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BnF - Brouillons d'ecrivains
  
Gustave Flaubert

Etonnamment spectaculaires, les manuscrits de Flaubert temoignent de la lutte obstinee de l’ecrivain avec la langue, de sa recherche maniaque de l’expression juste. Ce "travail effrayant de colosse patient et minutieux qui batirait une pyramide avec des billes d’enfant", decrit par Maupassant, s’organise et progresse lentement. La premiere phrase du roman est un aboutissement precede par des volumes de notes documentaires, de plans, de scenarios. Puis la narration gagne du terrain, a force de corrections, de ratures, de recopies, n’avancant sur la page suivante qu’une fois assuree la redaction definitive de la precedente. Cette quete douloureuse a laisse son empreinte dans les brouillons de Flaubert.

 

 
L'écriture comme une lutte

Les pages noircies de ratures sont un lieu de lutte : une lutte avec la langue, avec les possibilites infinies de rythmes et de sonorites que recele la langue organisee en une syntaxe efficace, intensive ; mais, simultanement, une lutte avec la capacite qu’a la prose narrative d’offrir l’illusion d’un monde, d’attirer le lecteur dans la sphere de ces etres de fiction qui deviennent bientot comme des proches, de moduler choses, lieux, espaces, silhouettes, gestes, paroles et evenements dans la continuite d’un "style", qui est vision, qui est regard, qui est ecoute, qui est quasi-presence.
Et si ces pages infiniment brouillees ont une telle puissance spectaculaire, c’est parce qu’elles sont la trace d’une absorption dans l’œuvre, de la rigueur d’un travail qui tente d’approcher la juste expression, celle qui donnera a la fiction et a son texte la plus grande presence, visuelle et sonore, possible.
Les pages de redaction, infiniment raturees, reprises, reecrites (les pages saturees sont generalement barrees par une grande croix), sont la recherche de ce qui devra etre la puissance autonome de l’œuvre, avec l’idee que l’art seul peut et doit repondre a l’aplatissement et a la brutalite du monde moderne. Au moment meme ou Baudelaire "invente" le "miracle d’une prose poetique, musicale sans rythme et sans rime", Flaubert confie a la prose narrative le pouvoir de donner a l’œuvre, par son style et non plus par son sujet, l’absolu d’une presence.

 

 
A l'épreuve du gueuloir

Les brouillons sont la trace de la lente gestation des phrases, jusqu’a leur equilibre sonore et leur plus grande intensite stylistique. Cet equilibre, c’est la voix, la musique de la phrase, qui le prouvent. Flaubert est penche sur ces pages, comme le decrit Maupassant : "Son regard ombrage de grands cils sombres courait sur les lignes, fouillant les mots, chavirant les phrases, consultant la physionomie des lettres assemblees, epiant l’effet comme un chasseur a l’affut"
Mais il est aussi cette voix qui sort de la page, qui essaie la juste sonorite, en passant toutes les phrases a l’epreuve du "gueuloir", pour verifier la justesse de la prose : "Les phrases mal ecrites ne resistent pas [a l’epreuve de la lecture a voix haute] ; elles oppressent la poitrine, genent les battements de cœur, et se trouvent ainsi en dehors des conditions de la vie." Les milliers de feuillets des brouillons, trames de ratures, devraient egalement etre "ecoutes", comme bruissants de la prose sonore qui s’y essaie, avec, au loin, Flaubert :
"Je vois assez regulierement se lever l’aurore (comme presentement), car je pousse ma besogne fort avant dans la nuit, les fenetres ouvertes, en manches de chemise et gueulant, dans le silence du cabinet, comme un energumene !" (Lettre a Madame Brenne, 8 juillet 1876.)