Dans un climat economique et social des plus mediocres, la France s’enfonce dans la morosite et beaucoup commencent a regretter les fastes de l’Empire francais. On se plaint, on se concerte, on complote un peu. Il suffit a Napoleon, depuis sa residence de Portoferraio, d’animer ses reseaux, de glaner des informations concordantes. Toutes lui confirment que le pays va mal, qu’il regrette son depart. Tres vite, sa decision est prise : il va reprendre le pouvoir par surprise.
A Vienne, on veut le deporter, a Paris on songe a l’assassiner, comme le montre l’arrivee en Corse de l’ancien chouan Bruslart. Le 12 fevrier 1815, un fidele, Fleury de Chaboulon, debarque a Portoferraio et presente a Napoleon un etat alarmant du pays, au bord de l’explosion. Cette fois, l’empereur se sent pret. Il compte bien repeter son depart precipite d’Egypte, en 1799, lorsque, dejouant la surveillance anglaise, il avait debarque a Frejus et gagne Paris pour executer le coup d’Etat du 18 Brumaire.
Le 26 fevrier, il embarque avec 1 200 hommes et debarque le 1er mars a Golfe-Juan. Dans sa declaration liminaire, imprimee en mer, Napoleon justifie son geste : ≪ Francais ! Eleve au Trone par votre choix, tout ce qui a ete fait sans vous est illegitime. Depuis vingt-cinq ans, la France a de nouveaux interets, de nouvelles institutions, une nouvelle gloire qui ne peuvent etre garantis que par un gouvernement national et par une dynastie nee dans ces nouvelles circonstances […]. Francais ! Dans mon exil, j’ai entendu vos plaintes et vos vœux ; vous reclamez un gouvernement de votre choix qui seul est legitime […]. ≫ Ainsi se presente-t-il en restaurateur de l’ordre ne de la Revolution et defie-t-il l’ancienne dynastie, disqualifiee car soumise, selon lui, aux ennemis de la nation francaise.
A Paris, son irruption est d’abord prise avec sang-froid. Le marechal Ney, heros de la bataille de la Moskova, promet de ramener ≪ l’ogre dans une cage de fer ≫. L’armee semble fidele. Mais il faut vite dechanter. Evitant la vallee du Rhone, goulet juge trop royaliste, la petite armee remonte les Alpes jusqu’a Grenoble qui lui ouvre ses portes. Partout, paysans et ouvriers, bourgeois aussi, applaudissent et les regiments se rallient. A Auxerre, Ney se jette dans les bras de Napoleon. Le 20 mars, tout est joue : Louis XVIII et la cour sont en fuite vers la Belgique, et Napoleon rentre au palais des Tuileries. Selon ses propres mots, ≪ l’aigle, avec les trois couleurs, [venait de] voler de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame ≫.
ENTRE JACOBINS ET LIBERAUX
Pour refonder l’Empire, il eut fallu une ligne directrice claire, tendue a l’extreme, car le temps etait compte. A Vienne, les puissances ont reconduit le pacte de Chaumont du 8 mars 1814, qui les engage a reprendre la guerre. Les demarches de Napoleon les assurant qu’il respectera le traite de Paris restent sans reponse. En France, il souffle un vent revolutionnaire qui evoque les temps martiaux de la patrie en danger. Les idees jacobines reviennent en force, un temps flattees par Napoleon. Le 15 mars, a Autun, n’avait-il pas lance au maire royaliste : ≪ Vous vous etes laisse mener par les pretres et les nobles qui voulaient retablir la dime et les droits feodaux. J’en ferai justice ! Je les lanternerai ! ≫ Mais tres vite, il se reprend, avec cette repugnance viscerale du militaire et du despote pour les ≪ emotions ≫ populaires.
Il a peur d’etre emporte, de s’aliener les elites. Il regarde alors du cote des liberaux, ces bourgeois qui se disent prets a cautionner une variante temperee du pouvoir imperial. Avec le plus en vue d’entre eux, Benjamin Constant, il redige l’≪ Acte additionnel aux constitutions de l’Empire ≫. Texte curieux, mal libelle, qui pretend faire mieux que la Charte de 1814 en matiere de libertes publiques, mais qui decoit. Invites a se prononcer par plebiscite, les Francais ne sont pas plus d’un million et demi a l’approuver, alors que cinq a six millions se sont abstenus. Les elections a la Chambre des representants font pire : un grand electeur sur dix seulement s’est deplace. Quant a la ceremonie parisienne du ≪ Champ de mai ≫, attendue pour susciter l’enthousiasme national, elle se tient le 1er juin dans une ambiance glacee. Tout va se jouer aux frontieres.
Les coalises disposent d’un million d’hommes. En premiere ligne, en Belgique, se trouvent deja 200 000 soldats, britanniques et prussiens, commandes par Wellington et Blucher.
DEUX CHEFS CAPABLES DE DEFIER NAPOLEON
Ce dernier dispose d’un corps de bataille de moitie inferieur en nombre. La troupe, les cadres subalternes, correctement armes, sont encore motives ; le commandement est plus inegal : des hommes prets au sacrifice ultime, Mouton, Reille et sept generaux qui resteront sur le champ de bataille, mais aussi de moins fermes, jusqu’aux traitres tel Bourmont. Cette ultime campagne ne va pas durer cinq jours. Elle debute par le succes tactique de Ligny et se conclut le 18 juin a Waterloo, a 18 kilometres au sud de Bruxelles. Sur un sol detrempe, par un temps chaud et lourd, dans une plaine legerement vallonnee, les Francais se battent dix heures durant contre les Britanniques et les Prussiens. Le retard pris par le general Grouchy precipite une defaite qui tourne a la deroute.
Dissequee dans ses moindres details, cette bataille devient un moment majeur de la legende napoleonienne. Elle inspire Stendhal, qui y voit le point focal de l’illisibilite historique, le bruit et la fureur fondant sur des hommes plonges dans le chaos. A l’oppose, Victor Hugo l’a portee au mythe avec un Cambronne a la tete des derniers carres de la Garde, digne de Leonidas. Les Cent-Jours ont scelle le destin de Napoleon, voue cette fois a un exil sans retour. Ils ont aggrave le sort de la France occupee, encore amputee, frappee d’une lourde indemnite de guerre. Ratifiant le second traite de Paris, le 20 novembre 1815, le duc de Richelieu soupire : ≪ Je viens de signer un traite pour lequel je devrais poser ma tete sur l’echafaud, cependant pouvais-je faire autrement ? ≫ Effectivement.