Ensemble des styles musicaux derives du rock and roll des annees 1950. (On dit aussi rock music.)
L'explosion du rock
Une rupture radicale
Depuis le debut des annees 1950, le rock and roll s'est repandu sur toute la planete a partir des Etats-Unis. Lien musical pour la jeunesse urbaine, il constitue le vehicule d'une attitude de rupture, souvent violente, avec l'ordre etabli. Les generations montantes le remettent sans cesse en question, en en renouvelant les formes d'expression. Aussi le rock est-il devenu un genre complexe, multiforme, avec ses branches, filiations et courants specifiques. Chacun genere son esthetique propre?: forme musicale, maniere de danser, univers imaginaire, panoplie vestimentaire, usage ou non d'alcool, de stupefiants, sexualite, ideologie… A la maniere du cinema, le rock a invente ses propres techniques de production, souvent radicalement nouvelles. Il compte parmi les phenomenes culturels majeurs de la seconde moitie du
xx
e
?s. et les principaux facteurs qui ont permis l'hegemonie mondiale de la culture anglo-saxonne a travers les masses populaires.
Annees 1950
Les termes ≪?rock and roll?≫ ou ≪?rockin'and rollin'?≫ apparaissent dans deux grands morceaux du repertoire doo-wop au debut des annees 1950?: le fameux
Sixty Minute Man
des Dominoes (1951) et
Ting-A-Ling
des Clovers (1952). Quant a ≪?rock?≫ ou ≪?rockin'?≫, on les trouve dans plusieurs titres de
rhythm and blues
?:
Good Rockin'Tonight
par Roy Brown (1948),
All She Wants To Do Is Rock
par Wynonie Harris (1949),
Rockin'Blues
par Little Esther (1950). ≪?Rock?≫, que l'on peut traduire par ≪?balancer?≫, est un vocable a double sens dans l'argot noir de l'epoque?: ≪?faire la fete?≫ et ≪?faire l'amour?≫. ≪?Roll?≫, ≪?rouler?≫, renforce le cote suggestif.
Le disc-jockey Alan Freed est le veritable promoteur de l'expression ≪?rock and roll?≫. Des 1951, a Cleveland, il lance son emission de radio
The Moon Dog Rock'n'Roll House Party
, qui deviendra en 1954, sur une radio de New York,
Alan Freed's Rock and Roll Party
. Il emprunte le parler ≪?jive?≫ des Noirs et, au lieu de programmer les ≪?covers?≫ aseptises des hits de R & B realises par l'industrie musicale pour le public blanc, il passe les originaux enregistres par les Noirs. Son succes aupres des adolescents blancs sera considerable et son style de programmation, emprunte dans tous les Etats.
Le rock and roll se trouve donc bien a la croisee de deux mondes separes, au moment meme ou est votee la premiere loi declarant inconstitutionnelle la segregation dans les ecoles. Le nouveau genre s'abreuve, cote noir, de blues urbain et de rhythm and blues, cote blanc, de hillbilly et de country and western. Ce sont des artistes blancs qui lui ouvrent la voie royale du grand public. Pour s'imposer, les createurs noirs doivent reussir l'indispensable ≪?crossover?≫?: la conquete du public blanc.
De nombreux specialistes s'accordent pour considerer
Rocket 88
comme le premier enregistrement de rock and roll. Il a ete realise en 1951 a Memphis par Sam Phillips et publie par le label Chess de Chicago. Jackie Brenston, qui le chante, est accompagne par le Ike Turner Band, dont il est egalement le saxophoniste. Mais c'est
(We're Gonna) Rock Around The Clock
qui ouvre reellement l'ere du rock and roll en se placant № 1 des ventes americaines durant huit semaines en juillet et aout 1955. L'interprete,
Bill Haley
, vient du country and western et s'est fait une specialite des reprises de R & B. Son cover de
Rocket 88
, en 1951, etait deja plutot reussi.
Sam Phillips reste un personnage cle dans l'avenement du rock and roll. Au debut des annees 1950, les meilleurs bluesmen de Memphis ont enregistre dans son studio, Sun. En 1954, cherchant a orienter le catalogue de son label vers les jeunes artistes blancs influences par la musique noire, il revele
Elvis Presley
. Un an et demi plus tard, ayant revendu le contrat du futur dieu du rock dans d'excellentes conditions, il se concentre sur les carrieres de
Carl Perkins
,
Jerry Lee Lewis
, Charlie Rich,
Johnny Cash
… De la naitront de nombreux classiques du
rockabilly
. D'autres grands noms vont illustrer ce genre?:
Eddie Cochran
,
Gene Vincent
,
Buddy Holly
,
Johnny Burnette
, Wanda Jackson… Parmi les artistes noirs, en grande majorite cantonnes dans les circuits du R & B, trois personnalites grandioses se detachent?:
Chuck Berry
,
Little Richard
et
Fats Domino
. Les deux premiers auront une influence determinante sur des generations de rockers, mais devront payer cher le prix du crossover.
La fievre du rock and roll se propage a l'ensemble de la jeunesse americaine. D'avril 1956 a aout 1959, la premiere place au hit-parade des ventes du
Billboard
revient en grande majorite a des artistes de rock. Presley est classe № 1 a onze reprises et y reste en tout 59?semaines (pres de 15?mois). Mais la sensation liberatrice provoquee par cette musique sur la jeunesse est loin d'etre partagee par les adultes. La majorite morale n'y voit qu'obscenite, violence et autres attitudes deviantes, denoncant les phenomenes de bandes qui l'accompagnent. Certains extremistes organisent meme des autodafes, ou les participants vouent les disques de rock aux flammes de l'enfer, dont, accusent-ils, cette musique est issue. Dans les bagages du reve americain, objet de fascination pour une Europe en pleine reconstruction, le rock and roll debarque sur le Vieux Continent. En Angleterre, il draine ses adeptes parmi le public du ≪?skiffle?≫ (musique de pub inspiree du folk-blues), qu'il aura definitivement supplante au debut des annees 1960. Pionniers du rock anglais en 1956, Lonnie Donegan et Tommy Steele sont d'honnetes imitateurs. En 1958, Billie Fury et
Cliff Richard
ont etudie dans le detail les prestations d'Elvis. La France opte pour la derision, temoin le
Rock'n'Roll Mops
chante par Henri Cording (alias Henri Salvador) en 1956. Son ami Boris Vian n'a pas de mots assez feroces pour fustiger le rock americain et ses vedettes. Les pionniers francais ont pour noms Danyel Gerard et
Richard Anthony
. Ce dernier ne parvient a se faire connaitre qu'a l'automne 1959. Il faut attendre que
Johnny Hallyday
casse la baraque en 1961 pour que la France se mette au rock and roll. Les Etats-Unis sont deja passes au twist.
Annees 1960
Le moteur du rock, c'est l'electricite. Si les guitares amplifiees des
Beatles
et des
Rolling Stones
ne parviennent pas a couvrir les cris des fans a leurs debuts, le son de
Jimi Hendrix
, hurle par un mur d'enceintes, emporte les foules de Woodstock dans un voyage interstellaire. L'aller-retour boomerang accompli par le rock entre Etats-Unis et Grande-Bretagne dans les annees 1960 est fortement stimule par le developpement de l'industrie du disque, des moyens de transport, de communication et des medias de masse. L'ensemble de ces phenomenes induit un effet d'amplification exponentielle de son audience en meme temps qu'une diversification des styles.
L'image rebelle, violente du rock and roll perdure et s'exporte, mais l'industrie musicale americaine reste vigilante a produire des alternatives. De 1960 a 1963, l'Amerique aime les belles harmonies vocales?:
Ray Charles
, Four Seasons, ≪?girl groups?≫ constitues de fraiches adolescentes (Chiffons, Shirelles, Crystals …). Par ailleurs, le courant folk, meme s'il est juge comme nettement engage ≪?a gauche?≫, gagne en audience grace a
Joan Baez
,
Peter, Paul & Mary
et un jeune poete, le brillant
Bob Dylan
.
Alors que les ye-ye francais sont a la recherche du temps perdu, l'Angleterre nourrit des monstres sacres. En 1963, la
pop
britannique explose, stimulee par la rivalite entre Beatles et Rolling Stones. La jeunesse anglaise s'affronte en deux camps, archetypes de la lutte des classes?: rockers (monde ouvrier, jeans et blouson de cuir, moto, attitude machiste, voire vulgaire, alcool, rock herite du R & B et du rockabilly) contre mods (monde des classes moyennes, costume elegant et parka de l'armee, scooter plein de phares, usage d'amphetamines, pop-rock a l'anglaise). Cette petite guerre tribale, qui donne lieu a d'epiques batailles rangees sur les plages du Sud, s'estompe en 1964.
Cette annee-la, le raz de maree de la pop anglaise gagne les Etats-Unis?: pres de la moitie du chiffre d'affaires du disque provient de l'exploitation des
Beatles
. La surf music des
Beach Boys
, nee sur la cote californienne, est seule a resister au remue-menage british. L'impact en est si fort que, en 1965, Dylan troque sa guitare seche pour un accompagnement electrique, au grand dam de son auditoire folk. Avec les
Byrds
, il sera l'initiateur du courant folk-rock, dans lequel s'inscriront les
Crosby, Stills, Nash And Young
et autres
Eagles
.
En 1965, la tendance est resolument anglaise. Les stars du ≪?swinging London?≫ font et defont les modes a Carnaby Street. A tous les niveaux de la creation, l'audace est a l'honneur. La premiere vague de groupes pop defie les chroniques a scandale. Le ≪?blues boom?≫ orchestre par quelques musiciens hors pair (
John Mayall
,
Jeff Beck
, Mick Fleetwood,
Eric Clapton
) elabore les canons d'un style indemodable, prolonge par
Rory Gallagher
et autres
Ten Years After
.
Soft Machine
et
Pink Floyd
ebauchent le style ≪?planant?≫. Quant a l'esthetique ≪?hard?≫, elle s'echafaudera bientot au long des shows de Led Zeppelin, Deep Purple, ouvrant la voie a Black Sabbath, Status Quo, Thin Lizzy.
Durant la seconde moitie de la decennie, les clones de groupes anglais se multiplient dans les garages americains, alors que la
soul
de Tamla Motown (
Supremes
, Four Tops,
Temptations
…) et de Stax (Sam & Dave,
Wilson Pickett
,
Otis Redding
…) impose au show-biz le tempo de la danse. Mais c'est dans l'underground de San Francisco que le rock opere sa grande mutation du son et des sens.
Jefferson Airplane
,
Grateful Dead
, Big Brother & The Holding Company et autres
Mothers Of Invention
, suivis par les
Doors
, donnent le ton de la contre-culture psychedelique.
L'ensemble du monde rock est profondement influence par cette tendance qui deferle en 1967. Meme
Johnny Hallyday
, apres avoir chante
Cheveux longs et idees courtes
en 1966, entonne
San Francisco
, hymne a la mode hippie. Les artistes masculins adoptent la coiffure unisexe longue, abandonnent le costume cravate pour laisser libre cours a la fantaisie inventive. La couleur est reine, non seulement en matiere de vetements, mais aussi dans le dessin des affiches et le developpement des light-shows qui accompagnent les spectacles.
Avec le crescendo du conflit vietnamien, le reve americain tourne au cauchemar. Les jeunes generations de cet age d'or economique refusent l'ideal guerrier et raciste impose par ≪?Big Brother?≫. C'est au nom de la Paix et de l'Amour que vont se developper les plus grands rassemblements de jeunesse jamais vus depuis la derniere guerre. Mais c'est d'abord pour le rock (alors identifie sous le terme pop) que des dizaines de milliers de jeunes gens se retrouvent dans les premiers grands festivals, dont Monterey (juin 1967), Newport (aout 1968 et juin 1969), Atlanta (juillet 1969), Woodstock (aout 1969) aux Etats-Unis, l'ile de Wight (aout 1969 et juillet 1970) en Angleterre et, par suite de son interdiction en France, Amougies (octobre 1969).
Les technologies d'amplification et d'enregistrement ont fait un bond extraordinaire en l'espace de quelques annees. Les premieres boites d'effets sont apparues sur le marche. Grace a leur producteur,
George Martin
, les Beatles ont deja pris une avance considerable, quand ils se separent a la fin des annees 1960. Mais c'est au genie de Jimi Hendrix que l'on doit une transformation radicale de la composition rock. Par son utilisation originale et exclusive de la guitare electrique, il intervient sur la structure meme du son. Aussi y a-t-il un avant et un apres Hendrix, dont les solos de guitare restent une source inepuisable et jamais depassee d'inspiration pour les virtuoses de la six-cordes.
Rock contemporain
Introduction
La revolution rock n'aura finalement dure que quelques annees, aussi intenses que celles-ci aient pu etre. La disparition de figures aussi charismatiques que le fondateur des
Rolling Stones
Brian Jones, en juillet 1969, que le guitariste virtuose Jimi Hendrix, en septembre 1970, que la chanteuse Janis Joplin, en octobre 1970 ou que le leader des
Doors
Jim Morrison, en juillet 1971, et plus encore, peut-etre, la separation des
Beatles
, officielle en avril 1970, auront sonne le glas de la contre-culture, des ideaux de paix et d'amour qui avaient preside aux festivals de Monterey et de Woodstock.
Au debut des annees 1970, le mouvement rock se transforme en profondeur. Si les Rolling Stones, plus que jamais fideles aux langages du blues et du rock, enregistrent, avec
Sticky Fingers
(1971) et
Exile On Main Street
(1972), deux des tout meilleurs albums de leur carriere, la plupart des musiciens de la scene rock, notamment au Royaume-Uni, cherchent ??et souvent trouvent?? une certaine respectabilite sur le plan artistique. Marc Bolan (1947-1977), de
T.?Rex
,
David Bowie
(1947-2016) et le groupe
Roxy Music
de Bryan Ferry (ne en 1945), herauts du glam rock, decouvrent, les uns apres les autres, un juste equilibre entre avant-garde musicale et references explicites a un certain heritage de la vieille Europe (decadentisme, surrealisme). Quant aux formations de la scene progressive, toutes s'eloignent des recettes bien rodees du rock and roll pour puiser leur inspiration a des sources musicales qu'elles estiment plus serieuses, que ce soient le jazz, la musique classique ou la musique contemporaine, tout en recourant a des instruments jusqu'alors peu employes dans le rock comme la flute traversiere ou le saxophone (sans oublier les premiers synthetiseurs). C'est la demarche que suivent des groupes tels que
Pink Floyd
, Soft Machine,
Jethro Tull
,
Yes
ou
Genesis
, une demarche ≪?intellectuelle?≫ qui concerne surtout les etudiants ??bien plus en tout cas que les teen-agers des classes defavorisees.
La reaction punk
C'est a la fois en reaction contre cette derive du rock et contre la crise economique que nait, au Royaume-Uni, le nihilisme punk dans la seconde moitie des annees 1970. Avec ses cheveux rases ou coupes a l'Iroquois, avec ses vetements dechires et ses epingles de nourrice, avec ses croix gammees et ses rangers, toute cette jeunesse ne voue un culte a la grossierete, au grotesque et meme a l'absurde que pour mieux defier un systeme incapable d'apporter des reponses au chomage. Dans les groupes du genre, elle trouve donc moins des porte-parole que des compagnons d'infortune. Diriges par le situationniste Malcolm McLaren (1946-2010), les
Sex Pistols
(1975-1979), des le depart, se posent en ennemis irreductibles de la civilisation britannique et de l'ordre etabli. Ainsi, au moment ou la Grande-Bretagne celebre le jubile de la reine Elisabeth?II, ils hurlent devant de jeunes foules conquises
Anarchy In The UK
ou
God Save The Queen
et, toujours avec force succes, multiplient les scandales sur scene ou sur les plateaux de television, jusqu'a la mort par overdose de leur bassiste Sid Vicious, le 2?fevrier 1979.
Bien meilleurs sur le plan musical que les Sex Pistols, les
Clash
(1976-1986) n'en possedent pas moins la meme haine des institutions. Elle les pousse a s'attaquer aussi bien aux monstres sacres du rock, comme Elvis Presley et les Beatles (la chanson
1977
), qu'a l'esprit dominateur de l'Occident, notamment des Etats-Unis (les albums
London Calling
en 1979 et
Sandinista?!
en 1980). Les
Damned
, c'est sur le terrain de la derision qu'ils livrent bataille a l'establishment, en enregistrant une version punk de
Help
des Beatles (1976) ainsi que l'album
Strawberries
(1982), au demeurant leur œuvre maitresse, qui a cette particularite de sentir le vomis de fraises… Quant a Jam, a Sham?69 et, dans une certaine mesure, aux
Stranglers
et a Siouxsie and The Banshees, ils font egalement leur l'hymne nihiliste du ≪?No Future?≫, crie par Johnny Rotten (ne en 1956), le chanteur des Sex Pistols.
Le rock du renouveau
Comme apres toutes les guerres ??et c'est bien une guerre contre un systeme qu'ont livree les Sex Pistols et les Clash??, il faut reconstruire. Au tournant des annees 1970, l'industrie du disque, tout particulierement en Angleterre, se doit donc de repartir sur de nouvelles bases, et, en d'autres termes, d'accorder sa confiance a une nouvelle generation de groupes.
Police
est de ceux-la qui, sous l'egide du bassiste-chanteur
Sting
(ne en 1951), joue une sorte de reggae blanc d'excellente facture, comme en temoignent des albums tels qu'
Outlandos d'Amour
(1978),
Regatta De Blanc
(1979),
Zenyatta Mondatta
(1980) ou
Synchronicity
(1983).
Il en va de meme pour Elvis Costello (ne en 1954), dont le sens de la derision et un exceptionnel talent de compositeur eclatent dans les albums
Get Happy
(1980),
Almost Blue
(1981) ou
King Of America
(1986), ou bien encore pour Joe Jackson (ne en 1954), avec les tres reussis
Look Sharp?!
(1979),
Night And Day
(1982) et
Body And Soul
(1984). Quant aux Irlandais de
U2
, avec a leur tete le chanteur Bono (ne en 1960), ils prouvent a partir d'
October
(1981), et davantage encore avec
War
(1983),
The Unforgettable Fire
(1984) et
The Joshua Tree
(1987), puis avec des succes mondiaux comme
Sunday Bloody Sunday
,
In The Name Of Love
et
I Still Haven't Found What I'm Looking For
, que l'on peut etre les dignes heritiers des Rolling Stones et de Bob Dylan, et revendiquer sa foi chretienne, tout en s'imposant comme les artisans du renouveau du rock dans les annees 1980?!
L'ecurie Virgin
Cette
new wave
est aussi et surtout incarnee par la firme discographique Virgin. Fondee en 1973 par Richard Branson, Virgin s'est aussitot hissee aux premiers rangs de l'actualite discographique grace a l'album instrumental
Tubular Bells
(1973) de
Mike Oldfield
(ne en 1953)?; apres avoir servi de theme au film
l'Exorciste
, il se vend a plus de cinq millions d'exemplaires. Fort de ce succes, Branson et ses directeurs artistiques se specialisent dans le rock d'avant-garde avec Robert Wyatt, Hatfield and The North ou des formations allemandes telles que Faust, avant d'apporter leur soutien reflechi a la subversion punk en signant avec les Sex Pistols.
Mais c'est surtout en jouant la carte de la new wave que Virgin parvient au sommet de la hierarchie rock. Ainsi, XTC y publie les eblouissants
English Settlement
(1982) et
Sky Larking
(1986). Plus novateurs encore, les Ecossais de
Simple Minds
, diriges par le chanteur Jim Kerr (ne en 1959), allient aux folklores des iles Britanniques le glam rock de David Bowie ou de Roxy Music et les envolees flamboyantes d'un Led Zeppelin pour forger une sorte de rock onirique et glorieux, comme l'attestent les albums
New Gold Dream (81, 82, 83, 84)
et
Sparkle In The Rain
(1984). Parmi les autres formations phares de l'ecurie Virgin figurent encore Magazine, Heaven?17 ou Human League, qui, en fonction de leur propre sensibilite musicale, contribuent beaucoup a l'evolution du rock anglais au cours des annees 1980.
Techno-pop et cold wave
Entre autres points communs, ces diverses formations ont celui de recourir aux instruments electroniques. Cette
techno
-pop, curieusement, n'est pas nee au Royaume-Uni, mais en Allemagne federale. Fonde en effet a Dusseldorf, au tout debut des annees 1970, par Ralf Hutter (ne en 1946) et Florian Schneider (ne en 1947),
Kraftwerk
a ouvert de nouveaux horizons au mouvement rock avec les albums
Autobahn
(1974) et
Radioactivity
(1975). Ciselant les melodies, les synthetiseurs forgent des rythmes qui, eux-memes, illustrent de facon tout a fait realiste les facettes multiples de la societe postindustrielle.
Cette musique a la fois froide, melodique et electronique, maints compositeurs et groupes britanniques s'en inspirent des la fin des annees 1970. Le plus influent d'entre eux est certainement Joy Division, qui, jusqu'au suicide de son chanteur Ian Curtis (1956-1980) et son revirement pop amorce sous le nom de New Order, exprime tous les desenchantements de la modernite avec une force et une originalite qui expliquent le culte durable dont font l'objet le single
Love Will Tear Us Apart
(1980) et les albums
Unknown Pleasures
(1979) et
Closer
(1980).
A Joy Division ??dont le nom renvoie aux lieux de debauche des camps de concentration nazis?? il faut associer tous les groupes de Manchester, et plus precisement ceux qui, sous la houlette de Tony Wilson, Alan Erasmus et Peter Saville, enregistrent dans les annees 1980 pour le compte de Factory Records, a savoir Durutti Column et Cabaret Voltaire. Mais au mouvement
cold wave
appartiennent aussi la formation deja nommee Human League, qui, avec
Dare
(1981), enregistre un veritable manifeste du genre?; Orchestral Manoeuvre In The Dark, qui, apres
Electricity
(1979) chez Factory, sort chez Virgin le hit
Enola Gay
(1980)?; les Cocteau Twins, qui, sous la houlette du couple ecossais Robin Guthrie et Liz Frazer, reunit avec bonheur les demarches avant-gardistes de Ravel aussi bien que de Pink Floyd et de Joy Division, comme le prouvent
Treasure
(1984) ou bien
Head Over Heels
(1986). Enfin, c'est encore dans les rangs de cette ≪?ecole?≫ techno-pop, ou cold wave, que sont passes les
Cure
de Robert Smith (ne en 1959) au debut de leur carriere, de meme que
Depeche Mode
, avec l'album
Some Great Reward
(1984).
Les enfants du Velvet
A des degres differents, ces formations ont egalement contracte une dette artistique enorme a l'egard de deux groupes americains des annees 1960, les
Doors
et le
Velvet Underground
. Si les premiers, non sans une ironie amere, ont chante avant tout le monde les limites de l'utopie hippie, le second, sous l'inspiration de
Lou Reed
(1942-2013) et de John Cale (ne en 1942), a revele a la meme epoque les faces les plus sombres de la vie new-yorkaise ??en particulier, l'univers des drogues dures??, ce qu'il faut bien appeler le ≪?cauchemar americain?≫.
Cette poesie morbide d'inspiration urbaine et cette musique de l'urgence aux melodies et aux rythmes incantatoires caracterisent donc la plupart des formations de la nouvelle vague britannique, a commencer par Echo and the Bunnymen de Ian McCulloch (ne en 1959), dont l'album
Crocodiles
(1980) n'a strictement rien a envier aux meilleurs temoignages discographiques des Doors et du Velvet Underground. L'une et l'autre se trouvent egalement, et fort logiquement, a l'origine du renouveau du rock new-yorkais a la fin des annees 1970. Lou Reed, qui a quitte le Velvet Underground pour poursuivre sa carriere en solo (publiant les albums
Transformer
, en 1972, et
Berlin
, en 1973), est incontestablement le parrain, voire le pere spirituel d'un grand nombre de groupes. Outre les New York Dolls, qui s'illustrent en 1973 avec des titres tels que
Trash
,
Personality Crisis
et
Looking For A Kiss
, il faut citer Patti Smith, cette amoureuse de Rimbaud qui, avec John Cale comme producteur, enregistre l'album
Horses
(1975), de meme que les Modern Lovers de Jonathan Richman (ne en 1952) et les
Ramones
, peut-etre le seul groupe americain authentiquement punk. Dirige par le guitariste Tom Verlaine (ne en 1950),
Television
, avec le mythique album
Marquee Moon
(1977), peut egalement se reclamer du Velvet Underground, tout comme les
Talking Heads
, au sommet de leur gloire avec
Fear Of Music
(1979), et le groupe Blondie, au sein duquel la pulpeuse Debbie Harry (nee en 1945) n'a guere de mal a faire chavirer les cœurs lorsqu'elle chante, en 1979,
Sunday Girl
ou
Heart Of Glass
.
Retour vers le futur
Aussi dominatrice qu'elle soit dans les hit-parades, dans les boites de nuit branchees ou sur les ondes de la chaine musicale MTV (lancee le 1
er
?aout 1981), la techno-pop ne represente qu'une facette du rock dans les annees 1980. Des la seconde moitie de la decennie precedente, en effet, certains groupes et artistes ont appele a un retour aux vraies valeurs du rock and roll. Outre-Manche, ce ≪?revival?≫ est incarne par
Dire Straits
, qui, sous l'impulsion de Mark Knopfler (ne en 1949) et avec des albums tels que
Dire Straits
(1978),
Making Movies
(1980) ou
Money For Nothing
(1988), consacre a nouveau la guitare comme instrument roi du rock, en meme temps qu'il rend hommage aux musiques de Bob Dylan et de J.?J.?Cale.
C'est aux Etats-Unis que ce mouvement en faveur d'un retour aux sources se fait le plus intense. La figure emblematique en est
Bruce Springsteen
(ne en 1949). En 1975, le guitariste-chanteur et compositeur du New Jersey donne raison au celebre journaliste John Landau, qui a vu en lui ≪?l'avenir du rock and roll?≫.
Born To Run
, en effet, a un impact considerable sur les foules, non seulement parce que cet album resume a lui seul plus de trente annees d'histoire de la musique populaire americaine (folk, rock, rhythm and blues, soul), mais aussi parce que, avec des titres tels que
Thunder Road
,
Tenth Avenue
ou
Backstreets
, et comme Dylan avant lui, Springsteen decrit l'Amerique telle qu'elle est et non pas telle que l'Americain moyen la reve.
Cette demarche musicale, que le ≪?Boss?≫ poursuit et approfondit avec
Darkness In The Edge Of Town
(1978),
The River
(1980),
Nebraska
(1982),
Born In The USA
(1984) ou
The Ghost Of Tom Joad
(1995), c'est aussi celle d'un grand nombre de
songwriters
de talent. Parmi eux figurent les proches de Springsteen, Southside Johnny et Little Steven, lequel signe, en 1985, l'hymne anti-apartheid
Sun City
. Mentionnons encore Tom Petty, qui, avec ou sans les Heartbreakers et ainsi qu'en temoignent les albums
Damn The Torpedoes
(1979) ou
Southern Accents
(1985), apparait bien comme le fils spirituel de Bob Dylan et des Byrds. Enfin,
Bob Seger
(ne en 1945), Jackson Browne (ne en 1948), Tom Waits (ne en 1949) et John Cougar Mellecamp (ne en 1951), eux aussi, selon leur propre sensibilite, mettent au jour une Amerique qui n'est pas forcement celle qu'on nous decrit dans les guides…
Les annees grunge
Ou en est la rock music a la fin des annees 1980?? Pour David Bowie, elle est devenue ≪?une vieille femme edentee?≫. Pour d'autres, elle a sombre corps et ame au moment ou les artistes ont commence a ceder aux imperatifs commerciaux des grandes compagnies de disques. Il en est encore pour considerer qu'elle a disparu lorsque les herauts de la contre-culture, sous l'action conjuguee des medias et du public, ont laisse la place a de nouvelles idoles qui ont pour noms
Madonna
,
Michael Jackson
ou Whitney Houston. Pour beaucoup, enfin, elle a ete litteralement assassinee le 8?decembre 1980, a 22?h?52, en meme temps que John Lennon…
En realite, si le rock a rendu l'ame, certains se sont charges de le faire renaitre de ses cendres. L'exemple du
grunge
est a cet egard hautement symbolique. Melange de rock psychedelique, de heavy metal, de punk, de rock gothique et de subversion, le grunge, ne a Seattle (Etat de Washington), dans la premiere moitie des annees 1980, trouve son groupe charismatique en
Nirvana
, qui, sous la houlette du desespere Kurt Cobain (1967-1994), enregistre avec l'album
Nevermind
(1991) ??dont est extrait le single
Smell Like Teen Spirit
?? le plus incendiaire manifeste du genre. D'autres groupes participent egalement au renouveau du rock via la culture alternative grunge. C'est le cas d'Alice In Chains avec
Dirt
(1992), de Pearl Jam avec
Vs
(1993), de Soungarden avec
Super Unknown
(1994) ou bien encore de Hole ??le groupe de Courtney Love (la veuve de Cobain)?? avec
Live Through This
(1994), qui, tous, ont pris pour modele le patriarche
Neil Young
(ne en 1945)?!
Rock fusion
Des la fin des annees 1980, le rock est, plus que jamais, devenu une musique de fusion. A Boston, les Pixies melent avec bonheur la surf music des Beach Boys, les melodies facon Kinks et le psychobilly des Cramps, comme le revele l'album
Bossa Nova
(1990). A Chicago, les Smashing Pumpkins celebrent les annees post-grunge avec
Mellon Collie And The Infinite Sadness
(1995) et
Adore
(1998), tandis que les Californiens de Rage Against The Machine melangent avec succes hard rock, punk et rap (
Evil Empire
, 1995) et que les Black Crowes, originaires de Georgie, propulsent a nouveau le rock sudiste sous les feux de l'actualite avec
The Southern Harmony And Musical Companion
(1992) et
By Your Side
(1998).
En Irlande et au Royaume-Uni, le rock contemporain connait egalement une dynamique que les plus optimistes n'auraient ose esperer. Avec a leur tete la chanteuse Dolores O'Riordan, les Cranberries constituent a l'evidence l'une des grandes revelations des annees 1990 grace a ce folk-rock lumineux que l'on peut entendre sur
No Need To Argue
(1994). Il en va de meme pour Radiohead, un groupe d'Oxford qui, avec
OK Computer
(1997), suit dignement les traces de U2, tandis que Massive Attack et Portishead, de leur bastion de Bristol, combinent rock, rap et techno, et donnent au trip-hop ses premieres lettres de noblesse. Quant aux groupes de la
brit pop
, en plus de renouer avec un certain age d'or du rock, ils sont en train aujourd'hui d'en ecrire l'avenir. Le succes rencontre par
Oasis
, mais aussi par
Blur
, Pulp ou Supergrass est la pour en temoigner?!
Rock a la francaise
En matiere de rock, force est de le reconnaitre, la France est longtemps restee a la traine des pays anglo-saxons, comme si la langue de Voltaire ne pouvait s'adapter aux rythmes de Chuck Berry puis des Beatles. Faute de suivre une demarche originale, Johnny Hallyday (1943-2017), les Chaussettes noires d'Eddy Mitchell (ne en 1942) et les Chats sauvages de Dick Rivers (ne en 1945) ont eu au moins le merite, au debut des annees 1960, de faire connaitre et apprecier les valeurs du rock and roll a toute une jeunesse. On peut dire de meme de personnalites telles que Michel Polnareff (ne en 1944), Jacques Dutronc (ne en 1943), et de l'inevitable
Serge Gainsbourg
(1928-1991), qui, toujours dans les annees 1960, ont apporte humour et derision a une variete qui en avait bien besoin.
Cela etant, c'est vraiment au cours de la decennie suivante que l'on peut parler d'une scene rock authentiquement francaise. Les Variations, meme s'ils chantent en anglais et se veulent tres proches des Rolling Stones, ont joue a cet egard un role de detonateur, comme le prouve l'album
Take It Or Leave It
(1973). C'est aussi le cas pour Triangle (
Peut-etre demain
, 1970), pour Martin Circus (
Acte II
, 1971), avant que le groupe ne succombe aux charmes de la variete, pour Ange, qui, avec
le Cimetiere des arlequins
(1973) et
Au-dela du delire
(1974), mele de facon tout a fait convaincante rock progressif a l'anglaise et legendes populaires francaises, et surtout pour
Magma
, qui va jusqu'a inventer un langage (le kobaien) et creer ses propres mythes (
Mekanik Destruktiv Kommandoh
, 1973). Quant aux groupes de la deuxieme generation?:
Telephone
, bien sur, qui obtient de francs et legitimes succes avec
Crache ton venin
(1979),
Au cœur de la nuit
(1980) ou
Un autre monde
(1984), mais aussi Tai Phong, qui revele Jean-Jacques Goldman (ne en 1951), Starshooter, Little Bob Story ou Bijou, auxquels il faut ajouter Jacques Higelin (1940-2018), tous cherchent, avec des fortunes diverses, a s'emanciper de la lourde tutelle anglo-americaine.
La rupture, amorcee avec les fresques ≪?esoterico-musicales?≫ de Magma, est definitivement consommee a la fin des annees 1980 grace aux
Rita Mitsouko
, qui, avec le hit
Marcia Baila
(1985) et l'album
The No Comprendo
(1986), trouvent le ton juste entre new wave et rythmes latino-americains. A cette ≪?nouvelle ecole?≫ appartiennent aussi les
Negresses vertes
, leaders de la scene alternative avec les albums
Mlah
(1989) et
Famille nombreuse
(1991),
Noir Desir
, qui, bien qu'influence par le rock de Detroit et la cold wave anglaise, suit sa propre voie avec
Tostaki
(1992), ou bien encore les
Garcons Bouchers
, qui, avec
la Saga
(1990) et
Vacarmelita ou la Nonne bruyante
(1992), concilient rock, chanson realiste et humour gaulois. D'une certaine facon, la musique de ces quatre groupes a aujourd'hui son prolongement dans celle de Louise Attaque, qui, avec son ≪?rock-folk acoustique?≫, imprime sa marque a la specificite du rock francais de la fin des annees 1990.