :

≪ Moi, Constantin Auguste, ainsi que moi, Licinius Auguste, reunis heureusement a Milan pour discuter de tous les problemes relatifs a la securite et au bien public, nous avons cru devoir regler en tout premier lieu, entre autres dispositions de nature a assurer selon nous le bien de la majorite, celle sur laquelle repose le respect de la divinite, c'est-a-dire donner aux chretiens comme a tous la liberte et la possibilite de suivre la religion de leur choix.(...) La meme possibilite d'observer leur religion et leur culte est concedee aux autres citoyens ouvertement et librement, ainsi qu'il convient a notre epoque de paix, afin que chacun ait la libre faculte de pratiquer le culte de son choix. Ce qui a dicte notre action, c'est la volonte de ne point paraitre avoir apporte la moindre restriction a aucun culte ni a aucune religion. ≫

Lactance , La mort des persecuteurs , 48, Sources chretiennes n o  38, p.132-134 [ 47 ]

Le document est unique en son genre dans la mesure ou c'est le seul exemple dans lequel deux empereurs se nomment chacun avec une singularisation emphatique, un procede de style peut-etre concu pour souligner l'ecartement du pouvoir de Maximin peut-etre deja vaincu au moment de la redaction mais pas encore mort [ 31 ] .

Portee [ modifier | modifier le code ]

Medaillon en argent, figurant Constantin avec christogramme sur le casque, 315.

Application [ modifier | modifier le code ]

L'historiographie a souvent eu tendance a considerer les dates d’emission des differentes sources du droit, tant romain que canonique, ≪ comme des moments transitoires absolus, comme si leur reception etait necessairement immediate et generale ≫ [ 26 ] .

Or ≪ dans l’Antiquite tardive, la plupart des lois [ne sont] connues que par les fonctionnaires ou les lieux qui les re[coiv]ent ≫ [ 48 ] et la plupart de ces textes, qui repondent generalement a des problematiques bien circonscrites dans le temps et dans l’espace, ne sont pas exemptes difficultes dans leur mise en application [ 26 ] .

Sur un plan pratique, toutes les dispositions et edits contre les chretiens se trouvent annules et ces derniers sont desormais libres de se reunir et de pratiquer leur culte publiquement [ 49 ] . En outre, qu'ils aient ete confisques, achetes ou recus en donation, tous leurs biens et lieux de culte prives ou communs doivent leur etre integralement restitues [ 49 ] ( restitutio in integrum ) tandis que, connaissant une existence legale et dotees d'une personnalite juridique, les communautes et Eglises chretiennes peuvent desormais etre proprietaires de lieux de culte ou de terrains sans entrave et recevoir dons et legs [ 50 ] .

Corpus reconnu [ modifier | modifier le code ]

Le rescrit constitue l’un des plus anciens textes juridiques connus a identifier la communaute des chretiens sous la forme d’un corps a part entiere [ 26 ]  : l'ensemble des chretiens forme desormais un corpus parmi d'autres au sein de l'Empire [ 44 ] et l'Eglise se trouve pleinement incorporee dans l'ordre juridique de Rome [ 39 ] .

Sur un plan politique, il est possible que dans la decision de Milan, Constantin ait specifiquement favorise les chretiens et Licinius les autres cultes [ 51 ] et la ou ce dernier, paien tolerant, se contente de faire appliquer la decision, Constantin se serait engage de maniere marquee dans une voie qui favorise volontairement le christianisme dont il fait sa foi personnelle [ 52 ] et devient bientot le champion [ 16 ] .

Neanmoins, le texte ne mentionne que de maniere abstraite et vague une ≪ divinite supreme ≫ ( summa divinitas ) [ 53 ] qui reside dans le sejour celeste, sur laquelle peuvent s'accorder sans peine les uns et les autres [ 51 ] . La liberte de culte evoquee dans le texte s'adressant explicitement a tous [ 49 ] , chaque individu se voit reconnaitre le droit ( potestas ) de liberte religieuse, determine par son libre choix [ 44 ] . Cette tolerance s'applique sans distinction a tous cultes et religions d'un Empire qui, de facto , ne repose desormais plus sur la faveur des dieux romains traditionnels [ 44 ] . Il faut cependant relativiser l'etendue de ces liberalites car il est par exemple douteux que les mesures contre le manicheisme aient ete revoquees par ce document [ 19 ] et il semble que Licinius ait pu considerer les chretiens comme des traitres potentiels a sa cause et ait alors ete amene a prendre de nouvelles mesures discriminatoires et vexatoires contre ceux-ci sans toutefois s'engager dans une politique de persecution [ 54 ] .

D'autres decrets suivent bientot ces premieres dispositions, prodiguant aux chretiens des avantages de diverses natures : des 313, les membres du clerge chretien sont exemptes de toute charge publique, ce qui les assimile a des serviteurs de l'Etat [ 55 ] , en 318 , les eveques sont assimiles a des arbitres civils [ 56 ] , en 319 , les clercs chretiens beneficient des memes privileges et exemptions que les officiants de la religion traditionnelle [ 57 ] , en 321 et 323 , les esclaves peuvent etre affranchis dans les eglises [ 57 ]

Pour autant, cette reconnaissance par l'autorite publique et ce changement de statut ne soudent pas necessairement le christianisme fracture par des schismes consecutifs aux persecutions [ 2 ] , ouvrant a d'importantes crises qui divisent parfois violemment les communautes ? crise donatiste , crise arienne ... ? forcant bientot Constantin, puis ses successeurs, a intervenir personnellement dans les affaires de l'Eglise [ 58 ] ≪ comme [le ferait] un patron dans les affaires de la cite ≫ [ 12 ] .

Posterite [ modifier | modifier le code ]

Si le texte a joui d'une grande celebrite historique au fil des siecles [ 13 ] , il est absent ? d'ailleurs a l'instar de l'edit de Galere ? des collections du code Theodosien , et de celles du code Justinien [ 59 ] . Ceci n'est d'ailleurs pas etonnant dans la mesure ou la libertas religionis, accordee davantage par opportunisme que par esprit de tolerance, ne constitue pas un ≪ droit ≫ au sens juridique, mais plutot une ≪ concession ≫, une sorte de ≪ grace ≫ imperiale des deux Augustes [ 60 ] .

Par ailleurs, bien que le texte de Galere prefigure et inspire le ≪ rescrit ≫ de Licinius et Constantin qui le complete, c'est pourtant ce dernier que l'historiographie lui a largement prefere comme marqueur de la reconnaissance du christianisme comme culte legitime au sein de l'Empire romain et du passage entre l'Antiquite paienne et l'epoque chretienne [ 37 ] , estompant progressivement l'importance en ce sens des edits de Gallien et de Galere [ 61 ] .

Eglise des Saints empereur Constantin et imperatrice Helene a Ni?.

Celebration des 1 700 ans de l’edit [ modifier | modifier le code ]

L’anniversaire des 1 700 ans de l’edit de Milan a ete celebre par l’ Eglise catholique et par l’ Eglise orthodoxe , en a Ni? ( Serbie ), ville de naissance de Constantin I er et Milan (Italie). L’Eglise catholique a souligne ce moment historique par plusieurs messes dans la ville de Milan. Quant a l’ Eglise orthodoxe serbe , elle a organise une grande fete populaire dans la ville de Ni? en y batissant une eglise dediee a Constantin et Helene [ 62 ] . Une messe a ete dite dans la nouvelle cathedrale en presence des patriarches de Moscou , d’Athenes, de Jerusalem, d’Egypte, d’Armenie et de Serbie, devant plus de 15 000 fideles [ 63 ] .

Notes et references [ modifier | modifier le code ]

  1. a et b Mattei 2008 , p.  151.
  2. a b et c Pierre Chuvin , Chronique des derniers paiens : La disparition du paganisme dans l'Empire romain, du regne de Constantin a celui de Justinien , Les Belles Lettres/Fayard, ( ISBN   978-2-251-38097-1 ) , p.  29
  3. Drake 2017 , p.  65.
  4. Baslez 2007 , p.  356.
  5. a et b Veyne 2009 , p.  315.
  6. Maraval 2014 , p.  78-80.
  7. a et b Maraval 2017 , p.  5.
  8. a et b Maraval 2016 , p.  106.
  9. a b et c Puech 2022 , p.  185.
  10. a b et c Maraval 2014 , p.  135.
  11. a b et c Maraval 2016 , p.  107.
  12. a et b Sotinel 2019 , p.  262.
  13. a b et c Lancon et Moreau 2012 , p.  48.
  14. a b c et d Charles Pietri , chap.  1 ≪ La conversion : propagandes et realites de la loi et de l’evergetisme ≫ , dans Jean-Marie Mayeur , Charles et Luce Pietri , Andre Vauchez , Marc Venard (dirs.), Histoire du christianisme , vol.  2 : Naissance d'une chretiente (250-430) , Desclee, ( ISBN   2-7189-0632-4 ) , p.  199
  15. Peter Van Nuffelent , Penser la tolerance durant l’Antiquite tardive , Publications de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, coll.  ≪ Les conferences de l’EPHE ≫, ( ISBN   978-2-492861-03-1 ) , p.  51, 53
  16. a et b Maraval 2017 , p.  6.
  17. a et b Mimouni et Maraval 2007 , p.  353.
  18. Peter Van Nuffelent , Penser la tolerance durant l’Antiquite tardive , Publications de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, coll.  ≪ Les conferences de l’EPHE ≫, ( ISBN   978-2-492861-03-1 ) , p.  51
  19. a et b Peter Van Nuffelent , Penser la tolerance durant l’Antiquite tardive , Publications de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, coll.  ≪ Les conferences de l’EPHE ≫, ( ISBN   978-2-492861-03-1 ) , p.  52
  20. Pour les debats entre chercheurs sur la paternite originale du document, voir par exemple...
  21. Barnes 2014 , p.  95.
  22. Barnes 2014 , p.  93.
  23. Barnes 2014 , p.  94.
  24. Drake 2017 , p.  63.
  25. a b et c Puech 2022 , p.  186.
  26. a b c d e f g h i j k l m et n Moreau 2022 .
  27. L'evocation en tete d'un document de tous les souverains reconnus par une cour imperiale dans leur ordre de preseance ?ici Constantin ayant plus d’anciennete est nomme en premier ? est une pratique banale dans l’Antiquite tardive, meme si le texte est l’œuvre d’un seul d’entre eux voire que l’autre cour n’approuve pas le document, ce qui n'est pas le cas en l'espece ; Moreau 2022
  28. a b et c Corcoran 1996 , p.  189.
  29. Maraval 2014 , p.  138.
  30. (en) John Dillon , The Justice of Constantine : Law, Communication, and Control , University of Michigan Press, ( ISBN   978-0-472-11829-8 ) , p.  293
  31. a et b Corcoran 1996 .
  32. a et b Charles Pietri , chap.  1 ≪ La conversion : propagandes et realites de la loi et de l’ebvergetisme ≫ , dans Jean-Marie Mayeur , Charles et Luce Pietri , Andre Vauchez , Marc Venard (dirs.), Histoire du christianisme , vol.  2 : Naissance d'une chretiente (250-430) , Desclee, ( ISBN   2-7189-0632-4 ) , p.  198
  33. Claire Sotinel , Rome, la fin d'un Empire : De Caracalla a Theodoric, 212-fin du V e  siecle , Belin, coll.  ≪ Mondes anciens ≫, ( ISBN   978-2-7011-6497-7 ) , p.  255
  34. a et b Maraval 2014 , p.  112.
  35. Mort en 1558, sa traduction de l’ Historiae eccelesiae est editee a Anvers en 1569 chez Arnold Birckman ; cf. Reinhard Bodenmann , Wolfgang Musculus (1497-1563) : Destin d'un autodidacte lorrain au siecle des Reformes. , Librairie Droz, ( ISBN   978-2-600-00455-8 ) , p.  377
  36. a et b Lenski 2017 , p.  27.
  37. a b et c Veyne 2009 , p.  314.
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  39. a b et c (en) Charles Matson Odahl , Constantine and the Christian Empire , Routledge, ( ISBN   978-0-415-57534-8 ) , p.  328
  40. (en) Norman H. Baynes , Constantine the Great and the Christian Church , Londres, Oxford University Press, ( 1 re   ed. 1929), p.  11 , cite par Maraval 2016 , p.  107
  41. Sotinel 2019 , p.  261, 262.
  42. Veyne 2009 , p.  15.
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Bibliographie [ modifier | modifier le code ]

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilise comme source pour la redaction de cet article.

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Voir aussi [ modifier | modifier le code ]

Articles connexes [ modifier | modifier le code ]

Liens externes [ modifier | modifier le code ]

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