n 1967, lorsque la population am?ricaine avait atteint 200 millions d'habitants, le magazine Life avait d?nich? le b?b? dont la naissance marquait ce seuil historique : il s'appelait Robert Woo et ses parents ?taient d'origine chinoise. Le passage aux 300 millions, le 17 octobre 2006, a ?t? moins ordonn?. Dans une intense comp?tition, les m?dias ont identifi? plusieurs laur?ats, tous n?s ? quelques secondes pr?s au moment fix? par le Bureau du recensement, 7 h 46 sur la C?te est. Le processus ?tant assez peu scientifique, il est trop t?t pour savoir lequel passera ? la post?rit?, mais la plupart de ces tout jeunes Am?ricains ont quelque chose en commun : ils sont de parents hispaniques. De quel groupe ethnique sera l'enfant qui couronnera l'?tape des 400 millions d'Am?ricains, en 2043, si les projections des services du recensement se r?v?lent exactes ?

SUR INTERNET BUREAU DU RECENSEMENT AM?RICAIN : www.census.gov CHIFFRES MONDIAUX : esa.un.org/unpp/ ? LIRE Les Etats-Unis, ouvrage dirig? par Denis Lacorne (Fayard-CERI, 672 p., 28 ?). Qui sommes-nous, identit? nationale et choc des cultures, Samuel Huntington, (Odile Jacob, 2004). Reinventing the Melting-Pot. The New Immigrants and What it Means to Be American, Tamar Jacoby et William Frucht ( Basic Books, 2003). [-] fermer

Exception dans le monde occidental vieillissant, les Etats-Unis jouissent depuis la fin du XX ^e si?cle d'une croissance d?mographique tr?s dynamique, imputable pour 40 % ? l'immigration. Pendant que les Am?ricains s'enrichiront de 100 millions de personnes, le Japon et l'Union europ?enne, eux, en perdront 15 millions, si l'on s'en tient aux tendances actuelles. Autre sp?cificit? am?ricaine, "une bonne partie de la croissance naturelle (le nombre de naissances moins le nombre de morts) ?tant due aux enfants d'immigr?s, nous sommes en train de redevenir un melting-pot", relevait r?cemment le d?mographe William Frey, de la Brookings Institution. Il est donc fort possible que les origines ethniques du quatre cent millioni?me Am?ricain soient si m?lang?es que leur identification n'ait plus vraiment d'importance. Dans trente-sept ans, avance Kenneth Prewitt, professeur ? l'universit? Columbia, "le pays sera bien plus m?tiss?, essentiellement en raison du taux ?lev? de mariages interraciaux et interethniques" .

M. Prewitt a dirig? le Bureau de recensement de 1998 ? 2001. C'est sous son r?gne qu'a ?t? r?alis? le recensement de 2000, marqu? par une petite r?volution : pour la premi?re fois, un instrument statistique a permis de mesurer la multiracialit?. En plus des cinq groupes raciaux recens?s (Blancs, Noirs, Am?rindiens, Asiatiques, natifs de Hawa? et d'autres ?les du Pacifique), les Am?ricains ont eu la possibilit? de cocher la case "autre race" et aussi de se d?finir comme appartenant ? "plusieurs races". Ils ont ainsi ?t? pr?s de 7 millions ? se d?clarer m?tiss?s, en cochant cette derni?re case, et plus de 15 millions ? choisir la cat?gorie "autre race". Parall?lement, un autre crit?re, celui de l'ethnie, ?tait propos? : les Am?ricains pouvant se d?finir comme "hispanique" ou "non hispanique". Plus de 35 millions ont coch? la case "hispanique" apr?s avoir, dans la colonne "race", vraisemblablement choisi "blanc", "noir", "autre", ou "plusieurs races".

Qu'en sera-t-il en 2043 ? Certaines projections, cit?es par le politologue Yves Boquet, pr?disent un triplement de la cat?gorie multiraciale. La proportion d'Hispaniques passerait de 12,6 % en 2000 ? 24,4 % en 2050, et celle des Asiatiques de 3,8 % ? 8 %, ces deux groupes assurant l'essentiel de l'essor d?mographique. La croissance de la population blanche d'origine europ?enne devrait, elle, se ralentir progressivement avant d'amorcer un d?clin entre 2040 et 2050 (69 % de la population totale en 2000, 50 % en 2050). " L'avenir de la classification raciale est impr?visible, juge M. Prewitt, elle ne d?pend pas seulement des changements d?mographiques. Elle rel?ve aussi de la pression politique et de la science. Peut-?tre la recherche sur le g?nome effacera-t-elle les groupes raciaux aujourd'hui ?tablis ? Ou peut-?tre m?nera-t-elle ? un syst?me de classification totalement diff?rent ? "

Une telle ?volution aurait, bien s?r, des cons?quences politiques importantes dans un pays o?, depuis les ann?es 1960, de nombreux programmes d'aide sociale visent ? r?parer les effets de la discrimination raciale. Si les distinctions raciales ou ethniques s'effacent, logiquement, la discrimination diminuera et les programmes visant ? la combattre deviendront superflus. La fameuse "affirmative action", mise en place depuis plus de trois d?cennies comme politique de justice sociale, est d?j? progressivement remplac?e par une politique de "diversit?". Certains experts parient donc sur la disparition de l' affirmative action d'ici ? 2043 et le retour d'un d?bat plus ?conomique sur les in?galit?s sociales.

De m?me, la composition du Congr?s ?voluera. La repr?sentativit? des ?lus, pr?voit M. Prewitt, refl?tera davantage les int?r?ts ?conomiques et les clivages sur certaines valeurs que la r?partition ethnique. L'un des grands d?bats politiques, selon M. Frey, portera par exemple sur les moyens d'assurer le passage des enfants d'immigr?s dans les classes moyennes, notamment par l'?ducation.

Ces projections des d?mographes et le nouveau melting-pot qu'elles sugg?rent vont ?galement alimenter le d?bat sur l'avenir de l'identit? am?ricaine, soulev? notamment par Samuel Huntington. Pour le th?oricien du clash des civilisations, la croissance spectaculaire de l'immigration latino menace l'identit? am?ricaine anglo-saxonne, car les nouvelles g?n?rations d'Hispaniques ne cherchent pas ? s'assimiler ni m?me ? apprendre l'anglais.

Tamar Jacoby, chercheuse sp?cialis?e dans les questions d'immigration, rejette, elle, ces affirmations tout en reconnaissant que la question de l'identit? am?ricaine est essentielle "? l'?re de la mondialisation, du multiculturalisme et de niveaux historiques d'immigration" . Elle d?montre au contraire, chiffres ? l'appui, que la majorit? des Hispaniques cherche ? se fondre dans la dynamique am?ricaine. L'?conomiste californien Joel Kotkin y voit m?me l'?mergence d'une ?conomie qui serait "post-ethnique" .