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Serguei Mikhailovitch Eisenstein - LAROUSSE

Serguei Mikhailovitch Eisenstein

Cineaste sovietique (Riga 1898-Moscou 1948).

Les annees de jeunesse et d'experience

Immediatement apres la revolution russe de 1917, un vaste courant d'art nouveau s'est developpe en Russie sovietique, rompant categoriquement avec l'esthetique prerevolutionnaire. En ce qui concerne le cinema, le changement n'a pas ete immediat. Ce n'est qu'apres 1922- au moment de la refonte des structures de la cinematographie entreprise sous l'impulsion de Lenine lui-meme- que vont se dessiner des directions nouvelles. L'homme qui sera bientot le plus important des cineastes sovietiques s'appelle Serguei Mikhailovitch Eisenstein.

Sa famille, bourgeoise- son pere etait un ingenieur attache au port de la ville-, lui fait suivre un enseignement qui doit le conduire a la profession d'ingenieur. Il recoit une education religieuse contre laquelle il se dressera plus tard, mais qui imprimera en lui un sens du rituel, du ≪?grand spectacle?≫ dont on retrouvera la marque dans nombre de ses films, notamment le dernier, Ivan le Terrible (Ivan groznyi) . Passionne par les arts, le jeune Eisenstein va inflechir vers l'architecture le cours de ses etudes. Mais celles-ci sont interrompues par la guerre civile. A vingt ans, Eisenstein s'engage dans l'armee rouge. Une fois demobilise, il vient a Moscou, ou il est decorateur de theatre au Proletkoult (organisation culturelle proletarienne). Le hasard veut qu'il participe en 1920 a la mise en scene d'une piece, le Mexicain (Meksikanets) , d'apres Jack London. Cette experience est decisive. Elle permet a Eisenstein de tracer les premieres lignes theoriques de ce que sera plus tard son esthetique du montage. Dans le meme temps, Eisenstein subit d'importantes influences. L'une des plus marquantes est celle de Vsevolod Meyerhold (1874-1942), qui exerce une grande fascination sur les gens de theatre. Eisenstein apprend de lui au GVIRM (Institut national superieur des regisseurs) a privilegier la mise en scene. C'est a cette epoque qu'il etudie avec passion l'une des formes du theatre japonais, le kabuki. Les premieres recherches d'Eisenstein portent sur une certaine facon de briser par la mise en scene la linearite traditionnelle du recit theatral en juxtaposant des elements apparemment disparates, mais qui concourent tous a valoriser une meme ≪?idee?≫ et a en renforcer l'expression. Il est a peu pres certain qu'Eisenstein voit dans cette periode les films de D. W. Griffith- et surtout Intolerance -, qui le confirment dans cette direction. Il resume ses premiers travaux theoriques dans un article capital publie par Maiakovski dans sa revue Lef , Montage-Attraction (≪?Montaj attraktsionov?≫ , mai 1923). En ces memes annees 1922-1923, les grandes tendances du nouveau cinema sovietique sont representees par des courants tres divers quant a leurs apparences, mais dont les buts sont identiques?: servir la revolution. Le plus important de tous semble aux antipodes de celui que suit Eisenstein?: Dziga Vertov, inventeur du ≪?cinema-œil?≫, est partisan d'un cinema ≪?non joue?≫, ≪?explorant des faits vivants?≫, fouillant la realite, mais ne la restituant qu'a la faveur d'un montage qui lui donne son vrai sens. C'est au montage justement qu'Eisenstein accordera la plus grande importance. Pour bien comprendre le sens de l'œuvre, il faut s'attarder un instant a la theorie qui la sous-tend?: le montage-attraction. Pour Eisenstein la juxtaposition de deux images- deux plans- d'un meme film peut etre concue de maniere a declencher une sorte de choc. C'est ce choc qui servira a reveler, puis a eclairer une idee, un symbole precis. Dans son premier film, la Greve ( Statchka , 1924), Eisenstein rapproche des termes aussi apparemment differents que l'image d'un bœuf que l'on egorge a l'abattoir et celle d'un groupe d'ouvriers grevistes pris sous le feu des soldats tsaristes. Par la violence de leur rapprochement, la signification est evidente. ≪?Si le montage peut etre compare a quelque chose, les collisions successives d'un ensemble de plans peuvent etre comparees a une serie d'explosions dans un moteur d'automobile. Comme celles-ci impriment le mouvement a la machine, le dynamisme du montage donne l'impulsion du film et le conduit a sa finalite expressive?≫ (S.M. Eisenstein).

Le Cuirasse Potemkine

Au cours de l'annee 1925, Eisenstein realise le film qui va devenir son œuvre la plus celebre, le Cuirasse ≪?Potemkine?≫ (Bronenossets ≪?Potemkine?≫) . Cette entreprise s'inscrit dans une serie d'œuvres commandees par le Comite central pour celebrer la revolution de 1905. ≪?Œuvre de propagande donc. Mais au sens le plus noble du mot. Comme le furent toutes les grandes œuvres de l'art qui refleterent un moment de la conscience universelle, l'elan de tout un peuple uni autour d'une meme idee ou d'un meme sentiment national. Comme le furent l'Iliade et l'Odyssee pour les Grecs, les chansons de geste ou les sagas scandinaves pour la civilisation occidentale, les Tragiques pour la Reforme, et tant d'autres encore?≫ (Jean Mitry). Pour son deuxieme film, Eisenstein porte a un point de totale perfection l'application de ses theories. Le film relate un fait authentique?: au mois de juin 1905, une partie de l'equipage du cuirasse Potemkine se mutina a la suite de diverses humiliations que les officiers lui avaient fait subir. Afin d'arreter le mouvement, l'execution d'une vingtaine d'hommes est decidee. Mais le peloton n'obeit pas au commandement, car l'un des hommes juche sur la tourelle crie?: ≪?Freres?! Ne tirez pas sur vos freres?!?≫ La revolte eclate, et les hommes s'emparent du bateau. Ils le conduisent a Odessa. La, un grand elan de solidarite unit les ouvriers en greve du port et les matelots du Potemkine. Ceux-ci menacent de bombarder la ville si la repression militaire s'y poursuit. D'autres vaisseaux de guerre envoyes en renfort pour mater le Potemkine echouent dans leur mission, car, du pont de leur bateau, les marins revoltes engagent leurs camarades des autres cuirasses a neutraliser leurs propres officiers. Bien que ramene a sa seule anecdote, ce bref resume peut donner une idee de l'originalite du sujet. Il ne peut montrer la nouveaute du traitement, la perfection du style d'Eisenstein. Il faut, pour cela, se rememorer certains episodes du film et l'un des plus justement celebres?: la fusillade sur les escaliers d'Odessa. Cette sequence traite de la repression exercee dans la ville par les gardes blancs contre la population. La descente de l'escalier par la foule en desordre et apeuree, suivie par la descente quasi mecanique des gardes blancs au pas et tirant devant eux, est montree par des alternances de plans dont les valeurs (angle de prises de vues, largeur du cadrage, rythme interne, duree) s'opposent, se heurtent selon une rythmique remarquablement precise et efficace.

Octobre

Toujours dans le dessein de faire connaitre- mais aussi de chanter- la revolution (cette fois, la revolution d'octobre 1917) en s'appuyant sur le recit fameux de John Reed Dix Jours qui ebranlerent le monde , Eisenstein realise en Octobre ( Oktiabr ). Il y pousse encore plus loin que dans les films precedents son esthetique du montage. Octobre est un film torrentiel, impetueux, ou des images purement symboliques viennent se greffer dans le cours du recit. Une scene- la prise du palais d'Hiver- demeure un celebre morceau d'anthologie.

Les voyages en Europe, aux Etats-Unis et au Mexique

Avant ce film, Eisenstein en avait entrepris et abandonne un autre, la Ligne generale ( Generalnaia liniia ), qu'il reprend en 1928-1929 sous le titre de l'Ancien et le nouveau ( Staroie i Novoie ) [≪?Ce que je veux, maintenant, c'est exalter le pathetique du quotidien, du quelconque, trouver dans ce quelconque le sens d'un enthousiasme collectif, polariser dans un geste, dans un fait, meme anodin en soi, toutes les passions, tous les espoirs qui sont a la portee de l'homme et qui lui sont une raison de vivre.?≫] En suivant l'existence quotidienne d'une jeune femme, Marfa (role tenu par une vraie paysanne, Marfa Lapkina), Eisenstein montre les bouleversements de la vie rurale de son pays, comment la revolution a change non seulement le mode de vie, mais l'esprit des gens de la terre. Quant au rythme et a l'originalite du montage, deux sequences demeurent exemplaires?: la procession des paysans et du clerge pour que vienne la pluie?; la mise en route et l'utilisation de l'ecremeuse acquise par la collectivite agricole. Au moment de la sortie en Russie de son film, Eisenstein est en Europe occidentale, ou il attend que se concretisent differentes offres faites essentiellement par des compagnies americaines. De ses sejours dans les capitales europeennes, on retient surtout sa rencontre a Paris avec James Joyce. Eisenstein etait un grand admirateur d' Ulysse et de la maniere dont Joyce developpait le ≪?monologue interieur?≫ (maniere parallele a sa propre technique du montage). L'eventualite d'une adaptation est meme envisagee alors. Lorsque les propositions semblent se concretiser, Eisenstein part pour les Etats-Unis en mai 1930. Il signe un contrat avec Paramount. Par le fait, soit de la societe productrice, soit d'Eisenstein lui-meme, divers projets sont evoques puis abandonnes- notamment une adaptation de l'Or de Blaise Cendrars. Finalement, l'accord semble devoir se faire sur l'adaptation d' Une tragedie americaine , d'apres le roman de Theodore Dreiser, mais les dirigeants de Paramount et Eisenstein ne parviennent pas a s'entendre sur le scenario, et le contrat est rompu. Le film sera realise par Josef von Sternberg.

La rencontre d'Upton Sinclair permet a Eisenstein d'envisager un autre projet que l'ecrivain se charge de financer?: le cineaste part pour le Mexique, parcourt le pays en tous sens et entreprend en 1932 le film qui devait s'intituler Que viva Mexico?! Encadrees d'un prologue et d'un epilogue, quatre parties (Sandounga, Maguey, Fiesta, Soldadera) devaient montrer le Mexique d'aujourd'hui et d'hier, les resultats de la colonisation et de la christianisation, les luttes des ≪?peones?≫ et cette extraordinaire ≪?unite de la mort et de la vie?≫ qui frappa si fort Eisenstein dans ce pays. Le cineaste, apres avoir tourne 35?000?m de pellicule, se voit dans l'incapacite de controler le montage de cette œuvre gigantesque et quitte les Etats-Unis le 19?avril 1932. Les Americains utiliserent le materiel d'Eisenstein dans Tonnerre sur le Mexique (1933), Kermesse funebre (1933), Time in the Sun (1939), films aux images admirables- tournees par le grand operateur Edouard Tisse (1897-1961)-, mais sans rapport aucun avec les intentions de l'auteur, car, nous le savons, le montage etait pour lui l'etape determinante de la mise en forme d'un film.

Les dernieres œuvres theoriques et cinematographiques

Apres son retour en Russie, Eisenstein entreprend divers projets, qui echouent tous. Il se consacre alors a l'une des activites essentielles de son existence?: l'enseignement. ≪?Les cours d'Eisenstein a VGIK sont un phenomene rigoureusement unique et jamais vu. Annee par annee, dans ses conferences, Eisenstein construisait cet edifice- et son travail vient enrichir non seulement la litterature sovietique, mais toute la litterature mondiale consacree au probleme de la mise en scene. […] La pedagogie etait pour lui un besoin organique et formait une part importance aussi bien de son expression artistique que de son œuvre de savant.?≫ (Mikhail Romm.) Pendant plus de dix ans et jusqu'en 1943, juste avant le tournage de son dernier film, Eisenstein se passionnera pour la pedagogie au VGIK (Institut cinematographique d'Etat). Les temoignages que nous possedons montrent un Eisenstein vif, enthousiaste, stimulant, faisant partager a ses eleves aussi bien sa profonde culture que l'intense travail theorique qu'il avait accompli jusque-la.

Comme si la malchance semblait s'acharner sur lui, Eisenstein ne pourra mener a son terme le film qu'il entreprend alors?: le Pre de Bejine ( Bejine Loug , 1936-1937). Le directeur de la cinematographie sovietique, Boris Choumiatski, fait interrompre le tournage et mettre la pellicule sous sequestre. Il ne reste aujourd'hui que des photogrammes et le scenario (adapte d'une nouvelle de Tourgueniev et de l'histoire du pionnier Pavel Morozov) qui presente la vie d'un kolkhoz. En 1938- Choumiatski ayant perdu ses fonctions-, Eisenstein peut entreprendre Alexandre Nevskie . Ce film fait partie d'un ensemble d'œuvres commandees pour evoquer certaines grandes figures russes (Pierre le Grand, Lenine, Gorki, etc.). Il s'agit reellement du premier film sonore d'Eisenstein si l'on omet le Pre de Bejine . Eisenstein met fortement l'accent sur l'≪?aspect audio-visuel?≫ du film. Sans pour autant changer de maniere et sans rejoindre le baroquisme d'un film comme Octobre , il travaille de pres la construction generale de son œuvre avec le musicien Serguei Prokofiev, afin que musique et image s'imbriquent parfaitement en un rythme unique. Il n'est pas besoin de rappeler l'extraordinaire traitement plastique (opposition entre le blanc des chevaliers teutoniques et le noir des troupes de Nevski), non plus que la perfection de certaines scenes cles (la bataille sur la glace).

Apres ce film, Eisenstein ecrit plusieurs scenarios qui ne seront pas tournes. Au theatre Bolchoi de Moscou, il met en scene la Walkyrie de Richard Wagner en 1940. Puis il se consacre a l'œuvre monumentale qui sera en quelque sorte son testament d'artiste?: Ivan le Terrible (1943-1947). ≪?La puissance de la Russie et la lutte epique pour sa grandeur?≫, tel est le propos du film rappelant la Russie en lutte contre l'Allemagne a travers l'epopee du tsar du xvi e ?s. Le film est a la dimension de son principe?: opera, epopee dont la part plastique est preponderante- plus maintenant que le montage lui-meme. Admirables images souvent statiques, dont la composition est remarquablement elaboree et qui trouvent leur aboutissement dans une fin tournee en couleurs. Une crise cardiaque devait arreter Eisenstein dans son travail. De cette periode de repos datent quelques-uns de ses ecrits les plus importants. Eisenstein esperait continuer Ivan le Terrible , lorsqu'il fut terrasse par une ultime crise, seul dans son appartement, le 11?fevrier 1948.

Son influence ne doit pas etre limitee a son œuvre, mais, a parts egales, a son enseignement et a ses theories.