De oratore
ou
Dialogi tres de Oratore
(≪ Trois dialogues a propos de l'orateur ≫) est le titre d'un traite de
Ciceron
publie en
55 av. J.-C.
sur la
rhetorique
et sa pratique, redige en latin sur trois livres. Le premier livre est adresse a son frere
Quintus Tullius Cicero
. Malgre l'importance que Ciceron accordait a son
De oratore
comme theorie definitive de l'art oratoire, son traite n'eut guere d'influence, et l'enseignement de la rhetorique se basa sur des ouvrages pedagogiques moins exigeants
[
1
]
.
Cet ouvrage nous a ete transmis a travers les siecles par des manuscrits, dont les plus anciens sont les suivants :
- trois manuscrits reproduisant via un intermediaire inconnu un manuscrit en mauvais etat
- Abrincensis 238 (
IX
e
siecle)
- Harleianus 2738 (
IX
e
siecle)
- Erlangensis 848 (
X
e
siecle)
- un manuscrit contenant le texte complet du
De oratore
, decouvert a Lodi vers 1421, mais disparu en 1428. Plusieurs transcriptions faites entretemps sont disponibles :
- Ottobonianus 2057
- Palatinus 1469
- Vaticanus 2901
Ces trois dernieres transcriptions correspondent a une version du
De oratore
differente de celle reconstituee a partir des manuscrits Abrincensis, Harleianus et Erlangensis. Elle est plus librement traitee, et etait probablement a l'usage des rheteurs et des enseignants medievaux. L'ensemble permet la restitution actuelle du texte
[
2
]
.
Dans ce traite,
Ciceron
cherche a definir l’eloquence politique et a reflechir sur l’orateur ideal. Il explique qu'il veut ecrire quelque chose de plus mur et raffine que le
De inventione
qu'il a ecrit dans sa jeunesse. Il dit a son frere que, sur la base de precedentes conversations avec lui, ils differaient d'avis sur l'importance de l'eloquence : est-ce une capacite naturelle ou faut-il l'apprendre par des exercices ou encore par l'etude approfondie de la theorie ? Aucun de ces facteurs ne lui parait suffire, une formation generale encyclopedique est indispensable, couvrant le droit, l'histoire, la geographie, et surtout la philosophie et la
dialectique
[
3
]
.
Dans une de ses lettres
[
4
]
, Ciceron dit qu'il a ecrit les trois livres du
De oratore
a la maniere d'
Aristote
, c'est-a-dire en couvrant l'ensemble de l'ancienne science rhetorique d'Aristote et d'
Isocrate
, mais en evitant autant que possible les prescriptions scolaires, et en donnant une orientation philosophique, car selon lui la richesse de la philosophie donne a l'orateur tout l'equipement et l'ornementation necessaire au discours
[
5
]
,
[
6
]
.
Ciceron adopte une forme redactionnelle nouvelle pour en faire une œuvre philosophique et litteraire, la premiere du genre et sous cette presentation a Rome : son ouvrage est une suite de
dialogues platoniciens
entre les grands orateurs de la generation precedente :
Antoine
,
Crassus
et
Scaevola l'Augure
, beau-pere de Crassus. Scaevola est ensuite remplace par
Catulus
et son
frere uterin
Cesar Strabon
. Ils s'entretiennent avec
Sulpicius
et
Cotta
, jeunes debutants avides de s'instruire aupres d'hommes d'experience
[
3
]
. Les conversations se deroulent sur trois jours dans la villa de campagne de Crassus a
Tusculum
, dans le jardin a l'ombre d'un platane, et se situent en 91 av. J.-C. La forme dialoguee sert une expression plus libre et plus attrayante qu'un simple expose scolaire, et permet de faire le tour des questions en exprimant differents points de vue
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7
]
.
Dans le
preambule
, Ciceron dedie son ouvrage a son frere
Quintus
, presente l'objet du traite, etablir ce qu'est la veritable
eloquence
en rapportant l'avis des meilleurs orateurs romains, Crassus et Antoine (livre I, 1-24).
Avant d'entrer dans les parties plus techniques, le debat porte sur les talents indispensables pour etre un bon orateur. Crassus et Antoine s'opposent sur la question de la formation generale, en particulier la connaissance du droit et de la philosophie. Antoine doute de leur necessite, Crassus retorque que leur absence rabaisse l'orateur au rang de simple technicien de la parole
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8
]
.
Pour Crassus, l'orateur doit avoir une excellente formation culturelle, politique et philosophique, et la completer par la maitrise de l'expression verbale et corporelle, afin de susciter de fortes emotions pour emporter l'adhesion de l'auditoire. Crassus recommande meme aux jeunes etudiants de l'eloquence de prendre des lecons de diction et d’expression aupres des acteurs pour produire le meilleur effet au cours d'un proces (livre I, 30-74). Si Antoine admet l'utilite d'un leger vernis philosophique, il rejette la recherche de mots complexes et d’arguments trop compliques. Pour lui qui improvisait ses discours en public, meme s’il les avait memorises auparavant, le talent d'orateur repose principalement sur sa capacite a improviser, fruit de la pratique, et ses dons naturels, surtout s’il est conteste ou interrompu au cours de sa prestation (livre I, 80-96).
Sulpicius et Cotta prient alors Crassus de leur expliquer son art de parler (livre I, 96-107). Crassus developpe alors les qualites exigees pour l'orateur, en plus de la seule technique : dons naturels, apprentissage zele, pratique d'exercices de declamation, de composition ecrite et de memorisation, lecture d'œuvres litteraires, traductions d'ouvrages grecs, etude du droit civil et de l'histoire (livre I, 107-204). On demande l'avis d'Antoine, qui minimise point par point les exigences formulees par Crassus. Il n'est pas necessaire de s'investir dans la politique ou la philosophie, l'art du discours est essentiellement
judiciaire
, pour cela une connaissance generale du droit suffit, et si besoin, on consultera les specialistes competents (livre I, 209-262).
Crassus clot la journee en reaffirmant sa vision de l'orateur plus large que l'artisan de tribunal decrit par Antoine, et amorce l'entretien du lendemain en proposant a Antoine d'exposer les regles de son art. Scaevola qui s'est cantonne a quelques repliques de transition, doit les quitter car il est pris par une autre invitation (livre I, 262-265).
Dans son preambule, Ciceron rappelle les qualites oratoires de Crassus et d'Antoine, qu'il a cotoye dans sa jeunesse (livre II, 1-12).
Le lendemain, les protagonistes, auxquels se sont joints les freres Catulus et Caesar Strabon, abordent la rhetorique proprement dite (livre II, 12-28). Antoine traite la premiere etape du travail rhetorique, l'
inventio
, (francise en
invention
) ou recherche des elements et des arguments qui seront le materiau du discours. Apres avoir critique les regles scolaires de la rhetorique grecque (livre II, 65-85), Antoine propose une structuration originale selon les divers types de cause (livre II, 85-114). Il definit les objectifs du discours : enseigner (
docere
) ou prouver (
probare
), se concilier les auditeurs (
conciliare
), susciter leurs emotions (
movere
) (livre II, 114-216)
[
9
]
.
Antoine donne alors la parole a un specialiste de la
plaisanterie
,
Cesar Strabon
, pour developper l'utilisation de l'
humour
en rhetorique (livre II, 53-91) : selon Stroh, ce dernier enonce la theorie du comique la plus detaillee qui nous soit parvenue
[
10
]
.
Antoine presente ensuite la
dispositio
, ou elaboration du
plan
du discours qui organise les elements recueillis lors de l'invention, selon le type de discours,
judiciaire
et ses diverses parties, puis
deliberatif
et
demonstratif
(livre II, 307-350). Antoine termine plus rapidement par la
memoria
, technique de
memorisation
du discours (livre II, 350-361).
Apres avoir remercie Antoine pour sa contribution, les protagonistes s'accordent une pause pour une sieste d'apres midi (livre II, 361-367).
Crassus complete la presentation faite la veille par Antoine par l'expose des deux autres elements cles de l'art oratoire: l’
elocutio
et surtout l’
actio
.
L’
elocutio
, ou expression verbale, permet a un orateur de se demarquer des autres par son style et son langage plus developpe et plus recherche. Apres avoir affirme qu'il n'y a pas de style exemplaire mais une multiplicite de styles individuels comme celui d'
Isocrate
, celui de
Lysias
, celui de
Demosthene
, tous appreciables, Crassus explique les quatre vertus du style definies par
Theophraste
: correction de la langue, clarte de l'enonce, ornementation et elegance de la forme et adequation (livre III 37-51 et 96-108).
La reflexion sur l'ornementation est l'occasion pour Ciceron de reformuler par la bouche de Crassus sa these sur l'unite necessaire de l'eloquence et de la sagesse (
sapientia
), c'est-a-dire la philosophie, qui donne a l'orateur l'arsenal de pensees pour parler le plus efficacement possible (livre III 56-95)
[
6
]
.
Dans une autre
digression
, Crassus insiste sur la necessaire etendue du savoir de l'orateur (livre III 120-143). Puis il analyse les divers ornements du discours, c'est-a-dire le choix des mots, la construction des phrases, leur rythme, les
figures de styles
et l'adaptation de ces effets selon le type de cause et l'auditoire (livre III 148-212).
L’
actio
etudie la facon de prononcer le discours devant le public, point essentiel selon
Demosthene
: le ton, la gestuelle, les effets de physionomie de l'orateur, la voix concourent a apporter du sentiment au discours et peuvent emporter l'adhesion de l'auditoire, meme de la part d'un orateur mediocre pour la composition de ses arguments (livre III 213-227).
- ↑
Courbaud 1985
,
p.
XV
- ↑
Courbaud 1985
,
p.
XVI a XVIII
- ↑
a
et
b
Stroh 2010
,
p.
315
- ↑
Ciceron,
Ad Familiares
, I, 9, 23
- ↑
Ciceron,
De oratore, III, 125
- ↑
a
et
b
Stroh 2010
,
p.
319
- ↑
Courbaud 1985
,
p.
VIII-IX
- ↑
Stroh 2010
,
p.
316
- ↑
Stroh 2010
,
p.
317
- ↑
Stroh 2010
,
p.
318
- Ciceron,
De oratore
, trad. M. Nisard, 1869, Paris,
lire en ligne
- Ciceron
(
trad.
du latin par
Edmond Courbaud
),
De l'Orateur
,
t.
I, Paris, Les Belles Lettres,
(
1
re
ed.
1922), 264
p.
(
ISBN
2-251-01045-9
,
BNF
37374926
)
- t. II, trad. Edmond Courbaud,
(
ISBN
2251010467
)
, 320 pages
- t. III, trad. Henri Bornecque et Edmond Courbaud,
(
ISBN
2251010475
)
, 203 pages
- Pierre Grimal
,
Ciceron
,
Fayard
,
(
ISBN
978-2-213-01786-0
)
.
- Laurent
Pernot
,
La Rhetorique dans l'Antiquite
, Paris, Librairie Generale Francaise,
coll.
≪ Le Livre de poche / Antiquite ≫,
, 351
p.
(
ISBN
2-253-90553-4
)
- Wilfried
Stroh
(
trad.
de l'allemand par Sylvain Bluntz),
La puissance du discours. Une petite histoire de la rhetorique dans la Grece antique et a Rome
, Paris, Les Belles Lettres,
, 514
p.
(
ISBN
978-2-251-34604-5
)