L'
Ecole de Nancy
, aussi appelee
Ecole de la suggestion
, est, avec l'
Ecole de la Salpetriere
, l'une des deux grandes ecoles ayant contribue a l'≪ age d'or ≫ de l'
hypnose
en France de
1882
a
1892
. Elle est composee du medecin
Ambroise-Auguste Liebeault
, du professeur de medecine
Hippolyte Bernheim
, du juriste
Jules Liegeois
et du medecin
Henri Beaunis
. La methode therapeutique de Liebeault et Bernheim est caracterisee par une hypnose ≪ autoritaire ≫, fondee sur l'usage de
suggestions
directes du type
≪ Vous commencez a vous sentir tres fatigue ≫
ou
≪ Vous commencez a avoir moins mal ≫
.
En
1903
, Bernheim considere que l'on ne peut pas distinguer l'hypnose de la suggestibilite et il abandonne progressivement l'hypnose formelle, soutenant que ses effets peuvent tout aussi bien etre obtenus a l'etat de veille par la suggestion, selon une methode qu'il designe du nom de ≪
psychotherapie
≫. L'Ecole de Nancy a exerce une influence decisive sur le developpement de l'hypnose clinique, de la
psychologie
et de la psychotherapie. Les plus grands cliniciens de l'epoque, de
Sigmund Freud
a
Emile Coue
en passant par
Auguste Forel
et
Joseph Delbœuf
, ont rendu visite a Bernheim et Liebeault pour observer leur travail.
La querelle qui oppose l'Ecole de Nancy a l'Ecole de la Salpetriere de
Jean-Martin Charcot
est au cœur de tous les debats de l'epoque sur la nature de l'hypnose, les partisans de Bernheim voyant dans l'hypnose un simple sommeil produit par la
suggestion
et susceptible d'applications therapeutiques et ceux de Charcot considerant que l'hypnose est un etat pathologique specifique propre aux
hysteriques
. Ce debat a continue a influencer les recherches sur l'hypnose au cours du
XX
e
siecle, comme en temoignent notamment les travaux de
Clark Leonard Hull
et
Theodore Barber
.
Magnetisme animal et emergence de l'hypnose
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]
Depuis l'elaboration theorique du
magnetisme animal
en
1773
par
Franz Anton Mesmer
, les differentes tendances de la ≪ medecine magnetique ≫ combattent en vain pour etre reconnues et institutionnalisees. En France, le magnetisme animal est introduit par Mesmer en
1778
et fait l'objet de plusieurs condamnations officielles, notamment en
1784
et en
1842
, date a laquelle l'
Academie des Sciences
decide de ne plus s'interesser aux phenomenes ≪ magnetiques ≫. Cela n'empeche pas un grand nombre de medecins de l'utiliser, notamment en milieu hospitalier, parmi lesquels
Charles Deslon
,
Jules Cloquet
,
Alexandre Bertrand
, le professeur Husson,
Leon Rostan
[
1
]
,
Francois Broussais
,
Etienne-Jean Georget
[
2
]
, Didier Berna et Alphonse Teste
[
3
]
. Dans d'autres pays d'Europe, le magnetisme animal, qui ne fait pas l'objet d'une telle condamnation, est pratique par des medecins tels David Ferdinand Koreff,
Christoph Wilhelm Hufeland
, Karl Alexander Ferdinand Kluge, Karl Christian Wolfart, Karl Schelling,
Justinus Kerner
,
James Esdaile
et
John Elliotson
.
Les termes ≪ hypnologie ≫ et ≪ hypnotique ≫ apparaissent dans le
Dictionnaire de l'Academie Francaise
en
1814
[
4
]
et les termes ≪ hypnotisme ≫ et ≪ hypnose ≫ sont proposes par
Etienne Felix d'Henin de Cuvillers
des
1820
[
5
]
. Cela etant dit, il est generalement admis que le medecin ecossais
James Braid
fait la transition entre le magnetisme animal et l'
hypnose
. En
1841
, Braid assiste a une demonstration du magnetiseur public
Charles Lafontaine
et en
1843
, il publie
Neurhypnologie, Traite du sommeil nerveux ou hypnotisme
. Les theories de Braid reprennent pour l'essentiel la doctrine des magnetiseurs imaginationnistes francais tels
Jose Custodio da Faria
et
Alexandre Bertrand
. Braid reproche cependant a Bertrand d'expliquer les phenomenes magnetiques par une cause mentale, les pouvoirs de l'imagination, alors que lui les explique par une cause physiologique, la fatigue des centres nerveux liee a la paralysie de l'appareil oculaire
[
6
]
. Son apport est double. D'une part, il propose une nouvelle methode de fascination fondee sur la concentration du regard sur un objet brillant, methode qui est censee produire des effets plus constants et plus rapides que les anciens procedes des magnetiseurs. D'autre part, il introduit une theorie centree sur la notion de fatigue mentale. Pour lui, l'hypnose est un etat de concentration mentale durant lequel les facultes de l'esprit du patient sont tellement accaparees par une seule idee qu'il devient indifferent a toute autre consideration ou influence. Braid utilise notamment sa methode pour obtenir l'
anesthesie
lors d'interventions chirurgicales. A cette epoque, on n'utilise pas encore l’
ether
en anesthesiologie. Decouvert en
1818
par
Michael Faraday
, l'ether n'est utilise pour la premiere fois qu'en
1846
, par le dentiste americain
William Morton
.
Les premiers travaux du docteur Liebeault
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]
Vers
1848
,
Ambroise-Auguste Liebeault
, encore jeune interne en chirurgie a l'
Universite de Strasbourg
, commence lui aussi a s'interesser au magnetisme animal a la suite de la lecture du Rapport Husson. Dans ce rapport, depose devant l'Academie de medecine en
1831
, le professeur Husson affirme l'existence du magnetisme et declare que, comme agent therapeutique, il devrait trouver sa place dans le cadre des connaissances medicales. Influence par les magnetiseurs Charles Lafontaine, Alphonse Teste et Jules Dupotet de Sennevoy, Liebeault commence a endormir des jeunes femmes. Il devient docteur en medecine le
, s'etablit comme medecin de campagne a
Pont-Saint-Vincent
et pendant dix ans interrompt ses experiences de magnetisme.
Le
, le chirurgien
Alfred Velpeau
rend compte devant l'
Academie des sciences
d'une intervention pratiquee sous anesthesie hypnotique selon la methode de Braid au nom de trois jeunes medecins,
Eugene Azam
,
Paul Broca
et Eugene Follin
[
7
]
. Ces derniers ont pratique la veille a l'
hopital Necker
l'operation d'une tumeur anale sous anesthesie hypnotique. L'operation, tres douloureuse par nature, se passe sans que la patiente ne donne aucun signe de douleur.
En
1860
, la lecture des travaux d'Azam et Velpeau ravive l'interet de Liebeault pour l'hypnose et il s'installe a
Nancy
, au numero 4 de la rue Bellevue (aujourd'hui rue du Docteur Liebeault) comme guerisseur philanthrope. Pour convaincre ses clients d'accepter d'etre soignes par le magnetisme, il leur propose l'alternative suivante : soit les traiter gratuitement par le magnetisme soit les traiter par la medecine ≪ officielle ≫ au tarif habituel de ses honoraires. En quelques annees, il se constitue une importante clientele qu'il soigne par le magnetisme et qui ne lui rapporte a peu pres rien
[
8
]
. Il apparait comme un marginal a une epoque ou le magnetisme animal est completement discredite par l'Academie lorsqu'il publie en
1866
, dans l'indifference generale,
Du sommeil et des etats analogues consideres surtout du point de vue de l'action du moral sur le physique
[
9
]
. Il y fait etat de notions theoriques et pratiques largement proches de celles des magnetiseurs du courant ≪ imaginationniste ≫ tels l'abbe
Jose Custodio da Faria
, le medecin
Alexandre Bertrand
et le general
Francois Joseph Noizet
qui niaient l'existence d'un fluide magnetique. Il y explique que le sommeil hypnotique ne differe du sommeil naturel que par la facon dont il est provoque, a savoir par la suggestion, la concentration de l'attention sur l'idee du sommeil, et par le fait que les sujets restent en ≪ rapport ≫ avec l'hypnotiseur.
En
1878
, le neurologue
Jean Martin Charcot
commence a etudier l'
hypnose
, probablement sous l'influence de son collegue
Charles Richet
, qui a publie en
1875
un article sur ≪ Le
somnambulisme
provoque ≫
[
10
]
. Durant l'ete
1878
, il commence a utiliser l'hypnose comme technique experimentale pour l'etude de l'
hysterie
.
Charcot communique les resultats de ses recherches a l'
Academie des sciences
le
[
11
]
. Cette meme annee, dans
Sur les divers etats nerveux determines par l'hypnotisation chez les hysteriques
, il rehabilite l'
hypnose
comme sujet d'etude scientifique en la presentant comme un fait somatique propre a l'hysterie. Charcot pense ainsi avoir caracterise l'hypnose de facon objective par des signes physiques et surtout neurologiques non simulables
[
12
]
. Il realise un tour de force en faisant reconnaitre l'hypnotisme par l'Academie qui l'avait condamne a trois reprises sous le nom de magnetisme animal. Pour Charcot et les membres de son ecole,
≪ un individu hypnotisable est souvent un hysterique, soit actuel, soit en puissance, et toujours un
nevropathe
, c'est-a-dire un sujet a antecedents nerveux hereditaires susceptibles d'etre developpes frequemment dans le sens de l'hysterie par les manœuvres de l'hypnotisation ≫
[
13
]
.
Charcot decrit les trois stades successifs de ce qu'il appelle le ≪ grand hypnotisme ≫ ou la ≪ grande hysterie ≫ : la lethargie, la catalepsie et le somnambulisme. Selon lui, l'attaque de la Grande Hysterie se deroule selon des lois
≪ valables pour tous les pays, pour tous les temps, universelles par consequent ≫
[
14
]
.
Charcot effectue de nombreuses lecons publiques a la Salpetriere, auxquelles medecins et intellectuels de toute l'Europe se pressent pour pouvoir observer les phenomenes qu'il met en scene.
Guy de Maupassant
,
Alphonse Daudet
,
Emile Zola
et les
freres Goncourt
assistent a ces seances
[
15
]
. Certaines des patientes hysteriques de Charcot, telles Justine Etchevery, Rosalie Leroux,
Jane Avril
ou
Blanche Wittmann
, surnommee ≪ la reine des hysteriques ≫, deviennent aussi celebres que des actrices de theatre. Dans ces presentations cliniques de patientes a la Salpetriere, Charcot reproduit leurs symptomes sous hypnose, les faisant passer par les trois etats de la grande hysterie.
Le medecin hollandais Albert van Renterghem rapporte que Liebeault
≪ recevait chaque matin de 25 a 40 malades dans un vieux hangar aux murs blanchis a la chaux et au sol pave de grandes pierres plates
[Ou ?]
. Il traitait ses patients en public sans se soucier du bruit. Liebeault hypnotisait ses patients en leur disant de le fixer dans les yeux et en leur repetant qu'ils avaient de plus en plus sommeil. Des que le patient etait legerement hypnotise, Liebeault l'assurait que ses symptomes avaient disparu. La plupart des malades etaient de pauvres gens de la ville et des paysans des environs, qu'il traitait tous indifferemment avec la meme methode, quelle que fut leur maladie -
arthrite
,
ulceres
,
ictere
ou
tuberculose
pulmonaire ≫
[
16
]
.
Un autre visiteur, le mathematicien belge
Joseph Delbœuf
, decrit la salle de consultation de Liebeault de la facon suivante :
≪
C’est un long boyau de deux metres et demi de largeur sur sept a huit metres de long, divise en deux parties inegales par une simple cloison. Ameublement des plus simples : des bancs de bois, des chaises en fer, un sopha minuscule, un fauteuil bourre, dans un coin une petite table avec un registre a notes, quelques enluminures, une carte de France, une modeste bibliotheque au fond, sur le rebord une bouteille a champagne avec cette etiquette : ≪ Eau magnetisee ≫
[Delbœuf decrit egalement la methode de Liebeault :]
Apres avoir, si c'est necessaire, demande au malade de quoi il souffre, sans se livrer a un examen quelconque, il le fait asseoir, lui pose la main sur le front, et sans meme le regarder, lui dit :
≪ Vous allez dormir ≫
; puis, pour ainsi dire immediatement, il lui ferme les paupieres en lui assurant qu'il dort. Il lui leve le bras, et lui dit :
≪ Vous ne pouvez plus baisser le bras. ≫
S'il le baisse, M. Liebeault n'a pas meme l’air de le remarquer. Il lui fait ensuite tourner les bras, en lui assurant que le mouvement ne pourra pas etre arrete ; ce disant, il tourne lui-meme ses propres bras avec vivacite, le malade tenant toujours les yeux fermes ; et il parle, il parle sans cesse d'une voix forte et vibrante. Puis les suggestions commencent :
≪ Vous allez vous guerir ; les digestions seront bonnes ; votre sommeil sera bon ; vous ne tousserez plus ; la circulation sera libre et reguliere ; vous allez sentir beaucoup de force dans vos membres ; vous allez marcher avec facilite ; etc. ≫
Il varie a peine ce couplet. Il tire ainsi sur toutes les maladies a la fois ; c'est au client a reconnaitre la sienne
≫
[
17
]
.
Hippolyte Bernheim et la question de la suggestion
[
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]
Hippolyte Bernheim
fait ses etudes a l'
universite de Strasbourg
, ou il recoit le diplome de docteur en medecine en
1867
. La meme annee, il devient maitre de conference dans cette meme universite et s'etablit comme medecin dans la ville. A la suite de l'annexion de Strasbourg par l'Allemagne lors du
Traite de Francfort
en
1871
, le
, l'
Assemblee nationale
vote le transfert de Strasbourg a Nancy de la Faculte de medecine et de l'Ecole superieure de pharmacie. Bernheim quitte l'universite de Strasbourg pour celle de
Nancy
en
1872
, au sein de laquelle il devient professeur titulaire de
medecine interne
en
1879
.
En
1882
, Bernheim est tenu en echec par les douleurs chroniques d'une de ses patientes atteinte de
sciatalgie
. Cette patiente, qui a entendu parler des ≪ miracles ≫ effectues par Liebeault, lui rend visite et est guerie par lui en une seance
[
18
]
. Bernheim rend visite a Liebeault dans le but de le demasquer et assiste pendant deux jours a ses consultations. Cette experience le convainc de la valeur des methodes therapeutiques de Liebeault, et il commence a les introduire dans son service d'hopital universitaire. Durant cette periode, la
faculte de medecine de Nancy
compte 130 a 140 eleves et l'hopital dans lequel travaille Bernheim, quelque 200 lits
[
17
]
. C'est dans cet hopital que Bernheim applique les methodes de Liebeault, par exemple pour calmer les douleurs ou procurer le sommeil a ses patients cancereux.
En
1883
, Bernheim, dans une communication devant la Societe medicale de Nancy, definit l'hypnose comme un simple sommeil, produit par la
suggestion
et susceptible d'applications therapeutiques. En
1884
, Bernheim definit la ≪ suggestion ≫ comme
≪ l'influence provoquee par une idee suggeree et acceptee par le cerveau ≫
, puis en
1886
comme
≪ une idee concue par l'operateur, saisie par l'hypnotise et acceptee par son cerveau ≫
.
Bernheim se reclame de la
≪ physiologie de l'esprit ≫
de
Henry Maudsley
,
Herbert Spencer
et
Alexander Bain
, caracterisee par une extension du scheme
reflexe
a l'activite cerebrale. Dans cette perspective, l'activite psychique superieure existe sur un fond d'
automatisme
qu'elle domine et integre en l'inhibant. En supprimant l'action inhibitrice de la conscience et de la volonte par l'hypnose, Bernheim considere qu'il obtient l'automate primitif, le suggestionne qu'est tout etre humain avant le temps de la reflexion
[
19
]
. Bernheim declare que
≪ ce qu'on appelle hypnotisme n'est autre chose que la mise en activite d'une propriete normale du cerveau, la suggestibilite, c'est-a-dire l'aptitude a etre influence par une idee acceptee et a en rechercher la realisation ≫
.
Polemiques avec l'Ecole de la Salpetriere
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]
Les declarations de Bernheim equivalent a une declaration de guerre contre les idees de Charcot, pour qui l'hypnose est un etat physiologique tres different du sommeil, reserve aux individus predisposes a l'hysterie et sans possibilite d'utilisation therapeutique
[
20
]
. Pour Charcot, les proprietes somatiques de l'hypnotisme peuvent en outre se developper independamment de toute suggestion.
Le chef de file de l'Ecole de Nancy conteste le fait que l'hypnose soit un etat pathologique propre aux hysteriques. Il fait remarquer que l'on peut tout aussi bien, si on le desire, provoquer artificiellement les manifestations de la grande hysterie chez des sujets non hysteriques, ou bien encore provoquer chez les hysteriques des manifestations tout a fait differentes de celles decrites par Charcot
[
21
]
. Pour Bernheim et ses collegues, les patientes hysteriques employees par Charcot lors de ses demonstrations sont des sujets fausses par un exces de manipulation, qui devinent inconsciemment ce qu'on attend d'elles et l'accomplissent. Elles ne font que repeter des lecons apprises a l'insu meme de leurs maitres
[
22
]
. Dans la seconde edition de son livre, Bernheim attaque directement Charcot en declarant :
≪ Les observateurs de Nancy concluent de leurs experiences que tous ces phenomenes constates a la Salpetriere, les trois phases, l'hyper-excitabilite neuro-musculaire de la periode de lethargie, la contracture speciale provoquee pendant la periode dite de somnambulisme, le transfert par les aimants, n'existent pas alors que l'on fait l'experience dans des conditions telles que la suggestion ne soit pas en jeu… L'hypnotisme de la Salpetriere est un hypnotisme de culture ≫
[
23
]
.
Alors que Charcot faisait de l'amnesie post-hypnotique une composante necessaire du grand hypnotisme, Bernheim montre que l'amnesie des suggestionnes peut etre levee
[
24
]
. Delbœuf montre quant a lui que l'amnesie, loin d'etre spontanee, est elle-meme le resultat de l'attente du suggestionneur. Il affirme que
≪ le souvenir et le non-souvenir ne sont que des faits accidentels, sans valeur caracteristique ≫
.
Les differends entre les deux ecoles s'expriment regulierement dans les pages de la
Revue de l'hypnotisme experimental et therapeutique
, creee en
1887
par
Edgar Berillon
, qui devient en
1895
la
Revue de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique
et continue a etre publiee jusqu'en
1910
. Les partisans de Nancy et de la Salpetriere s'affrontent egalement lors du premier congres de
psychologie
physiologique et du premier congres de l'hypnotisme experimental et therapeutique qui se tiennent du 6 au
a Paris
[
25
]
.
Pierre Janet
et
Sigmund Freud
reprochent quant a eux a Bernheim de reduire l'hypnose a la suggestion sans s'interroger suffisamment sur la nature de cette derniere. Janet declare qu'il n'est
≪ pas dispose a croire que la suggestion puisse expliquer tout et en particulier qu'elle puisse s'expliquer elle-meme ≫
. Quant a Freud, il parle de sa
≪ revolte contre le fait que la suggestion, qui expliquerait tout, devrait elle-meme etre dispensee d'explication ≫
.
En
1884
,
Jules Liegeois
suggere a des sujets hypnotises de commettre des crimes, leur fournissant a cet effet des armes inoffensives
[
26
]
. Il les amene ainsi a commettre des simulacres de meurtre.
Henri Beaunis
en conclut que la suggestion hypnotique fournit enfin a la psychologie l'outil d'experimentation qui lui faisait defaut. Pour lui, l'hypnotisme constitue
≪ une veritable
methode experimentale
; elle sera, pour le philosophe, ce que la
vivisection
est pour le physiologiste ≫
[
27
]
.
La majorite des membres de l'Ecole de la Salpetriere n'accepte pas les conclusions que Liegeois tire de ses experiences
[
28
]
, a savoir qu'il est possible d'amener des personnes a commettre des crimes sous hypnose. Ainsi,
Gilbert Ballet
declare que les dangers des suggestions criminelles sont
≪ plus imaginaires que reels ≫
[
29
]
. En
1888
, a l'occasion de l'affaire Chambige et en
1890
, lors du proces de Gabrielle Bompart, l'hypnotisme fait l'objet de controverses judiciaires, certains experts admettant la possibilite de crimes en etat d'hypnose, et d'autres la niant
[
30
]
. En
1893
, une jeune femme, pretextant qu'elle a ete hypnotisee par
Gilles de la Tourette
a distance et contre son gre, lui tire trois balles de
revolver
, dont une le blesse grievement a la tete
[
31
]
.
Pour Liegeois,
≪ le somnambule peut etre, sans le savoir, rendu auteur inconscient d'actes delictueux ou criminels, meme de meurtres et d'empoisonnements ≫
[
32
]
. Binet et Fere, ≪ dissidents ≫ de l'ecole de Charcot, apportent leur soutien a Liegeois. Ainsi, Fere ecrit que
≪ l'hypnotique peut devenir un instrument de crime d'une extreme precision, et d'autant plus terrible qu'immediatement apres l'accomplissement de l'acte, tout peut etre oublie, l'impulsion, le sommeil et celui qui l'a provoque ≫
[
33
]
. De nombreux hypnotistes souscrivent a ces vues, parmi lesquels Ladame, Forel,
Pitres
, Dumontpallier, Berillon, Jules Voisin et
Krafft-Ebing
[
34
]
. Dans le meme ordre d'idees, la croyance que l'on peut hypnotiser un sujet contre son gre ou a son insu est partagee vers
1890
par de nombreux praticiens de l'hypnose
[
35
]
.
Les magnetiseurs se sentent souvent plus proches de Bernheim que de Charcot et ils le critiquent avec moins de virulence car les theories du maitre de Nancy leur semblent dans la filiation des magnetiseurs imaginationnistes tels
Faria
ou
Bertrand
[
36
]
. Ils reprochent cependant a Bernheim d'evacuer la ≪ suggestion mentale ≫ au sens fort, suggestion censee operer en dehors des canaux sensoriels connus. En outre, ils considerent que le caractere irresistible de la suggestion sous hypnose n'est pas plus un fait universel que ne l'est la ≪ base fixe ≫ du grand hypnotisme de Charcot.
Parmi les praticiens celebres de l'epoque qui se rendent a Nancy pour voir le travail de Bernheim et Liebeault, on compte notamment le pharmacien
Emile Coue
en
1886
, le psychiatre suisse
Auguste Forel
en
1887
, le mathematicien belge
Joseph Delbœuf
en
1888
. Le neurologue autrichien
Sigmund Freud
publie en
1888
la traduction en allemand du livre de Bernheim
De la suggestion et de ses applications therapeutiques
. Dans sa preface a cette traduction, il definit la suggestion comme
≪ une representation consciente introduite dans le cerveau de l'hypnotise par une influence exterieure et qui a ete acceptee par lui comme s'il s'agissait d'une representation surgie spontanement ≫
. En juillet
1889
il rend lui aussi visite a Liebeault et Bernheim en compagnie d'une de ses patientes.
Parmi les ecrivains,
Guy de Maupassant
cite l'ecole de Nancy et les suggestions hypnotiques en 1887 dans la seconde version de la nouvelle
Le Horla
.
Dans les annees 1890, l'influence internationale de l'Ecole de Nancy continue a s'etendre, notamment en Allemagne (
Albert Moll
, Leopold Lowenfeld,
William Thierry Preyer
et Albert von Schrenck-Notzing), en Autriche (
Richard von Krafft-Ebing
), en Russie (
Vladimir Bechterew
et
Nicolas Dahl
), aux Etats-Unis (
James Baldwin
, Boris Sidis et
Morton Prince
), en Suede (Otto Wetterstrand), au Royaume-Uni (John Milne Bramwell), en Italie (Enrico Morselli) et en Hollande (
Frederik van Eeden
et Albert van Renterghem). En 1890, lorsque Liebeault fait connaitre son intention de se retirer de son activite de medecin, un groupe international de soixante medecins decide de publier un album de photos les representant pour lui rendre hommage
[
37
]
.
En
1889
, Beaunis fonde a la Sorbonne le premier laboratoire de
psychologie
francais et, en
1894
, fonde avec
Alfred Binet
la revue
L'annee psychologique
.
En
1903
, Bernheim considere que l'on ne peut pas distinguer l'hypnose de la suggestibilite. Il declare
≪ la suggestion est nee de l'ancien hypnotisme comme la chimie est nee de l'alchimie ≫
. Il abandonne progressivement l'
hypnose
formelle, soutenant que ses effets peuvent tout aussi bien etre obtenus a l'etat de veille par la suggestion, selon une methode qu'il designe du nom de ≪
psychotherapie
≫. En
1907
, dans
Le docteur Liebeault et la doctrine de la suggestion
, il propose le concept d'≪ ideodynamisme ≫, selon lequel
≪ toute idee suggeree tend a se faire acte ≫
.
Bernheim precede donc Freud dans l'abandon de l'hypnose dans sa pratique de la psychotherapie, mais il en tire des conclusions opposees. Bernheim abandonne l'hypnose parce qu'il considere qu'il peut tout aussi bien utiliser la suggestion avec ses patients a l'etat de veille, alors que Freud considere qu'en rejetant l'hypnose il se debarrasse de la suggestion
[
38
]
.
Clark L. Hull
, un des peres fondateurs de la psychologie experimentale et des theories de l'apprentissage aux Etats-Unis, cherche a appliquer au domaine de l'hypnose une methodologie tres stricte et reprend le fameux debat entre
suggestion
(Ecole de Nancy) et etat modifie de conscience (Ecole de la Salpetriere)
[
39
]
. La plus grande partie des experiences de Hull se concentre sur la question de la suggestibilite. Il ne mentionne jamais aucun referent physiologique a cet etat particulier que serait l'hypnose
[
40
]
.
Theodore Barber
reprend les idees de Bernheim et se donne pour but de montrer qu'il n'existe pas en fait d'etat specifique hypnotique, mais plutot un etat de suggestibilite qui prend racine dans la situation experimentale d'une part et les croyances et attentes du sujet d'autre part
[
41
]
. En demontrant par ses experiences que tous les phenomenes jusque-la attribues a l'etablissement d'un etat hypnotique peuvent aussi etre provoques hors de toute reference a l'hypnose, et ceci aussi bien au niveau des comportements objectifs que des temoignages subjectifs, Barber porte un rude coup aux tenants d'un etat specifique
[
42
]
.
- ↑
Leon Rostan, ≪ Magnetisme ≫,
Dictionnaire de medecine et de chirurgie pratique
, 1825,
vol.
XIII
.
- ↑
Etienne-Jean Georget,
De la physiologie du systeme nerveux, et specialement du cerveau
, Paris, 1821.
- ↑
Alphonse Teste,
Manuel pratique de magnetisme animal
, 1843.
- ↑
Dictionnaire de l'Academie Francaise
, Tome
I
,
p.
708 ; Tome
II
,
p.
194.
- ↑
Etienne Felix d'Henin de Cuvillers,
Le magnetisme eclaire ou Introduction aux ≪ Archives du Magnetisme Animal ≫
, Paris, Barrois, 1820.
- ↑
James Braid,
Neurhypnologie, Traite du sommeil nerveux ou hypnotisme
, 1843,
p.
16.
- ↑
Joseph Durand (de Gros),
Le merveilleux scientifique
, 1894.
- ↑
Henri F. Ellenberger,
Histoire de la decouverte de l'inconscient
,
Fayard
,
,
p.
119
- ↑
Ambroise-Auguste Liebeault,
Du sommeil et des etats analogues consideres surtout du point de vue de l'action du moral sur le physique
, Paris, Masson, 1866
- ↑
Charles Richet, ≪ Le somnambulisme provoque ≫,
Journal d’Anatomie et de Physiologie Normale et Pathologique
, 11,
p.
348-378, 1875
- ↑
Leon Chertok,
Resurgence de l'hypnose
, 1984,
p.
220.
- ↑
Didier Michaux,
Aspects experimentaux et cliniques de l'hypnose
, 1984,
p.
24.
- ↑
Georges Gilles de La Tourette et Paul Richer, ≪ Hypnotisme ≫,
Dictionaire encyclopedique des sciences medicales
, 1887
- ↑
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Pour une bibliographie detaillee, se referer a l'article
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