LIBERTE
. ? Le mot de liberte est susceptible
d’acceptions tres diverses, dont la multiplicite est generatrice de confusions. Il y aura donc lieu d'etablir le
sens general du mot et l’idee fondamentale qui groupe
ces differentes acceptions. On etudiera ensuite la
liberte physique, autrement dit le libre arbitre, avec
les problemes theologiques que souleve son exis
tence, et le probleme moral de la responsabilite qui
lui est connexe. Pour terminer, on s’occupera de la
liberte en tant qu’elle est le droit d’agir ou de ne pas
agir, en d’autres termes de la liberte morale. Laissant
de cote la question des libertes civiles et politiques,
on discutera seulement le probleme que soulevent la
liberte de conscience et la liberte des cultes.
D’ou cette division de l’article :
I. Notion, division
et essence de la liberte. ?
II. Liberte physique ou naturelle : libre arbitre (col. 663).?
III. Problemes theologiques que souleve l’existence de la liberte (col. 669).
-
IV. Liberte et responsabilite (col. 681). ?
V. Liberte
morale, liberte de conscience, liberte des cultes
(col. 684).
I. Notion, division et essence de la liberte. ?
1°
Notion generale
.
S’il est dans la langue francaise
un nom a tort ou a raison beni, chante, acclame dans
les circonstances les plus diverses et parfois meme les
plus contradictoires, c’est assurement celui de liberte :
mot magique qui electrise, souleve, transporte, enthousiasme jusqu’au delire, alors meme que souvent on ne
le comprend pas. ? Qu’est-ce donc que la liberte?
Etre libre, c’est etre degage de tout lien.
2° Divisions. ?
Or, un lien peut se rencontrer dans
deux ordres differents, dans l’ordre moral et dans
l’ordre physique ; il ne peut enchainer que de deux
manieres correspondant a ces deux ordres. Il enchaine
dans l’ordre moral, lorsqu’il impose une obligation a
qui peut et doit la recevoir, et se traduit par une loi.
Il assujetti ! dans l’ordre physique, quand il est le principe d’une necessite qui enleve a la creature la possibilite de se determiner a son choix. L’immunite du
premier lien constitue ce que nous appelons la liberte
morale ; de l’absence du second resulte la liberte physique. Cette derniere se subdivise en liberte de coaction et en liberte de necessite.
La liberte de coaction repousse toute violence
venanl de l’exterieur et infligee, contre son gre, a celui
qui a^it. Le malfaiteur arrete, solidement garrotte et
conduit sous bonne escorte en prison ne jouit pas, et
avec raison, de la liberte de coaction.
La liberte de necessite repose tout entiere sur l’immunite de tout principe intrinseque a l’agent et le
determinant, par une sorte de fatalite, a agir toujours
en dehors de son choix. Cette liberte, qui n’est qu’une
propriete de la volonte, peut etre consideree a un
triple point de vue : au point de vue de Vacle meme de
la volonte, au point de vue de son objet, enfin au point
de vue de la fin derniere. Il est. en effet, loisible a la
volonte de poser un acte ou de s’en distraire ; c’est la
liberte de contradiction qui permet de vouloir ou de ne
pas vouloir. Entre les differents objets qui lui sont
proposes, la olonte peut fixer son choix et marquer ses
preferences ; c’est la liberte de specification. Enfin,
relativement a la fin derniere, la volonte creee a le
pouvoir de se porter a ce qui l’y conduit, comme aussi
de se determiner a ce qui l’en eloigne ; c’est la liberte
de nmtrariete. Liberia ≫ voluntatis, dit saint Thomas,
m tribus constderabitur ; scilicei quantum ad actum, in
quantum potest Vellt vrt non rcllr ; rt iju<mtuu ml Objet
tuni. in quantum jxiti < ! pcIIc hoc vel illud. et cius opposilum : rt quantum ad nrdmem fini ≫, in quantum potest
bonum vel malum, lie veritate, q.
xxii
. a. fi. cf.
P. de Mandata, Instltutlonet phlloBophtcte, Rome, 1892,
t.
IV
, p, tl 59. Triple manifestation d’une seule et
meme propriete dont l’essence tout enliere se rencontre eminemment dans la premiere, a savoir, la liberte
de contradiction qui. comme nous l’avons dit, laisse a
la olonte le choix entre le vouloir et le non vouloir.
i h effet, quelqu’un est vraiment libre lorsqu’il est
le maitre et la 'anse de son acte. Or, celui qui peut
r entn deux contradictoires, quel que soit l’objet
m choix, demeure le maitre < t la cause de son
Mais c’est precisement en cela que consiste la liberte
de contradiction. Donc elle seule est essentielle a la
liberte de necessite, car la liberte de specification n’est
le plus souvent qu’une de ses varietes.
Dans son sens philosophique, la liberte se confond
avec le libre arbitre qui, d’apres saint Thomas, consiste
dans le pouvoir de choisir, c’est-a-dire de preferer une
chose a une autre. Le libre arbitre ne se distingue pas
reellement, comme puissance ou faculte, de la volonte,
pas plus, du reste, que la raison ne se distingue reellement de l’intelligence ; car la faculte qui entend ou
connait dans l’homme est la meme faculte que celle
qui raisonne. En d’autres termes, vouloir et choisir
appartiennent a une seule et meme puissance, comme
connaitre et raisonner sont deux actes d’une seule et
meme faculte. Ainsi, de meme que l’intelligence percoit les premiers principes et que la raison en deduit
les consequences, ainsi la volonte se dirige necessairement vers sa derniere fin, qui est le bonheur, tandis
que le libre arbitre, s’appliquant aux moyens, peut
choisir tel ou tel de ces moyens, tel ou tel bien non
necessaire, et c’est en cela qu’il est maitre de ses actes.
3°
Essence de la liberte
.
Ce choix que fait l’homme
ne doit pas etre l’effet d’un caprice ; c’est un acte de
la volonte raisonnable, acte qui, par consequent, doit
etre conforme a la saine raison. S’il s’en ecarte, il ne
saurait etre un acte parfait de la volonte libre, pas
plus que le sophisme n’est un acte parfait de la faculte
de raisonner. La nature tend au vrai et au bien, et de
meme que le jugement errone n’est pas une qualite
mais un defaut de la nature raisonnable, ainsi l'election vicieuse n’est pas une qualite, mais un defaut de la
nature libre. Ce serait donc se tromper que de faire
consister la nature de la liberte ou du libre arbitre dans
le pouvoir de choisir entre le bien et le mal. Le libre
arbitre est une propriete de la volonte faite pour le
bien ; donc il repugne que le mal, comme mal, soit
l’objet de son inclination. Si donc la volonte embrasse
le mal, c’est par suite de l’imperfection du sujet dans
lequel elle reside, sujet faillible par son esprit, et dont
le corps suscite des tendances qui ne sont pas conformes
aux tendances de la raison. Vouloir le mal, d’apres
saint Thomas, n’est pas plus la liberte ou une partie de la
liberte, que l’action de boiter ne vient de la puissance
motrice, encore que cette puissance soit requise pour
que l’on boite en fait. Donc la liberte de contrariete
n’appartient pas a l’essence de la liberte de necessite.
Le pouvoir de faire le mal est un indice de la liberte : il
n’entre nullement dans la constitution de son essence,
pas plus que la maladie ne fait partie de l’essence de la
sante. H sec potestas, dit saint Thomas, est illius tantum
solius in quo natura deficere potest. Nam ubi non est
dejectus in apprehendendo et conjerendo, non potest
esse VOluntas midi in lus qu : v snnt ad finem, sirut palet
in bcatis. Et pro tanto dicitur. quod vclle malum nec est
Ubertas, nec pars libertatis, quamvis sil quoddam libertalis signum. De veritate, q.
xxii
, a. fi.
Il en resulte cette affirmation, qui n’est paradoxale
qu’en apparence, qu’empecher quelqu’un de mal faire.
ce n’est point lui enlever sa liberte, c’est au contraire
le sauver de l’esclavage, selon cet te parole du Sauveur :
i Quiconque commet le peche est esclave du peche.
Joa.,
viii
, .'il. C’est l’impuissance de mal faire qui
assure le triomphe de la vraie liberte.
I.a liberte est reglee ou non reglee, suivant qu’on
agit ou qu’on D’agil pas d’apres la droite raison. Dr.
ce qui est rei_'le est hou. ce qui est lion est rai. Donc. la
liberte Vraie est celle qui choisit une chose cou tonne a
la raison, et la liberte fausse celle qui choisit une chose
contraire a la raison. Kl comme le rai et l'etre se
confondent, solvant cet exlome Verutn et tnt cow ≫ ertuntur, la libelle vraie est la liberte meme, dont la
liberte fausse n’est que la fiction et le masque. De la
vient que l’homme est d’autant plus libre qu’il suit
davantage sa raison, parce qu’il agit d’apres son
principe specifique, comme il est d’autant plus esclave
qu’il se laisse dominer davantage par ses sens. La
vraie liberte ne peut exister qu’avec la raison et la
verite ; ce qui est contre la raison et la verite est contre
la liberte et engendre la servitude. ≪ C’est la vraie
liberte, et la plus parfaite, dit Leibniz, de pouvoir
user le mieux de son franc arbitre et d’exercer toujours
ce pouvoir sans en eU’e detourne par la force
externe ni par les passions internes, dont l’une fait
l’esclavage des corps et les autres font celui des ames.
Il n’y a rien de moins servile que d’etre toujours mene
au bien, et toujours par sa propre inclination, sans
aucune contrainte et sans aucun deplaisir. ≫ Essais
de theodicee. ≪ Lors donc que nous faisons le mal, dit le
P. Monsabre, commentant ce philosophe, ce n’est
point en vertu d’un perfectionnement de notre liberte,
mais bien plutot par sa defection. Il n’est pas plus parfait
dans l’ordre moral de pouvoir renverser l’harmonie
des fins, qu’il n’est parfait dans l’ordre intellectuel
de pouvoir renverser l’harmonie des principes.
Si nous voyions clairement le bien dans sa ravissante
splendeur, le mal dans sa hideuse difformite, soyez
bien persuades que nous ne balancerions pas un instant ;
sans lutte, sans efforts, nous nous deciderions
pour le bien. Mais Dieu a permis, pour notre epreuve,
que l’ignorance et les passions jetassent un voile sur
notre esprit et que de coupables erreurs deshonorassent
notre liberte. Sans doute, nous ne voulons pas le
mal pour le mal ; cependant, victimes des tenebres que
nous n’avons pas su dissiper, des appetits que nous
n’avons pas eu le courage de dompter, nous mettons
le bien la ou il n’est pas, ou plutot nous le detournons
de sa veritable et eternelle destination. ≫ Exposition
du Dogme catholique, careme de 1874, Paris, 1883,
p. 107-109.
II. Liberte physique ou naturelle : Libre arbitre.
?
1°
Le probleme
.
La liberte physique, avons-nous
dit, trouve sa plus parfaite expression dans la
liberte de necessite qui repose tout entiere sur l’immunite
de tout principe intrinseque a l’agent et le determinant,
par une sorte de fatalite, a agir toujours en
dehors de son choix. Cette derniere reside a son tour
dans la liberte de contradiction, qui fait de l’etre intelligent
l’arbitre de ses actes de telle sorte qu’il puisse,
de son plein gre, agir ou ne pas agir, vouloir une chose
ou ne la vouloir pas. Elle n’est autre que ce que nous
appelons le libre arbitre.
On agit fatalement ou librement. Tous les etres
inferieurs a l’homme agissent fatalement, en ce sens
qu’il leur serait impossible d’agir autrement qu’ils ne
font dans des circonstances donnees. L’homme est
soumis a cette determination necessitante dans un
grand nombre de ses actions ; d’abord, dans toutes
celles qui relevent de la vie vegetative ; puis, dans celles
qui appartiennent a la vie de relation mais qui
echappent, soit au regard de la conscience, soit au
pouvoir de la volonte. L’action humaine est donc tres
souvent necessitee ; l’est-elle toujours ? L’est-elle meme
quand la conscience crie au dedans qu’elle ne l’est pas ?
En d’autres termes, avons-nous la liberte physique ou
naturelle, appelee le libre arbitre ? Nous verrons plus
tard dans quelle mesure nous jouissons de la liberte
morale. Ici nous entendons parler seulement de la
premiere.
A la question posee nous repondons parVa/firmalivc,
sauf a l’endroit du bonheur que nous poursuivons
necessairement, souvent a notre insu, dans tous et
chacun de nos actes.
2° Determination de la volonte par rapport au bien
en general. ?
Il n’y a. a bien prendre, que le
corps qui puisse etre esclave de la violence ; l’Ame s’y
soustrait par sa nature propre et ses courageux efforts.
Il n’en est pas de meme de la necessite. Issue de lois
sur lesquelles repose l’ordre universel, elle commande,
elle s’impose, elle imprime un mouvement qu’il faut
suivre, sous peine de ne plus etre dans sa propre
nature. C’est la necessite qui preside a la gravitation des
corps vers les corps, des instincts vers les biens sensibles,
des volontes vers la beatitude. ≪ Raidissez-vous
contre l’attrait magique de la felicite, dit le P. Monsabre,
essayez de protester contre la voix imperieuse qui
ebranle tout votre etre et chante nuit et jour l’hymne
de vos destinees en ces trois mots : il faut etre heureux,
vous ne le pourrez pas ; votre esprit, votre cœur, votre
corps lui-meme se laissent prendre et ravir ; vous
voulez etre heureux. A chacun des objets qui se rencontrent
sur le passage de votre vie anxieuse et tourmentee
vous demandez : N’es-tu pas le bonheur que je
cherche ? Souvent arretes, presque toujours decus,
vous ne quittez une etape inhospitaliere que dans
l’espoir d’en trouver une autre ou vos fievreux desirs
pourront se reposer. Tout va bien si, desabuses des
mensonges de ce monde, vous savez esperer en paix les
jours meilleurs d’une meilleure patrie. Mais enfin,
desabuses ou non, il est certain que vous subissez
l’empire de la necessite. La loi qui regit l’irresistible
tendance de votre volonte ne vous fait pas violence ;
mais vous lui repondez spontanement et inevitablement
par des desirs en attendant la jouissance et le
repos. ≫
Nul de nous ne songe a s’en plaindre, ni ne se croit
amoindri ou deshonore par cette necessite. Pourquoi
cela ? ≪ C’est, repond l’illustre orateur, qu’elle nous
vient de Dieu, qui la subit lui-meme sans que sa
perfection en souffre. Soleil sans declin, ocean de vie,
nature pleine et parfaite, douee de tous les charmes,
bonte infinie, Dieu ne peut pas ne pas se vouloir et
s’aimer tel qu’il est ; se vouloir et s’aimer, c’est son
bonheur. Rien de violent, rien d’aveugle, rien de
deraisonnable* dans l’attrait qui le tourne vers lui-meme
et le retient en son essence. Tout y est douceur,
lumiere, raison infinie, et cet attrait, loin de nuire a
l’universelle puissance de sa volonte, lui donne la
plenitude meme de l’etre divin. ≫ P. Monsabre,
op. cit
.,
p. 97-99.
Suivant la doctrine de saint Thomas, tous les etres,
quels qu’ils soient, procedent de la volonte meme de
Dieu, comme de leur premiere cause. Il faudra donc
trouver en tous son empreinte, ce qui en constitue
comme le caractere distinctif. Or, le caractere distinctif
de la volonte de Dieu, c’est de ne tendre qu’au bien,
lequel bien, d’ailleurs, n’est, pour elle, que la bonte
divine elle-meme. C’est donc a cette bonte qu’elle
ordonne tous les etres. Il s’ensuit qu’en vertu de la
volonte meme de Dieu, tous les etres doivent tendre au
bien, c’est-a-dire alaparticipation en eux. suivant leurs
moyens, de la bonte meme de Dieu. Cette tendance,
en tous, sera proportionnee a leur nature propre. Ceux
qui n’ont aucune connaissance tendront au bien, en
vertu meme de leur nature ; ils ne le feront que dans la
mesure ou cette nature le reclame. D’autres, qui ont
la connaissance sensible, y tendront selon tout l’etendue
comprise dans le’rayon de leur connaissance.
D’autres enfin y tendront sans qu’aucune limite
puisse leur etre assignee : parce que, doues d’intelligence,
ils percoivent la raison meme du bien universel.
Cette derniere tendance au bien, de toutes la plus parfaite,
s’appelle la volonte : Qua’dam vero inclinantur ad
bonum cum cognitione qua cognoscunt ipsam boni rationem,
quod est proprium intellectus. Et hœc perfeedssime
inclinantur in bonum : non quidem quasi ab alio solummodo
directa in bonum, sicut ea quæ cognitione carent :
neque in bonum particulare tantum. sicut ea in quibus
est sola sensitiva cognitio. sed quasi inclinata in ipsum
universale bonum ; et hœc inclinatio dicitur voluntas.
Sum. theol., I ≫, q.
lix
, a. 1.
Donc nous ne pouvons pas ne pas vouloir un bien.
Nous constatons en nous la presence de cette tendance
au bien et au bonheur, tendance volontaire, puisque
c’est de mon gre et avec connaissance que je lui obeis,
tendance necessaire pourtant et qui n’est pas mon
choix libre, mais une loi de ma nature, puisqu’il m’est
impossible de ne pas lui obeir.
3° Indetermination de la volonte par rapport aux biens
particuliers. ?
Cette loi est donc une limite a mon
libre arbitre, limite posee par Dieu lui-meme et qui
demeure a jamais infranchissable. Mais, dans la sphere
de cette limite qui circonscrit l’action de ma volonte,
suis-je libre ? Le fait du libre arbitre, s’il est reel, ne
peut l’etre qu’a la condition d’etre apercu par voie
d’introspection, c’est-a-dire, par le procede necessaire
de l’information psychologique ou le temoignage de
la conscience. Ai-je conscience d’etre libre ?
1. Temoignage de la conscience. ?
A cette question,
une reponse affirmative ne saurait faire l’objet d’un
doute serieux. J’ai conscience d’etre libre. J’ai conscience
de produire par un choix libre ces actes internes
qui s’appellent des resolutions, et qui se traduisent
en efforts pour executer ce qui a ete resolu. J’ai conscience,
au moment ou je prends une resolution, que je
pourrais ne pas la prendre ou en prendre une autre,
differente ou opposee. Pendant tout le temps qu’elle
persiste, j’ai conscience que je puis la modifier diversement,
la suspendre ou la faire definitivement cesser.
On ne peut pas me dire que je n’ai pas cette conscience,
pas plus que l’on ne peut me soutenir que je n’ai pas
conscience de souffrir quand je sens bien que je souffre.
Mais on peut me dire, et l’on me dit, que cette conscience
me trompe et n’est qu’une illusion. Eh bien
alors qu’on le prouve : Quod gratis asseritur, gratis
negatur. Melior est condilio possidentis. Mais on ne le
prouvera jamais, car cette recusation du temoignage
interieur mene droit au scepticisme le plus absolu,
a me dire que je ne puis pas meme etre certain du fait
de ma pensee et du fait de mon existence, " car je ne
suis pas plus certain de ces deux faits, dit M. de Margerie,
que je ne le suis du fait de mon libre choix. Et
meme il est rigoureusement vrai que les actes interieurs,
dont j’ai conscience comme libres, se detachent
de tous les autres par une conscience plus distincte,
plus reflechie et plus vive. Car c’est dans ceux-la que
je me possede et nie dirige moi-meme, et, si je dis moi
a propos de tous les faits interieurs, parce que j’en
suis le sujet, Je le dis de mes actes libres avec un accent
privilegie parce que j’en suis la cause. C’est donc lorsqu’il
s’agit d’eux que le temoignage de la conscience
atteint son maximum de force et d’eclat, si on le rejet te
ici. ; > meilleur droit le rejettera-t-on ailleurs. ≪ Congres
wlenttf. internat, des catholiques, Paris, 1891, Sciences
philos., p. 73.
D’autre part, ce temoignage de ma conscience,
temoignage si net et si formel, est
universel
. C’est, en
effet, le temoignage de toute conscience humaine : il
n’y a pas un individu normalement developpe qui n’ait
de son libre arbitre la meme conscience que moi du
mien. L’experience du present et l’histoire fin passe
nous montrent sans doute des philosophes fatalistes
acceptes par individus, et des religions fatalistes
suivies par nations tout entieres. Ce sont la des
croyances speculatives dont les origines ne sont pas
impossible a decouvrir. Mais leur domination met en
une lumiere d’autant plus vive la conscience pratique
que tous les hommes, meme au sein de ces religions et
de ces philosophies, gardent leur libre arbitre qu’ils
manifestent par des actes de leur vie individuelle et
de leur vie sociale. Le sentiment intime de leur liberte
resiste chez eux a des doctrines qui la contredisent
et qui devraient la detruire, donnant ainsi la preuve de
sa vitalite indestructible.
2.
Reponse a une difficulte
.
≪ Mais, objecte Stuart
Mill, avoir conscience du libre arbitre signifie avoir
conscience, avant d’avoir choisi, d’avoir pu choisir
autrement. Mais la conscience me dit ce que je fais ou
ce que je sens : ce que je suis capable de faire ne tombe
pas sous son regard. La conscience n’est pas prophetique ;
nous avons conscience de ce qui est, non de ce
qui sera ou de ce qui peut etre. Nous ne savons jamais
que nous sommes capables de faire une chose qu’apres
l’avoir faite ou avoir fait quelque chose d’egal ou de
semblable. ≫ Examen de la philosophie d’Hamilton,
trad. Cazelles, 1869, p. 551. En d’autres termes,
une puissance ne peut pas etre un objet d’experience
ou de conscience. Or, la volonte libre est une puissance.
Donc elle ne saurait etre un objet d’experience ou de
conscience. ? Une puissance en inaction et en sommeil
ne peut pas etre un objet d’experience ou de conscience,
cela est bien vrai. Mais qu’une puissance en action
et en eveil ne puisse l’etre, voila ce que l’on ne saurait
prouver. Or la volonte, avant la resolution prise et le
choix fait, n’est pas a l’etat de puissance en inaction et
en sommeil. Elle est eveillee et en action, car elle est en
preparation active de l’acte final ; elle est a l’etat de
tension en presence de chacun des motifs ou mobiles
qui pretendent la determineret, danscettepreparatinn
et cette tension, elle prend experimentalement de son
libre arbitre la conscience qu’il lui faut avoir pour
que cet acte final soit libre. En effet, lorsque, avant
le choix, nous nous tournons vers un des partis a
prendre, nous sentons que nous ne sommes pas determines
a le prendre. Il exerce sur nous une force
d’attraction, nous exercons sur lui une force de resistance,
et, dans ce conflit, nous prenons experimentalement
conscience de la superiorite de notre force sur
la sienne, en d’autres termes, de notre independance
relativement a lui. Les autres partis se presentent
tour a tour ; la meme experience se renouvelle a l’egard
de chacun, et nous prenons ainsi conscience de notre
independance vis-a-vis de tous. Cette conscience
totale, qui est la somme de ces consciences partielles,
est proprement la conscience du libre arbitre.
4°
Solution fataliste et deterministe
.
Contre l’existence
du libre arbitre s’elevent deux principales erreurs
a savoir, le fatalisme et le determinisme. Voir Determinisme,
t.
iv
, col. 041 sq., et Fatalisme, t. v. col. 2095.
Des deux, le determinisme est, incontestablement, la
plus subtile, la plus dangereuse et, malheureusement
aussi, la plus en vogue. D’une maniere generale, la
liberte de l’homme, d’apres les fatalistes, est constamment
liee par une necessite venant de l’exterieur.
Selon les deterministes, le lien qui enchaine cette
liberte n’est pas quelque chose d’externe, mais une
necessite intrinseque. Les actes que nous appelons
libres peuvent etre volontairement poses, mais ils sont
soumis a une necessite d’ordre physique, moral ou
intellectuel, et excluent seulement toute violence
exterieure.
La liberte entendue au sens que nous avons explique
n’existe pas. assurent les deterministes parce qu’elle
est Impossible, et elle est Impossible parce que tout acte est determine : l’acte sensitif est determine par
l’instinct, l’acte raisonnable par la raison. Motif ou
mobile, il v a toujours quelque chose qui mefait vouloir.
Si j’etais libre, je serais a la fois determine et
Indetermine dans mon acte, determine par le motif.
Indetermine A cause de ma liberte, c’est une contra
did ion.
Non, repond M| r D’Hulst, Conference ≫ dr Notre-Dame,
Careme de 1891, S* conf.. c’est un mystere
peut etre, ce n’est pas une contradiction, Jamais les
partisans du libre arbitre n’ont pretendu qu’en f ; iis : mt
un acte l’homme pourrait eu faire un autre ; la serait
la contradiction. Ils disent qu’au lieu de l’acte qu’il
fait, l’homme aurait pu en faire un autre sans que les
influences qu’il subit fussent changees. ? Mais le
motif du moins serait change ? ? A coup sur. ? Donc
une des influences, et precisement celle qui decide de
tout, serait differente. ? C’est ici l’erreur. On se represente
la volonte comme purement receptive ; on dirait
que les motifs sont des forces et que la volonte n’est
qu’une masse inerte a laquelle ils communiquent le
mouvement. On abuse de la comparaison de la balance :
les poids, ce sont les motifs ; la balance, dit-on, c’est
la volonte. ? Mais non, la volonte n’est pas passive ;
elle ne reagit pas seulement, elle agit. C’est une balance
qui meut elle-meme ses plateaux. Quand les motifs
changent, elle est pour quelque chose dans le changement.
Les motifs se presentaient avec la variete de
leurs attraits : la volonte en choisit un, elle le prefere,
elle tire d’elle-meme cette preference. ≫ Conf. de Noire-Dame,
Careme de 1891, 3
e
conf.
Il n’est donc pas vrai de dire que tout desir, s’il est
violent, emporte fatalement l’action ; ce n’est pas le
desir qui decide, c’est le vouloir : la se place la liberte.
Et si, au lieu de refouler le desir, je l’accueille et lui
livre ma conduite, c’est encore parce que je l’ai voulu ;
quelque chose crie en moi que je pouvais et devais
vouloir en sens contraire, vouloir contre moi-meme,
sacrifier tout mon etre sensible a l’austere exigence
du devoir.
Au reste, qu’entend-t-on au juste par motif le plus
fort ? ≫… Ceux qui presentent cette objection, fait
judicieusement remarquer M. de Margerie,
op. cit
.,
p. 98, ne s’entendent pas eux-memes, et, a la lettre,
ce qu’ils disent ne veut rien dire. De quoi s’agit-il,
en effet, dans la vie morale ? Du conflit de la passion
et du devoir. S’il en est ainsi, l’expression motif le plus
fort n’a pas de sens et n’en peut avoir. Je comprends ce
que c’est qu’un devoir plus fort qu’un devoir, une
passion plus forte qu’une passion. Voici, par exemple,
deux preceptes moraux dont chacun, pris a part,
oblige la volonte, mais entre lesquels il faut choisir
parce qu’on ne peut pas les accomplir tous les deux.
La conscience dira lequel impose l’obligation la plus
etroite, la plus haute, la plus urgente. Celui-la pourra
etre dit le plus fort des deux, et nous nous deciderions
certainement d’apres lui s’il n’y avait en nous d’autres
principes d’action que le principe moral. Voici deux
passions dont l’une nous sollicite avec vehemence et
dont l’autre ne nous incline que plus faiblement dans
le sens oppose. La premiere est assurement plus forte
que la seconde et nous entrainerait necessairement s’il
n’y avait en nous que des impulsions passionnees.
Mais voici un devoir qui me commande une action, et
une passion qui m’en detourne. Ou prendrez-vous la
commune mesure, l’unite de poids qui, multipliee un
certain nombre de fois par elle-meme, changera les
deux plateaux de votre balance ? Peserez-vous au
poids du devoir ? La plus mince obligation morale
pesera plus que le plus violent attrait, et l’empire du
monde, compare au devoir de la sincerite, ne vaudra
pas le plus petit mensonge. Au poids de l’interet verirable,
c’est-a-dire du bonheur ? Si vous connaissez
l’interet veritable qui est d’assurer le bonheur par la
vertu, le plaisir le plus enivrant sera un motif d’une
faiblesse ridicule au prix des biens eternels promis au
renoncement. Au poids de la passion ? La plus fugitive
jouissance comparee au plus grave et evident devoir
emportera la balance. Il me faudrait donc un poids qui
fut tout a la fois mesure du devoir et mesure de la
passion opposee au devoir. Mais ce poids, vous ne
pouvez pas l’avoir parce qu’il est une contradiction.
Sur cette contradiction repose l’objection tout entiere. ≫
Enfin, insistent les deterministes, avant que d’agir
l’homme delibere, et il delibere parce que des motifs
heterogenes le sollicitent. Or vous reconnaissez vous-meme
que c’est une appreciation qui determine finalement
sa volonte hesitante. Donc elle n’est pas libre.
Cela prouve simplement que la volonte n’est pas
aveugle. Si la volonte suit toujours le dernier jugement
pratique, ce jugement est tel que je le tire de moi-meme ;
il ne m’est pas donne d’avance. Ni mon etat
physique, ni mon etat mental ne me l’imposent. Il sort
de moi a l’instant decisif, conferant au plaisir, a l’interet
ou au devoir telle priorite qui lui plait. Cela
est possible, parce que je suis a la fois sensible et raisonnable.
Cela est reel, puisque je l’experimente. ≪ Le regne de la necessite est aboli, dit Mgr d’HuIst,
loc. cit. L’etre, en gravissant les echelons qui s’etagent
depuis l’atome jusqu’a moi, a successivement
elargi le cercle de son action ; en entrant dans le domaine
de l’intelligence, il a conquis la liberte. ≪
5° Le dogme ecclesiastique et le probleme du libre
arbitre. ?
Bien qu’elles ne visent pas directement le
determinisme philosophique moderne, certaines definitions
ecclesiastiques, relatives au determinisme theologique
doivent etre rappelees ici ; elles precisent la
position que l’Eglise a prise de tout temps en regard
du probleme de la liberte, et elles indiquent les directives
suivant lesquelles doit evoluer le philosophe
chretien quand il discute cette question.
Tout d’abord les expressions employees par l’Eglise
lors des controverses semi-pelagiennes marquent la
croyance au libre arbitre. On declare sans doute que
le libre arbitre a ete diminue par le peche originel, mais
qui dit diminue ne veut pas dire supprime. Cf. surtout
Concil. Araus. II : Debemus credere quod per peccatum
primi hominis ita inclinatum et attenuatum fuerit
liberum arbitrium ut nullus poslea aut diligere Deum
sicuti oportuit, aut credere in Deum, aut operari propler
Deum quod bonum est, possit, nisi eum gratia misericordiee
divinse prævenerit. Denzinger-Bannwart, n. 199.
A l’epoque des controverses predestinatiennes de la
renaissance carolingienne, on retrouve le meme son
dans les decisions du concile de Quierz?. 853, contre
Gotescale, voir, t.
vi
, col. 1500 : Libertatem arbitrii in
primo homine perdidimus, quam per Christum Dominum
nostrum recepimus, et habemus liberum arbitrium
ad bonum, prseventum et adjulum gratia et habemus
liberum arbitrum ad malum, desertum gratia. Liberum
autem habemus arbitrium, quia gratia liberatum et
gratia de corrupto sanatum.
Denz
., n. 317. Meme indication
encore dans la condamnation par le concile de
Sens en 1141 de cette proposition d’Abelard : Quod
liberum arbitrium per se sufficit ad aliquod bonum.
Denz., n.373
Ces diverses affirmations temoignent surtout du
desir de mettre en surete le dogme de l’absolue necessite
de la grace ; mais du jour ou l’heresie protestante
menacera directement le libre arbitre, l’Eglise affirmera
avec non moins de force sa croyance au dogme
de la liberte humaine.
Deja Leon
X
, en 1520, dans la bulle Exsurge Domine,
condamne cette proposition de Luther, n. 36 : Liberum
arbitrium posl peccatumest res de solo titulo. et dumfacit
quod in se est peccat mortaliler.
Denz
., n. 776. Le concile
de Trente, apres avoir dans la v ≪ session maintenu avec
fermete le dogme du peche originel et de la decheance
qui en est la suite, ne laisse pas d’affirmer avec une
egale energie, dans la sess.
vi
e
, can. 5. l’existence du
libre arbitre : Si quis liberum hominis arbitrium post
Adæ peccatum amissum et exstinctum esse dixerit. aut
rem esse de solo titulo, imo titulum sine re, figmentum denique
a Salana invectum in Ecclesia, a. s.
Denz
.. n. 815.
Les difficultes soulevees autour de l’insoluble question
des rapports entre liberte et grace ameneront
de nouvelles precisions. C’est d’abord le rejet de cer
taines explications fournies par Baius. Prop. 39 :
Quod voluntarie fit, etiamsi necessario fiat, libere tamen
fit ; et prop. 66 : Sola violentia repugnat libertati hominis
naturali.
Denz
., n. 1039 et 1066. C’est enfin la
condamnation explicite comme heretique de la 3° proposition
de Jansenius : Ad merendum et demerendum
in statu naturæ lapsse non requiritur in homine libertas
a necessitatesedsu/ficit libertas aeoaclione.
Denz
., n. 1094
III. Problemes theologiques que souleve
l’existence du libre arbitre. ?
L’existence du
libre arbitre etant consideree comme hors de discussion,
comment est-il possible de concilier cette prerogative
de la volonte :
1° Avec la science de Dieu.
2° Avec les decrets de la volonte divine.
3° Avec la
predestination.
4° Avec l’efficacite de la grace.
5° Avec
le concours divin ?
1°
Le libre arbitre et la science divine
.
Dieu sait ce
que je ferai demain, et ce qu’il a prevu devoir arriver
s’accomplira certainement, infailliblement ; il m’est
absolument impossible de m’y soustraire, autrement la
science de Dieu serait en defaut, ce qui repugne. Or, si
je suis place dans cette necessite, et il en est de meme
pour tous mes actes, je ne suis pas libre, car l’indifference
et l’indetermination sont de l’essence meme du
libre arbitre. Donc, avec la science de Dieu, le libre
arbitre ne saurait subsister.
Pour repondre a cette difficulte, il importe de rappeler
la nature et l’objet de la science de Dieu, et de determiner
le mode dont Dieu connait les choses placees
en dehors de lui. Cette simple exposition suffit a
resoudre la difficulte. On ne dira d’ailleurs ici que le
strict necessaire, la science divine devant faire l’objet
d’un article special.
1. Le mode de la connaissance divine. ?
Il y a en
Dieu une science eminente qui s’identifie pleinement
avec son essence et par laquelle, sans avoir besoin
d’aucun secours etranger, il se connait et se comprend
lui-meme, autant qu’il est susceptible d’etre connu et
compris. La science de Dieu est parfaite et infinie. Sa
perfection supreme l’exige. Voir S. Thomas, .S’iim.
theol., 1°. ([.
xiv
, a. 1-5. L’objet primaire de la science
de Dieu, c’est lui-meme ; l’objet secondaire, ce sont les
creatures. Dieu se connait lui-meme necessairement,
et dans toute la mesure ou il peut etre connu. Mais
comment connait-il les creatures ? Il les connait parfaitement
comme elles existent, et il a de toutes une
connaissance propre et distincte. S. Thomas,
loc. cit
.,
a ≪ .. toutefois, sa connaissance n’a pas pour terme les
choses elles-memes, comme il en arrive pour nous.
Pour connaitre une chose, il ne nous suffit pas de nous
considerer nous-memes, il faut que notre regard se
IKirie en dehors de nous, vise cette chose et la degage
.iract eres individuels qui I en vironnent’pour qu’elle
puisse s’assimiler a notre intelligence. Que cette notion
Mil abstraite des choses visibles par la vertu de l’intelligence
ou qu’elle soil infuse par Dieu, cela importe
peu ; dans les deux cal, le sujet connaissant a pour
terme de sa connaissance autre chose que lui-meme,
et ce terme, dont il depend dans une certaine mesure,
n’est pas sans lui apporter quelque perfection.
Or il est evident qu’en Dieu on ne saurait rien concevoir
de semblable. Dieu ne peut ni dependre d’une
cause creee, ni en recevoir la moindre perfection. Mien
en dehors fie lui ne. peut donc servir de terme a sa
connaissance, par consequent, tout ce qui exisle en
dehors de lui. il le connait en soi-meme, dans son
DeiU omnta alla a se, non prr specirm pro
prinm, %ta prr uuntlam iuori tnlelligti,
Sum. theol
.,
Inr. ni., a.", .
Dieu -ail tout ; il sait tout parce qu’il VOil tout ;
d sait tout en son essence, en tant qu’elle est la cause
premiere et universelle de toutes choses C’est la seule
lumiere qui soit digne de l’eclairer, route eonnaii
qui viendrait du dehors le ferait dechoir, parce qu’elle
melerait quelque chose de fini a son infinie perfection. ≪ Il est sacrilege, dit saint Augustin, de penser que
Dieu sort de lui-meme pour voir ce qui est hors de lui. ≫
Sacrilegum est opinait Deum extra se exire ut res extra
se positas inlueatur. De diversis quæstionibus LXX.Xllf
liber unus, q.
xlvi
,
P. L
., t. xi., col. 30.
Mais comment expliquer cette connaissance de Dieu ?
Dieu ne connait pas les choses dans son essence, ou a.
travers son essence, comme un myope se sert de
lunettes appropriees pour considerer les objets qui
echappent a ses yeux debiles. Il ne faudrait pas voir
dans l’essence divine une sorte de glace transparente
ou de loupe grossissante qui permettrait a Dieu de se
mettre en rapport avec les choses et d’en acquerir la
connaissance. C’est en se considerant lui-meme que
Dieu se connait et connait parfaitement les objets
places hors de lui dans le passe, dans le present et
dans l’avenir.
En effet, tout ce qui existe ou a existe est l’œuvre de
Dieu seul, car seul il est Createur. Quand il se sert des
creatures, ce n’est pas dans son operation creatrice
mais dans d’autres operations secondaires, et encore
n’est-ce qu’a titre d’instruments qui executent un plan
concu et voulu par lui. Or, toute œuvre accomplie par
un habile ouvrier est la realisation d’un plan forme
d’avance et dont le dessin vivant se trouve dans l’intelligence
de cet ouvrier. Avant de le mettre a execution,
l’ouvrier l’a presenba l’esprit avec tous ses details et les
modifications meme qu’il est en mesure d’y apporter.
Avant de la realiser au dehors de lui, il connait son
œuvre, il pourrait la decrire, et son execution meme, a
parler rigoureusement, ne saurait lui apporter aucune
connaissance nouvelle a cet egard. Dans une œuvre,
quelle qu’elle soit, c’est le plan qui est la chose essentielle ;
le reste est plus ou moins accessoire.
De meme, toutes les creatures passees, presentes et
futures ne sont que la realisation dans le temps du plan
de l’intelligence divine relatif a leur existence reelle ;
et c’est en contemplant son essence qu’il y considere
en meme temps toutes les creatures, avec toutes les
modifications dont elles sont susceptibles, comme
l’architecte voit en esprit tous les details de l’edifice
qu’il se propose de construire. C’est ainsi que tout est
present pour Dieu, et que, pour lui, il ne saurait y avoir
ni ≫ asse ni futur, bien qu’il soit dans l’essence de la
creation d’etre mesuree par le temps.
2. Les divers objets de la connaissance divine.
Outre les choses qui existent actuellement ou qui ont
deja existe, il y en a d’autres qui sont purement possi
bles, d’autres qui arriveraient a un moment quelconque
si telle condition etait verifiee, d’autres qui arriveront
certainement et necessairement, d’autres enfin
qui arriveront infailliblement. mais d’une maniere aussi
libre que certaine. Comment Dieu connait il ces differentes
categories de choses ? Il les connait toutes de la
meme maniere, ces ! a dire de la maniere que nous
venons d’exposer.
a) Les possibles. ?
Est possible tout ce qui, dans
son concept) n’implique aucune contradiction. Or.
outre les choses existantes, il y en a d’autres qui, dans
leur concept, n’impliquent aucune contradiction. Et,
de lait. Dieu aurait pu. sans la moindre contradiction.
ne rien creer de ce qu’il a bien voulu tirer du neant :
il eut pu de meme produire d’autres elres bien differents
par leur nombre et leur perfection, Donc, en
dehors des choses existantes, on est en droit de compter
les choses purenient possibles. Mais d’OO les possi
files tirent ils leur possibilite ? I".n d’autres termes,
pourquoi les choses sont elles possibles
Il impolie de
distinguer entre la possibilite interne et la possibilite
externe. Toutes les deux dependent de Dieu. Saint
Thomas etablit le fondement de la possibilite interne
des choses en Dieu seul, mais considere dans son intelligence
et finalement dans son essence. La possibilite
interne des choses depend donc formellement de
l’intelligence de Dieu, mais elle a sa source dans son
essence. S’il est question de la possibilite externe ries
choses, nous affirmons avec saint Thomas qu’elle releve
egalement de Dieu, mais de Dieu considere dans sa
toute-puissance, car tout ce qui ne repugne pas a
l’existence peut exister, s’il y a une cause active qui
ait la faculte d’etendre sa vertu a tout ce qui est susceptible
de participer a l’existence de quelque maniere.
Or, une telle cause ne saurait etre que l’Etre dont
l’existence s’identifie avec l’essence, l’Etre subsistant
en Dieu. Donc, les choses ont en Dieu seul leur possibilite
tant interne qu’externe. Avant d’etre realises,
s’ils doivent l’etre, les possibles n’ont d’existence que
dans l’essence divine. C’est la que Dieu les voit et les
connait.
b) Les futuribles. ?
On entend par futuribles ou
futurs conditionnels des choses qui n’ont jamais ete,
qui n’existent pas et qui n’arriveront jamais, mais qui
auraient pu se trouver dans le passe, qui pourraient
exister actuellement ou qui pourraient arriver un jour,
si telle condition etait posee. Que cette connaissance
des futuribles se rencontre en Dieu, c’est une verite qui
ne saurait etre contestee et qui est, du reste, affirmee,
dans la sainte Ecriture. Pour l’etablir, les theologiens,
depuis fort longtemps, ont fait etat de deux passages
empruntes l’un a l’Ancien, l’autre au Nouveau Testament.
On lit, I Reg,
xxiii
, 9-13, que David, retire dans la
ville de Ceila et ayant appris que Saul se preparait a
venir l’y assieger, interrogea le Seigneur : ≪ Seigneur
Dieu d’Israel, votre serviteur a entendu dire que Said
se prepare a venir a Ceila pour detruire cette ville a
cause de moi. Les habitants de Ceila me livreront-ils
entre ses mains ? Et Saul y viendra-t-il comme votre
serviteur l’a entendu dire ? Seigneur Dieu d’Israel,
faites-le connaitre a votre serviteur. ≫ Le Seigneur
repondit : Saul viendra. David dit encore : ≪ Les habitants
de Ceila me livreront-ils avec mes hommes entre
les mains de Saul ? ≫ Le Seigneur repondit : Ils te livreront.
David s’en alla donc avec ses hommes, qui etaient
environ six cents ; et, etant partis de Ceila, ils erraient
ca et la sans savoir ou s’arreter. Or Saul, ayant appris
que David s’etait retire de Ceila, ne parla plus d’y
aller.
D’autre part, d’apres Matth..
xi
, 21, Notre-Seigneur
maudit Corozain et Bethsaida, deux bourgades situees
non loin de Capharnaum, sur la rive occidentale du
lac de Tiberiade. Les rapprochant de Tyr et de Sidon.
il declare que ces deux grandes cites paiennes, profondement
corrompues, se seraient converties, si elles
avaient ete aussi favorisees qu’elles sous le rapport
spirituel. ≪ Malheur a toi, Corozain ; malheur a toi,
Bethsaida ; car. si les miracles qui ont ete faits au
milieu de vous avaient ete faits dans Tyr et dans
Sidon, il y a longtemps qu’elles auraient fait penitence
dans le sac et la cendre. ≫
Sans vouloir entrer ici dans la fameuse querelle
engagee entre thomistes et molinistes au sujet de la
maniere dont Dieu connait ces futuribles, disons seulement
qu’il les connait comme il connait tous les possibles,
c’est-a-dire en lui-meme, d’une facon immediate
et suivant l’etre dont ils jouiraient, si la condition dont
depend leur existence etait verifiee. L’intelligence
divine, en contemplant et en penetrant jusque dans ses
plus intimes profondeurs la divine essence, embrasse
du meme regard tous les modes possibles de sa ressemblance
infinie. Par ou il arrive que le regard de Dieu
se porte d’abord sur son essence et, dans cette essence
meme, il atteint d’une facon aussi directe qu’immediate
les possibles avec toutes leurs varietes.
c) Les futurs libres. ?
Si nous parlons maintenant
des futurs libres absolus, Dieu les connait comme il
connait toutes choses, et, en particulier, les futuribles.
Le futur libre absolu n’est, en effet, que le futurible
transfere a l’ordre d’existence avec le caractere de
contingence et de liberte prevu dans cet etat. Par
consequent, la science du futur libre absolu n’est autre
que la science du futur conditionnel a laquelle est
joint un decret de Dieu relativement a son existence.
Cela meme qui etait connu par Dieu comme pouvant
exister, il le connait comme devant reellement exister
a un moment donne. Mais ici une remarque essentielle
s’impose. Dieu connait les futurs libres absolus non pas
comme futurs, mais comme presents. En effet, s’il les
connaissait comme futurs, il ne les connaitrait que
comme devant arriver un jour. Donc, en ce moment, il
ne les aurait pas presents devant lui, il les connaitrait
seulement dans leurs causes. Mais s’il les connait dans
leurs causes et si sa connaissance est certaine et non
pas simplement conjecturale, c’est que ces evenements
y sont deja contenus et en sortiront necessairement.
Les savants qui annoncent plusieurs annees a l’avance
une eclipse de lune, par exemple, determinent d’une
facon mathematique l’epoque precise ou la terre se
trouvant entre le soleil et la lune, celle-ci, traversant
l’ombre projetee par la terre et ne recevant pas la
lumiere du soleil, cesse, pendant quelques instants,
d’etre visible soit partiellement, soit meme totalement.
Mais ce phenomene depend de causes fixes et
invariables qui le produisent d’une maniere aussi infaillible
que necessaire, et il suffit d’etudier ces causes
pourvoir que le phenomene y est reellement contenu et
qu’il ne saurait manquer d’en sortir. C’est l’exemple
du futur absolu mais necessaire.
Les actes libres ou futurs contingents n’etant et ne
pouvant pas etre ainsi contenus dans leurs causes,
Dieu les connait non pas comme futurs, mais comme
presents. Du moment que Dieu les connait ainsi, ils ne
peuvent certes pas ne pas exister, mais cette necessite
ne nuit en rien a leur liberte, car c’est une necessite
purement concomitante. C’est, en effet, le propre de la
necessite concomitante, de ne jamais entraver la
contingence de l’acte, car une chose, du moment
qu’elle est, ne peut pas ne pas etre : Omne quod est.
dum est, necesse est esse ! Exemple : Un professeur
enseigne a des eleves qui l’ecoutent assis. S’il ouvre
les yeux et qu’il les regarde, il les voit assis et il ne
peut pas ne pas les voir assis. Il y a evidemment la
une veritable necessite, mais c’est une necessite purement
concomitante, c’est-a-dire une necessite qui
accompagne la position meme de l’acte contingent.
Cette necessite ou se trouve le professeur de voir ses
eleves tels qu’ilsse presententdevantlui entrave-t-elle.
a quelque degre, la liberte de leur posture ? Il serait
ridicule de le pretendre. Eh bien ! la connaissance
certaine et infaillible que Dieu possede de nos actes
libres ne porte pas plus d’atteinte a leur contingence.
Notons, pour terminer, que, a raison de son objet
secondaire, on a justement divise la science de Dieu
en science de vision et en science de simple intelligence.
La science de vision a pour objet tout ce qui a ete.
tout ce qui existe et tout ce qui doit arriver un jour.
Les possibles sont l’objet de la science de simple intelligence ;
on sait que Molina reserve le nom de science
moyenne a la connaissance des futuribles. Ce n’est pas
ici le lieu de discuter la justesse de cette distinction.
2°
Le libre arbitre et les decrets de la volonte divine
.
Ici encore un simple rappel des doctrines theologiques
suffira, sinon pour resoudre, du moins pour mettre au
point ce probleme delicat.
La volonte suit l’intelligence, et en Dieu elle a le
meme degre de perfection absolue. Elle a pour objet
necessaire et premier le bien divin : elle se porte libre
ment sur le bien des creatures, mais toujours d’une
facon dependante de celui du Createur. C’est la son
objet secondaire. Deus, principaliter vult se, et, volendo
se vult omnia alla… Sicul uno actu intelligit se et alia,
in quantum essentia sua est exemplar omnium, ita
uno actu vult se et alia in quantum sua bonilas est ratio
omnis bonilalis. S. Thomas, Sum. contra Genl., t.
I
,
c. LXXV-LXXVl.
A raison de son objet, la volonte de Dieu se divise
en volonte antecedente ou conditionnelle et en volonte
consequente ou absolue. La premiere a pour objet une
chose en tant qu’elle est consideree en soi, anterieurement
aux circonstances qui peuvent en empecher la
realisation parfaite, exemple : le salut de tous les
hommes. La seconde se porte sur la meme chose, mais
consideree, cette fois, avec toutes les circonstances et
particularites qui en assureront la complete execution,
exemple : le salut a raison des merites.
Tout ce que Dieu veut d’une facon absolue doit
necessairement s’accomplir ; autrement sa toute-puissance
se trouverait en defaut, ce qu’il repugne evidemment
d’admettre. Or, parmi les objets de la volonte
divine, il en est qui ne sont pas atteints ; ainsi, Dieu
veut le salut de tous les hommes, et, en fait, plusieurs
hommes sont damnes. Donc, entre la volonte absolue
et consequente, il faut reconnaitre en Dieu une volonte
conditionnelle et antecedente. C’est ce que saint Jean
Damascene enseignait deja avec une remarquable
precision : ≪ Il faut bien se penetrer de ceci : Dieu, d’une
volonte premiere et antecedente, veut que tous les
hommes soient sauves et parviennent a son royaume.
Car il ne nous a pas crees pour nous punir, mais, etant
bon lui-meme, pour que nous participions a sa bonte.
Pourtant il veut punir les pecheurs parce qu’il est
juste. Des lors, cette premiere volonte est dite antecedente,
ou volonte de bon plaisir ; et la cause en est en
lui-meme. La seconde est appelee consequente, ou de
permission, et finalement c’est nous qui lui donnons
naissance et cela doublement : en tant que cette
volonte divineest pour nous un avertissement, en tant
aussi qu’elle part de la reprobation pour aboutir au
chatiment absolu. ≫ De ftd. orth., .
II
, c.
xxix
,
P. G
.,
t.xciv, col. 968-969. Cette doctrine du Damascene a
fourni le point de depart des developpements ulterieurs
de la scolastique latine.
Cette distinction etant posee, voici comme l’on peut
mettre en forme le probleme de l’accord de la liberte
humaine et des decrets divins.
Tout ce que Dieu veut d’une facon absolue doit
necessairement arriver : c’est-a-dire, doit necessairement
arriver de la maniere connue par la science de
simple intelligence qui est la regle des decrets divins,
nous raccordons ; d’une autre maniere, nous le nions.
En effet, la volonte divine, quand par son decret elle
t ransfere les choses de iyi al de pure possibilite a celui
d’existence reelle, veut ces choses comme elles sont
connues par la science de simple intelligence qui est la
ree-le des decrets divins. Or, dans la science de simple
Intell ertalns effets sont representes comme
necessaires parce qu’ils procedent de causes necessaires
I parfaitement determinees ; d’autres, an contraire.
consideres comme libres, en tant qu’ils procedent
de causes jouissant du domaine sur leurs actes. Par
consequent, la volonte divine se porte sur les uns et les
autres, d’une maniere correspondant a celle science.
qui eut i’realisation necessaire des premiers et l’execution
libl des seconds.
Saint Thomas expose magistralement celle distinc
tion dans ses Qutesttonet quodlibetales, quodl. xi.
Que la volonte divine aie certitude et n’impose
point cependant de necessite, voici comme on peut
illquer. La volonte de Dieu est la cause parfaite
1 1 efficace de toutes i hoses, cai tout
i
e
que Dieu veut.
r>i< r. m nu oi ( Mien.
il le fait. Cette perfection et cette souveraine efficace
apparait en ceci, que non seulement il meut et cause
les choses, mais encore leur donne tel ou tel mode
d’etre cause a leur tour, en ce sens qu’il a assigne a
chaque etre le mode determine dont il produirait ses
effets. Des lors, puisqu’il a lui-meme voulu que certains
faits fussent absolument necessaires et d’autres contingents,
il a aussi etabli certaines causes capables d’etre
des causes contingentes, d’autres au contraire qui produisent
necessairement leurs effets. Ainsi a-t-il voulu
que tel ou tel effet non seulement fut, mais fut de telle
ou telle maniere, contingente ou necessaire. Par exemple,
il a voulu que Pierre courut, mais qu’il courut de
maniere contingente ; semblablement, il a voulu sauver
tel homme, mais de maniere que celui-ci ne perdit pas
son libre arbitre. ≫
- 5° Le libre arbitre et la predestination. ? Cette question
sera reprise a’ec toute son ampleur a l’art. Phkdestination ;
qu’il suffise de rappeler ici les points de
doctrine relatifs a cette importante question.
1. Providence et Predestination. ?
Saint Thomas
definit la Providence divine : Ratio ordinis rerum in
finem, in mente divina præexislens.
Sum. theol
., I",
q.
xxii
, a. 1. Ce monde n’est pas un amas incoherent
de substances sans relations les unes avec les autres,
sans direction vers une fin determinee ; c’est un ensemble
ou chaque chose a sa place et concourt, en gravitant
vers sa perfection propre, a la perfection du tout.
Voir la place de chaque chose, lui assigner ses fins
particulieres, ordonner toutes les fins particulieres,
vers une fin generale, disposer, decreter, appliquer
les moyens par lesquels toutes les fins sont atteintes,
c’est faire acte de providence, c’est gouverner. Que cet
acte providentiel soit necessaire a une œuvre de Dieu,
quelle qu’elle soit, c’est ce qu’il est impossible de
nier, sans nier l’œuvre et Dieu lui-meme. L’œuvre, en
effet, ne subsistera pas sans ordre, l’ordre ne subsistera
pas sans qu’il ait ete concu et mis en acte par le createur
meme de l’œuvre. Si nous regardons le monde,
si nous suivons ses mouvements et ecoutons ses voix,
nous serons bientot convaincus que le plan de l’ordre
qui se manifeste en toutes choses preexiste dans une
intelligence superieure, qu’une raison divine trone au
sommet des existences et les dispose harmonieusement,
qu’un art eternel regle tout ici-bas, qu’une volonte
maitresse administre sagement le vaste, ensemble des
etres. Bref, l’existence de la Providence divine est une
verite hors de conteste.
Or, la predestination n’est qu’une partie, qu’un office
de la Providence divine. Celle-ci embrasse dans son
empire tous les etres sans exception ; la predestination
n’a pour objet que les hommes. Encore ne comprendt
-elle que ceux qui doivent arriver au (ici. car il est
une autre partie de la Providence pour ceux qui s’ecaitent
volontairement de leur fin derniere, et c’est la
reprobation. <>n peut le dire, ce sont la deux extremes
absolument opposes : la predestination conduit la
creature raisonnable a sa fin derniere, a celle qu’elle
doit al teindre : la reprobation constate sa defection
malheureuse, mais volontaire. Dieu veut la premiere
et y travaille : voila pourquoi elle est justement appel) e
une prescience et une preparation. raison de la faute
dont elle est le chaliment inevitable, Dieu ne saurait
vouloir ni operer la reprobation, il la permet seulement :
et c’est pourquoi on la nomme une prescience
ei une permission, c’est a dire, la permission de la
defection finale de la creature raisonnable. Voir
S. Thomas. De vrril.. q. m. a. 1.
2. Existence <lr lu predestination. l a predestination
existe, a savoir, cp dessein que Dieu a forme de
toute eternite de conduire certaines creatures raison
nables au salut eternel. En effet, Dieu procure a un
certain nombre de creatures raisonnables lei
eternelles du ciel. Or, la raison de ce que Dieu accomplit
dans le temps existe eternellement en lui. Donc eternellement
existe en Dieu le dessein de conduire un
certain nombre de creatures raisonnables a la vie eternelle,
et ce dessein de sa divine bonte n’est autre que la
predestination des saints.
Cette verite appartient a la foi catholique et est
expressement attestee par de nombreux temoignages
de la sainte Ecriture, en particulier, par celui de
l’apotre saint Paul, Rom.,
viii
, 29-30 : Quos uulem prsedestinavit,
hos et vocavit ; et quos vocavil, hos et justificauit ;
quos uutem juslificavil, illos et glorificavil.
A cote de la predestination il y a la reprobation, a
savoir, la prescience et la permission qui sont en Dieu
de la detection d’un certain nombre dans l’œuvre de
leur salut eternel. Cum ad divinam providenliam, dit
saint Thomas, pertinent aliquos permittere a vita œterna
deficere, ad eam pertinet etiam aliquos consequenter
reprobare.
Sum. theol
., I a, q.
xxiii
, a. 3. En eliet, nous
devons rencontrer de toute eternite en Dieu la prescience
et la volonte permissive de tout ce qu’il permet
d’arriver dans le temps. Or, Dieu permet que quelques-uns
s’excluent de la vie eternelle par suite de leur
permanence finale dans l’etat du peche. Donc, eternellement,
nous devons trouver en Dieu la prescience
et la permission de cette defection supreme, et c’est
la reprobation. Mais ce serait tomber dans une erreur
monstrueuse que de supposer en Dieu une reprobation
quelconque positive et antecedente : ce serait faire de
Dieu un etre cruel qui, par pur caprice, contraindrait
quelques-uns a commettre le peche afin de pouvoir
ensuite les tourmenter eternellement.
3. Nature de la predestination. ?
Dans la predestinalion,
enseigne saint Thomas, il faut considerer trois
choses dont les deux premieres sont presupposees a la
predestination elle-meme, a savoir la prescience de
Dieu et sa dilection, c’est-a-dire la volonte qu’il a de
sauver celui qui est predestine. Vient, en troisieme
lieu, la predestination qui n’est autre chose que la
direction vers la fin voulue par Dieu a l’etre aime.
Qusest. quodlibet, quodl.
xi
, a. 3.
Entendue au sens rigoureux du mol, la predestination
presuppose la science de Dieu et sa volonte salvifique.
Il suit de la que, de la part de Dieu, nous pou-vous
concevoir comme trois actes dans ce mystere dont
l’intelligence parfaite nous echappera toujours. Le
premier acte est celui de la simple intelligence (qui
dans le systeme moliniste inclut la science moyenne
elle-meme). Dans cet acte, tous les mondes possibles
sont presents a l’intelligence divine avec leurs merveilleuses
organisations, leurs splendeurs, leurs harmonies,
avec la fin qui correspond a chacun d’entre eux. Suit
le second acte, dans lequel la volonte divine se porte
sur la fin qu’elle sait devoir obtenir dans un de ces
inondes eternellement presents devant elle, et cette
fin, elle la veut d’une maniere absolue. Cette fin vers
laquelle tout devra converger, soit directement, soit
indirectement, sera, par exemple, le salut d’un nombre
determine d’hommes qui, dans d’autres hypotheses,
eussent ete damnes. Cet acte, qui releve de la volonte
de Dieu, est, par excellence, un acte d’amour et constitue
a proprement parler l’election. Enfin, consequemment
a ce choix ou a la solution de cette fin. Dieu
decrete l’existence de ce monde auquel repond la fin
qu’il veut obtenir. Et c’est l’acte de la predestination
auquel correspond celui de la reprobation. En effet,
parce que dans ce monde dont il a decrete l’existence
a raison du but plein de grandeur et de misericorde
qu’il se propose d’atteindre, il se trouve que des creatures
raisonnables parviendront aux joies eternelles
du ciel tandis que d’autres, par leur seule faute,
en demeureront exclues, il se resout a favoriser en tout
le salut eternel des premieres et a permettre le malheureux sort des secondes. De l’adjonction de ce decret,
il resulte qu’il y a en Dieu, pour un certain nombre,
prescience et preparation de la vocation, de la justification
et, consequemment, de la glorification, ? et
c’est la la predestination ; pour d’autres, prescience
et permission de la defection finale, ? et c’est la la
reprobation.
De cette doctrine decoulent deux corollaires importants,
qu’il suffira de rappeler ici, reservant pour l’art.
Predestination de les appuyer de preuves :
a) La predestination presuppose l’election gratuite
a la gloire.
b) Le decret par lequel Dieu predestine les elus est
necessairement certain et absolument immuable. Il est
necessairement certain, car Dieu ne peut ignorer ce qui
arrivera, ni etre trompe dans les previsions de sa
sagesse, ni etre frustre du but qu’il a determine dans
sa toute-puissante volonte. Si non esset infallibilis
prœdestinationis effectus, dit le cardinal Billot, falleretur
divina præscientia et frustraretur absoluta Dei
voluntas ; quorum utrumque est omnino impossibile. De
Deo uno et trino, th.
xxxiii
, p. 293. Ce meme decret
est immuable comme tous les decrets de la volonte
divine. Pour que le decret de la predestination fut
change, il faudrait que Dieu cessat de vouloir ce qu’il
aurait une fois decrete. Or il ne le pourrait sans que
sa volonte, de favorable qu’elle etait, ne devint contraire
a l’objet de son decret, ou sans que sa science
ne decouvrit dans cet objet ce qu’elle n’avait pas
apercu de prime abord. Les deux suppositions sont
impossibles en Dieu dont les affections ne sont pas
changeantes comme les notres, et dont la science ne
saurait rien acquerir.
4. Predestination et libre arbitre. ?
Necessairement
certain et absolument immuable, le decret par lequel
Dieu predestine les elus ne viole en rien l’integrite
du libre arbitre. En effet, la necessite qui affecte le
resultat de ce decret est une necessite qui suit l’infaillibilite
de la science divine, de cette science qui
penetre et embrasse tous les futurs contingents, non
pas comme futurs mais comme presents. Or, nous
l’avons etabli, une necessite de cette sorte ne saurait
jamais enlever la contingence de l’acte ni en diminuer
la liberte, car elle est purement concomitante.
Il est donc etabli que Dieu a, par un decret porte
avant la creation du monde, c’est-a-dire de toute
eternite, prevu et prepare les moyens par lesquels il
conduirait les hommes (nous ne parlons que des creatures
humaines en ce moment) et selon lequel eux-memes
arriveraient a l’eternelle felicite, sans que.
d’une part, la certitude et l’immutabilite du decret, ,
l’efficacite infaillible des moyens prepares aux futurs
elus nuisent en rien a leur liberte qui demeure entiere
sous l’action de Dieu ; et sans que, d’autre part, les
faiblesses humaines, les defaillances toujours possibles,
et, en fait, trop frequentes de la liberte humaine
puissent faire manquer les previsions de Dieu qui sait
tirer le bien du mal et faire concourir au salut des
elus tout, meme leurs peches, dit saint Augustin.
Mais le decret de la predestination est un livre ferme
pour nous. De la cette consequence toute naturelle que
nous ne devons pas, pour agir, nous fonder sur cette
connaissance qui nous echappe absolument : nous ne
devons concevoir a ce sujet ni inquietudes vaines, ni
assurances chimeriques, mais user des moyens de
salut que Dieu a mis a la disposition de tous, et par
lesquels seront infailliblement sauves tous ceux qui les
emploient.
Mais, dit-on. de deux choses l’une : ou je suis predestine,
ou je ne le suis pas. Si je suis predestine, quoi
que je fasse je serai sauve ; donc je puis en toute securite
me livrer a toutes les douceurs de la vie. Si je ne
suis pas predestine quoi que je fasse je serai damne..
jepuis donc sans inconvenient lacher la bride a toutes
mes passions. Par consequent, je n’ai nul souci a concevoir
au sujet de mon salut. Comedamus et bibamus, cras
enim moriemur ! ? Ce raisonnement ressasse ad nau.’cam, n’est specieux qu’en apparence. Il ressemble a
celui d’un malade qui dirait a son medecin : ≪ De deux
choses l’une : ou cette maladie me conduira au tombeau,
ou elle me laissera en vie. Si elle doit me conduire
au tombeau, quoi que vous fassiez, vous ne pourrez
jamais m’empecher d’y arriver. Si elle doit, au conl
raire, me laisser en vie, elle disparaitra comme elle est
venue, sans avoir besoin du secours de la science. Donc,
dans les deux cas, vos soins me seraient parfaitement
inutiles. ≫ Il rappelle encore le discours que tiendrait,
devant sa maison en flammes un philosophe qui dirait :
Ou cet incendie detruira ma maison, ou il ne le fera
pas. S’il doit la detruire, quoi que je fasse, je ne saurais
l’en empecher. S’il ne le doit pas, tous les efforts entrepris
pour l’eteindre sont, a tout le moins, inutiles. Par
consequent, demeurons en paix et advienne que
pourra ! >
Mais, retorquer n’est pas repondre : au dilemme ou
l’objection veut nous prendre, voici ce qu’il faut
repondre : ≪ Ou je suis predestine ou je ne le suis pas, ≫ dit
l’objectant. On le lui concedera, s’il accepte en meme
temps de dire que le decret qui decide de son salut
eternel porte egalement sur sa libre cooperation
comme condition indispensable pour y parvenir. On le
niera, s’il entend dire parla que ce decret ne suppose
nullement cette libre cooperation.
Dieu ayant decrete que, dans un ordre de choses
donne, tel homme serait sauve, cet homme le sera
infailliblement ; mais Dieu a egalement decrete que ce
sera par la libre cooperation de cet homme, aucun
adulte ne devant autrement obtenir le salut.
L’elu ne sera pas sauve, quoi qu’il fasse, il ne le sera
que pour avoir fait le bien : et reciproquement, quiconque
aura fait le bien et y aura persevere jusqu’a la
lin de sa vie, sera infailliblement sauve. Faire le bien,
cooperer a la grace : voila le signe auquel nous pourrons
raisonnablement croire que nous sommes du
nombre des elus. Vivons donc en saints, et nous
mourrons en predestines.
On insiste et l’on dit : ≫ Si Dieu sait d’avance ce que
je ferai durant tout le cours de ma vie (et cette connaissance
est necessairement contenue dans le decret
de predestination), il m’est bien difficile de me croire
libre. En effet, ma liberte consiste essentiellement en
que je puis a^ir ou ne pas agir, faire une chose ou
ontradictoire. Or, pour chacune de mes actions,
si Dieu sait que j’agirai, il n’est pas possible que je
n’agisse pas ; s’il sait que Je n’agirai pas, il est impossible
que j’agisse, car sa science ne saurait etre en
defaut. Donc Je ne suis pas libre d’agir ou de ne pas
mon choix. ≫
La majeure de cet argument est incontestable. La
mineure contient une equivoque ≪ pi il importe de
dissiper : l’impossibilite, Ici, se refere a la certitude
infaillible de la science divine, nous l’accordons :
l’impossibilite se refere & la necessite ou Je serais de
mes actes sans pouvoir les omettre, noua le
nlont
La science de Dieu ne change point la naturc des
objets qu’elle connait Ce qui est necessaire et resulte’lis ineluctables de la nature physique, elle le
connait comme nee qui resulte du libre jeu
du Facultes humaines, elle le connait comme arrivant
librement C’esl donc librement que je ferai ou ne
pas ce que Dieu prevoit que je ferai ou ne
ferai pas et, de mon cote, il n’j h aucune Impossibilite
que Jr fasse ce que Dieu a prevu. Seulement il est
Certain pour Dieu, qui sait tout, que je le ferai. Lu
point de depart du raisonnement, quand on dit qu’il est
impossible que ce que Dieu a prevu n’arrive pas, l’impossible
se refere a la certitude infaillible de la science
divine. Mais a la fin du raisonnement, quand on veut
conclure que je ne suis pas libre parce qu’il est impossible
que je ne fasse pas ce que Dieu a prevu, l’impossible
se refere a la necessite ou je suis de le faire sans
pouvoir l’omettre. Or, donner deux sens au mot important
du meme raisonnement, c’est tout simplement
faire un sophisme. Voici comment saint Thomas enseigne
que la predestination n’impose aucune necessite : ≪ Que la predestination emporte certitude et pourtant
n’impose pas de necessite, cela est clair. En effet, la
maniere de diriger un etre a sa fin, y compris le dessein
lui-meme (et c’est cela la predestination) rentre dans
l’agencement et l’ordre des causes constituees par
Dieu. Or il est certain que, si deux causes sont agencees
l’une par rapport a l’autre, dont l’une est necessaire,
l’autre contingente, l’effet est toujours contingent.
Or, dans la predestination interviennent deux causes :
l’une est necessaire, c’est Dieu lui-meme : l’autre est
contingente, c’est le libre arbitre, il faut donc que
l’effet de la predestination soit contingent. Des lors,
puisque Dieu sait et veut qu’un tel aboutisse a telle fin,
il a la certitude de la predestination ; mais parce que
Dieu veut que cet homme soit dirige vers cette fin
selon le libre arbitre, la certitude en question n’impose
au predestine aucune necessite. ≫ Quæst. quodlib.,
quodl. xr, a. 3.
4 U Le libre arbitre et la grace efficace. ? Cette question
est deja touchee, a l’art. Grace, t.
vi
, col. 1662 sq.,
ou l’on indique l’attitude prise devant le probleme de
l’efficacite de la grace par les diverses ecoles theologiques.
On indiquera seulement ici les principes
generaux de solution.
Dieu, objecte-t-on, ne connait pas seulement, il
fait encore avec nous les actes qu’il prevoit. En admettant
que la liberte humaine demeure intacte quoi qu’il
en soit de la science divine, comment la concevoir
saine et sauve avec une science qui opere ce qu’elle
prevoit ou, du moins, est jointe a une action dont
l’effet est certain. Ce qui peut se ramener au syllogisme
suivant : L’homme ne saurait etre libre quand il est
soumis a une influence toute-puissante a laquelle il
lui est impossible de resister. Or, l’homme ne peut pas
arriver au ciel sans le secours de la grace efficace, et
celle-ci est de telle nature qu’elle obtient toujours son
effet. Donc, avec cette grace, la liberte de l’homme ne
saurait subsister.
Nous laissons passer la majeure de cet argument :
concedons la premiere partie de la mineure, mais distinguons
soigneusement la seconde : la grace efficace
obtient son effet independamment du consentement
de la volonte, nous le nions. Elle l’obtient avec sa
libre cooperation : qu’on nous permette une sousdistinction :
cette libre cooperation est requise comme
cause de son efficacite, nous le nions : elle est requise
comme condition sine qua tlOtl, nous l’accordons
Et voici comme l’on peut restituer l’ensemble des
grands principes qui dominent la question. Dieu a fait
l’homme par pure bonte. Ce ne pouvait pas etre pour
que l’homme perit. Ceux qui sont saines ne seront
donc pas les seuls que Dieu veut sauver Dieu veut.
d’une volonte antecedente, serieuse, sincere, et active.
le salut de tous les hommes I fini., n. I < es hommi s
quc Dieu veut sauver, il ne les abandonne pas a eux
memes ; il faut qu’il h-s gouverne. Mais le peut-il s’il
ignore ce qu’ils doivent faire et ce qu’ils feront
Les actions libres de l’homme sont donc eternellement
presentes a la science infinie de Dieu. Cf. I lebr.. iv. 13.
Savoir ne su Mil pas. Celui qui gouverne parfaitement
doit posseder la raison totale de son gouvernement.
dire voir la lin.i laquelle aboutiront ceu qu’il
G79
- LIBERTE##
LIBERTE
. PROBLEMES T II EOLOGIQUES
080
conduit, les moyens par lesquels cette fin sera infailliblement
atteinte, ordonner les moyens a la fin. II y a
donc une Providence Mais la fin de l’homme etant
proprement et absolument surnaturelle, les moyens
proportionnes a cette fin n’appartenant pas a l’ordre
de la nature, l’acte par lequel Dieu ordonne et conduit
a leur fin ceux qui seront sauves est un acte de providence
speciale. Nous devons donc croire qu’il y a
une predestination. Cette predestination ayant pour
principe ce qui n’est point du a notre nature, ce qui ne
peut etre obtenu par nos merites, nous devons croire
que, consideree dans son ensemble, elle est purement
gratuite. Rom.,
xi
, 35. Et parce qu’elle est fondee sur
la science infaillible et la volonte toute-puissante de
Dieu, cette predestination est certaine et immuable.
Dieu est la justice meme, il ne recompense que le
merite, il ne chatie que le demerite ; nous devons donc
croire que l’homme, par la cooperation de son libre
arbitre a la grace, peut meriter de Dieu la vie eternelle,
que, parlerefus de sa cooperation, il se rend digne
de la reprobation ; cf. Conc. Trident., sess.
vi
, can. 26,
Dsnzinger, n. 836. Nous disons : la cooperation du
libre arbitre a la grace de Dieu, car notre nature est
incapable de commencer toute seule le grand ouvrage
de notre sanctification. Aucune œuvre naturelle ne
peut meriter, a aucun titre, - le don ineffable par lequel
Dieu nous previent et nous attire a lui. Par consequent
la grace, comme son nom l’indique, est un don entierement
gratuit de la bonte divine. Cf. Conc. Arausicanum
II, can. 18, Denzinger, n. 191.
La grace dont il est ici question est la grace actuelle.
Par cette grace, Dieu meut intrinsequement l’intelligence
et la volonte de l’homme a cette fin de le determiner
a connaitre, vouloir et faire quelque chose. On
peut la considerer sous deux aspects : d’abord en elle-meme,
puis dans son effet necessaire et le plus proche.
A ce second point de vue, elle n’est autre chose que
l’acte surnaturel indelibere d’une puissance mue par
Dieu, acte qui, en un sens tres vrai, est dit etre en nous
sans nous. Mais, prise en elle-meme, la grace actuelle
est une motion recue dans la faculte et servant de principe
a son acte. L’entite fonciere de cette grace ne
varie pas, qu’elle soit ou non suivie de son dernier
effet, a savoir un acte salutaire delibere qui, consequemment,
reste toujours au pouvoir de la volonte.
Cf. Billot, De gratia Christi, Rome, 1912, p. 142.’C’est un dogme de foi que, sous l’action de la grace
actuelle, le libre arbitre subsiste tout entier. Si quis
dixerit liberum hominis arbitrium a Deo motum et excitation
nihil cooperari assentiendo Deo excitanli atgue
vocanti guo ad obtinendam justificationis gratiam se
disponat ac præparet, neque posse dissentire si velit,
amthema sit. Conc. Trid., sess.
vi
, can. 4, Denzinger,
n. 814.
La grace actuelle a laquelle l’homme coopere est
appelee efficace parce qu’elle obtient son effet ; elle
retient le nom de suffisante lorsqu’elle est rendue inutile
par la resistance de notre volonte. Mais d’ou
vient a cette grace le caractere d’efficacite ?
Dans trois sens seulement la grace peut etre dite
efficace. Ou bien elle est efficace par la vertu que, dans
son ordre, elle possede de causer le consentement salutaire.
Ou bien elle l’est par l’obtention eventuelle de
cet effet ; ou bien, enfin, par la connexion infaillible
qu’elle soutient avec lui. Dans le premier sens, l’efficacite
est intrinseque a l’entite meme du secours
divin. De plus, elle est commune a toute grace que
Dieu nous accorde pour toute œuvre de salut. De cettemaniere,
la grace qui est recue en vain doit etre tenue
pour efficace et en prendre la qualification, car rien
ne lui manque pour obtenir l’effet qu’elle est appelee a
produire. Ce n’est pas dans ce sens que nous prenons
ici l’efficacite de la grace ; il s’agit la, en effet, d’un
caractere absolument commun a tous les secours
divins, sans rien de distinctif et de nettement tranche
? Avec le second, la signification du mot efficace
est plus restreinte et mieux delinie, mais elle se
limite a un simple fait contingent et ne presente pas
une base assez solide pour asseoir une denomination
specifique et vraiment caracteristique. ? Cette base
se rencontre dans le troisieme sens qui s’eleve au-dessus
du fait contingent et considere l’efficacite
d’apres une connexion antecedente et infaillible du
secours de la grace avec le consentement du libre
arbitre. Ici, il s’agit evidemment d’un don special de
Dieu, et nous sommes en presence d’un bienfait
divin de tout premier ordre. Cette grace efficace ainsi
entendue n’est autre, dans la sainte Ecriture, que
Yappel suivant le decret divin dont il est question dans
Rom.,
viii
, 28 ; Scimus autem quoniam diligentibus
Deum omnia cooperantur in bonum, iis qui secundum
propositum vocati sunt sancti, et II Tint.,
i
, 9 : Qui nos
liberavit, et vocavit vocatione sua sancta, non secundum
opera noslra, sed secundum propositum suum, et gratiam
quæ data est nobis in Christo Jesu ante temporalia
sœcularia. La vocation dont il est ici question n’est pas
une vocation quelconque, mais une vocation selon un
dessein de Dieu qui ne saurait etre frustre, car Dieu,
par des moyens qui infailliblement atteignent leur fin,
opere tout ce qui se trouve dans le decret absolu de sa
volonte.
Maintenant d’ou vient a la grace actuelle cette
connexion infaillible avec le consentement salutaire,
connexion qui est propre a l’appel suivant un decret
divin ? De l’une ou de l’autre de ces deux sources : ou
bien de quelque chose d’intrinseque a cette grace,
c’est la position des augustiniens et des thomistes de
stricte observance ; ou bien de quelque chose qui lui est
exterieur, c’est la position qu’adopte l’ecole moliniste
dans son ensemble. On a deja indique (et l’on
y reviendra a l’art. Thomisme), de quelle maniere les
partisans de la grace efficace ab intrinseco sauvegardent
l’existence de la liberte humaine sous l’influx
de la grace. Pour qui raisonne d’une maniere anthropomorphique,
il peut sembler difficile de concevoir
comment une grace qui, par sa nature meme, emporte
le consentement de la volonte, laisse subsister la
liberte. Mais les thomistes ne manquent pas de faire
observer que la grande aversion que professe l’ecole
adverse pour la premotion physique est due en majeure
partie a la piperie des mots. Pour combattre plus
aisement la premotion physique, on assimile, ou l’on
feint d’assimiler, l’action de la cause premiere sur la
volonte a celle d’une cause seconde sur une autre cause
seconde, et l’on oublie que la cause premiere, source de
tout etre, de toute activite, de toute determination,
fait agir la cause libre librement, comme elle fait agir
necessairement la cause depourvue de liberte. De l’une
comme de l’autre elle respecte le mode d’activite. Que
l’explication soit lumineuse, les vrais thomistes possedent
trop le sens du mystere pour l’affirmer. A qui les
serrerait de trop pres, ils finiraient par dire que leur
affirmation n’est pas autre chose qu’une maniere de
mettre en relief le souverain domaine de Dieu. Ils ne
permettent pas, en tout cas, qu’on mette en doute leur
croyance fonciere a l’existence du libre arbitre. ? Pour
concevoir d’une autre maniere le mecanisme suivant,
lequel agit la grace efficace, les augustiniens adoptent
neanmoins la meme attitude et pretendent eux aussi
conserver les deux termes du probleme, efficacite de la
grace et liberte de la volonte humaine.
C’est dans une autre direction, ou l’imagination
semble davantage trouver son compte, que les molinistes
de toutes nuances cherchent la solution du probleme.
La racine derniere de l’infaillible connexion
entre l’appel divin et la demarche de la volonte se
trouve dans la prescience et Velection de Dieu. Entre
toutes les graces dont il dispose pour mettre en mouvement
le vouloir cree, meme le plus rebelle, Dieu choisit
celle qu’il sait devoir, eu egard a toutes les circonstances,
emporter le consentement libre de la volonte. Dans le
cas de la grace efficace, l’appel divin est si completement
adapte aux conditions presentes de l’homme auquel
il s’adresse, qu’infailliblement cet homme repondra : ≪ Present. ≫ Mais (et c’est ici que le molinisme
semble oublier que le gouvernement divin touche
a tous les ressorts de toutes les activites), c’est finalement
la libre determination de l’homme qui confere
a la grace divine son efficacite : Dieu attend, si l’on
nous passe cet anthropomorphisme, ne serait-ce que
pendant une fraction inappreciable de temps, le libre
consentement de la volonte humaine. La liberte est
sauvegardee, mais ne serait-ce pas au prix de la souveraine
independance divine ?
En definitive, le probleme de l’accord du libre arbitre
et de la grace efficace est insoluble. Nous sommes
ici dans le mystere qui enveloppera toujours les relations
du fini et de l’infini. L’essentiel est d’affirmer
d’une part la souveraine independance divine dans le
gouvernement du monde, de l’autre la liberte laissee
a l’homme dans l’affaire de son salut. Ces deux affirmations
se developpent en somme sur deux plans
paralleles. Vouloir decouvrir leur point de rencontre
est une entreprise chimerique. Pour exciter en nous
une curiosite plus grande que d’autres dogmes de
notre foi, ce mystere n’est ni plus ni moins difficile a
accepter
5°
Le libre arbitre et le concours divin
.
"Voir Conhiiiis
divin, t.
iii
, col. 781-796, et specialement,
col. 787 : La cooperation divine et le peche.
IV.
Liberte et responsabilite
.
D’une maniere
generale, la responsabilite consiste en ce que l’on doit
Imputer certains actes, avec leurs consequences, a
celui qui les exerce, parce qu’il en est la cause veritable,
c’est-a-dire intelligente et libre. Sans liberte, pas de
responsabilite morale ; car c’est par le libre arbitre que
l’on est vraiment le maitre de ses actes. D’ou l’on voit
le lien etroit qui existe entre la question de la liberte
et celle de la responsabilite : au point de vue moral, elles
sont indissolublement unies.
1°
Notion de la responsabilite
.
La responsabilite
est le caractere d’un etre qui doit rendre compte de ses
actes et en recevoir le prix. Littre en donne cette definition :
Responsabilite, obligation de repondre, d’etre
garant de certains actes. ≫ On peut encore la definir :
La necessite morale de subir les consequences de ses
actions libres, si elles sont mauvaises, on d’en beneficier,
si elles sont bonnes.
Au mot ruponsablt correspond le mot imputable.
I es deux ternies ont le meme sens, mais ils s’appliquent
differemment. La personne est responsable,
es’t imputable. D’apres Littre. est dit imputable
ce qui peut etre mis au compte moral de l’homme.
Pour que l’acte soit imputable, il faut qu’il soit fait
connaissance et liberte. L’acte qui presente ce
douille caractere s’appelle acte Immain, par opposition
ictei de In vie organique, comme la respiration,
BUS actes de la vie animale, tels que les reflexes et les
purement Instinctifs, et aux actes de l’homme
raisonnable, mais non libre, par exemple, l’amour
-lire du bonheur. Ions les actes qui SOnl prives
de l’un ou fie l’autre de ces deux elements, el a pins
forte raison des deux, a savoir, de connaissance et de
liberte, ne sont pis des actes humaine ; ils ≪ ml puie
Bient dr l’homme. Voir ACTE HUMAIN t l
dit i i< i I’- probli me ni’me de
i IPONSAHUTE, et <le,
e
qni
I tant non. Il impoiie teulemenl
de signaler les causes qui, en influant sur la liberte,
influent aussi sur la responsabilite.
2°
Conditions de la responsabilite
.
Les conditions
de la responsabilite sont l’intelligence et la liberte,
Un acte n’est imputable, on n’en est responsable, on
n’en a le merite ou le demerite que si on a compris ce
qu’on a fait, et si on l’a pose librement. ? Comprendre
ce qu’on fait, c’est apprecier la valeur morale de l’acte,
sa qualite bonne ou mauvaise, sa conformite ou sa nonconformite
avec la loi, ce qui suppose un certain degre
ou developpement d’intelligence et d’education. Plus
un homme est eclaire moralement, plus il est responsable ;
voila pourquoi l’indulgence est de mise pour
un homme qui n’a qu’une intelligence bornee, qui
n’a recu aucune education. ? Agir librement, c’est avoir
la possibilite d’agir ou de s’abstenir. Nous l’avons
etabli plus haut, le pouvoir de choisir entre deux contradictoires
appartient a l’essence du libre arbitre.
L’on est plus ou moins responsable selon que l’on est
plus ou moins maitre de sa volonte, que l’on se possede
plus ou moins soi-meme. La liberte implique l’intelligence.
La liberte de la volonte ne vient pas de la possibilite-d’agir
sans raison, - mais de la puissance indefinie
de la raison a concevoir presque toujours de nouvelles
raisons contraires ou differentes, de facon a pouvoir
presque toujours agir autrement. La liberte a donc sa
racine dans la raison meme, c’est-a-dire dans la puissance
de l’esprit a trouver toujours des raisons d’agir
comme il lui plait. Par consequent, la ou l’intelligence
fait defaut, la liberte n’existe pas. L’etre qui ne sait
pas ce qu’il fait ne fait pas ce qu’il veut ; il ne s’appartient
pas. Le jour ou l’homme perd la raison, il cesse
d’etre libre, c’est-a-dire qu’il ne se possede plus lui-meme.
Il est, pour ainsi dire, enleve a lui-meme, comme
l’exprime fort bien le nom d’alienation mentale
(aliene, de alienas sui, etranger a soi-meme). L’n fou,
cedant a une impulsion irresistible, commet un crime :
il est irresponsable ; on ne peut pas lui imputer l’acte
que son bras a commis, car sa volonte y est restee
etrangere. On ne le traite pas en criminel, mais en
malade ; on le met dans l’impossibilite de nuire, et on
cherche a le guerir. Revient-il a la sante, le mal qu’il
a fait lui cause des regrets, mais non des remords. Il en
est ainsi de tout homme qui a ete la cause involontaire
d’un mal quelconque ou qui, malgre toute sa bonne
volonte, n’a pas pu accomplir un bien auquel il etait
tenu.
3°
Consequences
.
De ce que l’intelligence et la
liberte sont les conditions necessaires de la responsabilite,
il s’ensuit que tout ce qui detruit ou diminue
l’intelligence et la liberte supprime ou diminue la
responsabilite. De la, quand il s’agit du mal, la distinction
des circonstances attenuantes, qui diminuent la
responsabilite : par exemple, l’ignorance. l’Inadvertance,
la concupiscence, la crainte, la violence, l’habitude,
et des circonstances aggravantes, qui l’augmentent :
par exemple, la premeditation, la pleine
possession de soi-meme.
Aussi admettons-nous diverses mesures de responsabilite
suivant que l’on juge un enfant, un homme
mur ou un vieillard, un homme qui agit par lui-meme
ou celui qui ne le fait que par suite de conseils on
d’ordres donnes, un homme instruit ou un rustre sans
education, un homme sain d’esprit et en pleine posses
lion il’- ses facultes Intellectuelles et morales, ou bien
un hallucine, un maniaque, un homme en proie a une
emotion violente ou sous l’influence de l’ivresse : dans
. deux derniers cas. il peut meme echapper a toute
Dnsabillte an moins directe.
On voit par la combien il est difficile d’apprecier
d’une maniere exacte le degl’de responsabilite moi air
fie chaque homme. C’eal pourquoi l’histoire, la Justice
humaine et l’opinion doivent souvent se tromper et
683
- LIBERTE MORALE##
LIBERTE MORALE
. DE CONSCIENCE, DES CULTES
G84
errerdans les jugements qu’elles portent surles hommes
et sur leurs actes..Maintes fois nous essayons nous-memes
de diminuer notre responsabilite aux yeux des
autres et a nos propres yeux, en invoquant les circonstances
attenuantes pour les tromper et nous tromper
nous-memes. Il convient de ne pas se laisser duper
par ces sophismes : Je n’etais plus maitre de moi, je
n’etais plus libre, et autres semblables qui alleguent
l’inconscience et l’irresponsabilite, et derriere lesquels
veulent se derober d’ordinaire les criminels, au tribunal,
dans le roman et les drames : ce ne sont trop souvent
que de mauvaises excuses pour de mauvaises
actions, commises parfois avec des circonstances
aggravantes.
Il importe aussi de se tenir en garde contre la disposition
de certains philosophes et romanciers, comme
Jean-Jacques Rousseau et George Sand, a attribuer
exclusivement a la societe ou a sa mauvaise organisation
la plupart de nos fautes et de nos vices ; a rapporter
le crime non a des causes morales tirees de l’ame,
mais a des causes d’ordre materiel et d’origine exterieure :
temperament, climat, race, heredite, age, education,
etc. Cette tendance a exterioriser le crime, a en
rechercher les mobiles ou les excuses non dans le criminel,
mais exclusivement en dehors et autour de lui,
est assez generale. Sans nier les influences que le
milieu interieur et exterieur peut exercer, il convient
pourtant de ne jamais oublier que l’homme, quelle que
soit sa constitution physique, reste libre ; la vertu se
rencontre avec tous les temperaments ; elle depend de
l’ame avant tout, et non du corps.
On ne saurait assurement nier que l’heredite joue
ici un grand role ; elle peut transmettre un organisme
dans lequel certaines fonctions tendent a predominer,
et par la favoriser le developpement exagere de certaines
inclinations. L’heredite est incontestablement
une influence, mais elle n’est pas une fatalite ; entre la
tendance criminelle et l’acte, il y a place theoriquement
pour la deliberation volontaire. Ce qui rend
d’ordiriaire une inclination dominante, c’est moins
l’influence hereditaire ou exterieure, laquelle n’est
jamais irresistible, que la faiblesse de la volonte,
laquelle a pris l’habitude de se laisser entrainer.
On l’a dit avec raison. Il est plus aise de reprimer le
premier desir que de contenter tous ceux qui suivent.
On succombe, on se releve puis de nouveau on se laisse
aller insensiblement a son inclination, jusqu’aumoment
ou il faudrait un acte heroique pour triompher.
L’education, quand elle est mauvaise, exerce une
influence corruptrice puissante, parce que c’est dans
l’enfance surtout que se gravent les exemples pernicieux
et que, devant i’imperfection de la force de resistance,
l’instinct d’imitation agit avec toute son energie.
Alors les mauvais conseils, et surtout les exemples
vicieux, ont une toute-puissance qu’ils ne retrouvent
plus jamais au meme degre. Quand l’education et
l’heredite agissent dans le meme sens, par exemple
dans le sens du mal, on concoit ce qu’un pareil concours
peut produire et quelle atteinte il peut porter a la
liberte morale de celui qui a ete soumis a cette double
action. Toutefois, l’influence del’education est preponderante.
Opposee a l’influence de l’heredite, elle est
si grande que c’est a elle seule qu’appartient, dans la
plupart des cas, le pouvoir de realiser la ressemblance
morale et psychologique des enfants et des parents.
Si l’heredite determinait irresistiblement et surement,
chez les descendants, la reproduction de tous les
caracteres constitutifs de la personnalite des ascendants,
l’education serait inutile. Du moment que l’education,
et une education prolongee, vigilante, laborieuse,
est indispensable pour provoquer l’apparition
et realiser le developpement des aptitudes et des qualites
de l’esprit chez l’enfant, il faut bien conclure que
L’heredite ne joue qu’un role secondaire dans cette
admirable genese de l’individu moral.
Quant a la pretendue anomalie morale du criminel.
elle se reduit, en derniere analyse, a ce simple fait : par
son temperament et par l’affaiblissement du sentiment
moral, le criminel est porte a commettre plus
facilement le crime, mais il reste libre : ce n’est pas un
fou, mais un faible. D’autre part, toutes les causes
sociales mauvaises peuvent bien diminuer la responsabilite,
elles ne sauraient la supprimer completement.
Le criminel, quel qu’il soit, reste libre et responsable :
car, jusqu’au fond de la derniere des degradations, il
reste toujours une creature humaine, un etre moral, un
etre doue de conscience, de raison et de liberte. Certains
criminalistes semblent trop oublier que, si la
volonte est soumise a l’influence de causes multiples,
elle est elle-meme une cause d’ellets multiples ; ils
mettent fort bien en relief l’action des choses sur les
personnes, mais ne voient pas la reaction des personnes
sur les choses. Meconnaissant la nature de la liberte,
ils prennent pour causes les conditions dans lesquelles
elle s’exerce ; la volonte libre est une cause qui se
determine elle-meme, et non une soumission qui
s’ignore.
A ces considerations, il importe d’ajouter celles qui
viennent de la solidarite existant entre les membres
de la societe humaine, soit dans la famille, soit dans la
patrie, soit dans l’humanite tout entiere, solidarite
qui amene, dans une mesure plus ou moins large, un
partage de la responsabilite. Cette loi de la solidarite
s’applique d’abord a l’individu : nous sommes, par
l’habitude, solidaires de nous-memes. Le present nait
dupasse, et prepare l’avenir ; c’est seulement en remontant
aux causes de certaines habitudes que nous
pouvons nous rendre compte du degre de responsabilite
qu’entrainent certains actes, ou l’on semble vaincu
par une force irresistible. Mais il s’agit principalement
ici de la part soit directe, soit indirecte, que nous avons
a la moralite de nos semblables, et de celle qu’ils ont
a la notre.
D’une part, l’influence exercee sur nous par les
actionsd’autruipeut diminuernotre responsabilite, et.
inversement, l’influence exercee sur autrui par nos
propres actions peut l’augmenter. On connait la force de
l’exemple. Il ne faut cependant pas exagerer, surtout
a titre de circonstance attenuante, les effets de cette
loi de la solidarite ; pas plus que celle de l’heredite,
elle n’a rien de fatal, et l’homme n’a pas le droit de
rejeter sur le compte d’autrui des fautes qu’il pouvait
et devait eviter.
V.
Liberte morale
.
Liberte de conscience. ?
Liberte des cultes. ? Le mot liberte ne s’entend pas
seulement de la liberte physique (ou naturelle), appelee
le libre arbitre, dont nous venons de parler ; il s’entend
encore, comme nous l’avons
vii
, de la liberte morale,
a savoir, de la faculte morale (ou droit) d’agir ou de ne
pas agir.
1°
La liberte morale en general
.
1. Nature de la
liberte morale. ? Elle consiste dans l’immunite de
toute obligation legitimement imposee. Est moralement
libre, dans toute la verite du mot, celui qui n’est
soumis a aucune loi. Cette seconde liberte se distingue
du libre arbitre en ce que celui-ci. dans l’etat present
de l’humanite, peut choisir ou le bien ou le mal, tandis
que la liberte morale ne peut s’appliquer a un objet
moralement mauvais, attendu que le droit ou la
faculte morale de mal faire repugne dans les termes.
Le mal, en effet, est un desordre, et nul ne peut avoir
le droit ou la faculte morale de poser un acte contraire
a la loi morale, regulatrice de l’ordre. D’autant que le
libre arbitre, il importe de ne pas l’oublier, nous a ete
donne par la divine Providence pour que nous puissions
realiser le bien auquel nous sommes obliges de
tendre, et non pour que nous commettions le mal. ≪ La
liberte consideree comme un droit n’est pas, dit le
cardinal Gerdil, le pouvoir physique de faire tout ce qui
plait, mais elle est un pouvoir moral restreint dans son
origine par la loi de nature et susceptible des restrictions
que les lois peuvent y apporter pour le bon ordre
et l’avantage de la societe. ≫ Cite par Mgr H. Sauve,
Questions religieuses et sociales, Paris, 1888, p. 5. Le
cardinal Dechamps dit a son tour : ≪ L’homme a recu
de Dieu la liberte naturelle de choisir entre le vrai et
le faux, entre le bien et le mal ; mais a-t-il recu, de
Dieu, le droit de choisir le faux, le droit de choisir le
mal ? Non, car la loi divine lui impose l’obligation de
choisir le vrai bien, de rejeter le faux et le mal. De la
vient que, dans la societe domestique, dans la societe
civile, dans la societe religieuse, le pouvoir qui exerce
partout l’autorite de Dieu doit veiller a l’accomplissement
de sa loi et a la repression des abus de notre
liberte naturelle. Il n’est donc pas vrai que l’homme
ait le droit de penser mal, et, a plus forte raison, de
professer, de publier, de glorifier tout ce qui lui passe
par la tete. Ce droit-la est un droit chimerique, et s’il
etait pleinement pratique de la maniere que les insenses
le proclament, la societe n’y resisterait pas longtemps.
Il est clair, en effet, que ce qu’on a le droit de
professer ou de glorifier, on a le droit de le faire, ou la
logique n’est qu’un vain mot. ≫
Ibid
.
L’homme n’a donc pas le droit de faire tout ce qu’il
a le pouvoir de faire ; en d’autres termes, le pouvoir
d’agir ne constitue pas le droit d’agir. Il y a des choses
(lue l’homme peut faire en vertu de son libre arbitre,
et qu’il n’est pas autorise a faire ou qu’il lui est defendu
de faire ; et, d’un autre cote, le libre arbitre est moralement
oblige de faire des actes qu’il a la puissance naturelle
d’omettre. Il importe donc essentiellement de
distinguer entre le libre arbitre ou la liberte envisagee
comme pouvoir physique (ou naturel), et la liberte consideree
comme droit (ou pouvoir moral). C’est de leur
confusion que sont nees plusieurs erreurs modernes.
En resume, la liberte physique ou le libre arbitre, qui
consiste essentiellement a pouvoir agir ou ne pas agir,
ne saurait se confondre avec la liberte morale, entendue
dans le sens de droit d’agir ou de ne pas agir. Le libre
arbitre, ou la puissance physique d’agir, peut etre un
droit, mais seulement dans le cas ou aucune loi ne
restreint la liberte native de l’homme. D’ou cette
consequence que le pouvoir de mal faire ne constitue
pas le droit de mal faire.
2. Rapports de la liberte moral ? et du libre arbitre :
Enseignement de Lion XIII. ? Le pape Leon XII i a
traite magistralement ce sujet si important et si delicat
dans la celebre encyclique Libertas prirstantissimum,
parue le 20 juin 1888 ; n0US en extrayons (f pascapital
dont nous presentons une traduction qui
serre le texte de tre ≪ pres. Cf. Lettres apostolique ≫ de
Leon
XIII
, edition de la Maison de la Bonne Presse.
t. n. p. 172-213.
Ce que nous avons directement en vue, dit
Leon XIII. c’est la liberte morale consideree soit dans
les individus, soit dans ] a societe. Il est bon cependant
de dire tout d’abord quelque ! mots de la liberte naturelle,
laquelle, bien que tout a fait distincte de la liberte
morale, est pourtant la source et le principe d’ou toute
1 1- <le liberte decoule d’elle-meme et spontanement
e liberte, le |ugemeni et le sens commun de tous
les hommes, qui certainement est pour nous la voix
de la nature, ne la reconnalssent qu’aux elres qui ont
i’usngr de l’Intelligence ou de la raison., | e’etl en elle
que ((insiste manifestement la cause qui nous fait
considerer l’homme comme responsable de sis actes.
l’.t il n’en saurait etre autrement ; car. tandis que les
animaux n’obeissent qu’aux sens et ne sont pousses
que par l’instinct naturel a rechercher ce qui leur est
utile ou a eviter ce qui leur serait nuisible, l’homme,
dans chacune des actions de sa vie, a la raison pour
guide. Or la raison, a l’egard des biens de ce monde,
nous dit de tous et de chacun qu’ils peuvent indifleremment
etre ou ne pas etre ; et par le fait meme qu’aucun
d’entre eux ne lui apparait comme absolument
necessaire, elle donne a la volonte le pouvoir d’option
pour choisir ce qui lui plait. Mais si l’homme peut
juger de la contingence, comme l’on dit, des biens dont
nous avons parle, c’est qu’il a une ame simple, spirituelle
et capable de penser ; une ame qui, etant telle,
ne tire point son origine des choses corporelles, pas
plus qu’elle n’en depend pour sa conservation, mais
qui, creee immediatement par Dieu et depassant d’une
distance immense la condition commune des corps,
a son mode propre et particulier de vie et d’action ;
d’ou il resulte que, comprenant par son jugement les
raisons immuables et necessaires du vrai et du bien,
elle voit que ces biens particuliers ne sont nullement
des biens necessaires. Ainsi prouver pour l’ame humaine
qu’elle est degagee de tout element mortel et
qu’elle est douee de la faculte de penser, c’est etablir
en meme temps la liberte naturelle sur son plus solide
fondement. ≪ Ainsi, la liberte est, comme nous l’avons dit, le
propre de ceux qui ont recu la raison ou l’intelligence
en partage ; et cette liberte, a en examiner la nature,
n’est pas autre chose que la faculte de choisir entre les
moyens qui conduisent a un but determine ; en ce sens
que celui qui a la faculte de choisir une chose entre
plusieurs autres, celui-la est maitre de ses actes. Or,
toute chose acceptee en vue d’en obtenir une autre
appartient au genre de bien qu’on nomme l’utile : et
le bien ayant pour caractere d’agir proprement sur
l’appetit, il faut en conclure que le libre arbitre est le
propre de la volonte, ou plutot est la volonte elle-meme
en tant que, dans ses actes, elle a la faculte de
choisir. Mais il est impossible a la volonte de se mouvoir,
si la connaissance de l’esprit, comme un flambeau,
ne l’eclaire d’abord : c’est-a-direquele bien desire
par la volonte est necessairement le bien en tant que
connu par la raison. Et cela d’autant plus que, dans
toute solution, le choix est toujours precede d’un
jugement sur la verite des biens et sur la preference
que nous devons accorder a l’un d’eux sur les autres.
Or, juger est le propre de la raison, non de la volonte :
on n’en saurait raisonnablement douter. Etant donc
admis que la liberte reside dans la x r olonte, laquelle est.
de sa nature, un appetit obeissant a la raison, il s’ensuit
qu’elle-meme, comme la volonte, a pour objet un
bien conforme a la raison. Neanmoins, chacune de ces
deux facultes ne possedant point la perfection absolue,
il peut arriver et il arrive souvent que l’intelligence
propose a la volonte un objet qui, au lieu d’une
bonte reelle, n’en a que l’apparence, une ombre de
bien, et que la volonte pourtant s’y applique. Mais, de
meme quc pouvoir se tromper et se tromper reellement
est un defaut qui accuse l’absence de la perfection
integrale dans l’intelligence, ainsi s’attacher a un
bien faux et trompeur, tout en etant l’indice du libre
arbitre, comme la maladie l’est de la vie. constitue
neanmoins un defaut de la liberte. Pareillement la
volonte, pal le seul lait qu’elle depend de la raison.
des qu’elle desire un objet qui s’ecarte de la droite
raison, tombe dans un vice radical qui n’est que la
corruption et l’abus de la liberte. Voila pourquoi Dieu.
la perfection infinie, qui, etant souverainement intelligent
et la boute par essence, est aussi souverainement
libre, ne peut en aucune facon vouloir le mal moral :
et il en est de meme des bienheureux du ciel, grace a
la vision intuitive qu’ils possedent du souverain bien.
C’est la remarque pleine de justesse que saint Au
tin et d’autres faisaient aux pelagiens. SI la possibilite
G87
- LIBERTE MORALE##
LIBERTE MORALE
, DE CONSCIENCE, DES CULTES
688
de faillir au bien etait de l’essence et de la perfection
de la liberte, Jesus-Christ, les anges et les bienheureux,
chez qui ce pouvoir n’existe pas, ou ne seraient pas
libres, ou du moins ne le seraient pas aussi parfaitement
que l’homme dans son etat d’epreuve et d’imperfection.
Le Docteur angelique s’est occupe souvent
et longuement de cette question ; et de sa doctrine il
resulte que la faculte de pecher n’est pas une liberte,
mais une servitude. ≫ C’est ce qu’avait vu assez nettement la philosophie
antique, celle notamment dont la doctrine etait que
nul n’est libre que le sage, et qui reservait, comme on
sait, le nom de sage a celui qui s’etait forme a vivre
constamment selon la nature, c’est-a-dire dans l’honnetete
et la vertu. ≪ La condition de l’humanite etant telle, il lui fallait
une protection, il lui fallait des aides et des secours,
capables de diriger tous ses mouvements vers le bien
et de les detourner du mal : sans cela, la liberte eut ete
pour l’homme une chose tres nuisible. Et d’abord une
Loi, c’est-a-dire une regle de ce qu’il faut faire ou ne
pas faire, lui etait necessaire. A proprement parler,
il ne peut pas y en avoir chez les animaux, qui agissent
par necessite, puisque tous leurs actes, ils les accomplissent
sous l’impulsion de la nature et qu’il leur serait
impossible d’adopter par eux-memes un autre mode
d’action. Mais les etres qui jouissent de la liberte ont
par eux-memes le pouvoir d’agir, d’agir de telle facon
ou de telle autre, attendu que l’objet de leur volonte
ils ne le choisissent que lorsque est intervenu ce jugement
de la raison dont nous avons parle. Ce jugement
nous dit, non seulement ce qui est bien en soi ou ce qui
est mal, mais aussi ce qui est bon et, par consequent,
a realiser, ou ce qui est mal et, consequemment, a
eviter. C’est, en effet, la maison qui prescrit a la volonte
ce qu’elle doit chercher ou ce qu’elle doit fuir, pour
que l’homme puisse un jour atteindre cette fin supreme
en vue de laquelle il doit accomplir tous ses actes. Or,
cette ordonnance de la raison, voila ce qu’on appelle la
loi. Si donc la loi est necessaire a l’homme, c’est dans
son libre arbitre lui-meme, c’est-a-dire dans le besoin
qu’il a de ne pas se mettre en desaccord avec la droite
raison, qu’il faut en chercher, comme dans sa racine,
la cause premiere. Et rien ne saurait etre dit ou imagine
de plus absurde et de plus contraire au bon sens
que cette assertion : L’homme, etant libre par nature,
doit etre affranchi de toute loi ; car, s’il en etait ainsi,
il s’ensuivrait qu’il est necessaire pour la liberte de ne
pas s’accorder avec la raison, quand c’est tout le
contraire qui est vrai, a savoir, que l’homme doit etre
soumis a la loi, parce qu’il est libre par nature. Ainsi
donc, c’est la loi qui guide l’homme dans ses actions
et c’est elle aussi qui, par la sanction des recompenses
et des peines, l’attire a bien faire et le detourne du
peche. ≪ Telle est, a la tete de toutes, la loi naturelle qui est
ecrite et gravee dans le cœur de chaque homme, car
elle est la raison meme de l’homme, lui ordonnant de
bien faire et lui interdisant de pecher… Elle n’est autre
chose que la loi eternelle, gravee chez les etres doues de
raison et les inclinant vers l’acte et la fin qui leur conviennent ;
et celle-ci, n’est elle-meme que la raison
eternelle du Dieu createur et moderateur du monde.
A cette regle de nos actes, a ces freins du peche, la
bonte de Dieu a voulu joindre certains secours singulierement
propres a affermir, a guider la volonte de
l’homme. Au premier rang de ces secours, brille la
puissance de la grace divine, laquelle, en eclairant
l’intelligence et en inclinant sans cesse vers le bien
moral la volonte singulierement raffermie et fortifiee,
rend plus facile a la fois et plus sur l’exercice de notre
liberte naturelle. Et ce serait s’ecarter tout a fait de la
verite que de s’imaginer que, par cette intervention de
Dieu, les mouvements de la volonte perdent de leur
liberte, car l’influence de la grace divine atteint l’intime
de l’homme et s’harmonise avec sa propension
naturelle, puisqu’elle a sa source en celui qui est l’auteur
de notre ame et de notre volonte, et qui meut tous
les etres d’une maniere conforme a leur nature.
Ce qui vient d’etre dit de la liberte des individus,
il est facile de l’appliquer aux hommes qu’unit entre
eux la societe civile, car ce que la raison et la loi naturelle
font pour les individus, la loi humaine promulguee
pour le bien commun des citoyens l’accomplit pour
les hommes vivant en societe. Mais, parmi les lois
humaines, il en est qui ont pour objet ce qui est bon
ou mauvais naturellement, ajoutant a la prescription
de pratiquer l’un et d’eviter l’autre une sanction convenable.
De tels commandements ne tirent aucunement
leur origine de la societe des hommes…. Ces preceptes
de droit naturel compris dans les lois des
hommes n’ont pas seulement la valeur de la loi humaine,
mais ils supposent avant tout cette autorite
bien plus elevee et bien plus auguste qui decoule de la
loi naturelle elle-meme et de la loi eternelle. Dans ce
genre de lois, l’office du legislateur civil se borne a
obtenir, au moyen d’une discipline commune, l’obeissance
des citoyens, en punissant les mechants et les
vicieux, dans le but de les detourner du mal et de les
ramener au bien, ou du moins de les empecher de
blesser la societe et de lui etre nuisible. ≪ Quant aux autres prescriptions de la puissance
civile, elles ne procedent pas immediatement et de
plain-pied du droit naturel ; elles en sont des consequences
plus eloignees et indirectes, et ont pour but
de preciser les points divers sur lesquels la nature ne
s’etait prononcee que d’une maniere vague et generale.
.. Ces regles particulieres de conduite, creees par
une raison prudente et intimees par un pouvoir legitime,
constituent ce que l’on appelle proprement une
loi humaine. Visant la fin propre de la communaute,
cette loi ordonne a tous les citoyens d’y concourir,
leur interdit de s’en ecarter et, en tant qu’elle suit
la nature et s’accorde avec ses prescriptions, elle nous
conduit a ce qui est bien et nous detourne du contraire.
Par ou l’on voit que c’est absolument dans la loi eternelle
de Dieu qu’il faut chercher la regle et la loi de
la liberte, non seulement pour les individus, mais aussi
pour les societes humaines. Donc, dans une societe
d’hommes, la liberte digne de ce nom ne consiste pas
a faire tout ce qui nous plait : ce serait dans l’Etat
une confusion extreme, un trouble qui aboutirait a
l’oppression ; la liberte consiste en ce que, par le secours
des lois civiles, nous puissions plus aisement vivre
selon les prescriptions de la loi eternelle. Et pour ceux
qui gouvernent, la liberte n’est pas le pouvoir de
commander au hasard et suivant leur bon plaisir :
ce serait un desordre non moins grave et souverainement
pernicieux pour l’Etat ; mais la force des lois
humaines consiste en ce qu’on les regarde comme une
derivation de la loi eternelle et qu’il n’est aucune de
leurs prescriptions qui n’y soit contenue, comme dans le
principe de tout droit…. Supposons donc une prescription
d’un pouvoir quelconque qui serait en desaccord
avec les principes de la droite raison et avec les interets
du bien public ; elle n’aurait aucune force de loi,
parce que ce ne serait pas une regle de justice et qu’elle
ecarterait les hommes du bien pour lequel la societe
a ete formee. ≪ Par sa nature donc et sous quelque aspect qu’on
la considere, soit dans les individus, soit dans les
societes, et chez les superieurs non moins que chez les
subordonnes, la liberte humaine suppose la necessite
d’obeir a une regle supreme et eternelle ; et cette regle
n’est autre que l’autorite de Dieu nous imposant ses
commandements ou ses defenses ; autorite souveraine
ment juste, qui, loin de detruire ou de diminuer en
aucune sorte la liberte des hommes, ne fait que la
proteger et l’amener a sa perfection, car la vraie perfection
de tout etre, c’est de poursuivre et d’atteindre
sa fin ; or la fin supreme vers laquelle doit aspirer la
liberte humaine, c’est Dieu. ≫
2°
La liberte de conscience
.
1. Rappel des notions
relatives a la conscience. ? Le mot de conscience s’applique
a deux realites distinctes. Il designe d’abord la
conscience psychologique, c’est-a-dire l’aperception par
laquelle l’homme se connait lui-meme dans une vue
interieure. La conscience morale implique la psychologique,
mais y ajoute un rapport avec la regle des
actions humaines. Elle cherche et controle leur conformite
avec la loi morale. Se trouve-t-elle en face
d’un avenir a orienter ? La conscience prononce un
double jugement : un jugement de conformite entre
l’ordre a observer et L’action qu’il s’agit de faire ou
d’omettre ; un jugement d’obligation qui est une excitation
ou un lien, suivant que l’acte en question est
conseille ou commande, deconseille ou proscrit. S’agit-il
d’un passe a juger ? La conscience intervient sous
une autre forme, elle excuse ou accuse, elle reprimande,
elle remplit de remords. Voir
Sum. theol
., I ≫, q.
lxxix
,
a. 13. La conscience morale implique une double connaissance,
celle de la volonte superieure manifestee, et
celle des actions personnelles dans leur rapport avec
cette volonte.
2. Dependance fonciere de la conscience morale. ?
(".’est de la conscience morale qu’il est ici question.
Cette conscience ne saurait etre libre ou independante
des lois ontologiques de la verite. L’adhesion au vrai
connu est un droit ; l’adhesion a l’erreur ne peut pas
constituer un droit veritable, car cette adhesion
repugne a la tendance naturelle de l’intelligence, destinee
a connaitre la verite. On ne saurait donc raisonnablement
pretendre que l’homme ait le droit ou la
faculte morale de penser ou de juger, comme il lui
plait, sans egard aux lois obligatoires pour sa conscience,
conscience certainement liee par des regles
auxquelles, sans doute, l’homme peut physiquement
se soustraire en vertu de son libre arbitre, mais qu’il
ne peut moralement transgresser, sans manquer a son
devoir, sans aller contre l’ordre etabli de Dieu. Donc
la liberte ou l’independance de la conscience a l’egard
de toute loi est une chimere, qui ne saurait etre reclamer
par aucun homme ou proclamee par aucun legislateur.
Les lois qui lient la conscience humaine sont de
diverse* sortes ; H suffit de rappeler ici que toute loi
juste, emanant d’une autorite qui a droit de nous
commander, lie notre conscience suivant l’intention
expresse ou Implicite du legislateur.
.’(. Sens acceptable du mot liberte de conscience. ?
a) Si l’on entend par liberte de conscience le droit de
ne rendre compte qu’a Dieu seul de ce que nous pensons
Interieurement, il est bien certain qu’aucune autorite
n’a le droit de demander compte a ses sujets de
leurs actes purement internes. Aclus mere interni
potestati cii’ih nullalenus subfacent, utpote quai nonnisi
bono eommuni ertrmn prsutt, I.ehmkuhl, Theologia
morallt, t.
i
, n. 128. Quant : i V Eglise, c’est en vertu de su
mission divine et spirituelle qu’elle I le droit, au tribunal
de l.i penitence, de demander compte a ses
enfants de leurs actes interieurs on tout ce qui regarde
le salut et la perfection chretienne. Santi, Prtelecti
canonlcl, Ratisbonne, 1898, t. i. tit. a, a. 15,
Ilque de facon ludlcieuie : Habet uttque Ecdesta
forum pœnltentiale, m qno flldtcat de internis nninu
rogilationtbui M litre fudlcta rteplclunt directe et pro/rir tndtvldua rt non chrtatlanam toclelatem. in bot
foro minttter i entat Ipsum Deum,
qui in eo CUSU rtirnm sinripil non de Uitiveno COtU
Christianorum, sed de bono individuali particularis
fidelis. In hoc foro agitur judicium potius coram Deo
quam coram Ecclesia. Igitur hoc tribunal non est proprie
diclum tribuncd et forum Ecclesise, sed tribunal et
forum conscienlise coram Deo. Il est egalement incontestable
que l’Eglise peut, par ses lois, directement prescrire
ou prohiber des actes externes meme occultes, et
indirectement des actes internes qui ont, avec les externes,
une connexion necessaire. Nulla est controversia.
enseigne le P. Wernz, Jus Decretalium, Rome, 1905
1. 1, p. 114, Ecclesiam suis legibus posse directe præscribere
vel prohibere actus externos eliam occultas, et
indirecte actus inlernos, qui cum actibus externis necessario
coheerent. C’est ainsi qu’il faut reconnaitre le
droit, qu’elle exerce au besoin, de commander en son
for exterieur une adhesion interne a ses enseignements
ou a ses decisions. On en trouve un exemple remarquable
dans la bulle Inefjabilis Deus, qui proclame le
dogme de l’Immaculee Conception. La definition est
suivie de la plus severe des sanctions a l’adresse de
ceux qui auraient la presomption de professer interieurement
une doctrine contraire. Quapropler si qui
secus ac a Nobis defmitum est, quod Deus avertat, prsesumpserint
corde sentire, ii noverint ac porro sciant, se
proprio judicio condemnalos, naufragium circa fidem
passos esse et ab unitale Ecclesiee defecisse. Denzinger,
n. 1641. Quant aux actes purement internes, d’apres
le sentiment commun des theologiens et des canonistes
ils ne sauraient etre, en vertu de la juridiction ecclesiastique
seule, directement commandes ou prohibes,
au for externe, par des lois humaines. Ai actus merc
interni, continue le P. Wernz,
ibid
., vi sclius jurisdictionis
ecclesiasticæ directe in foro externo legibus humanis
prsecipi vel prohiberi juxta communcm sententiam
theologorum et canonistarum non possunt. Cf. Suarez.
De legibus, lib.
IV
, cap. xiii.
b) Si, par liberte de conscience, on entend le droit
d’adherer a telle ou telle opinion suffisamment probable.
licite ou libre, ce droit n’est pas conteste : ce qui revient
a dire que la conscience humaine est libre dans ses
jugements pratiques, quand aucune loi ne restreint sa
liberte native de penser ; mais quand une loi veritable
lui prescrit tel ou tel jugement pratique, elle doit obeir
a cette loi.
Et, comme la loi n’est manifestee a l’homme, comme
regle immediate de ses actes, que par la conscience, il
est tenu de suivre ce que lui dit sa conscience, quand
elle est vraie et droite, et meme quand elle est invinciblement
erronee, parce qu’alors il agit prudemment par
suite de sa persuasion invincible. Invincibiliter erronea
conscientia revera regula agendi evadit : hanc tenemur
sequi præcipientem, permittenlem sequimur sine cutpa.
I.ehmkuhl,
op. cit
., n. 43. Si donc, par suite d’une conscience
invinciblement erronee, un homme croit que t< I
acte bon est mauvais ou reciproquement, i ! n’a pas le
droit de poser l’acte bon qu’il juge mauvais ; et il peut
ou doit poser l’acte mauvais qu’il juge bon, sans avoir
toutefois objectivement le droit ou la faculte morale de
le poser, puisque la morale reprouve cet acte. Il suit dl
la que, si la conscience invinciblement erronee peut
imposer le devoir de mal faire, quand l’homme croit
bien.mil’, elle ne saurait lui donner le droit de mal faire,
parce que le droit ; m mal repugne dans les termes, et
que le droit a pour fondement necessaire la verite
Objective, tandis que le devoir peut naitre d’une erreur
Subjective, et qu’il ne repugne pas qu’un homme ail
h devoir de faire une action mauvaise qu’il croil un i"
Ctblement etre bonne et obligatoire pour lui. d’autant
que, s’il s’abstient de la faire, il croirait agi] mal, <’par
la meme il iolerait la loi divine qui lui commande de
ne jamais rien faire contre le dtetamen de sa conscient I
i nt’mon peut entendre, par liberte de conscience,
le droit que possede l’homme de ne pas ittt oiitrnint pal
la force OU la violence u embrasser la verite ou a donner
assentiment au bien a rencontre de sa conviction
intime et a sa volonte. Le savant cardinal Giuseppe
l’risco, Principi di jilosofia del diritlo, c.
viii
, Liberia
di coscienza, etablit ce droit dans une page magistrale
que nous citons integralement : < L’intelligence de
l’homme, dit-il, est appelee par son essence intime a la
connaissance du vrai, comme la volonte a la possession
du bien ; mais la premiere ne peut adherer au vrai sans
le connaitre, comme la seconde ne peut embrasser le
bien sans son libre consentement. Or, aucune force ou
autorite creee ne saurait contraindre l’intelligence et
la volonte d’autrui a adherer a une doctrine, fut-elle
vraie ; et l’usage qu’on ferait de la force pour obtenir
ce resultat serait une veritable absurdite. Et, en effet,
l’intelligence se convainc a l’aide de preuves, et la
volonte s’incline vers la verite qui subjugue l’esprit… ;
la force est toujours un moyen incompetent et disproportionne
pour l’obtention de ces deux effets…. Ledroit
de la vraie liberte de conscience est le droit de la superiorite
des forces morales de l’esprit sur la force brutale,
et par suite ce droit est naturel et inviolable,
comme est naturelle et inviolable la dignite de ces
memes forces. Non seulement l’Etat, mais l’Eglise
catholique elle-meme ne peut violer ce droit en contraignant
par la force d’adherer a une doctrine vraie.
Dans la foi catholique, c’est vraiment l’infaillible
temoignage de Dieu qui est le principe objectif de
l’obligation de notre assentiment ; mais notre raison
individuelle, sous l’influence de la lumiere de la grace,
doit connaitre ce temoignage infaillible, et c’est nous-memes
qui devons donner notre assentiment, c’est
nous-memes qui devons etre certains de ce temoignage.
Croire, dit saint Thomas, est un acte de la volonte,
Sum. theol., II ≫ -II æ, q.
x
, a. 8, et la volonte ne consent
que lorsque l’intelligence est eclairee. De meme qu’une
verite ne peut etre objet de notre science proprement
dite, si elle n’est evidente a notre raison, ainsi il ne
suffit pas pour croire une verite qu’elle soit affirmee
par une autorite infaillible ; il faut que nous connaissions
cette autorite infaillible. La difference consiste
seulement en ce que, dans la science, le motif objectif
de notre assentiment est l’evidence meme de la verite,
et le motif subjectif est la raison individuelle qui percoit
cette evidence, tandis que, dans la foi, le motif
objectif de notre assentiment est la revelation ou l’autorite
de Dieu, et le motif subjectif est notre raison
elle-meme, qui, par l’evidence des preuves, connait ce
meme temoignage infaillible et la regle de la foi dont
cette regle determine l’objet. Et c’est pourquoi, si
l’homme n’a pas cette connaissance, ou s’il en a une
opposee, il est contraire a la nature meme de la foi
de le contraindre par la force a croire. Aussi l’apostolat
par l’epee, qui a ete l’apostolat du Coran, n’a jamais
ete celui de l’Evangile. ≫
d) La liberte legitime de conscience consiste enfin et
surtout dans le droit a accomplir, sans aucun empechement
ni entrave, nos devoirs d’esprit et de cœur envers
Dieu. ≪ On peut, dit l’encyclique, Libertas præslaniissinuim,
entendre la liberte de conscience en ce sens
que l’homme a dans l’Etat le droit de suivre, d’apres la
conscience de son devoir, la volonte de Dieu, et d’accomplir
ses preceptes sans que rien ne puisse l’en empecher.
Cette liberte, la vraie liberte, la liberte digne des
enfants de Dieu, qui protege si glorieusement la dignite
de la personne humaine, est au-dessus de toute violence
et de toute oppression, elle a toujours ete l’objet
des vœux de l’Eglise et de sa particuliere affection.
C’est cette liberte que les apotres ont revendiquee
avec tant de constance, que les apologistes ont defendue
dans leurs ecrits, qu’une foule innombrable de
martyrs ont consacree de leur sang. Et ils ont eu raison,
car la grande et tres juste puissance de Dieu sur les
hommes el, d’autre part, le grand et le supreme devoir
des hommes envers Dieu trouvent l’un et l’autre dans
cette liberte chretienne un eclatant temoignage.
Elle n’a rien de commun avec des dispositions
factieuses et revoltees, et, d’aucune facon, il ne faudrait
se la figurer comme refractaire a l’obeissance due
a la puissance publique ; car ordonner et exiger l’obeissance
aux commandements n’est un droit de la puissance
humaine qu’autant qu’elle n’est pas en desaccord
avec la puissance divine et qu’elle se renferme dans les
limites que Dieu lui a marquees. Or, quand elle donne
un ordre ouvertement en desaccord avec la volonte
divine, elle s’ecarte alors loin de ces limites et se met
du meme coup en conflit avec l’autorite divine : il est
donc juste alors de ne pas obeir, i
4. Liberte de conscience synonyme de libre pensee. ?
La liberte de conscience, telle que la proclament les
incredules, n’est point la liberte dont nous venons de
parler. Ce qu’ils entendent par liberte de conscience,
c’est le droit de penser et de juger, non pas conformement
a la verite objective, mais comme il leur plait,
en sorte que, a leurs yeux, la liberte de conscience n’est
autre chose que l’independance ou l’autonomie de la
pensee humaine. L’homme, disent-ils, ne releve que de
lui-meme dans ses actes et, par consequent, dans ses
pensees comme dans ses paroles.
a) Libre pensee absolue. ? Les partisans de la liberte
de conscience absolue, illimitee, veulent que la pensee
et la conscience soient libres, sous pretexte que la
raison humaine est sa propre loi u elle-meme : erreur
fondamentale qui est condamnee dans ces deux propositions
du Syllabus :
3. Humana ratio, nullo La raison humaine, sans
prorsus Dei respectu habito, avoir a tenir de Dieu aucun
unicus est veri et falsi, boni compte, est la regle unique du
et niali arbiter, sibi ipsi est vrai et du faux, du bien et du
lex et naturalibus suis virimal ; elles est a elle-meme sa
bus ad hominem ac populoloi, elle suffit par ses propres
rum bonum curandum suffiforces a procurer le bien des
cit. individus et des peuples.
4. Omnes religionis veriToutes les verites relitates
ex nativa humant gieuses derivent d’une force
rationis vi derivant ; bine innee de la raison humaine ;
ratio est princeps norma qua aussi la raison est-elle la
homo cognitionem omnium norme premiere par quoi
cujuscumque generis verital’homme peut et doit acquetum
assequi possit ac debet, rir la connaissance des verites
Denzinger-Ban., n. 1703, de tous ordres.
1704.
Le droit a cette liberte ne saurait exister. En effet,
si la liberte de pensee ou de conscience etait absolue ou
illimitee, il s’ensuivrait que la raison humaine serait
independante dans sa pensee et dans ses jugements et,
consequemment, dans son existence aussi bien que
dans son essence. Or cela repugne absolument, car la
raison humaine est la faculte d’un esprit cree qui.
precisement parce qu’il est cree, ne peut pas etre sa
propre loi. De deux choses l’une : ou il faut nier que la
raison humaine soit creee, limitee, ou il faut dire
qu’elle ne saurait etre la regle radicale et premiere de
ses operations. ? Le vrai est reellement distinct de la
raison humaine ; car le vrai etant tout ce qui peut etre
connu, l’etre, en tant qu’il est l’objet de l’intelligence
ne peut etre renferme dans une raison finie. Donc la
regle de la raison est reellement distincte de cette
faculte. Voila pourquoi la pensee de l’homme est vraie,
si elle est conforme a la verite des choses qu’il pense.
Seule, la raison divine est sa regle a elle-meme, parce
qu’elle est la verite absolue et la loi supreme de tout
etreetde toute vraie connaissance. Si la raison humaine
etait essentiellement sa propre loi, si la verite et le bien
moral appartenaient a son essence, cette raison serait
evidemment infaillible. Or, l’experience de chaque jour
nous apprend que telle n’est point notre ra’son ; bien
au contraire, elle est sujette essentiellement a l’erreur,
par la meme qu’elle est finie. Donc la raison humaine
ne peut etre la regle supreme de ses operations. S’il
etait permis a chacun de penser ce qu’il veut, il devrait
lui etre egalement permis de penser qu’il peut legitimement
conformer ses actes a ses pensees, c’est-a-dire
faire tout ce qu’il veut. La liberte d’agir a sa guise est
la consequence logique de la liberte de penser a sa
guise. Or, il est facile de s’en rendre compte, cette
consequence entrainerait toute espece de desordres.
Donc il est faux que la pensee soit libre dans ce sens
absolu et illimite. L’homme est tenu de bien penser
afin de bien dire et de bien agir : tel est l’ordre
voulu par la raison, la justice et la verite, par Dieu
lui-meme.
b) Libre pensee relative. ? D’autres vont moins loin
e( refusent d’etre les partisans d’une liberte de conscience
independante des regles du vrai et du juste ; ils
pretendent seulement que c’est uniquement a la raison
humaine qu’il appartient de reconnaitre ces regles et
de les apprecier. D’apres eux, tout homme a le droit
d’etre respecte dans ses convictions. Repoussant la
liberte absolue de conscience, ils admettent seulement
la liberte relative de conscience, c’est-a-dire le droit de
n’avoir que notre raison pour regle de nos jugements
pratiques en matiere morale et religieuse, sans que
nous ayons a tenir compte de l’autorite du Christ et
de l’Eglise. C’est la these brillamment soutenue par
Jules Simon dans son ouvrage, La liberte de conscience,
Paris, 1859.
Bile est de tous points erronee. En eliet, s’il est une
verite pratique qui s’impose a l’esprit, c’est que Dieu
etant le createur de l’homme et par consequent son
maitre, l’homme est, selon toute l’etendue de son etre,
dans une entiere dependance envers lui. Et ce que la
raison nous crie non moins fortement, c’est qu’etant
elle-meme une creature, puisqu’elle n’est autre chose
que la faculte divinement donnee a notre ame de
connaitre la verite, elle est, par sa nature meme, la
sujette de cette verite : de telle sorte que, s’il plait
a la verite increee, qui est Dieu, de se reveler a
l’homme d’une maniere plus excellente, et dans des
proportions plus considerables qu’elle ne l’a fait en le
creant, l’homme, sous peine de trahir et sa raison et sa
conscience, doit soumettre a Dieu qui lui parle son
intelligence et sa volonte, c’est-a-dire, il lui doit pleine
croyance et pleine obeissance. Aussi le concile du Vatican
dit-il anatheme a qui pretendrait que la raison est
tellement independante que la foi ne puisse lui etre
commandee de Dieu. Si quis dixerit, rationcm humaii’im
iln independentem esse, ut /ides ei </ Dm imperari
non possit, anathemasit. Canonesde fl.de cathol., 3. De flde.
can. l. Denzinger-Ban., m 18lo.
Le moyen qui doit permettre a tous de juger ou
est la vraie foi, d’y soumettre leur esprit et leur errur,
ci d’perseverer jusqu’a la
liii
, c’est l’Eglise, Dieu,
par son unique et bien-aime tils Jesus, a fonde l’Eglise
ici bas, et il l’a enrichie de tels dons, gratifiee de tels
privileges, illustree de tels caracteres, que tout le
monde (|
vi
. lit la oir et la reconnaitre pour la
dienne et la maitresse unique du depot de la revelation.
la seule Eglise catholique, en effet, appartient
le tresor Immense et merveilleux des faits divins, des
miracles surtout et des propheties, qui portent jusqu’a
l’evidence la credibilite des mysteres qu’elle
propose, des dogmes qu’elle enseigne, des graces qu’elle
dispense. des promesses qu’elle fait. Munie d’arguments
divins iKmr prouver tout ce qu’elle avance. l’Eglise est
encore sa preuve a elle meme ; el quiconque la voudra
etudier de bonne foi, el dans son origine, ei dans son
re.el dans cette Immutabilite qu’elle conserve en
traversant tout ce qui change, sera force de convenir
qu’elle est elle-meme un grand motif de credibilite, i i
qu’elle porte avec elle l’irrefragable temoignage de sa
divine legation.
Des la qu’il existe deux ordres distincts de connaissances,
et que ces deux ordres se rencontrent en fait
dans le meme sujet, c’est-a-dire dans l’homme croyant
et raisonnable, il s’ensuit qu’il y a des rapports mutuels
entre l’un et l’autre de ces ordres. Les deux ordres dont
il s’agit sont distincts non seulement par leur principe,
mais par leur objet : leur principe, puisque le principe
de la connaissance naturelle est la raison humaine, et
que la foi divine est celui de la connaissance surnaturelle ;
leur objet, puisque dans l’un nous atteignons
seulement les verites de l’ordre qui nous est propre, et
que dans l’autre nous commencons de saisir des secrets
naturellement caches a toutes les creatures, des
secrets que, par consequent, Dieu seul peut nous
apprendre. Voir concile du Vatican, Constitutio de
flde catholica, c.
i
, De fide et ratione, Denzinger-Ban.,
n. 1795. Les verites de la foi ont un caractere essentiellement
transcendant. Non seulement elles ont
cette transcendance en elles-memes, en ce sens que, si
Dieu ne les revelait a la raison creee, elles lui demeureraient
tout a fait inconnues et seraient pour elles
comme n’existant pas. Mais, meme apres que Dieu nous
lesa dites, et qu’etant entrees en nous par la foi, elles font
reellement partie du tresor de nos connaissances, elles
n’y sont jamais cependant qu’a l’etat de verites recues
par temoignage. Le christianisme est si essentiellement
la religion du mystere qu’il renie comme siens ceux qui
voudraient les contester.
Concil
. Vatic, Can. de flde
calhol., 4. De flde et ratione, can. 1,
Denz
., n. 1816.
Mais en meme temps que la foi surpasse la raison si
necessairement et de si haut, il va de soi qu’elle ne peut
jamais lui etre contraire, et qu’entre ces deux lumieres
venues du meme foyer, qui est Dieu, il ne saurait y
avoir de dissension veritable. Dieu ne se nie pas lui-meme,
et la verite ne se donne point de dementi. 11
s’ensuit que, si entre les verites revelees, c’est-a-dire
les dogmes de la foi ou les enseignements de l’Eglise,
et les donnees de la raison ou de la science, il semble y
avoir contradiction, ce n’est et ce ne peut etre jamais
qu’une apparence. Et la cause principale de cette
apparente contradiction est, ou bien que l’on prend
pour verite de foi et doctrine de l’Eglise ce que l’Eglise
n’enseigne pas reellement, ou qu’on l’entend et qu’on
l’expose autrement qu’elle ; ou bien, c’est qu’on prend
pour une verite de raison ce qui n’est qu’une opinion
particuliere et une fausse vue de l’esprit. Aussi l’Eglise
definit-elle que toute assertion contraire a la verite
revelee est absolument fausse : Omnan igitur assertionem
verilati illuminatæ fldei contrariant omnino falsam
esse deflnimus. Denzinger, n. 1797, cf. n. 738.
En effet, la foi etant d’une nature plus elevee que la
raison, la grande regle de la subordination des ordres
exige que, dans le cas de conflit, le dernier mot appai
tienne a la premiere, Par cela seul que Dieu a institue’une autorite divine sur la terre, et qu’il lui a donne le
mandat de garder Integralement le depot de la foi, il
lui a confere ≪ le droit et impose le devoir de declarer
fausse et de proscrire toute doctrine qui, usurpant le
nom de science ou de philosophie, s’eleve contre les
dires de Dieu, contredit les verites de fol et Infirme : i
un point de vue quelconque les dogmes catholiques.
" Tout chretien donc place en face d’opinions vraiment
contraires a une doctrine de foi. et surtout en face
d’opinions reprouvees de l’Eglise, ne peut, sans pn.,
rication, soutenir que Ces opinions soient des conclu
sions legitimes de la seiencc : niais il est tenu ile n’Voit que’I' I opinions fardees d’une fausse apparence
rite.i
Ibid
..n. I
Enfin, ce n’est pas assez de dire ≪ pie la foi et la rai
son ne peuvent jamais se trouver in desaccord et ni
sont pas naturellement hostiles La verite est qu’elles
sont faites pour s’aider et se preter un mutuel secours.
D’un cote, la raison demontre les fondements de la foi,
et, munie des lumieres de celle-ci, elle cultive la science
des choses divines. De l’autre la foi delivre et defend
la raison d’une foule d’erreurs, et elle l’enrichit de
connaissances nombreuses.
Une grave illusion de certains partisans de la liberte
relatiue de conscience, entendue dans le sens illegitime
dont nous venons de parler, consiste a se persuader
qu’il leur est loisible de se replacer intellectuellement,
tant est grande l’opinion qu’ils se font des droits de
leur raison, dans un etat de doute absolu, a l’effet de
former de nouveau leur conviction sur la verite ou la
faussete du christianisme et de ses enseignements. ?
Or, c’est la une erreur profonde, fertile en consequences
desastreuses, comme il est facile de s’en rendre compte.
On oublie que, a cet egard, tout autre est la condition
de ceux qui, ayant recu le don celeste de la foi, adherent
a la verite catholique, et la condition des infortunes
qui, par le malheur de leur naissance ou par
d’autres causes, se trouvent engages dans une religion
fausse. Ceux-ci, en effet, peuvent et doivent douter
de la verite de leur croyance et de la surete de leur voie.
Les arguments exterieurs d’une part, la lumiere et les
mouvements intimes de la grace de l’autre, les excitent
a ce doute qui est pour eux un commencement de
delivrance et un premier pas vers la pure clarte du
salut. Des que le doute devient serieux, il les oblige a
un examen plus serieux encore ; et ils doivent a Dieu,
ils se doivent a eux-memes de chercher et de prier
jusqu’a ce qu’ils aient trouve, et, des qu’ils ont
trouve, ils sont tenus de changer leur croyance. ? Le’catholique, au contraire, ne de Dieu et de l’Eglise,
assiste par la grace interieure de l’un et par le magistere
exterieur de l’autre, n’a jamais et ne saurait avoir
aucune raison valable de changer sa croyance, ou
meme de suspendre son adhesion totale soit a l’ensemble
des verites revelees, soit a quelqu’une d’entre
elles, sous pretexte qu’il veut en obtenir d’abord la
demonstration rationnelle et la conviction scientifique.
Dans le domaine de la foi, les investigations de l’esprit
permises, conseillees, parfois meme commandees au
chretien, ne peuvent jamais prendre pour point de
depart un doute reel.
Concil
. Vat., De fide, c.
iii
,
Denzinger, n. 179-1. Et le concile appuie par un anatheme
cet important point de doctrine : ≪ Si quelqu’un
dit que la condition des fideles ne differe pas de
la condition de ceux qui ne sont pas encore parvenus a
l’unique veritable religion : de telle sorte que les catholiques,
apres avoir embrasse la foi sous la conduite de
l’Eglise, puissent suspendre leur assentiment et remettre
cette foi en doute jusqu’a ce qu’ils aient acquis
la demonstration scientifique de la credibilite et de la
verite, de la foi, qu’il soit anatheme… ≫ Can.de fide
cath., 3. De fide, can. 6,
Denz
., n. 1815.
Mais n’y a-t-il pas la, chez les fideles, une sorte de
depression et un veritable servage de la raison ?
Nullement. Dans l’acte de foi, en effet, independamment
de la certitude des motifs de credibilite, la cause
qui determine l’adhesion de la volonte et de l’intelligence
n’est autre que la verite premiere elle-meme,
c’est-a-dire Dieu, souverainement veridique. Or, la
veracite divine offre plus de garantie que la lumiere
de l’intellect humain : c’est pourquoi, quant a la fermete
de l’adhesion, la foi s’appuie sur une plus grande
certitude que n’est la certitude de la science et de la
comprehension intellectuelle. Donc revenir au doute,
en vue de parvenir scientifiquement a la verite, ne
serait pas un mouvement de progres, mais de recul.
c) Liberte de pensee par rapport a l’ordre surnaturel.
? D’autres, enfin, poussant la liberte relative de
conscience jusqu’a ses extremes limites, vont jusqu’a
nier l’obligation d’entrer dans l’ordre surnaturel. Ils
rougiraient de tout ce qui les abaisserait au-dessous
de leur nature, mais ils declarent, en meme temps,
n’avoir aucun attrait pour ce qui tend a les elever
au-dessus ; ils veulent rester hommes. Il est de l’essence
de tout privilege de pouvoir etre refuse. Et puisque
tout cet ordre surnaturel, tout cet ensemble de la
revelation est un don de Dieu, gratuitement surajoute
par sa liberalite et sa bonte aux lois et aux destinees de
leur nature, ils s’en tiendront a leur condition premiere ;
apres une vie honnete, vertueuse, le seul
bonheur eternel auquel ils aspirent est la recompense
naturelle des vertus naturelles. Dans une page d’une
rare eloquence, le cardinal Pie critique vivement cette
pretention orgueilleuse d’une liberte follement eprise
d’elle-meme, pretention qui ne va a rien moins qu’a
meconnaitre le souverain domaine de Dieu sur sa
creature. ≪ En effet, dit l’illustre eveque de Poitiers, on ne
prouvera jamais que Dieu, apres avoir tire l’homme du
neant, apres l’avoir doue d’une nature excellente, n’ait
pas conserve le droit de perfectionner son ouvrage,
de l’elever a une destinee plus excellente encore et plus
noble que celle qui etait inherente a sa condition native.
Au contraire, les memes faits qui etablissent d’une
facon irrefragable que Dieu s’est mis en rapport direct
et immediat avec l’homme par la revelation, les memes
faits qui nous obligent d’admettre la divinite des
saintes Ecritures et l’existence de l’ordre surnaturel,
nous forcent aussi de reconnaitre l’obligation ou nous
sommes d’entrer dans cet ordre de grace et de gloire,
sous pe % ine des chatiments les plus justes et les plus
severes. En nous assignant une vocation surnaturelle,
Dieu a fait acte d’amour, mais il a fait acte aussi
d’autorite. Il a donne, mais en donnant il veut qu’on
accepte. Son bienfait nous devient un devoir. Le souverain
Maitre n’entend pas etre refuse. Si l’argile n’a
pas le droit de dire au potier : ≪ Pourquoi fais-tu de
moi un vase d’ignominie ? ≫ Rom.,
ix
, 20, elle est infiniment
moins autorisee encore a lui dire : ≪ Pourquoi
fais-tu de moi un vase d’honneur ? ≫ Quoi donc !
ouvrage rebelle, vous vous plaignez de ce que celui qui
vous a petri de ses mains, qui a tout droit sur vous,
use de son droit supreme pour assigner a votre obscurite
une place brillante au dela des astres ? Humble
esclave de celui qui vous a donne l’etre, vous vous
plaignez de ce qu’il vous tire de la poussiere pour vous
ranger parmi les princes des cieux ! Le souverain domaine
que Dieu peut exercer sur vous a son gre, vous
trouvez mauvais qu’il l’exerce par la bonte ! Phenomene
monstrueux de l’ordre moral, vous etes indocile
au bienfait, revolte contre l’amour ! Eh bien, le domair.e
imprescriptible de Dieu s’exercera sur vous par la
justice. Malheureux mendiant du chemin, le roi vous
avait invite aux noces de son Fils", au banquet eternel
de la gloire : c’etait a vous de vous y acheminer et de
vous revetir de la robe nuptiale de la grace pour etre
admis ; vous vous etes presente sans cet ornement prescrit :
il n’y aura point de place pour vous, meme dans
un coin de la salle, meme a la seconde table ; vous serez
chasse dehors, jete dans les tenebres exterieures, la ou
il y aura des pleurs et des desespoirs. Matth.,
xxii
,
12, 13. Le meme Dieu qui, dans l’ordre de la nature,
par une suite de transformations physiques. fait passer
incessamment les etres inferieurs d’un regne plus
infime a un regne plus eleve, avait voulu, par une
transformation surnaturelle, vous faire monter jusqu’a
la participation, jusqu’a l’assimilation de votre etre
cree a sa nature infinie. Substance ingrate, vous vous
etes refuse a cette affinite glorieuse, vous serez relegue
parmi les rebuts et les dejections du monde de la
gloire : portion resistante du metal place dans le
creuset, vous ne vous etes pas laisse convertir en l’or
pur des elus, vous serez jete parmi les scories et les
residus impars. Noblesse oblige : c’est un axiome parmi
les hommes. Ainsi en est-il de la noblesse surnaturelle
que Dieu a daigne conferer a la creature. La qualite
d’enfant de Dieu, le don de la grace, la vocation a la
gloire, c’est la une noblesse qui oblige ; quiconque y
forfait est coupable, coupable envers le souverain
domaine de la paternite divine, qui punira en esclave
celui qui n’aura pis voulu etre traite en fils. ≫ Cardinal
Pie, Discours et instructions pastorales, t.
ii
, Poitiers,
1858, p. 425-427.
3°
La liberte des cultes
.
1. Principes generaux. ?
La liberte des cultes, ou la liberte de religion, se distingue
de la liberte de pensee ou de conscience, en ce que celleci
se borne a l’interieur, tandis que celle-la se produit a
l’exterieur.
Dans l’encyclique Libertas præslantissimum, que
nous avons citee plus haut, Leon XIII en arrive a
examiner cette liberte ≪ si contraire, dit-il, a la vertu de
religion, la liberte des cultes, comme on l’appelle, liberte
qui repose sur ce principe qu’il est loisible a chacun de
professer telle religion qu’il lui plait, ou meme de n’en
professer aucune ≫.Edit. citee, t.
ii
, p. 193. ? Mais, tout
au contraire, enseigne le pape, c’est bien la, sans nul
doute, parmi tous les devoirs de l’homme, le plus grand
et U’plus saint, celui qui ordonne a l’homme de rendre
a Dieu un culte de piete et de religion. Et ce devoir
n’est qu’une consequence de ce fait que nous sommes
perpetuellement sous la dependance de Dieu, gouvernes
par la volonte et la Providence de Dieu, et que,
sortis de lui, nous devons retourner a lui. ≫
Des la qu’une creature douee d’intelligence et de
facultes morales est mise en presence de Celui qui l’a
faite, elle est saisie par ce devoir : reconnaitre les
titres du Createur a l’estime transcendante et au
fidele service de l’etre qu’il a jete dans l’existence. La
manifestation exterieure de la vertu de religion s’app
-Ile culte exterieur. ≪ Le sentiment religieux est un
devoir rigoureux : il faut donc que nous employions
les signes exterieurs du culte, soit pour reveiller le
sentiment religieux, soit pour le rendre plus ardent ;
d’autant plus que la dissipation des affaires nous fait
oublier facilement nos devoirs les plus simples, nos
relations les plus intimes. Que d’hommes perdraient
completement Dieu de vue sans l’usage du culte exterieur !
Ce culte est donc dans l’ordre et son absence est
un desordre. Dieu, qui veut l’ordre et defend le desordre,
veut donc le culte exterieur, non qu’il en retire
quelque avantage, pas plus que de nos autres vertus ;
mais il ne peut pas plus approuver un desordre dans
les actes religieux que dans les autres actes humains. ≫
Taparelli, Essai theorique de droit naturel, 1. 1, t.
I
, c.ix.
Ce culte lui-meme est regle et bien determine ; il
n’est pas loisible a chacun de le modifier a son gre ou
d’en choisir un autre. ≪ Si l’on demande, dit Leon
XIII
,
parmi toutes ces religions opposees qui ont cours,
laquelle il faut suivre a l’exclusion des autres, la
raison et la nature s’unissent pour nous repondre : celle
que Dieu a prescrite et qu’il est aise de distinguer, a
certains siimes exterieurs par lesquels la divine Providence
a voulu la rendre reeonnaissable. car. dans une
chose de cette importance, l’erreur entrainerait des
consequences trop desastreuses. C’est pourquoi offrir a
l’homme la liberte dont nous parlons, c’est lui donner
le pouvoir de denaturer Impunement le plus saint des
lier, abandonnant le bien immuable
pour se tourner vers le mal : ce qui, nous l’avons dit.
1 plus la liberte, mais une depravation de la liberte
et une’servitude de l’Ame dans l’abjection du peche.
L’est Dieu qui a f ; ≪ it l’homme pour la societe’I
qui l’a Uni a ses semblables, afin que les besoins de sa
nature, que ses illorts solitaires ne pourraient jamais
hier, pussent trouver satisfaction dans l’associa
lion.’.es| pourquoi la Societe civile, en tant que
societe, doit necessairement reconnaitre Dieu comme
son principe et son auteur et, par consequent, rendre
a sa puissance et a son autorite l’hommage de son
culte. Non, de par la justice ; non, de par la raison,
l’Etat ne peut etre athee, ou, ce qui reviendrait a
l’atheisme, etre anime a l’egard de toutes les religions,
comme l’on dit, des memes dispositions, et leur accorder
indistinctement les memes droits. Puisqu’il est
donc necessaire de professer une religion dans la
societe, il faut professer celle qui est la seule vraie et
que l’on reconnait sans peine, au moins dans les pays
catholiques, aux signes de verite dont elle porte en elle
l’eclatant caractere. Cette religion, les chefs de l’Etat
doivent donc la conserver et la proteger, s’ils veulent,
comme ils en ont l’obligation, pourvoir prudemment et
utilement aux interets de la communaute. Car la
puissance publique a ete etablie pour l’utilite de ceux
qui sont gouvernes, et quoiqu’elle n’ait pour fin prochaine
que de conduire les citoyens a la prosperite de
cette vie terrestre, c’est pourtant un devoir pour elle
de ne point diminuer, mais d’accroitre, au contraire,
pour l’homme, la faculte d’atteindre a ce bien supreme
et souverain dans lequel consiste l’eternelle felicite
des hommes, ce qui devient impossible sans la religion. ≪ Une liberte de ce genre, dit le pape en terminant,
est ce qui porte le plus de prejudice a la liberte veritable,
soit des gouvernants, soit des gouvernes. La religion,
au contraire, lui est merveilleusement utile, parce
qu’elle fait remonter jusqu’a Dieu meme l’origine premiere
du pouvoir ; qu’elle impose avec une tres grave
autorite aux princes l’obligation de ne point oublier
leurs devoirs ; de ne point commander avec injustice
ou durete, de conduire les peuples avec bonte et presque
avec un amour paternel. D’autre part, elle recommande
aux citoyens, a l’egard de la puissance legitime,
! a soumission comme aux representants de Dieu ; elle
les unit aux chefs de l’Etat par les liens, non seulement
de l’obeissance, mais du respect et de l’amour, leur
interdisant la revolte et toutes les entreprises qui peuvent
troubler l’ordre et la tranquillite de l’Etat, et qui,
en definitive, donnent occasion de comprimer, par des
restrictions plus grandes, la liberte des citoyens. Nous
ne disons rien des services rendus par la religion aux
bonnes mœurs, et par les bonnes mœurs a la liberte
meme. Un fait prouve par la raison et que l’histoire
confirme, c’est que la liberte, la prosperite et la puissance
d’une nation grandissent en proportion de sa
moralite. ≫
2.
Application de ces principes
.
De cet enseignement
magistral decoulent les points de doctrine qui
suivent :
a) Nous devons a Dieu un culte interieur et exterieur,
un culte prive et un culte public. Pris en lui-meme.
Dieu est l’etre infiniment parfait et transcendant.
Nous sommes au-dessous de lui, nous lui sommes
soumis. Il est des lors juste, necessaire, indispensable
que nous lui rendions un hommage absolu a cause des
t it res qui lui sont personnels, un hommage superieur a
cause de titres qui sont hors de pair.
b) Dieu ayant etabli, dans le but de faire arriver les
hommes a leur fin derniere, un culte obligatoire et une
Societe egalement obligatoire qui n’est autre que
l’Eglise catholique, il s’ensuit que tout homme a le
droit et le devoir d’embrasser ce culte, et d’adherer
a rit le societe. Il en resulte egalement que nul n’a le
droit de rejeter le culte prescrit par Dieu et de se sous
traire a l’autorite de l’Eglise. I.a liberte doctrinale des
cultes ne saurait etre admise, meme au simple point
rie vue de la raison Celle Cl, en effet, prescrit de rendre
i Dieu le culte qui, seul, est agree par lui. Il est aussi
contraire b la loi morale de rendre a Dieu un culte
oppose a celui qu’il a prescrit que de ne lui rendre
aucun culte
c) Revendiquer le droit ou la faculte morale d’exercer
le culte qui plait, c’est nier qu’il existe une seule
religion veritable etablie par Dieu, et dont Dieu impose
la pratique. Or, on le demontre surabondamment
ailleurs, des preuves peremptoires militent en faveur
de la religion catholique, comme de la seule religion
voulue par Dieu ; et ainsi les hommes qui doivent
l’embrasser ne peuvent avoir le droit d’en professer
une autre. C’est donc a juste titre que Pie IX a condamne
dans le Syllabus les deux propositions suivantes :
Il est loisible a chaque
homme d’embrasser et de
professer la religion qu’il
aura tenue pour vraie en sui
vant les lumieres de sa rai
son.
Les hommes peuvent trou
ver dans l’exercice de n’im
porte quelle religion la voie
du salut eternel et y parve
nir.
15. Liberum cuique homi
ni est eam amplecti ac pro
(iteri religionem quam ratio
nis lumine quis ductus veram
putaverit.
16. Homines in cujusvis
religioni cultu viam alterna 1
salutis reperire seternamque
salutem assequi possunt.
Denzinger, n. 1715, 1710.
Deja, dans l’allocution consistoriale du 9 juin 1862,
Pie IX s’elevait contre ceux qui ≪ osent malicieusement
faire deriver toutes les verites de la religion de la force
native de la raison humaine, et attribuent a chaque,
homme une sorte de droit primordial en vertu duquel
il peut librement penser et parler de la religion, et
rendre a Dieu l’honneur et le culte qu’il estime le
meilleur, suivant son caprice. ≫ Voir Les Actes pontificaux
cites dans l’Encyclique et le Syllabus du 8 decembre
1864, suivis de divers autres documents, Paris, 1865,
p. 400.
d) Aucun homme, nous l’avons
vii
, n’a devant Dieu
le droit ou la faculte morale d’adherer interieurement
a une religion fausse ; en consequence il ne saurait avoir
le droit d’exercer exterieurement les pratiques de cette
religion. D’autre part, tout homme, ayant le devoir
d’adherer interieurement et exterieurement au catholicisme,
a le droit d’exercer librement son culte conformement
aux regles de l’Eglise.
Toutefois, faisons observer ici que l’acte de foi catholique
doit etre un acte libre qui ne peut etre extorque
par la violence. Il en resulte que le devoir d’etre catholique,
impose par Dieu, ne cree au profit de personne
le droit de forcer un adulte non baptise a devenir
membre de la societe chretienne. En d’autres termes,
tout homme usant de sa raison a le droit de n’etre
contraint, ni par l’Eglise, ni par l’Etat, ni par un
particulier ou une societe, quelconque, a recevoir le
bapteme. Les enfants que l’on baptise avant l’age de
raison, suivant une discipline qui fut toujours en
usage a quelque Segre dans l’Eglise, deviennent, il est
vrai, membres de l’Eglise sans leur consentement
formel ; il en est d’eux comme des enfants qui, par leur
naissance dans un pays, deviennent citoyens de ce
pays. Une fois honores du bapteme et devenus fils
adoptifs de Dieu, les chretiens ne peuvent se soustraire
plus tard aux obligations que leur impose l’etat surnaturt’l
auquel ils ont ete eleves par un bienfait special de
la Providence, etat d’ailleurs obligatoire pour tous les
hommes. Et de meme que l’enfant, ne dans telle contree,
ne peut plus tard se pretendre exempt des lois qui
regissent cette contree et sous l’empire desquelles il a
pu vivre en securite, de meme l’enfant incorpore par
son bapteme a Jesus-Christ et a son Eglise, ne saurait
s’affranchir, devenu grand, des lois divines et ecclesiastiques,
qui ont pour but de maintenir et de conserver
la vie surnaturelle, dont il a recu l’incomparable don.
e) Aucun souverain ne peut, dans aucun cas, et sous
aucun pretexte, etablir ou sanctionner la liberte des
cultes en tant qu’elle serait un droit propre a chaque
homme, qui doive etre proclame et affirme dans toute
societe bien constitua-. Gregoire XVI qualifie de delire
cette opinion erronee, que Pie IX condamne, a son
tour, dans l’encyclique Quanta cura, du 8 decembre
1861. Ex qua omnino fulsa social is reyiminis idea liaud
timent erroneum illam opinionem, catholicæ Ecclesiaanimarumque
saluti maxime exitialem, a rec. mem. Gregorio
XVI prædecessore Nostro deliramentum appellatam
(encycl. Mirari), nimirum… libertutem conscientia
et cultuum esse proprium cujuscumque hominis jus, quod
lege proclamari et asseri debet in omni recte constituta
societatc. Denzinger, n. 1690. Car la liberte des cultes,
entendue en ce sens, est contraire a la foi et reprouvee
par la raison elle-meme. Celle-ci, en eilet, ne saurait
admettre que l’homme ait le droit naturel, c’est-a-dire
la faculte morale, d’exercer toute espece de culte,
meme le culte des idoles, avec ses abominations, ou le
culte qui prescrirait des sacrifices humains.
/) Tout souverain est tenu, en theorie, de proteger
la vraie religion, dans la mesure de son pouvoir, suivant
les exigences des temps et des lieux, de faire en sorte
que les adherents a cette religion ne soient pas troubles
dans l’exercice de leur culte ni induits en erreur.
Des la qu’on admet en effet que le but de l’Etat
n’est pas seulement d’assurer la defense commune et de
garantir les interets temporels de la societe, on devra
reconnaitre aussi qu’il est tenu d’embrasser et de
professer une religion determinee, aux prescriptions
de laquelle il doit conformer ses actes sociaux. Dieu, en
effet, etant la fin de la societe comme de l’individu,
finis autem humanse vitæ et societalis est Deus, S. Thomas,
Sum. Theol., P-II 86, q.
c
, a. 6., tous les chefs et
membres d’une societe ont des obligations envers Dieu,
non seulement comme personnes privees, mais encore
comme personnes publiques, et sont, par consequent,
tenus de rendre socialement a Dieu le culte qui lui
est du. La fin derniere de la societe se confond.jusqu’a
un certain point, avec la fin derniere de l’individu. Des
lors que le depositaire du pouvoir (un ou collectif) est
charge de procurer la paix temporelle et de permettre
aux citoyens de bien vivre, comme l’enseigne saint
Thomas, De regimine principum, t.
I
, c.
i
, il est par la
meme oblige de s’inspirer de la religion pour obtenir
ce double resultat. Or, la religion dont il doit s’inspirer
est la religion veritable, revelee par Dieu, voulue de
Dieu, a savoir, la religion catholique. De meme, en
effet, que chaque individu est tenu d’atteindre sa fin
derniere en se conformant aux prescriptions du catholicisme,
de meme les detenteurs du pouvoir civil, charges
de diriger les citoyens de facon a ce qu’ils ne soient
pas detournes de leur fin et meme qu’ils puissent plus
facilement l’atteindre, doivent aussi tenir compte de
ces memes prescriptions dans leurs actes sociaux.
Dans l’encyclique Immortale Dei, Leon XIII expose
cette doctrine avec une clarte et une precision qui ne
laissent rien a desirer : ≪ Si la nature et la raison, dit-il.
imposent a chacun l’obligation d’honorer Dieu d’un
culte saint et sacre, parce que nous dependons de sa
puissance et que, issus de lui, nous devons retourner a
lui, elles astreignent a la meme loi la societe civile. Les
hommes, en effet, unis par les liens d’une societe commun
- , ne dependent pas moins de Dieu que pris isolement :
autant au moins que l’individu, la societe doit
rendre grace a Dieu, dont elle tient l’existence, la
conservation et la multitude innombrable de ses biens.
C’est pourquoi, de meme qu’il n’est permis a personne
de negliger ses devoirs epvers Dieu, et que le plus grand
de tous les devoirs est d’embrasser d’esprit et de cœur
la religion, non pas celle que chacun prefere, mais
celle que Dieu a prescrite et que des preuves certaines
et indubitables etablissent comme la seule vraie entre
toutes, ainsi les societes politiques ne peuvent sans
crime se conduire comme si Dieu n’existait en aucune
maniere, ou se passer de la religion comme etrangere
et inutile, ou en admettre une indifferemment, selon
leur bon plaisir. En honorant la divinite, elles doivent
suivre strictement les regles et le mode suivant lesquels
Dieu lui-meme a declare vouloir etre honore. Les
chefs d’Etat doivent donc tenir pour saint le nom de
Dieu et mettre au nombre de leurs principaux devoirs
celui de favoriser la religion, de la proteger de leur
bienveillance, de la couvrir de l’autorite tutelaire des
lois, et ne rien statuer ou decider qui soit contraire a
son integrite. Et cela, ils le doivent aux citoyens dont
ils sont les chefs. Tous, tant que nous sommes, en
effet, nous sommes nes et eleves en vue d’un bien
supreme et final auquel il faut tout rapporter, place
qu’il est aux cieux, au dela de cette fragile et courte
existence. Puisque c’est de cela que depend la complete
et parfaite felicite des hommes, il est de l’interet supreme
de chacun d’atteindre cette fin. Comme donc
la societe civile a ete etablie pour l’utilite de tous, elle
doit, en favorisant la prosperite publique, pourvoir
au bien des citoyens de facon non seulement a ne
mettre aucun obstacle, mais a assurer toutes les faciites
possibles a la poursuite et a l’acquisition de ce
bien supreme et immuable auquel ils aspirent eux-memes.
La premiere de toutes consiste a faire respecter
la sainte et inviolable observance de la religion, dont
les devoirs unissent l’homme a Dieu. Quant a decider
quelle religion est la vraie, cela n’est pas difficile a
quiconque voudra en juger avec prudence et sincerite.
En effet, des preuves tres nombreuses et eclatantes,
la verite des propheties, la multitude des miracles,
la prodigieuse celerite de la propagation de la foi,
meme parmi ses ennemis et en depit des plus grands
obstacles, le temoignage des martyrs et d’autres arguments
semblables prouvent clairement que la seule
vraie religion est celle que Jesus-Christ a instituee lui-meme
et qu’il a donne mission a son Eglise de garder
et de propager. ≫ Edit. citee, t.
ii
, p. 21-23.
'/> Tout en reconnaissant que la religion catholique,
seule religion imposee par Dieu, a seule theoriquement
un droit naturel absolu au libre exercice, et tout en la
proclamant religion de l’Etat, le legislateur civil peut
licitement, sous l’empire de motifs suffisants, ne pas
empecher le libre exercice de cultes autres que le culte
catholique. Il ne s’agit evidemment pas ici de toutes
sortes de cultes, y compris ceux qui prescriraient des
sacrifices humains ou des actes directement contraires
aux premiers principes de la morale, mais de certains
cultes qui ne heurtent pas de front l’honnetete et la
moralite la plus vulgaire. Cette espece de liberte ou
tolerance civile de certains cultes ne leur est pas due en
justice, a titre de cultes, puisque ces cultes sont fondes
sur l’erreur, et que tout droit est fonde sur la verite ;
niais cette liberte ou tolerance leur est octroyee soit
pour un plus grand bien, soit pour empecher un plus
"i mal. En decretant cette tolerance, le legislateur
est cense ne pas vouloir creer au profit des dissidents
le droit ou la faculte morale d’exercer leur culte.
mais seulement le droit ile n’etre pas troubles dans
l’exercice de ce culte. Sans avoir jamais le droit de mal
ayir. on peut avoir le droit de n’etre pas empeche de
mal ; iL_’ir. si une loi juste prohibe cet empechement pour
mlifs suffisants. Les rites des infideles, dit saint
Thomas, peuvent etre toleres ou pour quelque bien
>pii en decoule, ou pour quelque mal ainsi evite, i Infidelium
ritus tolerari possunt, vel propter allquod bonum
ifiiod
i
, et* provenit, vel proptei allquod malum quod
ritiitm Sttni Theol., || ≫ H ≫, <|
x
, a. 11.
te tolerance, dans certains cas, pourra n’etre
qu’une tolerance de fall, tandis que, dans d’autres cas.
e plus graves mol ifs l’exigent, elle pourra elre
lie meme p : ir une loi et devenir ainsi legale
i i pli e, declare Leon MIL juge qu’il n’est pas
permis de mettre les divers cultes sur le meme pied
legal que la vraie religion, elle ne condamne pas pour
cela les chefs d’Etat qui, en vue d’un bien a atteindre
ou d’un mal a empecher, tolerent dans la pratique que
ces divers cultes aient chacun leur place dans l’Etat.
C’est d’ailleurs la coutume de l’Eglise de veiller avec le
plus grand soin a ce que personne ne soit force d’embrasser
la foi catholique contre son gre, car, ainsi que
l’observe sagement saint Augustin, l’homme ne peut
croire que de plein gre. ≫ Encycl. Immortale Dci,
ibid
..
t.
il
, p. 43. ≪ Laisser la liberte aux autres cultes ou la
tolerer, dit le cardinal Dechamps, ce n’est pas approuver
l’usage qu’on en fait. La loi qui garantit la tolerance
ou la liberte civile des autres cultes, ne confere
donc nullement le droit de professer et de repandre le
faux, de pratiquer et de propager le mal. Ce pretendu
droit est donc un non-sens, une impossibilite. Les
hommes sont libres de mal penser ou de mal faire,
c’est-a-dire qu’ils en ont la faculte (ou le pouvoir physique),
mais ils n’en ont pas le droit (ou le pouvoir
moral), et ils rendront compte a Dieu d’avoir mal use
de leur libre arbitre. ≫ Le liberalisme, lettre a un publiciste
catholique.
Autre chose, en effet, est le droit civil a la tolerance,
quand celle-ci est garantie par la loi ; autre chose le
droit pretendu naturel et inviolable a la tolerance. Nul
homme n’a le droit d’errer ou de mal faire, nul homme
n’a le droit naturel, absolu, inviolable, d’etre tolere
legalement dans l’exercice d’un culte qui serait faux
en soi ; mais si une loi, juste d’ailleurs, accorde la tolerance
d’un tel culte, le partisan de ce culte a droit a la
tolerance de ce culte, sans avoir pour cela la faculte
morale de l’exercer. De meme, autre chose pour l’Etat
est de proteger un culte en lui-meme, autre chose est
d’en proteger seulement le libre exercice, en se bornant
a empecher legalement les atteintes a ce libre exercice.
En droit, le premier genre de protection ne peut appartenir
qu’au culte de la vraie religion, le second est
reserve aux autres cultes, dans la mesure ou ils sont
susceptibles d’etre toleres.
Faisons toutefois ici, a propos de trois propositions
condamnees par Pie
IX
, les remarques suivantes :
a. ? Le Syllabus, parmi les erreurs qui se rattachent
au liberalisme moderne, signale celle-ci, propos. 77 ; ≪ A notre epoque, il n’est plus expedient de tenir la
religion catholique comme unique religion d’Etat, a
l’exclusion de tous les autres cultes. jEtate hac noslra
non amplius expedit, rrtiyionem catholieam haberi tanquam
unirani Status reliqionem, celeris quibuscumqur
rultibus exclusis. Le nonobstant, il n’est pas defendu
de penser qu’il peut se trouver, a notre epoque, des
contrees ou les croyances sont tellement affaiblies
et divisees, qu’il ne soit plus possible d’y proclamer la
religion catholique comme religion d’Etat, a l’exclusion
de tous les autres cultes.
b. ? D’apres le Syllabiis encore, propos. 78. il n’est
pas permis de dire qu’on a agi d’une facon louable en
certains pays catholiques (designes par les allocutions
qui s’y rapportent). en pourvoyant par la loi a ce que
les et rangers qui s’y rendent puissent y jouir de l’exercice
public de leurs cultes particuliers. Ilinr liiudabili
ter in quibusdam catholici nnniitiis regionibus le<ie rautum
est. ut hominibus illne immigranttbus liceat publicutn
proprii cujuique cullus exerciiium habere. Poui
tant, il n’esi pas interdit par la meme de penser que
dans certains pa s divises de croyances, non seulement
des etrangers, mais encore des indigenes, puissent
elre admis au libre exercice de leurs cultes, quand la
necessite l’exige.
r Le Syllabus unie egalement comme Inexacte
la proposition suivante, n. 79 : La liberte civile d<
chaque culte et le plein pouvoir attribue a Ions dr
manifester ouvertement et publiquement ions pense)
cl opinions, quelles qu’elles soient, ne contribuent pi
a corrompre plus facilement les mœurs et les esprits
des peuples et h propager la peste de l’indillerentisme.
Enimuero falsuin est, civilem cujusque cultus Ubertatem
itemque plenum potestutem omnibus uttributum quaslibet
opinion.es pulum publiceque manifestandi conducere
a t populorum mores animosque jacilius corrumpendos
ac indifjerenlismi pestem propagandam. ≫ Et pourtant,
il n’est pas defendu par la meme de penser que, dans
certaines circonstances, le libre exercice des divers
cultes, de ceux, bien entendu, qui ne heurtent pas de
front l’honnetete et la moralite la plus vulgaire, peut
etre licitement accorde par un legislateur catholique.
En exercant une neutralite de ce genre, le legislateur,
loin de violer aucun precepte de la religion catholique,
en observe en realite un autre non moins important
celui qui lui defend de poser des actes propres a
troubler la tranquillite publique, sans profit pour la
religion, et peut-etre au risque de la compromettre.
Sans doute, un gouvernement ne peut pas poser un
acte legal quelconque qui favorise directement une
religion fausse en tant que fausse ; mais il ne lui est pas
defendu de poser, sous l’empire de graves motifs, des
actes legaux qui assurent a de faux cultes existants le
libre exercice, au meme degre (nous ne disons pas au
meme titre ni de la meme facon) qu’au culte catholique,
et qui, donnant aux partisans des faux cultes les memes
droits civils et politiques qu’aux catholiques, les
mettent sur le meme pied legal au point de vue de
l’exercice de leur culte. La doctrine commune doit
reconnaitre qu’un souverain est tenu, comme personne
privee, et comme personne publique, de ne pas confondre
l’erreur avecla verite et de ne pas assimiler un faux
culte au vrai culte ; mais, accorder, sous l’empire de
necessites suffisantes, a divers cultes la permission
legale de s’exercer avec les memes garanties civiles, ce
n’est point poser la un acte contraire aux principes
chretiens. Cet acte peut meme, nous osons le dire, etre
inspire par un sentiment catholique, si le souverain le
pose pour remplir son devoir et servir la religion,
autant qu’il est possible, dans les circonstances difficiles
ou il se trouve. Lorsque la parite declaree entre le
vrai et les faux cultes ne revet aucun caractere dogmatique,
s’abstenant de donner une approbation explicite
ou implicite aux maximes professees par les cultes
dissidents mais qu’elle se borne a proteger la personne
de ceux qui pratiquent ces cultes, a leur garantir
le libre exercice de leur religion et la jouissance des
droits politiques, elle peut, dans certains cas, etre
legitimement et utilement etablie. Sur l’histoire de
la controverse, voir l’art. Liberalisme.
J. Baucher.
LIBERTE DE CONSCIENCE
. Voir Liberte,
col. 684.
LIBERTINS
. ? Le nom de Libertins a ete donne
aux membres de diverses sectes et aux adeptes de
differents mouvements religieux. ? I. Les libertins
du
xvi
e
siecle en France. ? C’est une secte qui
unit aux principes de la Reforme les theories pantheistes
qui subsistaient depuis le Moyen Age dans la
vallee inferieure du Rhin (Freres du libre Esprit). Nous
la connaissons par Calvin qui dut lutter contre elle.
Ce lui fut une affliction sensible de voir sortir de sa
Reforme des opinions si monstrueuses. Il va jusqu’a
avouer que le pape lui-meme faisait beaucoup moins
de deshonneur a Dieu, car ≪ le pape conserve une forme
de religion, il ne retranche pas l’esperance de la vie
future, il enseigne qu’il faut craindre Dieu, il reconnait
des differences entre le bien et le mal. il confesse que
Jesus-Christ est vrai Dieu et vrai homme, et il respecte
encore l’autorite de l’Ecriture. ≫ Œuvres, edit. d’Amsterdam,
1667, t.
viii
, p. 377. Cf. Lettre d ? Calvin a la
reine de Navarre, t. ix b, p. 32 et 138.
La secte prend naissance a Lille vers 1525, elle est
propagee par un tailleur d’habits, nomme Quentin,
picard d’origine, par Chopin, puis par un pretre fran
cais, Ant. Pocques. Elle se repandit a Paris et en
plusieurs provinces..Marguerite de Valois lui ouvrit un
asile a Nerac. Les libertins partaient de ce principe
stoicien qu’il n’y a qu’un seul Esprit, immortel, infini
et repandu partout, qui est l’Esprit de Dieu, en sorte
que c’est Dieu meme qui anime les hommes et qui
opere tout en eux, etant intimement et formellement
uni a leurs corps. Ils aboutissaient aux consequence !
les plus absurdes et les plus impies : il n’y a pas d’autre
substance spirituelle que Dieu, tout le mal et tout le
bien est de Dieu comme unique agent, sans qu’on puisse
en rendre l’homme responsable ; ainsi l’on ne peut
rien condamner, ni punir, ni regler, ni prevoir, et
toute notre fonction ici-bas est de vivre tranquilles au
gre de nos desirs, sans crainte et sans esperance. La
Redemption operee par Jesus-Christ a pour but de
nous retablir dans l’etat d’innocence ou se trouvait
Adam avant son peche, etat qui consistait dans l’ignorance
absolue de la distinction entre le bien et le mal.
Ils tournaient l’Ecriture dans le sens de leurs conclusions
et n’attendaient ni resurrection des corps ni jugement
general. Ils vivaient d’ailleurs en epicuriens et
meritaient^e nom de libertins pour leur conduite aussi
bien que pour leurs croyances.
Vers 1547, un cordelier de Rouen fut mis en prison
parce qu’il repandait ces doctrines, quoiqu’en un
langage fort devot. Il pretendait prouver tout son
systeme par l’Ecriture. Il avait rassemble des passages
pour nier le peche originel, pour attribuer a Dieu seul
la reprobation des mechants, pour detruire la liberte,
pour etablir l’homme dans une sorte de paix, de joie
meme, apres avoir fait le mal, sous pretexte que telle
est la volonte de Dieu. Il ajoutait a cela qu’il n’y a
qu’un peche a craindre : la bonne opinion de notre
merite, et qu’une vertu a pratiquer : l’aveu de notre
impuissance, de notre incapacite totale, aveu qui comprend,
disait-il, toute la mortification, toute la penitence,
toute la perfection du christianisme.
Un pareil systeme si clair, si logique, aux perspectives
si faciles, etait goute de beaucoup de personnes,
toutes, parait-il, de la petite Eglise de Calvin. On allait
voir et entendre le cordelier dans sa prison ; on lisait
ses ecrits avec empressement ; les femmes surtout
etaient charmees de sa doctrine et adoucissaient par
des presents les rigueurs de sa captivite. Calvin ne
put apprendre ces nouvelles sans en etre indigne. Il
ecrivit aussitot a Rouen pour demasquer le faux
apotre a qui l’on faisait pareil accueil (20 aout 1547) et
c’est de sa lettre que nous tenons ces details.
La Lettre du reformateur est dans le style dogmatique.
Il pretend y refuter-par l’Ecriture seule toutes
les assertions de son adversaire. Neanmoins, on sent
que sur les articles de la predestination et de la reprobation,
de l’etat des hommes depuis le peche, de l’obligation
d’eviter le mal et de faire le bien, Calvin fournissait
des armes contre lui-meme, en n’admettant
aucune liberte dans l’homme pecheur, aucune volonte
en Dieu de sauver ceux qui ne sont pas du nombre des
elus, aucune possibilite en nous de garder les commandements,
si Dieu ne nous donne pas une grace necessitante.
Calvin accablait de reproches le cordelier heretique,
mais il disait encore plus d’injures a ces pretendues
devotes qui s’etaient laisse seduire par ce
nouveau systeme.
Nous ignorons quelle fut la suite de cette querelle
Il est certain que la secte a laquelle le cordelier de
Rouen avait emprunte la plus grande partie de ses
erreurs continua a faire des progres en France parmi
ceux qui etaient gagnes aux doctrines du libre e~xamen.
Bientot, le terme de libertin va s’elargir pour signifier S