L’≪
edit de Milan
≫ est le nom traditionnel d'un
rescrit
conserve sous forme de deux lettres circulaires adressees a l'ete
313
aux
gouverneurs
des
provinces
orientales de
Bithynie
et de
Palestine
par les
co-empereurs romains
Licinius
et
Constantin
, rapportant localement un accord conclu entre eux lors de leur rencontre a
Milan
en fevrier de la meme annee.
Prolongeant les dispositions de l'
edit de Galere
, le texte accorde la
liberte de culte
aux chretiens et ordonne que leur soient restitues tous les biens et batiments qui leur ont ete confisques durant la
Grande persecution
. Cette tolerance, motivee par des enjeux de securite publique, s'applique sans distinction a chaque individu ainsi qu'a tous cultes et religions d'un Empire qui,
de facto
, ne repose desormais plus sur la faveur des dieux romains traditionnels.
Bien que ce ne soit pas un edit et qu'il ne provienne peut-etre pas de Milan, et meme si la nature du texte, son commanditaire ou sa portee, peut-etre seulement locale, demeurent l'objet de debats dans la recherche, le document constitue l’un des plus anciens textes juridiques connus a identifier la communaute des chretiens sous la forme d’un corps a part entiere.
C'est ainsi sous le nom d'≪ Edit de Milan ≫ que l'
historiographie
a souvent retenu ce texte comme marqueur de la reconnaissance du
christianisme
en tant que
culte legitime
au sein de l'Empire romain et du passage entre l'Antiquite paienne et l'epoque chretienne. L’historiographie contemporaine n'a pas vraiment fixe d'appellation alternative a ce ≪ pretendu edit ≫, usant d'expressions telles que ≪ edit de Constantin ≫, ≪ lettre de Licinius ≫ voire ≪ edit de Constantin et Licinius ≫, ≪ lettre de Milan ≫, ≪
mandatum
de Milan ≫ ou encore et plus recemment ≪ Rescrit de Nicomedie ≫…
Apres plusieurs dizaines d'annees de quietude pour les populations chretiennes de l'Empire depuis l'
edit de Galien
promulgue en
260
, la situation bascule en
303
quand se succedent quatre edits draconiens a l'encontre des chretiens, les interdisant de reunions, ordonnant la destruction de leurs lieux de culte, la saisie de leurs biens, l'incarceration de leurs
clercs
ainsi que l'obligation pour ces derniers puis pour l'ensemble des chretiens ? desormais frappes d'incapacite a
ester en justice
? de sacrifier
[
1
]
.
La persecution est largement motivee par la conviction des co-empereurs de la
Tetrarchie
que le refus chretien de reconnaitre les dieux qu'ils tiennent pour garants de leur regne ? en particulier
Jupiter
et
Hercule
dont le patronage permet de sacraliser l'empereur comme jamais auparavant
[
2
]
? oblitere les bonnes relations necessaires avec les forces divines jugees essentielles a la paix, la prosperite
[
3
]
et la restauration de l'empire
[
2
]
.
L'application de la persecution est cependant tres inegale selon les regions, souvent tres rigoureuse en Orient, severe a
Rome
et en
Afrique
mais a peu pres nulle en
Gaule
, ou
Constance Chlore
, favorable aux chretiens, se contente de faire detruire les edifices
[
1
]
. Cette periode, connue par l'historiographie comme la ≪
Persecution de Diocletien
≫ ou ≪ Grande persecution ≫, est ainsi entrecoupee d'amnisties et de sursauts de tolerance sans qu'on puisse y deceler une quelconque logique en ces temps politiquement troubles
[
4
]
.
Avec l'
edit de tolerance
promulgue a
Sardique
par
Galere
en
311
, le principe de la fin de la Grande persecution est acquis dans la mesure ou, emanant du
premier Auguste
, il est cense s'imposer a ses collegues et donc a l'ensemble de l'Empire
[
5
]
. Mais s'il est effectivement applique en
Gaule
par Constantin ainsi qu'en
Italie
et en
Afrique
par
Maxence
, il reste lettre morte dans la partie orientale de l'Empire dont a la charge
Maximin Daia
[
5
]
et la ou les populations chretiennes sont les plus importantes.
Galere emporte par la maladie en
, Constantin s'engage a l'automne 312 dans une campagne italienne contre les troupes de Maxence qui se solde par la defaite et la mort de ce dernier a
Rome
, lors de la
bataille du pont Milvius
le
28 octobre
[
6
]
. Recuperant les territoires de son rival,
Italie
et
Afrique
, qui s'additionnent a la
Gaule
, la
Bretagne
et l'
Espagne
qu'il dirige deja, Constantin devient ainsi le maitre de la
partie occidentale de l’Empire
[
7
]
, se voit accorder le titre de
premier Auguste
par le Senat romain
[
8
]
et, ayant herite de son pere
Constance
d'une tolerance de fait a l'egard des chretiens
[
9
]
, applique peut-etre deja alors a son territoire l’edit instaure l'annee precedente par Galere
[
7
]
. Les deux co-empereurs restants se partagent, pour
Licinius
, la
Dalmatie
et la
Thrace
, et pour
Maximin Daia
, l'
Asie Mineure
, la
Syrie
et l'
Egypte
[
10
]
.
Dans un premier temps, Maximin Daia refuse d'appliquer l'edit de Galere et poursuit les persecutions sur son vaste territoire
[
11
]
, la lutte contre les chretiens constituant meme un marqueur assume de son gouvernement
[
12
]
; mais le nouveau premier Auguste lui ordonne bientot de cesser et Maximin semble s'executer ainsi qu'en atteste un edit de tolerance qu'il promulgue en novembre ou decembre 312
[
11
]
.
En
, Constantin et Licinius se rencontrent a
Milan
dans le but de conclure une alliance politique dirigee contre le troisieme auguste en titre et se partager l'Empire
[
13
]
. L'alliance dynastique entre les deux hommes est scellee par le mariage de
Constantia
, demi-sœur de Constantin, avec Licinius
[
10
]
et la rencontre se prolonge a Milan jusqu'au mois de mars
[
10
]
.
C'est dans le cadre de cette rencontre que les deux co-empereurs decident des modalites d’application de l’
edit de Galere
, qu’ils actualisent
[
14
]
et conviennent d'etendre a la partie orientale de l'Empire, retablissant de la sorte la
liberte de culte
pour le bien de la securite publique
[
14
]
. Sans qu'il faille y chercher un antecedent anachronique au concept moderne de
tolerance
[
15
]
, les deux Augustes entendent donner aux chretiens en particulier ≪ la liberte pleine et entiere de pratiquer leur religion ≫
[
16
]
et ordonnent en outre que leur soient restitues les biens confisques avant 303, dans le cadre de la persecution
[
17
]
; on peut d'ailleurs considerer que le texte porte avant tout cette restitution des biens des Eglises
[
18
]
plutot que sur la tolerance generale
[
19
]
.
Il n'existe ainsi aucun document pouvant confirmer que, soit Constantin et Licinius conjointement, soit l'un ou l'autre isolement aient emis un edit ou une loi generale concernant le christianisme
[
20
]
pendant ou immediatement apres cette reunion de Milan
[
21
]
. Il semble en outre qu'aucune declaration publique n'a ete faite a Milan, peut-etre parce que ≪ aucune n'etait necessaire ≫
[
22
]
, dans la mesure ou, pour certains chercheurs, Constantin avait deja accorde ces liberalites aux chretiens des sa nomination comme Auguste a
York
en 306
[
23
]
quoique, selon d'autres, rien n'atteste d'une telle inclination avant 312 dans les sources contemporaines
[
24
]
. Les textes de Lactance et Eusebe semblent neanmoins attester qu'ils sont la consequence d'une decision plus generale prise a Milan, de portee probablement universelle mais dont seules ces deux copies de la procedure administrative ont ete conservees
[
25
]
, adressees a un unique individu agent de l'Empire, un
praeses
[
26
]
.
Si Constantin et Licinius sont explicitement mentionnes comme ≪ expediteurs officiels ≫ du rescrit
[
27
]
, il est vraisemblable que seul le second des deux en soit l'auteur dans la mesure ou, a l’issue de sa victoire sur Maximin en avril 313, c'est a lui que revient la direction de la partie orientale de l’Empire, incluant la Bithynie, et la Palestine
[
26
]
.
Ainsi, apres sa victoire decisive sur Maximin a
Tzirallum
, qui elimine le dernier tetrarque persecuteur
[
9
]
, Licinius rejoint
Nicomedie
et le texte contenant les mesures decidees a Milan quelques mois plus tot y est affiche aux
ides de juin
(13 juin)
[
28
]
. La presence de l'Auguste dans cette ville a ce moment a souleve la question de savoir s'il a ou non promulgue lui-meme
[
28
]
le texte
[
29
]
: dans la mesure ou il s'agit vraisemblablement seulement d'une lettre circulaire adressee a un gouverneur
[
26
]
, la promulgation etait plutot du ressort de l'autorite locale
[
28
]
. En effet, le texte de Lactance precise que c'est au gouverneur de
Bithynie
qu'il est demande de publier la lettre circulaire en tete d'un de ses edits locaux (en latin :
programma
[
30
]
). Par ailleurs, la missive reproduite par Eusebe et adressee au gouverneur de
Palestine
est probablement affichee a
Cesaree
un peu plus tard dans la meme annee
[
31
]
.
Ainsi, ce que l'on appelle ≪ edit de Milan ≫ repose sur deux lettres adressees durant l'ete 313 a des autorites romaines orientales, reproduites par deux auteurs anciens
[
25
]
, dont aucune ne mentionnent un ≪ edit ≫
[
26
]
:
Lactance
(v. 250-v.325) a la fin de son traite
De Mortibus Persecutorum 48.2?12
, evoque une lettre en latin adressee par Licinius au
gouverneur
de
Bithynie
et affiche a
Nicomedie
au mois de juin de la meme annee
[
32
]
.
Eusebe de Cesaree
(v. 265-
339
), dans le dixieme livre de son
Histoire ecclesiastique
10.5.2?14
, reproduit une version grecque traduite du latin d'un courrier adresse aux fonctionnaires de Palestine peu apres la defaite de
Maximin Daia
[
33
]
. La ou Lactance evoque une ≪ lettre circulaire de Licinius ≫, Eusebe mentionne les ≪ ordonnances imperiales de Constantin et Licinius ≫
[
34
]
.
La qualification d'≪ edit ≫ attachee au document de 313 n'apparait qu'a la fin du
XVI
e
siecle, dans l'historiographie de la
Contre-Reforme
, sous la plume de l'historien ecclesiastique
Cesare Baronio
, quand il cite Eusebe dans ses
Annales ecclesiastiques
[
26
]
, Baronio puisant lui-meme dans une traduction d'Eusebe par le cistercien anglais
John Christopherson
[
35
]
, qui semble a l'origine du contresens en traduisant le terme
δι?ταξι?
de l'original grec par le latin
edictum
[
26
]
. Cesare Baronio utilise cette version latine et, sans revenir au texte grec, fonde son commentaire historique entierement sur celle-ci, diffusant de la sorte l'erreur et un usage qui devient une norme historiographique
[
26
]
.
Cette appellation reconstruite connait une longue prosperite avant d'etre remise en question a la fin du
XIX
e
siecle par l'historien allemand
Otto Seeck
[
36
]
: dans un court article fondateur publie en 1891, celui-ci releve que l'expression est impropre pour un document que Lactance nomme
epistula
(lettre), qui ne contient pas d'innovation juridique par rapport a l'edit de Galere et dont l'objet est d'etendre les dispositions de ce dernier a la partie orientale de l'Empire ou Maximin Daia ne l'a pas applique ; en outre, pour Seeck, le texte a ete publie sous forme de lettre par Licinius seul, sans l'implication de Constantin
[
36
]
.
Ce n'est que tres progressivement que les arguments de l'historien allemand vont gagner en reconnaissance et aujourd'hui, la plupart des chercheurs s'accordent desormais sur le fait que c'est improprement
[
17
]
que le texte de 313 a ete qualifie d'≪ edit ≫
[
37
]
: un edit est en effet une declaration officielle qui a force de loi et est affichee dans tout l'Empire
[
38
]
alors qu'il s'agit plutot ici d'un decret d'application, un
mandatum
(circulaire imperiale aux agents imperiaux) communique par une lettre contenant des indications complementaires adressees aux hauts fonctionnaires provinciaux
[
37
]
, ou d'un
rescriptum
[
14
]
(reponse a une correspondance ou une petition), voire d'un
decretum
(decision juridique finale)
[
26
]
.
En tout etat de cause, le texte original n'en est pas moins perdu et si l'on connait les mesures qui en ont decoule, la nature premiere de celui-ci reste inaccessible
[
11
]
. Cependant, tandis qu'il n'existe absolument aucune preuve que le texte du rescrit a ete ecrit dans cette ville et que la date precise de sa redaction soit inconnue
[
26
]
, la
constitution imperiale
concernee est encore parfois qualifiee d' ≪ Edit de Milan ≫ voire consideree comme la resultante d’un tel acte milanais desormais perdu
[
26
]
.
Pour certains chercheurs qui considerent neanmoins encore qu'un accord a bien ete conclu a Milan par Constantin et Licinius
[
39
]
et que s'il est de la sorte plus exact de parler d'≪ accord ≫ ou de ≪ pacte ≫ de Milan, l'appellation ≪ edit de Milan ≫ mise entre guillemets reste acceptable, d'autant plus que des travaux ont releve que les
epistulae
imperiales du quatrieme siecle ont progressivement gagne la meme force que les edits des epoques imperiales anterieures
[
39
]
. Ainsi, certains s'accordent aujourd'hui encore sur l'appreciation de l'historien
Norman H. Baynes
qui, relativisant l'enjeu, expliquait que ≪ l’edit de Milan peut etre une fiction, mais le fait que recouvre le terme reste entier ≫
[
40
]
.
De la meme maniere, l'implication dans l'accord et ses dispositions de Constantin, alors en position de force sur les plans politique et militaire
[
8
]
, tend a etre reevalue au point qu'on lui en attribue regulierement l'initiative
[
34
]
. D'ailleurs, par la suite, la ou Constantin, dont la proximite avec le christianisme s'affiche de plus en plus
[
9
]
, instaure une protection active des chretiens sur son territoire, Licinius, qui ne manifeste aucune position religieuse particuliere, applique
a minima
les decisions de Milan sans jamais s'engager en faveur des chretiens
[
41
]
.
Quoi qu'il en soit, s'il est certain que le document n'est pas un edit, l’etat de la documentation dans les annees 2020 ne permet pas de trancher de maniere definitive sur sa nature initiale, ≪ aucun des arguments et contre-arguments qui font pencher la balance en faveur [d'un
rescriptum
, d'un
decretum
ou d'un
mandatum
] n’eliminant totalement les autres ≫
[
26
]
.
Ainsi, l’historiographie n'a pas vraiment fixe une appellation alternative a ce ≪ soi-disant ≫ ou ≪ pretendu ≫
[
42
]
≪ edit de Milan ≫, usant d'expressions comme celles de ≪ lettre de Milan ≫
[
13
]
, de ≪
mandatum
de Milan ≫
[
43
]
, de ≪ lettre(s) de Licinius ≫
[
44
]
, d' ≪ edit de Constantin ≫
[
45
]
voire d' ≪ edit de Constantin et Licinius ≫
[
46
]
ou encore de ≪ rescrit de Nicomedie ≫
[
14
]
… Ainsi, l'expression ≪ edit de Milan ≫ a continue d'etre en usage dans la recherche jusqu'a nos jours, quelquefois ≪ par fidelite aveugle a la tradition recue ≫ mais souvent plus simplement ? tout en acceptant que le terme ne soit pas strictement approprie ? par commodite pour designer un document qui reste, pour beaucoup, un jalon important dans l'histoire des religions.
Le texte de
Lactance
reprend la circulaire communiquee par Licinius au
gouverneur
de
Bithynie
et affichee a
Nicomedie
le 13 juin 313. Comme elle est redigee en latin et affichee dans la capitale meme de Licinius, c'est la version qui a le plus de chances de s'approcher de l'original
[
25
]
. En resume le texte annonce
[
32
]
:
≪ Moi, Constantin Auguste, ainsi que moi, Licinius Auguste, reunis heureusement a Milan pour discuter de tous les problemes relatifs a la securite et au bien public, nous avons cru devoir regler en tout premier lieu, entre autres dispositions de nature a assurer selon nous le bien de la majorite, celle sur laquelle repose le respect de la divinite, c'est-a-dire donner aux chretiens comme a tous la liberte et la possibilite de suivre la religion de leur choix.(...) La meme possibilite d'observer leur religion et leur culte est concedee aux autres citoyens ouvertement et librement, ainsi qu'il convient a notre epoque de paix, afin que chacun ait la libre faculte de pratiquer le culte de son choix. Ce qui a dicte notre action, c'est la volonte de ne point paraitre avoir apporte la moindre restriction a aucun culte ni a aucune religion. ≫
?
Lactance
,
La mort des persecuteurs
, 48, Sources chretiennes
n
o
38, p.132-134
[
47
]
Le document est unique en son genre dans la mesure ou c'est le seul exemple dans lequel deux empereurs se nomment chacun avec une singularisation emphatique, un procede de style peut-etre concu pour souligner l'ecartement du pouvoir de Maximin peut-etre deja vaincu au moment de la redaction mais pas encore mort
[
31
]
.
Texte complet de Lactance en latin avec traduction en francais
≪
2.≪ Cum feliciter tam ego [quam] Constantinus Augustus quam etiam ego Licinius Augustus apud Mediolanum convenissemus atque universa quae ad commoda et securitatem publicam pertinerent, in tractatu haberemus, haec inter cetera quae videbamus pluribus hominibus profutura, vel in primis ordinanda esse credidimus, quibus divinitatis reverentia continebatur, ut daremus et Christianis et omnibus liberam potestatem sequendi religionem quam quisque voluisset, quod quicquid <est> divinitatis in sede caelesti nobis atque omnibus qui sub potestate nostra sunt constituti, placatum ac propitium possit existere. 3. Itaque hoc consilium salubri ac recticissima ratione ineundum esse credidimus, ut nulli omnino facultatem abnegendam putaremus, qui vel observationi Christianorum vel ei religioni mentem suam dederet quam ipse sibi aptissimam esse sentiret, ut possit nobis summa divinitas, cuius religioni liberis mentibus obsequimur, in omnibus solitum favorem suum benivolentiamque praestare. 4. Quare scire dicationem tuam convenit placuisse nobis, ut amotis omnibus omnino condicionibus quae prius scriptis ad officium tuum datis super Christianorum nomine <continebantur, et quae prorsus sinistra et a nostra clementia aliena esse> videbantur, <ea removeantur. Et> nunc libere ac simpliciter unus quisque eorum, qui eandem observandae religionis Christianorum gerunt voluntatem citram ullam inquietudinem ac molestiam sui id ipsum observare contendant. 5. Quae sollicitudini tuae plenissime significanda esse credidimus, quo scires nos liberam atque absolutam colendae religionis suae facultatem isdem Christianis dedisse. 6. Quod cum isdem a nobis indultum esse pervideas, intellegit dicatio tua etiam aliis religionis suae vel observantiae potestatem similiter apertam et liberam pro quiete temporis nostri <esse> concessam, ut in colendo quod quisque delegerit, habeat liberam facultatem. <Quod a nobis factum est ut neque cuiquam> honori neque cuiquam religioni <detractum> aliquid a nobis <videatur>. 7. Atque hoc insuper in persona Christianorum statuendum esse censuimus, quod, si eadem loca, ad quae antea convenire consuerant, de quibus etiam datis ad officium tuum litteris certa antehac forma fuerat comprehensa, priore tempore aliqui vel a fisco nostro vel ab alio quocumque videntur esse mercati, eadem Christianis sine pecunia et sine ulla pretii petitione, postposita omni frustratione atque ambiguitate restituant; (8). qui etiam dono fuerunt consecuti, eadem similiter isdem Christianis quantocius reddant; etiam vel hi qui emerunt vel qui dono fuerunt consecuti, si petiverint de nostra benivolentia aliquid, vicarium postulent, quo et ipsis per nostram clementiam consulatur. Quae omnia corpori Christianorum protinus per intercessionem tuam ac sine mora tradi oportebit. 9. Et quoniam idem Christiani non [in] ea loca tantum ad quae convenire consuerunt, sed alia etiam habuisse noscuntur ad ius corporis eorum id est ecclesiarum, non hominum singulorum, pertinentia, ea omnia lege quam superius comprehendimus, citra ullam prorsus ambiguitatem vel controversiam isdem Christianis id est corpori et conventiculis eorum reddi iubebis, supra dicta scilicet ratione servata, ut ii qui eadem sine pretio sicut diximus restituant, indemnitatem de nostra benivolentia sperent. 10. In quibus omnibus supra dicto corpori Christianorum intercessionem tuam efficacissimam exhibere debebis, ut praeceptum nostrum quantocius compleatur, quo etiam in hoc per clementiam nostram quieti publicae consulatur. 11. Hactenus fiet, ut, sicut superius comprehensum est, divinus iuxta nos favor, quem in tantis sumus rebus experti, per omne tempus prospere successibus nostris cum beatitudine publica perseveret. 12. Ut autem huius sanctionis <et> benivolentiae nostrae forma ad omnium possit pervenire notitiam, prolata programmate tuo haec scripta et ubique proponere et ad omnium scientiam te perferre conveniet, ut huius nostrae benivolentiae [nostrae] sanctio latere non possit. ≫
≫
— Lactance,
Lucii Caecilii liber ad donatum confessorem de mortibus persecutorum
, 48, 2-12
≪ 2.≪ Moi, Constantin Auguste, ainsi que moi, Licinius Auguste, reunis heureusement a Milan, pour discuter de tous les problemes relatifs a la securite et au bien public, nous avons cru devoir regler en tout premier lieu, entre autres dispositions de nature a assurer, selon nous, le bien de la majorite, celles sur lesquelles repose le respect de la divinite, c’est-a-dire donner aux chretiens comme a tous la liberte et la possibilite de suivre la religion de leur choix, afin que tout ce qu’il y a de divin au celeste sejour puisse etre bienveillant et propice, a nous-memes et a tous ceux qui se trouvent sous notre autorite. C’est pourquoi nous avons cru, dans un dessein salutaire et tres droit, devoir prendre la decision de ne refuser cette possibilite a quiconque, qu’il ait attache son ame a la religion des chretiens ou a celle qu’il croit lui convenir le mieux, afin que la divinite supreme, a qui nous rendons un hommage spontane, puisse nous temoigner en toutes choses sa faveur et sa bienveillance coutumieres. Il convient donc que Ton Excellence sache que nous avons decide, supprimant completement les restrictions contenues dans les ecrits envoyes anterieurement a tes bureaux concernant le nom des chretiens, d’abolir les stipulations qui nous paraissaient tout a fait malencontreuses et etrangeres a notre mansuetude, et de permettre dorenavant a tous ceux qui ont la determination d’observer la religion des chretiens de le faire librement et completement, sans etre inquietes ni molestes.
Nous avons cru devoir porter a la connaissance de Ta Sollicitude ces decisions dans toute leur etendue, pour que tu saches bien que nous avons accorde auxdits chretiens la permission pleine et entiere de pratiquer leur religion.
Ton Devouement, se rendant exactement compte que nous leur accordons ce droit, sait que la meme possibilite d’observer leur religion et leur culte est concedee aux autres citoyens, ouvertement et librement, ainsi qu’il convient a notre epoque de paix, afin que chacun ait la libre faculte de pratiquer le culte de son choix. Ce qui a dicte notre action, c’est la volonte de ne point paraitre avoir apporte la moindre restriction a aucun culte ni a aucune religion.
De plus, en ce qui concerne la communaute des chretiens, voici ce que nous avons cru devoir decider : les locaux ou les chretiens avaient auparavant l’habitude de se reunir, et au sujet desquels les lettres precedemment adressees a tes bureaux contenaient aussi des instructions particulieres, doivent leur etre rendus sans paiement et sans aucune exigence d’indemnisation, toute duperie et toute equivoque etant hors de question, par ceux qui sont reputes les avoir achetes anterieurement, soit a notre tresor, soit par n’importe quel autre intermediaire. De meme, ceux qui les ont recus en donation doivent aussi les rendre au plus tot auxdits chretiens. De plus, si les acquereurs de ces batiments ou les beneficiaires de donation reclament quelque dedommagement de notre bienveillance, qu’ils s’adressent au vicaire, afin que par notre mansuetude, il soit egalement pourvu a ce qui les concerne.
Tous ces locaux devront etre rendus par ton intermediaire, immediatement et sans retard, a la communaute des chretiens. Et puisqu’il est constant que les chretiens possedaient non seulement les locaux ou ils se reunissaient habituellement, mais d’autres encore, appartenant en droit a leur communaute, c’est-a-dire a des eglises et non a des individus, tu feras rendre auxdits chretiens, c’est-a-dire a leur communaute et a leurs eglises, toutes ces proprietes aux conditions reprises ci-dessus, sans equivoque ni contestation d’aucune sorte, sous la seule reserve, enoncee plus haut, que ceux qui leur auront fait cette restitution gratuitement, comme nous l’avons dit, peuvent attendre de notre bienveillance une indemnite. En tout cela, tu devras preter a la susdite communaute des chretiens ton appui le plus efficace, afin que notre ordre soit execute le plus tot possible, et afin aussi qu’en cette matiere il soit pourvu par notre mansuetude a la tranquillite publique. Ce n’est qu’ainsi que l’on verra, comme nous l’avons formule plus haut, la faveur divine, dont nous avons eprouve les effets dans des circonstances si graves, continuer a assurer le succes de nos entreprises, gage de la prosperite publique.
Afin d’autre part que la mise en forme de notre genereuse ordonnance puisse etre portee a la connaissance de tous, il conviendra que tu fasses faire une proclamation pour la promulguer, que tu la fasses afficher partout et que tu la portes a la connaissance de tous, de facon que nul ne puisse ignorer la decision prise par notre bienveillance. ≫
(trad. Jacques Moreau,
Sources Chretiennes
n
o
39, tome II, 1954, pp.132-134) ≫
L'historiographie a souvent eu tendance a considerer les dates d’emission des differentes sources du droit, tant romain que canonique, ≪ comme des moments transitoires absolus, comme si leur reception etait necessairement immediate et generale ≫
[
26
]
.
Or ≪ dans l’Antiquite tardive, la plupart des lois [ne sont] connues que par les fonctionnaires ou les lieux qui les re[coiv]ent ≫
[
48
]
et la plupart de ces textes, qui repondent generalement a des problematiques bien circonscrites dans le temps et dans l’espace, ne sont pas exemptes difficultes dans leur mise en application
[
26
]
.
Sur un plan pratique, toutes les dispositions et edits contre les chretiens se trouvent annules et ces derniers sont desormais libres de se reunir et de pratiquer leur culte publiquement
[
49
]
. En outre, qu'ils aient ete confisques, achetes ou recus en donation, tous leurs biens et lieux de culte prives ou communs doivent leur etre integralement restitues
[
49
]
(
restitutio in integrum
) tandis que, connaissant une existence legale et dotees d'une personnalite juridique, les communautes et Eglises chretiennes peuvent desormais etre proprietaires de lieux de culte ou de terrains sans entrave et recevoir dons et legs
[
50
]
.
Le rescrit constitue l’un des plus anciens textes juridiques connus a identifier la communaute des chretiens sous la forme d’un corps a part entiere
[
26
]
: l'ensemble des chretiens forme desormais un
corpus
parmi d'autres au sein de l'Empire
[
44
]
et l'Eglise se trouve pleinement incorporee dans l'ordre juridique de Rome
[
39
]
.
Sur un plan politique, il est possible que dans la decision de Milan, Constantin ait specifiquement favorise les chretiens et Licinius les autres cultes
[
51
]
et la ou ce dernier, paien tolerant, se contente de faire appliquer la decision, Constantin se serait engage de maniere marquee dans une voie qui favorise volontairement le christianisme dont il fait sa foi personnelle
[
52
]
et devient bientot le champion
[
16
]
.
Neanmoins, le texte ne mentionne que de maniere abstraite et vague une ≪ divinite supreme ≫ (
summa divinitas
)
[
53
]
qui reside dans le sejour celeste, sur laquelle peuvent s'accorder sans peine les uns et les autres
[
51
]
. La liberte de culte evoquee dans le texte s'adressant explicitement a tous
[
49
]
, chaque individu se voit reconnaitre le droit (
potestas
) de liberte religieuse, determine par son libre choix
[
44
]
. Cette tolerance s'applique sans distinction a tous cultes et religions d'un Empire qui,
de facto
, ne repose desormais plus sur la faveur des dieux romains traditionnels
[
44
]
. Il faut cependant relativiser l'etendue de ces liberalites car il est par exemple douteux que les mesures contre le
manicheisme
aient ete revoquees par ce document
[
19
]
et il semble que Licinius ait pu considerer les chretiens comme des traitres potentiels a sa cause et ait alors ete amene a prendre de nouvelles mesures discriminatoires et vexatoires contre ceux-ci sans toutefois s'engager dans une politique de persecution
[
54
]
.
D'autres decrets suivent bientot ces premieres dispositions, prodiguant aux chretiens des avantages de diverses natures : des 313, les membres du
clerge
chretien sont exemptes de toute charge publique, ce qui les assimile a des serviteurs de l'Etat
[
55
]
, en
318
, les
eveques
sont assimiles a des arbitres civils
[
56
]
, en
319
, les clercs chretiens beneficient des memes privileges et exemptions que les officiants de la religion traditionnelle
[
57
]
, en
321
et
323
, les
esclaves
peuvent etre affranchis dans les eglises
[
57
]
…
Pour autant, cette reconnaissance par l'autorite publique et ce changement de statut ne soudent pas necessairement le christianisme fracture par des
schismes
consecutifs aux persecutions
[
2
]
, ouvrant a d'importantes crises qui divisent parfois violemment les communautes ?
crise donatiste
,
crise arienne
... ? forcant bientot Constantin, puis ses successeurs, a intervenir personnellement dans les affaires de l'Eglise
[
58
]
≪ comme [le ferait] un patron dans les affaires de la cite ≫
[
12
]
.
Si le texte a joui d'une grande celebrite historique au fil des siecles
[
13
]
, il est absent ? d'ailleurs a l'instar de l'edit de Galere ? des collections du
code Theodosien
, et de celles du
code Justinien
[
59
]
. Ceci n'est d'ailleurs pas etonnant dans la mesure ou la
libertas religionis,
accordee davantage par opportunisme que par esprit de tolerance, ne constitue pas un ≪ droit ≫ au sens juridique, mais plutot une ≪ concession ≫, une sorte de ≪ grace ≫ imperiale des deux Augustes
[
60
]
.
Par ailleurs, bien que le texte de Galere prefigure et inspire le ≪ rescrit ≫ de Licinius et Constantin qui le complete, c'est pourtant ce dernier que l'historiographie lui a largement prefere comme marqueur de la reconnaissance du christianisme comme culte legitime au sein de l'Empire romain et du passage entre l'Antiquite paienne et l'epoque chretienne
[
37
]
, estompant progressivement l'importance en ce sens des edits de Gallien et de Galere
[
61
]
.
L’anniversaire des 1 700 ans de l’edit de Milan a ete celebre par l’
Eglise catholique
et par l’
Eglise orthodoxe
, en
a
Ni?
(
Serbie
), ville de naissance de Constantin
I
er
et Milan (Italie). L’Eglise catholique a souligne ce moment historique par plusieurs messes dans la ville de Milan. Quant a l’
Eglise orthodoxe serbe
, elle a organise une grande fete populaire dans la ville de Ni? en y batissant une eglise dediee a Constantin et
Helene
[
62
]
. Une messe a ete dite dans la nouvelle cathedrale en presence des
patriarches
de Moscou
, d’Athenes, de Jerusalem, d’Egypte, d’Armenie et de Serbie, devant plus de 15 000 fideles
[
63
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