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Dictionnaire de theologie catholique/LIBERTE

La bibliotheque libre.
Dictionnaire de theologie catholique
Letouzey et Ane ( Tome 9.1 : LAUBRUSSEL - LYRE p.   337 - 359 ).

LIBERTE . ? Le mot de liberte est susceptible d’acceptions tres diverses, dont la multiplicite est generatrice de confusions. Il y aura donc lieu d'etablir le sens general du mot et l’idee fondamentale qui groupe ces differentes acceptions. On etudiera ensuite la liberte physique, autrement dit le libre arbitre, avec les problemes theologiques que souleve son exis tence, et le probleme moral de la responsabilite qui lui est connexe. Pour terminer, on s’occupera de la liberte en tant qu’elle est le droit d’agir ou de ne pas agir, en d’autres termes de la liberte morale. Laissant de cote la question des libertes civiles et politiques, on discutera seulement le probleme que soulevent la liberte de conscience et la liberte des cultes.

D’ou cette division de l’article :
I. Notion, division et essence de la liberte. ?
II. Liberte physique ou naturelle : libre arbitre (col. 663).?
III. Problemes theologiques que souleve l’existence de la liberte (col. 669). -
IV. Liberte et responsabilite (col. 681). ?
V. Liberte morale, liberte de conscience, liberte des cultes (col. 684).

I. Notion, division et essence de la liberte. ?

Notion generale .


S’il est dans la langue francaise un nom a tort ou a raison beni, chante, acclame dans les circonstances les plus diverses et parfois meme les plus contradictoires, c’est assurement celui de liberte : mot magique qui electrise, souleve, transporte, enthousiasme jusqu’au delire, alors meme que souvent on ne le comprend pas. ? Qu’est-ce donc que la liberte? Etre libre, c’est etre degage de tout lien.

2° Divisions. ?

Or, un lien peut se rencontrer dans deux ordres differents, dans l’ordre moral et dans l’ordre physique ; il ne peut enchainer que de deux manieres correspondant a ces deux ordres. Il enchaine dans l’ordre moral, lorsqu’il impose une obligation a qui peut et doit la recevoir, et se traduit par une loi. Il assujetti ! dans l’ordre physique, quand il est le principe d’une necessite qui enleve a la creature la possibilite de se determiner a son choix. L’immunite du premier lien constitue ce que nous appelons la liberte morale ; de l’absence du second resulte la liberte physique. Cette derniere se subdivise en liberte de coaction et en liberte de necessite.

La liberte de coaction repousse toute violence venanl de l’exterieur et infligee, contre son gre, a celui qui a^it. Le malfaiteur arrete, solidement garrotte et conduit sous bonne escorte en prison ne jouit pas, et avec raison, de la liberte de coaction.

La liberte de necessite repose tout entiere sur l’immunite de tout principe intrinseque a l’agent et le determinant, par une sorte de fatalite, a agir toujours en dehors de son choix. Cette liberte, qui n’est qu’une propriete de la volonte, peut etre consideree a un triple point de vue : au point de vue de Vacle meme de la volonte, au point de vue de son objet, enfin au point de vue de la fin derniere. Il est. en effet, loisible a la volonte de poser un acte ou de s’en distraire ; c’est la liberte de contradiction qui permet de vouloir ou de ne pas vouloir. Entre les differents objets qui lui sont proposes, la olonte peut fixer son choix et marquer ses preferences ; c’est la liberte de specification. Enfin, relativement a la fin derniere, la volonte creee a le pouvoir de se porter a ce qui l’y conduit, comme aussi de se determiner a ce qui l’en eloigne ; c’est la liberte de nmtrariete. Liberia ≫ voluntatis, dit saint Thomas, m tribus constderabitur ; scilicei quantum ad actum, in quantum potest Vellt vrt non rcllr ; rt iju<mtuu ml Objet tuni. in quantum jxiti < ! pcIIc hoc vel illud. et cius opposilum : rt quantum ad nrdmem fini ≫, in quantum potest bonum vel malum, lie veritate, q. xxii . a. fi. cf. P. de Mandata, Instltutlonet phlloBophtcte, Rome, 1892, t. IV , p, tl 59. Triple manifestation d’une seule et meme propriete dont l’essence tout enliere se rencontre eminemment dans la premiere, a savoir, la liberte de contradiction qui. comme nous l’avons dit, laisse a la olonte le choix entre le vouloir et le non vouloir. i h effet, quelqu’un est vraiment libre lorsqu’il est le maitre et la 'anse de son acte. Or, celui qui peut r entn deux contradictoires, quel que soit l’objet m choix, demeure le maitre < t la cause de son

Mais c’est precisement en cela que consiste la liberte de contradiction. Donc elle seule est essentielle a la liberte de necessite, car la liberte de specification n’est le plus souvent qu’une de ses varietes.

Dans son sens philosophique, la liberte se confond avec le libre arbitre qui, d’apres saint Thomas, consiste dans le pouvoir de choisir, c’est-a-dire de preferer une chose a une autre. Le libre arbitre ne se distingue pas reellement, comme puissance ou faculte, de la volonte, pas plus, du reste, que la raison ne se distingue reellement de l’intelligence ; car la faculte qui entend ou connait dans l’homme est la meme faculte que celle qui raisonne. En d’autres termes, vouloir et choisir appartiennent a une seule et meme puissance, comme connaitre et raisonner sont deux actes d’une seule et meme faculte. Ainsi, de meme que l’intelligence percoit les premiers principes et que la raison en deduit les consequences, ainsi la volonte se dirige necessairement vers sa derniere fin, qui est le bonheur, tandis que le libre arbitre, s’appliquant aux moyens, peut choisir tel ou tel de ces moyens, tel ou tel bien non necessaire, et c’est en cela qu’il est maitre de ses actes.

Essence de la liberte .


Ce choix que fait l’homme ne doit pas etre l’effet d’un caprice ; c’est un acte de la volonte raisonnable, acte qui, par consequent, doit etre conforme a la saine raison. S’il s’en ecarte, il ne saurait etre un acte parfait de la volonte libre, pas plus que le sophisme n’est un acte parfait de la faculte de raisonner. La nature tend au vrai et au bien, et de meme que le jugement errone n’est pas une qualite mais un defaut de la nature raisonnable, ainsi l'election vicieuse n’est pas une qualite, mais un defaut de la nature libre. Ce serait donc se tromper que de faire consister la nature de la liberte ou du libre arbitre dans le pouvoir de choisir entre le bien et le mal. Le libre arbitre est une propriete de la volonte faite pour le bien ; donc il repugne que le mal, comme mal, soit l’objet de son inclination. Si donc la volonte embrasse le mal, c’est par suite de l’imperfection du sujet dans lequel elle reside, sujet faillible par son esprit, et dont le corps suscite des tendances qui ne sont pas conformes aux tendances de la raison. Vouloir le mal, d’apres saint Thomas, n’est pas plus la liberte ou une partie de la liberte, que l’action de boiter ne vient de la puissance motrice, encore que cette puissance soit requise pour que l’on boite en fait. Donc la liberte de contrariete n’appartient pas a l’essence de la liberte de necessite. Le pouvoir de faire le mal est un indice de la liberte : il n’entre nullement dans la constitution de son essence, pas plus que la maladie ne fait partie de l’essence de la sante. H sec potestas, dit saint Thomas, est illius tantum solius in quo natura deficere potest. Nam ubi non est dejectus in apprehendendo et conjerendo, non potest esse VOluntas midi in lus qu : v snnt ad finem, sirut palet in bcatis. Et pro tanto dicitur. quod vclle malum nec est Ubertas, nec pars libertatis, quamvis sil quoddam libertalis signum. De veritate, q. xxii , a. fi.

Il en resulte cette affirmation, qui n’est paradoxale qu’en apparence, qu’empecher quelqu’un de mal faire. ce n’est point lui enlever sa liberte, c’est au contraire le sauver de l’esclavage, selon cet te parole du Sauveur : i Quiconque commet le peche est esclave du peche. Joa., viii , .'il. C’est l’impuissance de mal faire qui assure le triomphe de la vraie liberte.

I.a liberte est reglee ou non reglee, suivant qu’on agit ou qu’on D’agil pas d’apres la droite raison. Dr. ce qui est rei_'le est hou. ce qui est lion est rai. Donc. la liberte Vraie est celle qui choisit une chose cou tonne a la raison, et la liberte fausse celle qui choisit une chose contraire a la raison. Kl comme le rai et l'etre se confondent, solvant cet exlome Verutn et tnt cow ≫ ertuntur, la libelle vraie est la liberte meme, dont la liberte fausse n’est que la fiction et le masque. De la vient que l’homme est d’autant plus libre qu’il suit davantage sa raison, parce qu’il agit d’apres son principe specifique, comme il est d’autant plus esclave qu’il se laisse dominer davantage par ses sens. La vraie liberte ne peut exister qu’avec la raison et la verite ; ce qui est contre la raison et la verite est contre la liberte et engendre la servitude. ≪ C’est la vraie liberte, et la plus parfaite, dit Leibniz, de pouvoir user le mieux de son franc arbitre et d’exercer toujours ce pouvoir sans en eU’e detourne par la force externe ni par les passions internes, dont l’une fait l’esclavage des corps et les autres font celui des ames. Il n’y a rien de moins servile que d’etre toujours mene au bien, et toujours par sa propre inclination, sans aucune contrainte et sans aucun deplaisir. ≫ Essais de theodicee. ≪ Lors donc que nous faisons le mal, dit le P. Monsabre, commentant ce philosophe, ce n’est point en vertu d’un perfectionnement de notre liberte, mais bien plutot par sa defection. Il n’est pas plus parfait dans l’ordre moral de pouvoir renverser l’harmonie des fins, qu’il n’est parfait dans l’ordre intellectuel de pouvoir renverser l’harmonie des principes. Si nous voyions clairement le bien dans sa ravissante splendeur, le mal dans sa hideuse difformite, soyez bien persuades que nous ne balancerions pas un instant ; sans lutte, sans efforts, nous nous deciderions pour le bien. Mais Dieu a permis, pour notre epreuve, que l’ignorance et les passions jetassent un voile sur notre esprit et que de coupables erreurs deshonorassent notre liberte. Sans doute, nous ne voulons pas le mal pour le mal ; cependant, victimes des tenebres que nous n’avons pas su dissiper, des appetits que nous n’avons pas eu le courage de dompter, nous mettons le bien la ou il n’est pas, ou plutot nous le detournons de sa veritable et eternelle destination. ≫ Exposition du Dogme catholique, careme de 1874, Paris, 1883, p. 107-109.

II. Liberte physique ou naturelle : Libre arbitre. ?

Le probleme .


La liberte physique, avons-nous dit, trouve sa plus parfaite expression dans la liberte de necessite qui repose tout entiere sur l’immunite de tout principe intrinseque a l’agent et le determinant, par une sorte de fatalite, a agir toujours en dehors de son choix. Cette derniere reside a son tour dans la liberte de contradiction, qui fait de l’etre intelligent l’arbitre de ses actes de telle sorte qu’il puisse, de son plein gre, agir ou ne pas agir, vouloir une chose ou ne la vouloir pas. Elle n’est autre que ce que nous appelons le libre arbitre.

On agit fatalement ou librement. Tous les etres inferieurs a l’homme agissent fatalement, en ce sens qu’il leur serait impossible d’agir autrement qu’ils ne font dans des circonstances donnees. L’homme est soumis a cette determination necessitante dans un grand nombre de ses actions ; d’abord, dans toutes celles qui relevent de la vie vegetative ; puis, dans celles qui appartiennent a la vie de relation mais qui echappent, soit au regard de la conscience, soit au pouvoir de la volonte. L’action humaine est donc tres souvent necessitee ; l’est-elle toujours ? L’est-elle meme quand la conscience crie au dedans qu’elle ne l’est pas ? En d’autres termes, avons-nous la liberte physique ou naturelle, appelee le libre arbitre ? Nous verrons plus tard dans quelle mesure nous jouissons de la liberte morale. Ici nous entendons parler seulement de la premiere.

A la question posee nous repondons parVa/firmalivc, sauf a l’endroit du bonheur que nous poursuivons necessairement, souvent a notre insu, dans tous et chacun de nos actes.

2° Determination de la volonte par rapport au bien en general. ?

Il n’y a. a bien prendre, que le corps qui puisse etre esclave de la violence ; l’Ame s’y soustrait par sa nature propre et ses courageux efforts. Il n’en est pas de meme de la necessite. Issue de lois sur lesquelles repose l’ordre universel, elle commande, elle s’impose, elle imprime un mouvement qu’il faut suivre, sous peine de ne plus etre dans sa propre nature. C’est la necessite qui preside a la gravitation des corps vers les corps, des instincts vers les biens sensibles, des volontes vers la beatitude. ≪ Raidissez-vous contre l’attrait magique de la felicite, dit le P. Monsabre, essayez de protester contre la voix imperieuse qui ebranle tout votre etre et chante nuit et jour l’hymne de vos destinees en ces trois mots : il faut etre heureux, vous ne le pourrez pas ; votre esprit, votre cœur, votre corps lui-meme se laissent prendre et ravir ; vous voulez etre heureux. A chacun des objets qui se rencontrent sur le passage de votre vie anxieuse et tourmentee vous demandez : N’es-tu pas le bonheur que je cherche ? Souvent arretes, presque toujours decus, vous ne quittez une etape inhospitaliere que dans l’espoir d’en trouver une autre ou vos fievreux desirs pourront se reposer. Tout va bien si, desabuses des mensonges de ce monde, vous savez esperer en paix les jours meilleurs d’une meilleure patrie. Mais enfin, desabuses ou non, il est certain que vous subissez l’empire de la necessite. La loi qui regit l’irresistible tendance de votre volonte ne vous fait pas violence ; mais vous lui repondez spontanement et inevitablement par des desirs en attendant la jouissance et le repos. ≫

Nul de nous ne songe a s’en plaindre, ni ne se croit amoindri ou deshonore par cette necessite. Pourquoi cela ? ≪ C’est, repond l’illustre orateur, qu’elle nous vient de Dieu, qui la subit lui-meme sans que sa perfection en souffre. Soleil sans declin, ocean de vie, nature pleine et parfaite, douee de tous les charmes, bonte infinie, Dieu ne peut pas ne pas se vouloir et s’aimer tel qu’il est ; se vouloir et s’aimer, c’est son bonheur. Rien de violent, rien d’aveugle, rien de deraisonnable* dans l’attrait qui le tourne vers lui-meme et le retient en son essence. Tout y est douceur, lumiere, raison infinie, et cet attrait, loin de nuire a l’universelle puissance de sa volonte, lui donne la plenitude meme de l’etre divin. ≫ P. Monsabre, op. cit ., p. 97-99.

Suivant la doctrine de saint Thomas, tous les etres, quels qu’ils soient, procedent de la volonte meme de Dieu, comme de leur premiere cause. Il faudra donc trouver en tous son empreinte, ce qui en constitue comme le caractere distinctif. Or, le caractere distinctif de la volonte de Dieu, c’est de ne tendre qu’au bien, lequel bien, d’ailleurs, n’est, pour elle, que la bonte divine elle-meme. C’est donc a cette bonte qu’elle ordonne tous les etres. Il s’ensuit qu’en vertu de la volonte meme de Dieu, tous les etres doivent tendre au bien, c’est-a-dire alaparticipation en eux. suivant leurs moyens, de la bonte meme de Dieu. Cette tendance, en tous, sera proportionnee a leur nature propre. Ceux qui n’ont aucune connaissance tendront au bien, en vertu meme de leur nature ; ils ne le feront que dans la mesure ou cette nature le reclame. D’autres, qui ont la connaissance sensible, y tendront selon tout l’etendue comprise dans le’rayon de leur connaissance. D’autres enfin y tendront sans qu’aucune limite puisse leur etre assignee : parce que, doues d’intelligence, ils percoivent la raison meme du bien universel. Cette derniere tendance au bien, de toutes la plus parfaite, s’appelle la volonte : Qua’dam vero inclinantur ad bonum cum cognitione qua cognoscunt ipsam boni rationem, quod est proprium intellectus. Et hœc perfeedssime inclinantur in bonum : non quidem quasi ab alio solummodo directa in bonum, sicut ea quæ cognitione carent : neque in bonum particulare tantum. sicut ea in quibus est sola sensitiva cognitio. sed quasi inclinata in ipsum universale bonum ; et hœc inclinatio dicitur voluntas. Sum. theol., I ≫, q. lix , a. 1.

Donc nous ne pouvons pas ne pas vouloir un bien. Nous constatons en nous la presence de cette tendance au bien et au bonheur, tendance volontaire, puisque c’est de mon gre et avec connaissance que je lui obeis, tendance necessaire pourtant et qui n’est pas mon choix libre, mais une loi de ma nature, puisqu’il m’est impossible de ne pas lui obeir.

3° Indetermination de la volonte par rapport aux biens particuliers. ?

Cette loi est donc une limite a mon libre arbitre, limite posee par Dieu lui-meme et qui demeure a jamais infranchissable. Mais, dans la sphere de cette limite qui circonscrit l’action de ma volonte, suis-je libre ? Le fait du libre arbitre, s’il est reel, ne peut l’etre qu’a la condition d’etre apercu par voie d’introspection, c’est-a-dire, par le procede necessaire de l’information psychologique ou le temoignage de la conscience. Ai-je conscience d’etre libre ?

1. Temoignage de la conscience. ?

A cette question, une reponse affirmative ne saurait faire l’objet d’un doute serieux. J’ai conscience d’etre libre. J’ai conscience de produire par un choix libre ces actes internes qui s’appellent des resolutions, et qui se traduisent en efforts pour executer ce qui a ete resolu. J’ai conscience, au moment ou je prends une resolution, que je pourrais ne pas la prendre ou en prendre une autre, differente ou opposee. Pendant tout le temps qu’elle persiste, j’ai conscience que je puis la modifier diversement, la suspendre ou la faire definitivement cesser. On ne peut pas me dire que je n’ai pas cette conscience, pas plus que l’on ne peut me soutenir que je n’ai pas conscience de souffrir quand je sens bien que je souffre.

Mais on peut me dire, et l’on me dit, que cette conscience me trompe et n’est qu’une illusion. Eh bien alors qu’on le prouve : Quod gratis asseritur, gratis negatur. Melior est condilio possidentis. Mais on ne le prouvera jamais, car cette recusation du temoignage interieur mene droit au scepticisme le plus absolu, a me dire que je ne puis pas meme etre certain du fait de ma pensee et du fait de mon existence, " car je ne suis pas plus certain de ces deux faits, dit M. de Margerie, que je ne le suis du fait de mon libre choix. Et meme il est rigoureusement vrai que les actes interieurs, dont j’ai conscience comme libres, se detachent de tous les autres par une conscience plus distincte, plus reflechie et plus vive. Car c’est dans ceux-la que je me possede et nie dirige moi-meme, et, si je dis moi a propos de tous les faits interieurs, parce que j’en suis le sujet, Je le dis de mes actes libres avec un accent privilegie parce que j’en suis la cause. C’est donc lorsqu’il s’agit d’eux que le temoignage de la conscience atteint son maximum de force et d’eclat, si on le rejet te ici. ; > meilleur droit le rejettera-t-on ailleurs. ≪ Congres wlenttf. internat, des catholiques, Paris, 1891, Sciences philos., p. 73.

D’autre part, ce temoignage de ma conscience, temoignage si net et si formel, est universel . C’est, en effet, le temoignage de toute conscience humaine : il n’y a pas un individu normalement developpe qui n’ait de son libre arbitre la meme conscience que moi du mien. L’experience du present et l’histoire fin passe nous montrent sans doute des philosophes fatalistes acceptes par individus, et des religions fatalistes suivies par nations tout entieres. Ce sont la des croyances speculatives dont les origines ne sont pas impossible a decouvrir. Mais leur domination met en une lumiere d’autant plus vive la conscience pratique que tous les hommes, meme au sein de ces religions et de ces philosophies, gardent leur libre arbitre qu’ils manifestent par des actes de leur vie individuelle et de leur vie sociale. Le sentiment intime de leur liberte resiste chez eux a des doctrines qui la contredisent et qui devraient la detruire, donnant ainsi la preuve de sa vitalite indestructible.

2. Reponse a une difficulte .

≪ Mais, objecte Stuart Mill, avoir conscience du libre arbitre signifie avoir conscience, avant d’avoir choisi, d’avoir pu choisir autrement. Mais la conscience me dit ce que je fais ou ce que je sens : ce que je suis capable de faire ne tombe pas sous son regard. La conscience n’est pas prophetique ; nous avons conscience de ce qui est, non de ce qui sera ou de ce qui peut etre. Nous ne savons jamais que nous sommes capables de faire une chose qu’apres l’avoir faite ou avoir fait quelque chose d’egal ou de semblable. ≫ Examen de la philosophie d’Hamilton, trad. Cazelles, 1869, p. 551. En d’autres termes, une puissance ne peut pas etre un objet d’experience ou de conscience. Or, la volonte libre est une puissance. Donc elle ne saurait etre un objet d’experience ou de conscience. ? Une puissance en inaction et en sommeil ne peut pas etre un objet d’experience ou de conscience, cela est bien vrai. Mais qu’une puissance en action et en eveil ne puisse l’etre, voila ce que l’on ne saurait prouver. Or la volonte, avant la resolution prise et le choix fait, n’est pas a l’etat de puissance en inaction et en sommeil. Elle est eveillee et en action, car elle est en preparation active de l’acte final ; elle est a l’etat de tension en presence de chacun des motifs ou mobiles qui pretendent la determineret, danscettepreparatinn et cette tension, elle prend experimentalement de son libre arbitre la conscience qu’il lui faut avoir pour que cet acte final soit libre. En effet, lorsque, avant le choix, nous nous tournons vers un des partis a prendre, nous sentons que nous ne sommes pas determines a le prendre. Il exerce sur nous une force d’attraction, nous exercons sur lui une force de resistance, et, dans ce conflit, nous prenons experimentalement conscience de la superiorite de notre force sur la sienne, en d’autres termes, de notre independance relativement a lui. Les autres partis se presentent tour a tour ; la meme experience se renouvelle a l’egard de chacun, et nous prenons ainsi conscience de notre independance vis-a-vis de tous. Cette conscience totale, qui est la somme de ces consciences partielles, est proprement la conscience du libre arbitre.

Solution fataliste et deterministe .


Contre l’existence du libre arbitre s’elevent deux principales erreurs a savoir, le fatalisme et le determinisme. Voir Determinisme, t. iv , col. 041 sq., et Fatalisme, t. v. col. 2095.

Des deux, le determinisme est, incontestablement, la plus subtile, la plus dangereuse et, malheureusement aussi, la plus en vogue. D’une maniere generale, la liberte de l’homme, d’apres les fatalistes, est constamment liee par une necessite venant de l’exterieur. Selon les deterministes, le lien qui enchaine cette liberte n’est pas quelque chose d’externe, mais une necessite intrinseque. Les actes que nous appelons libres peuvent etre volontairement poses, mais ils sont soumis a une necessite d’ordre physique, moral ou intellectuel, et excluent seulement toute violence exterieure.

La liberte entendue au sens que nous avons explique n’existe pas. assurent les deterministes parce qu’elle est Impossible, et elle est Impossible parce que tout acte est determine : l’acte sensitif est determine par l’instinct, l’acte raisonnable par la raison. Motif ou mobile, il v a toujours quelque chose qui mefait vouloir. Si j’etais libre, je serais a la fois determine et

Indetermine dans mon acte, determine par le motif. Indetermine A cause de ma liberte, c’est une contra did ion.

Non, repond M| r D’Hulst, Conference ≫ dr Notre-Dame, Careme de 1891, S* conf.. c’est un mystere peut etre, ce n’est pas une contradiction, Jamais les partisans du libre arbitre n’ont pretendu qu’en f ; iis : mt un acte l’homme pourrait eu faire un autre ; la serait la contradiction. Ils disent qu’au lieu de l’acte qu’il fait, l’homme aurait pu en faire un autre sans que les influences qu’il subit fussent changees. ? Mais le motif du moins serait change ? ? A coup sur. ? Donc une des influences, et precisement celle qui decide de tout, serait differente. ? C’est ici l’erreur. On se represente la volonte comme purement receptive ; on dirait que les motifs sont des forces et que la volonte n’est qu’une masse inerte a laquelle ils communiquent le mouvement. On abuse de la comparaison de la balance : les poids, ce sont les motifs ; la balance, dit-on, c’est la volonte. ? Mais non, la volonte n’est pas passive ; elle ne reagit pas seulement, elle agit. C’est une balance qui meut elle-meme ses plateaux. Quand les motifs changent, elle est pour quelque chose dans le changement. Les motifs se presentaient avec la variete de leurs attraits : la volonte en choisit un, elle le prefere, elle tire d’elle-meme cette preference. ≫ Conf. de Noire-Dame, Careme de 1891, 3 e conf.

Il n’est donc pas vrai de dire que tout desir, s’il est violent, emporte fatalement l’action ; ce n’est pas le desir qui decide, c’est le vouloir : la se place la liberte. Et si, au lieu de refouler le desir, je l’accueille et lui livre ma conduite, c’est encore parce que je l’ai voulu ; quelque chose crie en moi que je pouvais et devais vouloir en sens contraire, vouloir contre moi-meme, sacrifier tout mon etre sensible a l’austere exigence du devoir.

Au reste, qu’entend-t-on au juste par motif le plus fort ? ≫… Ceux qui presentent cette objection, fait judicieusement remarquer M. de Margerie, op. cit ., p. 98, ne s’entendent pas eux-memes, et, a la lettre, ce qu’ils disent ne veut rien dire. De quoi s’agit-il, en effet, dans la vie morale ? Du conflit de la passion et du devoir. S’il en est ainsi, l’expression motif le plus fort n’a pas de sens et n’en peut avoir. Je comprends ce que c’est qu’un devoir plus fort qu’un devoir, une passion plus forte qu’une passion. Voici, par exemple, deux preceptes moraux dont chacun, pris a part, oblige la volonte, mais entre lesquels il faut choisir parce qu’on ne peut pas les accomplir tous les deux. La conscience dira lequel impose l’obligation la plus etroite, la plus haute, la plus urgente. Celui-la pourra etre dit le plus fort des deux, et nous nous deciderions certainement d’apres lui s’il n’y avait en nous d’autres principes d’action que le principe moral. Voici deux passions dont l’une nous sollicite avec vehemence et dont l’autre ne nous incline que plus faiblement dans le sens oppose. La premiere est assurement plus forte que la seconde et nous entrainerait necessairement s’il n’y avait en nous que des impulsions passionnees. Mais voici un devoir qui me commande une action, et une passion qui m’en detourne. Ou prendrez-vous la commune mesure, l’unite de poids qui, multipliee un certain nombre de fois par elle-meme, changera les deux plateaux de votre balance ? Peserez-vous au poids du devoir ? La plus mince obligation morale pesera plus que le plus violent attrait, et l’empire du monde, compare au devoir de la sincerite, ne vaudra pas le plus petit mensonge. Au poids de l’interet verirable, c’est-a-dire du bonheur ? Si vous connaissez l’interet veritable qui est d’assurer le bonheur par la vertu, le plaisir le plus enivrant sera un motif d’une faiblesse ridicule au prix des biens eternels promis au renoncement. Au poids de la passion ? La plus fugitive jouissance comparee au plus grave et evident devoir emportera la balance. Il me faudrait donc un poids qui fut tout a la fois mesure du devoir et mesure de la passion opposee au devoir. Mais ce poids, vous ne pouvez pas l’avoir parce qu’il est une contradiction. Sur cette contradiction repose l’objection tout entiere. ≫

Enfin, insistent les deterministes, avant que d’agir l’homme delibere, et il delibere parce que des motifs heterogenes le sollicitent. Or vous reconnaissez vous-meme que c’est une appreciation qui determine finalement sa volonte hesitante. Donc elle n’est pas libre.

Cela prouve simplement que la volonte n’est pas aveugle. Si la volonte suit toujours le dernier jugement pratique, ce jugement est tel que je le tire de moi-meme ; il ne m’est pas donne d’avance. Ni mon etat physique, ni mon etat mental ne me l’imposent. Il sort de moi a l’instant decisif, conferant au plaisir, a l’interet ou au devoir telle priorite qui lui plait. Cela est possible, parce que je suis a la fois sensible et raisonnable. Cela est reel, puisque je l’experimente. ≪ Le regne de la necessite est aboli, dit Mgr d’HuIst, loc. cit. L’etre, en gravissant les echelons qui s’etagent depuis l’atome jusqu’a moi, a successivement elargi le cercle de son action ; en entrant dans le domaine de l’intelligence, il a conquis la liberte. ≪ 

5° Le dogme ecclesiastique et le probleme du libre arbitre. ?

Bien qu’elles ne visent pas directement le determinisme philosophique moderne, certaines definitions ecclesiastiques, relatives au determinisme theologique doivent etre rappelees ici ; elles precisent la position que l’Eglise a prise de tout temps en regard du probleme de la liberte, et elles indiquent les directives suivant lesquelles doit evoluer le philosophe chretien quand il discute cette question.

Tout d’abord les expressions employees par l’Eglise lors des controverses semi-pelagiennes marquent la croyance au libre arbitre. On declare sans doute que le libre arbitre a ete diminue par le peche originel, mais qui dit diminue ne veut pas dire supprime. Cf. surtout Concil. Araus. II : Debemus credere quod per peccatum primi hominis ita inclinatum et attenuatum fuerit liberum arbitrium ut nullus poslea aut diligere Deum sicuti oportuit, aut credere in Deum, aut operari propler Deum quod bonum est, possit, nisi eum gratia misericordiee divinse prævenerit. Denzinger-Bannwart, n. 199. A l’epoque des controverses predestinatiennes de la renaissance carolingienne, on retrouve le meme son dans les decisions du concile de Quierz?. 853, contre Gotescale, voir, t. vi , col. 1500 : Libertatem arbitrii in primo homine perdidimus, quam per Christum Dominum nostrum recepimus, et habemus liberum arbitrium ad bonum, prseventum et adjulum gratia et habemus liberum arbitrum ad malum, desertum gratia. Liberum autem habemus arbitrium, quia gratia liberatum et gratia de corrupto sanatum. Denz ., n. 317. Meme indication encore dans la condamnation par le concile de Sens en 1141 de cette proposition d’Abelard : Quod liberum arbitrium per se sufficit ad aliquod bonum. Denz., n.373

Ces diverses affirmations temoignent surtout du desir de mettre en surete le dogme de l’absolue necessite de la grace ; mais du jour ou l’heresie protestante menacera directement le libre arbitre, l’Eglise affirmera avec non moins de force sa croyance au dogme de la liberte humaine.

Deja Leon X , en 1520, dans la bulle Exsurge Domine, condamne cette proposition de Luther, n. 36 : Liberum arbitrium posl peccatumest res de solo titulo. et dumfacit quod in se est peccat mortaliler. Denz ., n. 776. Le concile de Trente, apres avoir dans la v ≪ session maintenu avec fermete le dogme du peche originel et de la decheance qui en est la suite, ne laisse pas d’affirmer avec une egale energie, dans la sess. vi e , can. 5. l’existence du libre arbitre : Si quis liberum hominis arbitrium post Adæ peccatum amissum et exstinctum esse dixerit. aut rem esse de solo titulo, imo titulum sine re, figmentum denique a Salana invectum in Ecclesia, a. s. Denz .. n. 815.

Les difficultes soulevees autour de l’insoluble question des rapports entre liberte et grace ameneront de nouvelles precisions. C’est d’abord le rejet de cer taines explications fournies par Baius. Prop. 39 : Quod voluntarie fit, etiamsi necessario fiat, libere tamen fit ; et prop. 66 : Sola violentia repugnat libertati hominis naturali. Denz ., n. 1039 et 1066. C’est enfin la condamnation explicite comme heretique de la 3° proposition de Jansenius : Ad merendum et demerendum in statu naturæ lapsse non requiritur in homine libertas a necessitatesedsu/ficit libertas aeoaclione. Denz ., n. 1094

III. Problemes theologiques que souleve l’existence du libre arbitre. ?

L’existence du libre arbitre etant consideree comme hors de discussion, comment est-il possible de concilier cette prerogative de la volonte :
1° Avec la science de Dieu.
2° Avec les decrets de la volonte divine.
3° Avec la predestination.
4° Avec l’efficacite de la grace.
5° Avec le concours divin ?

Le libre arbitre et la science divine .


Dieu sait ce que je ferai demain, et ce qu’il a prevu devoir arriver s’accomplira certainement, infailliblement ; il m’est absolument impossible de m’y soustraire, autrement la science de Dieu serait en defaut, ce qui repugne. Or, si je suis place dans cette necessite, et il en est de meme pour tous mes actes, je ne suis pas libre, car l’indifference et l’indetermination sont de l’essence meme du libre arbitre. Donc, avec la science de Dieu, le libre arbitre ne saurait subsister.

Pour repondre a cette difficulte, il importe de rappeler la nature et l’objet de la science de Dieu, et de determiner le mode dont Dieu connait les choses placees en dehors de lui. Cette simple exposition suffit a resoudre la difficulte. On ne dira d’ailleurs ici que le strict necessaire, la science divine devant faire l’objet d’un article special.

1. Le mode de la connaissance divine. ?

Il y a en Dieu une science eminente qui s’identifie pleinement avec son essence et par laquelle, sans avoir besoin d’aucun secours etranger, il se connait et se comprend lui-meme, autant qu’il est susceptible d’etre connu et compris. La science de Dieu est parfaite et infinie. Sa perfection supreme l’exige. Voir S. Thomas, .S’iim. theol., 1°. ([. xiv , a. 1-5. L’objet primaire de la science de Dieu, c’est lui-meme ; l’objet secondaire, ce sont les creatures. Dieu se connait lui-meme necessairement, et dans toute la mesure ou il peut etre connu. Mais comment connait-il les creatures ? Il les connait parfaitement comme elles existent, et il a de toutes une connaissance propre et distincte. S. Thomas, loc. cit ., a ≪ .. toutefois, sa connaissance n’a pas pour terme les choses elles-memes, comme il en arrive pour nous. Pour connaitre une chose, il ne nous suffit pas de nous considerer nous-memes, il faut que notre regard se IKirie en dehors de nous, vise cette chose et la degage .iract eres individuels qui I en vironnent’pour qu’elle puisse s’assimiler a notre intelligence. Que cette notion Mil abstraite des choses visibles par la vertu de l’intelligence ou qu’elle soil infuse par Dieu, cela importe peu ; dans les deux cal, le sujet connaissant a pour terme de sa connaissance autre chose que lui-meme, et ce terme, dont il depend dans une certaine mesure, n’est pas sans lui apporter quelque perfection.

Or il est evident qu’en Dieu on ne saurait rien concevoir de semblable. Dieu ne peut ni dependre d’une cause creee, ni en recevoir la moindre perfection. Mien en dehors fie lui ne. peut donc servir de terme a sa connaissance, par consequent, tout ce qui exisle en dehors de lui. il le connait en soi-meme, dans son DeiU omnta alla a se, non prr specirm pro prinm, %ta prr uuntlam iuori tnlelligti, Sum. theol .,

Inr. ni., a.", .

Dieu -ail tout ; il sait tout parce qu’il VOil tout ; d sait tout en son essence, en tant qu’elle est la cause premiere et universelle de toutes choses C’est la seule lumiere qui soit digne de l’eclairer, route eonnaii qui viendrait du dehors le ferait dechoir, parce qu’elle melerait quelque chose de fini a son infinie perfection. ≪ Il est sacrilege, dit saint Augustin, de penser que Dieu sort de lui-meme pour voir ce qui est hors de lui. ≫ Sacrilegum est opinait Deum extra se exire ut res extra se positas inlueatur. De diversis quæstionibus LXX.Xllf liber unus, q. xlvi , P. L ., t. xi., col. 30.

Mais comment expliquer cette connaissance de Dieu ? Dieu ne connait pas les choses dans son essence, ou a. travers son essence, comme un myope se sert de lunettes appropriees pour considerer les objets qui echappent a ses yeux debiles. Il ne faudrait pas voir dans l’essence divine une sorte de glace transparente ou de loupe grossissante qui permettrait a Dieu de se mettre en rapport avec les choses et d’en acquerir la connaissance. C’est en se considerant lui-meme que Dieu se connait et connait parfaitement les objets places hors de lui dans le passe, dans le present et dans l’avenir.

En effet, tout ce qui existe ou a existe est l’œuvre de Dieu seul, car seul il est Createur. Quand il se sert des creatures, ce n’est pas dans son operation creatrice mais dans d’autres operations secondaires, et encore n’est-ce qu’a titre d’instruments qui executent un plan concu et voulu par lui. Or, toute œuvre accomplie par un habile ouvrier est la realisation d’un plan forme d’avance et dont le dessin vivant se trouve dans l’intelligence de cet ouvrier. Avant de le mettre a execution, l’ouvrier l’a presenba l’esprit avec tous ses details et les modifications meme qu’il est en mesure d’y apporter. Avant de la realiser au dehors de lui, il connait son œuvre, il pourrait la decrire, et son execution meme, a parler rigoureusement, ne saurait lui apporter aucune connaissance nouvelle a cet egard. Dans une œuvre, quelle qu’elle soit, c’est le plan qui est la chose essentielle ; le reste est plus ou moins accessoire.

De meme, toutes les creatures passees, presentes et futures ne sont que la realisation dans le temps du plan de l’intelligence divine relatif a leur existence reelle ; et c’est en contemplant son essence qu’il y considere en meme temps toutes les creatures, avec toutes les modifications dont elles sont susceptibles, comme l’architecte voit en esprit tous les details de l’edifice qu’il se propose de construire. C’est ainsi que tout est present pour Dieu, et que, pour lui, il ne saurait y avoir ni ≫ asse ni futur, bien qu’il soit dans l’essence de la creation d’etre mesuree par le temps.

2. Les divers objets de la connaissance divine. Outre les choses qui existent actuellement ou qui ont deja existe, il y en a d’autres qui sont purement possi bles, d’autres qui arriveraient a un moment quelconque si telle condition etait verifiee, d’autres qui arriveront certainement et necessairement, d’autres enfin qui arriveront infailliblement. mais d’une maniere aussi libre que certaine. Comment Dieu connait il ces differentes categories de choses ? Il les connait toutes de la meme maniere, ces ! a dire de la maniere que nous venons d’exposer.

a) Les possibles. ?

Est possible tout ce qui, dans son concept) n’implique aucune contradiction. Or. outre les choses existantes, il y en a d’autres qui, dans leur concept, n’impliquent aucune contradiction. Et, de lait. Dieu aurait pu. sans la moindre contradiction. ne rien creer de ce qu’il a bien voulu tirer du neant : il eut pu de meme produire d’autres elres bien differents par leur nombre et leur perfection, Donc, en dehors des choses existantes, on est en droit de compter les choses purenient possibles. Mais d’OO les possi files tirent ils leur possibilite ? I".n d’autres termes, pourquoi les choses sont elles possibles Il impolie de distinguer entre la possibilite interne et la possibilite externe. Toutes les deux dependent de Dieu. Saint

Thomas etablit le fondement de la possibilite interne des choses en Dieu seul, mais considere dans son intelligence et finalement dans son essence. La possibilite interne des choses depend donc formellement de l’intelligence de Dieu, mais elle a sa source dans son essence. S’il est question de la possibilite externe ries choses, nous affirmons avec saint Thomas qu’elle releve egalement de Dieu, mais de Dieu considere dans sa toute-puissance, car tout ce qui ne repugne pas a l’existence peut exister, s’il y a une cause active qui ait la faculte d’etendre sa vertu a tout ce qui est susceptible de participer a l’existence de quelque maniere. Or, une telle cause ne saurait etre que l’Etre dont l’existence s’identifie avec l’essence, l’Etre subsistant en Dieu. Donc, les choses ont en Dieu seul leur possibilite tant interne qu’externe. Avant d’etre realises, s’ils doivent l’etre, les possibles n’ont d’existence que dans l’essence divine. C’est la que Dieu les voit et les connait.

b) Les futuribles. ?

On entend par futuribles ou futurs conditionnels des choses qui n’ont jamais ete, qui n’existent pas et qui n’arriveront jamais, mais qui auraient pu se trouver dans le passe, qui pourraient exister actuellement ou qui pourraient arriver un jour, si telle condition etait posee. Que cette connaissance des futuribles se rencontre en Dieu, c’est une verite qui ne saurait etre contestee et qui est, du reste, affirmee, dans la sainte Ecriture. Pour l’etablir, les theologiens, depuis fort longtemps, ont fait etat de deux passages empruntes l’un a l’Ancien, l’autre au Nouveau Testament.

On lit, I Reg, xxiii , 9-13, que David, retire dans la ville de Ceila et ayant appris que Saul se preparait a venir l’y assieger, interrogea le Seigneur : ≪ Seigneur Dieu d’Israel, votre serviteur a entendu dire que Said se prepare a venir a Ceila pour detruire cette ville a cause de moi. Les habitants de Ceila me livreront-ils entre ses mains ? Et Saul y viendra-t-il comme votre serviteur l’a entendu dire ? Seigneur Dieu d’Israel, faites-le connaitre a votre serviteur. ≫ Le Seigneur repondit : Saul viendra. David dit encore : ≪ Les habitants de Ceila me livreront-ils avec mes hommes entre les mains de Saul ? ≫ Le Seigneur repondit : Ils te livreront. David s’en alla donc avec ses hommes, qui etaient environ six cents ; et, etant partis de Ceila, ils erraient ca et la sans savoir ou s’arreter. Or Saul, ayant appris que David s’etait retire de Ceila, ne parla plus d’y aller.

D’autre part, d’apres Matth.. xi , 21, Notre-Seigneur maudit Corozain et Bethsaida, deux bourgades situees non loin de Capharnaum, sur la rive occidentale du lac de Tiberiade. Les rapprochant de Tyr et de Sidon. il declare que ces deux grandes cites paiennes, profondement corrompues, se seraient converties, si elles avaient ete aussi favorisees qu’elles sous le rapport spirituel. ≪ Malheur a toi, Corozain ; malheur a toi, Bethsaida ; car. si les miracles qui ont ete faits au milieu de vous avaient ete faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles auraient fait penitence dans le sac et la cendre. ≫

Sans vouloir entrer ici dans la fameuse querelle engagee entre thomistes et molinistes au sujet de la maniere dont Dieu connait ces futuribles, disons seulement qu’il les connait comme il connait tous les possibles, c’est-a-dire en lui-meme, d’une facon immediate et suivant l’etre dont ils jouiraient, si la condition dont depend leur existence etait verifiee. L’intelligence divine, en contemplant et en penetrant jusque dans ses plus intimes profondeurs la divine essence, embrasse du meme regard tous les modes possibles de sa ressemblance infinie. Par ou il arrive que le regard de Dieu se porte d’abord sur son essence et, dans cette essence meme, il atteint d’une facon aussi directe qu’immediate les possibles avec toutes leurs varietes.

c) Les futurs libres. ?

Si nous parlons maintenant des futurs libres absolus, Dieu les connait comme il connait toutes choses, et, en particulier, les futuribles. Le futur libre absolu n’est, en effet, que le futurible transfere a l’ordre d’existence avec le caractere de contingence et de liberte prevu dans cet etat. Par consequent, la science du futur libre absolu n’est autre que la science du futur conditionnel a laquelle est joint un decret de Dieu relativement a son existence. Cela meme qui etait connu par Dieu comme pouvant exister, il le connait comme devant reellement exister a un moment donne. Mais ici une remarque essentielle s’impose. Dieu connait les futurs libres absolus non pas comme futurs, mais comme presents. En effet, s’il les connaissait comme futurs, il ne les connaitrait que comme devant arriver un jour. Donc, en ce moment, il ne les aurait pas presents devant lui, il les connaitrait seulement dans leurs causes. Mais s’il les connait dans leurs causes et si sa connaissance est certaine et non pas simplement conjecturale, c’est que ces evenements y sont deja contenus et en sortiront necessairement. Les savants qui annoncent plusieurs annees a l’avance une eclipse de lune, par exemple, determinent d’une facon mathematique l’epoque precise ou la terre se trouvant entre le soleil et la lune, celle-ci, traversant l’ombre projetee par la terre et ne recevant pas la lumiere du soleil, cesse, pendant quelques instants, d’etre visible soit partiellement, soit meme totalement. Mais ce phenomene depend de causes fixes et invariables qui le produisent d’une maniere aussi infaillible que necessaire, et il suffit d’etudier ces causes pourvoir que le phenomene y est reellement contenu et qu’il ne saurait manquer d’en sortir. C’est l’exemple du futur absolu mais necessaire.

Les actes libres ou futurs contingents n’etant et ne pouvant pas etre ainsi contenus dans leurs causes, Dieu les connait non pas comme futurs, mais comme presents. Du moment que Dieu les connait ainsi, ils ne peuvent certes pas ne pas exister, mais cette necessite ne nuit en rien a leur liberte, car c’est une necessite purement concomitante. C’est, en effet, le propre de la necessite concomitante, de ne jamais entraver la contingence de l’acte, car une chose, du moment qu’elle est, ne peut pas ne pas etre : Omne quod est. dum est, necesse est esse ! Exemple : Un professeur enseigne a des eleves qui l’ecoutent assis. S’il ouvre les yeux et qu’il les regarde, il les voit assis et il ne peut pas ne pas les voir assis. Il y a evidemment la une veritable necessite, mais c’est une necessite purement concomitante, c’est-a-dire une necessite qui accompagne la position meme de l’acte contingent. Cette necessite ou se trouve le professeur de voir ses eleves tels qu’ilsse presententdevantlui entrave-t-elle. a quelque degre, la liberte de leur posture ? Il serait ridicule de le pretendre. Eh bien ! la connaissance certaine et infaillible que Dieu possede de nos actes libres ne porte pas plus d’atteinte a leur contingence.

Notons, pour terminer, que, a raison de son objet secondaire, on a justement divise la science de Dieu en science de vision et en science de simple intelligence. La science de vision a pour objet tout ce qui a ete. tout ce qui existe et tout ce qui doit arriver un jour. Les possibles sont l’objet de la science de simple intelligence ; on sait que Molina reserve le nom de science moyenne a la connaissance des futuribles. Ce n’est pas ici le lieu de discuter la justesse de cette distinction.

Le libre arbitre et les decrets de la volonte divine .


Ici encore un simple rappel des doctrines theologiques suffira, sinon pour resoudre, du moins pour mettre au point ce probleme delicat.

La volonte suit l’intelligence, et en Dieu elle a le meme degre de perfection absolue. Elle a pour objet necessaire et premier le bien divin : elle se porte libre ment sur le bien des creatures, mais toujours d’une facon dependante de celui du Createur. C’est la son objet secondaire. Deus, principaliter vult se, et, volendo se vult omnia alla… Sicul uno actu intelligit se et alia, in quantum essentia sua est exemplar omnium, ita uno actu vult se et alia in quantum sua bonilas est ratio omnis bonilalis. S. Thomas, Sum. contra Genl., t. I , c. LXXV-LXXVl.

A raison de son objet, la volonte de Dieu se divise en volonte antecedente ou conditionnelle et en volonte consequente ou absolue. La premiere a pour objet une chose en tant qu’elle est consideree en soi, anterieurement aux circonstances qui peuvent en empecher la realisation parfaite, exemple : le salut de tous les hommes. La seconde se porte sur la meme chose, mais consideree, cette fois, avec toutes les circonstances et particularites qui en assureront la complete execution, exemple : le salut a raison des merites.

Tout ce que Dieu veut d’une facon absolue doit necessairement s’accomplir ; autrement sa toute-puissance se trouverait en defaut, ce qu’il repugne evidemment d’admettre. Or, parmi les objets de la volonte divine, il en est qui ne sont pas atteints ; ainsi, Dieu veut le salut de tous les hommes, et, en fait, plusieurs hommes sont damnes. Donc, entre la volonte absolue et consequente, il faut reconnaitre en Dieu une volonte conditionnelle et antecedente. C’est ce que saint Jean Damascene enseignait deja avec une remarquable precision : ≪ Il faut bien se penetrer de ceci : Dieu, d’une volonte premiere et antecedente, veut que tous les hommes soient sauves et parviennent a son royaume. Car il ne nous a pas crees pour nous punir, mais, etant bon lui-meme, pour que nous participions a sa bonte. Pourtant il veut punir les pecheurs parce qu’il est juste. Des lors, cette premiere volonte est dite antecedente, ou volonte de bon plaisir ; et la cause en est en lui-meme. La seconde est appelee consequente, ou de permission, et finalement c’est nous qui lui donnons naissance et cela doublement : en tant que cette volonte divineest pour nous un avertissement, en tant aussi qu’elle part de la reprobation pour aboutir au chatiment absolu. ≫ De ftd. orth., . II , c. xxix , P. G ., t.xciv, col. 968-969. Cette doctrine du Damascene a fourni le point de depart des developpements ulterieurs de la scolastique latine.

Cette distinction etant posee, voici comme l’on peut mettre en forme le probleme de l’accord de la liberte humaine et des decrets divins.

Tout ce que Dieu veut d’une facon absolue doit necessairement arriver : c’est-a-dire, doit necessairement arriver de la maniere connue par la science de simple intelligence qui est la regle des decrets divins, nous raccordons ; d’une autre maniere, nous le nions. En effet, la volonte divine, quand par son decret elle t ransfere les choses de iyi al de pure possibilite a celui d’existence reelle, veut ces choses comme elles sont connues par la science de simple intelligence qui est la ree-le des decrets divins. Or, dans la science de simple Intell ertalns effets sont representes comme necessaires parce qu’ils procedent de causes necessaires I parfaitement determinees ; d’autres, an contraire. consideres comme libres, en tant qu’ils procedent de causes jouissant du domaine sur leurs actes. Par consequent, la volonte divine se porte sur les uns et les autres, d’une maniere correspondant a celle science. qui eut i’realisation necessaire des premiers et l’execution libl des seconds.

Saint Thomas expose magistralement celle distinc tion dans ses Qutesttonet quodlibetales, quodl. xi. Que la volonte divine aie certitude et n’impose point cependant de necessite, voici comme on peut illquer. La volonte de Dieu est la cause parfaite 1 1 efficace de toutes i hoses, cai tout i e que Dieu veut. r>i< r. m nu oi ( Mien. il le fait. Cette perfection et cette souveraine efficace apparait en ceci, que non seulement il meut et cause les choses, mais encore leur donne tel ou tel mode d’etre cause a leur tour, en ce sens qu’il a assigne a chaque etre le mode determine dont il produirait ses effets. Des lors, puisqu’il a lui-meme voulu que certains faits fussent absolument necessaires et d’autres contingents, il a aussi etabli certaines causes capables d’etre des causes contingentes, d’autres au contraire qui produisent necessairement leurs effets. Ainsi a-t-il voulu que tel ou tel effet non seulement fut, mais fut de telle ou telle maniere, contingente ou necessaire. Par exemple, il a voulu que Pierre courut, mais qu’il courut de maniere contingente ; semblablement, il a voulu sauver tel homme, mais de maniere que celui-ci ne perdit pas son libre arbitre. ≫

5° Le libre arbitre et la predestination. ? Cette question

sera reprise a’ec toute son ampleur a l’art. Phkdestination ; qu’il suffise de rappeler ici les points de doctrine relatifs a cette importante question.

1. Providence et Predestination. ?

Saint Thomas definit la Providence divine : Ratio ordinis rerum in finem, in mente divina præexislens. Sum. theol ., I", q. xxii , a. 1. Ce monde n’est pas un amas incoherent de substances sans relations les unes avec les autres, sans direction vers une fin determinee ; c’est un ensemble ou chaque chose a sa place et concourt, en gravitant vers sa perfection propre, a la perfection du tout. Voir la place de chaque chose, lui assigner ses fins particulieres, ordonner toutes les fins particulieres, vers une fin generale, disposer, decreter, appliquer les moyens par lesquels toutes les fins sont atteintes, c’est faire acte de providence, c’est gouverner. Que cet acte providentiel soit necessaire a une œuvre de Dieu, quelle qu’elle soit, c’est ce qu’il est impossible de nier, sans nier l’œuvre et Dieu lui-meme. L’œuvre, en effet, ne subsistera pas sans ordre, l’ordre ne subsistera pas sans qu’il ait ete concu et mis en acte par le createur meme de l’œuvre. Si nous regardons le monde, si nous suivons ses mouvements et ecoutons ses voix, nous serons bientot convaincus que le plan de l’ordre qui se manifeste en toutes choses preexiste dans une intelligence superieure, qu’une raison divine trone au sommet des existences et les dispose harmonieusement, qu’un art eternel regle tout ici-bas, qu’une volonte maitresse administre sagement le vaste, ensemble des etres. Bref, l’existence de la Providence divine est une verite hors de conteste.

Or, la predestination n’est qu’une partie, qu’un office de la Providence divine. Celle-ci embrasse dans son empire tous les etres sans exception ; la predestination n’a pour objet que les hommes. Encore ne comprendt -elle que ceux qui doivent arriver au (ici. car il est une autre partie de la Providence pour ceux qui s’ecaitent volontairement de leur fin derniere, et c’est la reprobation. <>n peut le dire, ce sont la deux extremes absolument opposes : la predestination conduit la creature raisonnable a sa fin derniere, a celle qu’elle doit al teindre : la reprobation constate sa defection malheureuse, mais volontaire. Dieu veut la premiere et y travaille : voila pourquoi elle est justement appel) e une prescience et une preparation. raison de la faute dont elle est le chaliment inevitable, Dieu ne saurait vouloir ni operer la reprobation, il la permet seulement : et c’est pourquoi on la nomme une prescience ei une permission, c’est a dire, la permission de la defection finale de la creature raisonnable. Voir S. Thomas. De vrril.. q. m. a. 1.

2. Existence <lr lu predestination. l a predestination existe, a savoir, cp dessein que Dieu a forme de toute eternite de conduire certaines creatures raison nables au salut eternel. En effet, Dieu procure a un certain nombre de creatures raisonnables lei eternelles du ciel. Or, la raison de ce que Dieu accomplit dans le temps existe eternellement en lui. Donc eternellement existe en Dieu le dessein de conduire un certain nombre de creatures raisonnables a la vie eternelle, et ce dessein de sa divine bonte n’est autre que la predestination des saints.

Cette verite appartient a la foi catholique et est expressement attestee par de nombreux temoignages de la sainte Ecriture, en particulier, par celui de l’apotre saint Paul, Rom., viii , 29-30 : Quos uulem prsedestinavit, hos et vocavit ; et quos vocavil, hos et justificauit ; quos uutem juslificavil, illos et glorificavil.

A cote de la predestination il y a la reprobation, a savoir, la prescience et la permission qui sont en Dieu de la detection d’un certain nombre dans l’œuvre de leur salut eternel. Cum ad divinam providenliam, dit saint Thomas, pertinent aliquos permittere a vita œterna deficere, ad eam pertinet etiam aliquos consequenter reprobare. Sum. theol ., I a, q. xxiii , a. 3. En eliet, nous devons rencontrer de toute eternite en Dieu la prescience et la volonte permissive de tout ce qu’il permet d’arriver dans le temps. Or, Dieu permet que quelques-uns s’excluent de la vie eternelle par suite de leur permanence finale dans l’etat du peche. Donc, eternellement, nous devons trouver en Dieu la prescience et la permission de cette defection supreme, et c’est la reprobation. Mais ce serait tomber dans une erreur monstrueuse que de supposer en Dieu une reprobation quelconque positive et antecedente : ce serait faire de Dieu un etre cruel qui, par pur caprice, contraindrait quelques-uns a commettre le peche afin de pouvoir ensuite les tourmenter eternellement.

3. Nature de la predestination. ?

Dans la predestinalion, enseigne saint Thomas, il faut considerer trois choses dont les deux premieres sont presupposees a la predestination elle-meme, a savoir la prescience de Dieu et sa dilection, c’est-a-dire la volonte qu’il a de sauver celui qui est predestine. Vient, en troisieme lieu, la predestination qui n’est autre chose que la direction vers la fin voulue par Dieu a l’etre aime. Qusest. quodlibet, quodl. xi , a. 3.

Entendue au sens rigoureux du mol, la predestination presuppose la science de Dieu et sa volonte salvifique. Il suit de la que, de la part de Dieu, nous pou-vous concevoir comme trois actes dans ce mystere dont l’intelligence parfaite nous echappera toujours. Le premier acte est celui de la simple intelligence (qui dans le systeme moliniste inclut la science moyenne elle-meme). Dans cet acte, tous les mondes possibles sont presents a l’intelligence divine avec leurs merveilleuses organisations, leurs splendeurs, leurs harmonies, avec la fin qui correspond a chacun d’entre eux. Suit le second acte, dans lequel la volonte divine se porte sur la fin qu’elle sait devoir obtenir dans un de ces inondes eternellement presents devant elle, et cette fin, elle la veut d’une maniere absolue. Cette fin vers laquelle tout devra converger, soit directement, soit indirectement, sera, par exemple, le salut d’un nombre determine d’hommes qui, dans d’autres hypotheses, eussent ete damnes. Cet acte, qui releve de la volonte de Dieu, est, par excellence, un acte d’amour et constitue a proprement parler l’election. Enfin, consequemment a ce choix ou a la solution de cette fin. Dieu decrete l’existence de ce monde auquel repond la fin qu’il veut obtenir. Et c’est l’acte de la predestination auquel correspond celui de la reprobation. En effet, parce que dans ce monde dont il a decrete l’existence a raison du but plein de grandeur et de misericorde qu’il se propose d’atteindre, il se trouve que des creatures raisonnables parviendront aux joies eternelles du ciel tandis que d’autres, par leur seule faute, en demeureront exclues, il se resout a favoriser en tout le salut eternel des premieres et a permettre le malheureux sort des secondes. De l’adjonction de ce decret, il resulte qu’il y a en Dieu, pour un certain nombre, prescience et preparation de la vocation, de la justification et, consequemment, de la glorification, ? et c’est la la predestination ; pour d’autres, prescience et permission de la defection finale, ? et c’est la la reprobation.

De cette doctrine decoulent deux corollaires importants, qu’il suffira de rappeler ici, reservant pour l’art. Predestination de les appuyer de preuves :

a) La predestination presuppose l’election gratuite a la gloire.

b) Le decret par lequel Dieu predestine les elus est necessairement certain et absolument immuable. Il est necessairement certain, car Dieu ne peut ignorer ce qui arrivera, ni etre trompe dans les previsions de sa sagesse, ni etre frustre du but qu’il a determine dans sa toute-puissante volonte. Si non esset infallibilis prœdestinationis effectus, dit le cardinal Billot, falleretur divina præscientia et frustraretur absoluta Dei voluntas ; quorum utrumque est omnino impossibile. De Deo uno et trino, th. xxxiii , p. 293. Ce meme decret est immuable comme tous les decrets de la volonte divine. Pour que le decret de la predestination fut change, il faudrait que Dieu cessat de vouloir ce qu’il aurait une fois decrete. Or il ne le pourrait sans que sa volonte, de favorable qu’elle etait, ne devint contraire a l’objet de son decret, ou sans que sa science ne decouvrit dans cet objet ce qu’elle n’avait pas apercu de prime abord. Les deux suppositions sont impossibles en Dieu dont les affections ne sont pas changeantes comme les notres, et dont la science ne saurait rien acquerir.

4. Predestination et libre arbitre. ?

Necessairement certain et absolument immuable, le decret par lequel Dieu predestine les elus ne viole en rien l’integrite du libre arbitre. En effet, la necessite qui affecte le resultat de ce decret est une necessite qui suit l’infaillibilite de la science divine, de cette science qui penetre et embrasse tous les futurs contingents, non pas comme futurs mais comme presents. Or, nous l’avons etabli, une necessite de cette sorte ne saurait jamais enlever la contingence de l’acte ni en diminuer la liberte, car elle est purement concomitante.

Il est donc etabli que Dieu a, par un decret porte avant la creation du monde, c’est-a-dire de toute eternite, prevu et prepare les moyens par lesquels il conduirait les hommes (nous ne parlons que des creatures humaines en ce moment) et selon lequel eux-memes arriveraient a l’eternelle felicite, sans que. d’une part, la certitude et l’immutabilite du decret, , l’efficacite infaillible des moyens prepares aux futurs elus nuisent en rien a leur liberte qui demeure entiere sous l’action de Dieu ; et sans que, d’autre part, les faiblesses humaines, les defaillances toujours possibles, et, en fait, trop frequentes de la liberte humaine puissent faire manquer les previsions de Dieu qui sait tirer le bien du mal et faire concourir au salut des elus tout, meme leurs peches, dit saint Augustin.

Mais le decret de la predestination est un livre ferme pour nous. De la cette consequence toute naturelle que nous ne devons pas, pour agir, nous fonder sur cette connaissance qui nous echappe absolument : nous ne devons concevoir a ce sujet ni inquietudes vaines, ni assurances chimeriques, mais user des moyens de salut que Dieu a mis a la disposition de tous, et par lesquels seront infailliblement sauves tous ceux qui les emploient.

Mais, dit-on. de deux choses l’une : ou je suis predestine, ou je ne le suis pas. Si je suis predestine, quoi que je fasse je serai sauve ; donc je puis en toute securite me livrer a toutes les douceurs de la vie. Si je ne suis pas predestine quoi que je fasse je serai damne..

jepuis donc sans inconvenient lacher la bride a toutes mes passions. Par consequent, je n’ai nul souci a concevoir au sujet de mon salut. Comedamus et bibamus, cras enim moriemur ! ? Ce raisonnement ressasse ad nau.’cam, n’est specieux qu’en apparence. Il ressemble a celui d’un malade qui dirait a son medecin : ≪ De deux choses l’une : ou cette maladie me conduira au tombeau, ou elle me laissera en vie. Si elle doit me conduire au tombeau, quoi que vous fassiez, vous ne pourrez jamais m’empecher d’y arriver. Si elle doit, au conl raire, me laisser en vie, elle disparaitra comme elle est venue, sans avoir besoin du secours de la science. Donc, dans les deux cas, vos soins me seraient parfaitement inutiles. ≫ Il rappelle encore le discours que tiendrait, devant sa maison en flammes un philosophe qui dirait :

Ou cet incendie detruira ma maison, ou il ne le fera pas. S’il doit la detruire, quoi que je fasse, je ne saurais l’en empecher. S’il ne le doit pas, tous les efforts entrepris pour l’eteindre sont, a tout le moins, inutiles. Par consequent, demeurons en paix et advienne que pourra ! >

Mais, retorquer n’est pas repondre : au dilemme ou l’objection veut nous prendre, voici ce qu’il faut repondre : ≪ Ou je suis predestine ou je ne le suis pas, ≫ dit l’objectant. On le lui concedera, s’il accepte en meme temps de dire que le decret qui decide de son salut eternel porte egalement sur sa libre cooperation comme condition indispensable pour y parvenir. On le niera, s’il entend dire parla que ce decret ne suppose nullement cette libre cooperation.

Dieu ayant decrete que, dans un ordre de choses donne, tel homme serait sauve, cet homme le sera infailliblement ; mais Dieu a egalement decrete que ce sera par la libre cooperation de cet homme, aucun adulte ne devant autrement obtenir le salut.

L’elu ne sera pas sauve, quoi qu’il fasse, il ne le sera que pour avoir fait le bien : et reciproquement, quiconque aura fait le bien et y aura persevere jusqu’a la lin de sa vie, sera infailliblement sauve. Faire le bien, cooperer a la grace : voila le signe auquel nous pourrons raisonnablement croire que nous sommes du nombre des elus. Vivons donc en saints, et nous mourrons en predestines.

On insiste et l’on dit : ≫ Si Dieu sait d’avance ce que je ferai durant tout le cours de ma vie (et cette connaissance est necessairement contenue dans le decret de predestination), il m’est bien difficile de me croire libre. En effet, ma liberte consiste essentiellement en que je puis a^ir ou ne pas agir, faire une chose ou ontradictoire. Or, pour chacune de mes actions, si Dieu sait que j’agirai, il n’est pas possible que je n’agisse pas ; s’il sait que Je n’agirai pas, il est impossible que j’agisse, car sa science ne saurait etre en defaut. Donc Je ne suis pas libre d’agir ou de ne pas mon choix. ≫

La majeure de cet argument est incontestable. La mineure contient une equivoque ≪ pi il importe de dissiper : l’impossibilite, Ici, se refere a la certitude infaillible de la science divine, nous l’accordons : l’impossibilite se refere & la necessite ou Je serais de mes actes sans pouvoir les omettre, noua le nlont

La science de Dieu ne change point la naturc des

objets qu’elle connait Ce qui est necessaire et resulte’lis ineluctables de la nature physique, elle le

connait comme nee qui resulte du libre jeu

du Facultes humaines, elle le connait comme arrivant

librement C’esl donc librement que je ferai ou ne

pas ce que Dieu prevoit que je ferai ou ne

ferai pas et, de mon cote, il n’j h aucune Impossibilite

que Jr fasse ce que Dieu a prevu. Seulement il est Certain pour Dieu, qui sait tout, que je le ferai. Lu

point de depart du raisonnement, quand on dit qu’il est impossible que ce que Dieu a prevu n’arrive pas, l’impossible se refere a la certitude infaillible de la science divine. Mais a la fin du raisonnement, quand on veut conclure que je ne suis pas libre parce qu’il est impossible que je ne fasse pas ce que Dieu a prevu, l’impossible se refere a la necessite ou je suis de le faire sans pouvoir l’omettre. Or, donner deux sens au mot important du meme raisonnement, c’est tout simplement faire un sophisme. Voici comment saint Thomas enseigne que la predestination n’impose aucune necessite : ≪ Que la predestination emporte certitude et pourtant n’impose pas de necessite, cela est clair. En effet, la maniere de diriger un etre a sa fin, y compris le dessein lui-meme (et c’est cela la predestination) rentre dans l’agencement et l’ordre des causes constituees par Dieu. Or il est certain que, si deux causes sont agencees l’une par rapport a l’autre, dont l’une est necessaire, l’autre contingente, l’effet est toujours contingent. Or, dans la predestination interviennent deux causes : l’une est necessaire, c’est Dieu lui-meme : l’autre est contingente, c’est le libre arbitre, il faut donc que l’effet de la predestination soit contingent. Des lors, puisque Dieu sait et veut qu’un tel aboutisse a telle fin, il a la certitude de la predestination ; mais parce que Dieu veut que cet homme soit dirige vers cette fin selon le libre arbitre, la certitude en question n’impose au predestine aucune necessite. ≫ Quæst. quodlib., quodl. xr, a. 3.

4 U Le libre arbitre et la grace efficace. ? Cette question est deja touchee, a l’art. Grace, t. vi , col. 1662 sq., ou l’on indique l’attitude prise devant le probleme de l’efficacite de la grace par les diverses ecoles theologiques. On indiquera seulement ici les principes generaux de solution.

Dieu, objecte-t-on, ne connait pas seulement, il fait encore avec nous les actes qu’il prevoit. En admettant que la liberte humaine demeure intacte quoi qu’il en soit de la science divine, comment la concevoir saine et sauve avec une science qui opere ce qu’elle prevoit ou, du moins, est jointe a une action dont l’effet est certain. Ce qui peut se ramener au syllogisme suivant : L’homme ne saurait etre libre quand il est soumis a une influence toute-puissante a laquelle il lui est impossible de resister. Or, l’homme ne peut pas arriver au ciel sans le secours de la grace efficace, et celle-ci est de telle nature qu’elle obtient toujours son effet. Donc, avec cette grace, la liberte de l’homme ne saurait subsister.

Nous laissons passer la majeure de cet argument : concedons la premiere partie de la mineure, mais distinguons soigneusement la seconde : la grace efficace obtient son effet independamment du consentement de la volonte, nous le nions. Elle l’obtient avec sa libre cooperation : qu’on nous permette une sousdistinction : cette libre cooperation est requise comme cause de son efficacite, nous le nions : elle est requise comme condition sine qua tlOtl, nous l’accordons

Et voici comme l’on peut restituer l’ensemble des grands principes qui dominent la question. Dieu a fait l’homme par pure bonte. Ce ne pouvait pas etre pour que l’homme perit. Ceux qui sont saines ne seront donc pas les seuls que Dieu veut sauver Dieu veut.

d’une volonte antecedente, serieuse, sincere, et active.

le salut de tous les hommes I fini., n. I < es hommi s quc Dieu veut sauver, il ne les abandonne pas a eux

memes ; il faut qu’il h-s gouverne. Mais le peut-il s’il

ignore ce qu’ils doivent faire et ce qu’ils feront

Les actions libres de l’homme sont donc eternellement

presentes a la science infinie de Dieu. Cf. I lebr.. iv. 13.

Savoir ne su Mil pas. Celui qui gouverne parfaitement

doit posseder la raison totale de son gouvernement.

dire voir la lin.i laquelle aboutiront ceu qu’il G79

    1. LIBERTE##


LIBERTE . PROBLEMES T II EOLOGIQUES

080

conduit, les moyens par lesquels cette fin sera infailliblement atteinte, ordonner les moyens a la fin. II y a donc une Providence Mais la fin de l’homme etant proprement et absolument surnaturelle, les moyens proportionnes a cette fin n’appartenant pas a l’ordre de la nature, l’acte par lequel Dieu ordonne et conduit a leur fin ceux qui seront sauves est un acte de providence speciale. Nous devons donc croire qu’il y a une predestination. Cette predestination ayant pour principe ce qui n’est point du a notre nature, ce qui ne peut etre obtenu par nos merites, nous devons croire que, consideree dans son ensemble, elle est purement gratuite. Rom., xi , 35. Et parce qu’elle est fondee sur la science infaillible et la volonte toute-puissante de Dieu, cette predestination est certaine et immuable.

Dieu est la justice meme, il ne recompense que le merite, il ne chatie que le demerite ; nous devons donc croire que l’homme, par la cooperation de son libre arbitre a la grace, peut meriter de Dieu la vie eternelle, que, parlerefus de sa cooperation, il se rend digne de la reprobation ; cf. Conc. Trident., sess. vi , can. 26, Dsnzinger, n. 836. Nous disons : la cooperation du libre arbitre a la grace de Dieu, car notre nature est incapable de commencer toute seule le grand ouvrage de notre sanctification. Aucune œuvre naturelle ne peut meriter, a aucun titre, - le don ineffable par lequel Dieu nous previent et nous attire a lui. Par consequent la grace, comme son nom l’indique, est un don entierement gratuit de la bonte divine. Cf. Conc. Arausicanum II, can. 18, Denzinger, n. 191.

La grace dont il est ici question est la grace actuelle. Par cette grace, Dieu meut intrinsequement l’intelligence et la volonte de l’homme a cette fin de le determiner a connaitre, vouloir et faire quelque chose. On peut la considerer sous deux aspects : d’abord en elle-meme, puis dans son effet necessaire et le plus proche. A ce second point de vue, elle n’est autre chose que l’acte surnaturel indelibere d’une puissance mue par Dieu, acte qui, en un sens tres vrai, est dit etre en nous sans nous. Mais, prise en elle-meme, la grace actuelle est une motion recue dans la faculte et servant de principe a son acte. L’entite fonciere de cette grace ne varie pas, qu’elle soit ou non suivie de son dernier effet, a savoir un acte salutaire delibere qui, consequemment, reste toujours au pouvoir de la volonte. Cf. Billot, De gratia Christi, Rome, 1912, p. 142.’C’est un dogme de foi que, sous l’action de la grace actuelle, le libre arbitre subsiste tout entier. Si quis dixerit liberum hominis arbitrium a Deo motum et excitation nihil cooperari assentiendo Deo excitanli atgue vocanti guo ad obtinendam justificationis gratiam se disponat ac præparet, neque posse dissentire si velit, amthema sit. Conc. Trid., sess. vi , can. 4, Denzinger, n. 814.

La grace actuelle a laquelle l’homme coopere est appelee efficace parce qu’elle obtient son effet ; elle retient le nom de suffisante lorsqu’elle est rendue inutile par la resistance de notre volonte. Mais d’ou vient a cette grace le caractere d’efficacite ?

Dans trois sens seulement la grace peut etre dite efficace. Ou bien elle est efficace par la vertu que, dans son ordre, elle possede de causer le consentement salutaire. Ou bien elle l’est par l’obtention eventuelle de cet effet ; ou bien, enfin, par la connexion infaillible qu’elle soutient avec lui. Dans le premier sens, l’efficacite est intrinseque a l’entite meme du secours divin. De plus, elle est commune a toute grace que Dieu nous accorde pour toute œuvre de salut. De cettemaniere, la grace qui est recue en vain doit etre tenue pour efficace et en prendre la qualification, car rien ne lui manque pour obtenir l’effet qu’elle est appelee a produire. Ce n’est pas dans ce sens que nous prenons ici l’efficacite de la grace ; il s’agit la, en effet, d’un

caractere absolument commun a tous les secours divins, sans rien de distinctif et de nettement tranche

? Avec le second, la signification du mot efficace est plus restreinte et mieux delinie, mais elle se limite a un simple fait contingent et ne presente pas une base assez solide pour asseoir une denomination specifique et vraiment caracteristique. ? Cette base se rencontre dans le troisieme sens qui s’eleve au-dessus du fait contingent et considere l’efficacite d’apres une connexion antecedente et infaillible du secours de la grace avec le consentement du libre arbitre. Ici, il s’agit evidemment d’un don special de Dieu, et nous sommes en presence d’un bienfait divin de tout premier ordre. Cette grace efficace ainsi entendue n’est autre, dans la sainte Ecriture, que Yappel suivant le decret divin dont il est question dans Rom., viii , 28 ; Scimus autem quoniam diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum, iis qui secundum propositum vocati sunt sancti, et II Tint., i , 9 : Qui nos liberavit, et vocavit vocatione sua sancta, non secundum opera noslra, sed secundum propositum suum, et gratiam quæ data est nobis in Christo Jesu ante temporalia sœcularia. La vocation dont il est ici question n’est pas une vocation quelconque, mais une vocation selon un dessein de Dieu qui ne saurait etre frustre, car Dieu, par des moyens qui infailliblement atteignent leur fin, opere tout ce qui se trouve dans le decret absolu de sa volonte.

Maintenant d’ou vient a la grace actuelle cette connexion infaillible avec le consentement salutaire, connexion qui est propre a l’appel suivant un decret divin ? De l’une ou de l’autre de ces deux sources : ou bien de quelque chose d’intrinseque a cette grace, c’est la position des augustiniens et des thomistes de stricte observance ; ou bien de quelque chose qui lui est exterieur, c’est la position qu’adopte l’ecole moliniste dans son ensemble. On a deja indique (et l’on y reviendra a l’art. Thomisme), de quelle maniere les partisans de la grace efficace ab intrinseco sauvegardent l’existence de la liberte humaine sous l’influx de la grace. Pour qui raisonne d’une maniere anthropomorphique, il peut sembler difficile de concevoir comment une grace qui, par sa nature meme, emporte le consentement de la volonte, laisse subsister la liberte. Mais les thomistes ne manquent pas de faire observer que la grande aversion que professe l’ecole adverse pour la premotion physique est due en majeure partie a la piperie des mots. Pour combattre plus aisement la premotion physique, on assimile, ou l’on feint d’assimiler, l’action de la cause premiere sur la volonte a celle d’une cause seconde sur une autre cause seconde, et l’on oublie que la cause premiere, source de tout etre, de toute activite, de toute determination, fait agir la cause libre librement, comme elle fait agir necessairement la cause depourvue de liberte. De l’une comme de l’autre elle respecte le mode d’activite. Que l’explication soit lumineuse, les vrais thomistes possedent trop le sens du mystere pour l’affirmer. A qui les serrerait de trop pres, ils finiraient par dire que leur affirmation n’est pas autre chose qu’une maniere de mettre en relief le souverain domaine de Dieu. Ils ne permettent pas, en tout cas, qu’on mette en doute leur croyance fonciere a l’existence du libre arbitre. ? Pour concevoir d’une autre maniere le mecanisme suivant, lequel agit la grace efficace, les augustiniens adoptent neanmoins la meme attitude et pretendent eux aussi conserver les deux termes du probleme, efficacite de la grace et liberte de la volonte humaine.

C’est dans une autre direction, ou l’imagination semble davantage trouver son compte, que les molinistes de toutes nuances cherchent la solution du probleme. La racine derniere de l’infaillible connexion entre l’appel divin et la demarche de la volonte se

trouve dans la prescience et Velection de Dieu. Entre toutes les graces dont il dispose pour mettre en mouvement le vouloir cree, meme le plus rebelle, Dieu choisit celle qu’il sait devoir, eu egard a toutes les circonstances, emporter le consentement libre de la volonte. Dans le cas de la grace efficace, l’appel divin est si completement adapte aux conditions presentes de l’homme auquel il s’adresse, qu’infailliblement cet homme repondra : ≪ Present. ≫ Mais (et c’est ici que le molinisme semble oublier que le gouvernement divin touche a tous les ressorts de toutes les activites), c’est finalement la libre determination de l’homme qui confere a la grace divine son efficacite : Dieu attend, si l’on nous passe cet anthropomorphisme, ne serait-ce que pendant une fraction inappreciable de temps, le libre consentement de la volonte humaine. La liberte est sauvegardee, mais ne serait-ce pas au prix de la souveraine independance divine ?

En definitive, le probleme de l’accord du libre arbitre et de la grace efficace est insoluble. Nous sommes ici dans le mystere qui enveloppera toujours les relations du fini et de l’infini. L’essentiel est d’affirmer d’une part la souveraine independance divine dans le gouvernement du monde, de l’autre la liberte laissee a l’homme dans l’affaire de son salut. Ces deux affirmations se developpent en somme sur deux plans paralleles. Vouloir decouvrir leur point de rencontre est une entreprise chimerique. Pour exciter en nous une curiosite plus grande que d’autres dogmes de notre foi, ce mystere n’est ni plus ni moins difficile a accepter

Le libre arbitre et le concours divin .

"Voir Conhiiiis

divin, t. iii , col. 781-796, et specialement, col. 787 : La cooperation divine et le peche.

IV. Liberte et responsabilite .

D’une maniere generale, la responsabilite consiste en ce que l’on doit Imputer certains actes, avec leurs consequences, a celui qui les exerce, parce qu’il en est la cause veritable, c’est-a-dire intelligente et libre. Sans liberte, pas de responsabilite morale ; car c’est par le libre arbitre que l’on est vraiment le maitre de ses actes. D’ou l’on voit le lien etroit qui existe entre la question de la liberte et celle de la responsabilite : au point de vue moral, elles sont indissolublement unies.

Notion de la responsabilite .

La responsabilite

est le caractere d’un etre qui doit rendre compte de ses actes et en recevoir le prix. Littre en donne cette definition : Responsabilite, obligation de repondre, d’etre garant de certains actes. ≫ On peut encore la definir : La necessite morale de subir les consequences de ses actions libres, si elles sont mauvaises, on d’en beneficier, si elles sont bonnes.

Au mot ruponsablt correspond le mot imputable. I es deux ternies ont le meme sens, mais ils s’appliquent differemment. La personne est responsable, es’t imputable. D’apres Littre. est dit imputable ce qui peut etre mis au compte moral de l’homme.

Pour que l’acte soit imputable, il faut qu’il soit fait

connaissance et liberte. L’acte qui presente ce

douille caractere s’appelle acte Immain, par opposition

ictei de In vie organique, comme la respiration,

BUS actes de la vie animale, tels que les reflexes et les

purement Instinctifs, et aux actes de l’homme

raisonnable, mais non libre, par exemple, l’amour

-lire du bonheur. Ions les actes qui SOnl prives

de l’un ou fie l’autre de ces deux elements, el a pins

forte raison des deux, a savoir, de connaissance et de

liberte, ne sont pis des actes humaine ; ils ≪ ml puie Bient dr l’homme. Voir ACTE HUMAIN t l

dit i i< i I’- probli me ni’me de i IPONSAHUTE, et <le, e qni

I tant non. Il impoiie teulemenl

de signaler les causes qui, en influant sur la liberte, influent aussi sur la responsabilite.

Conditions de la responsabilite .

Les conditions

de la responsabilite sont l’intelligence et la liberte, Un acte n’est imputable, on n’en est responsable, on n’en a le merite ou le demerite que si on a compris ce qu’on a fait, et si on l’a pose librement. ? Comprendre ce qu’on fait, c’est apprecier la valeur morale de l’acte, sa qualite bonne ou mauvaise, sa conformite ou sa nonconformite avec la loi, ce qui suppose un certain degre ou developpement d’intelligence et d’education. Plus un homme est eclaire moralement, plus il est responsable ; voila pourquoi l’indulgence est de mise pour un homme qui n’a qu’une intelligence bornee, qui n’a recu aucune education. ? Agir librement, c’est avoir la possibilite d’agir ou de s’abstenir. Nous l’avons etabli plus haut, le pouvoir de choisir entre deux contradictoires appartient a l’essence du libre arbitre. L’on est plus ou moins responsable selon que l’on est plus ou moins maitre de sa volonte, que l’on se possede plus ou moins soi-meme. La liberte implique l’intelligence. La liberte de la volonte ne vient pas de la possibilite-d’agir sans raison, - mais de la puissance indefinie de la raison a concevoir presque toujours de nouvelles raisons contraires ou differentes, de facon a pouvoir presque toujours agir autrement. La liberte a donc sa racine dans la raison meme, c’est-a-dire dans la puissance de l’esprit a trouver toujours des raisons d’agir comme il lui plait. Par consequent, la ou l’intelligence fait defaut, la liberte n’existe pas. L’etre qui ne sait pas ce qu’il fait ne fait pas ce qu’il veut ; il ne s’appartient pas. Le jour ou l’homme perd la raison, il cesse d’etre libre, c’est-a-dire qu’il ne se possede plus lui-meme. Il est, pour ainsi dire, enleve a lui-meme, comme l’exprime fort bien le nom d’alienation mentale (aliene, de alienas sui, etranger a soi-meme). L’n fou, cedant a une impulsion irresistible, commet un crime : il est irresponsable ; on ne peut pas lui imputer l’acte que son bras a commis, car sa volonte y est restee etrangere. On ne le traite pas en criminel, mais en malade ; on le met dans l’impossibilite de nuire, et on cherche a le guerir. Revient-il a la sante, le mal qu’il a fait lui cause des regrets, mais non des remords. Il en est ainsi de tout homme qui a ete la cause involontaire d’un mal quelconque ou qui, malgre toute sa bonne volonte, n’a pas pu accomplir un bien auquel il etait tenu.

Consequences .

De ce que l’intelligence et la

liberte sont les conditions necessaires de la responsabilite, il s’ensuit que tout ce qui detruit ou diminue l’intelligence et la liberte supprime ou diminue la responsabilite. De la, quand il s’agit du mal, la distinction des circonstances attenuantes, qui diminuent la responsabilite : par exemple, l’ignorance. l’Inadvertance, la concupiscence, la crainte, la violence, l’habitude, et des circonstances aggravantes, qui l’augmentent : par exemple, la premeditation, la pleine possession de soi-meme.

Aussi admettons-nous diverses mesures de responsabilite suivant que l’on juge un enfant, un homme mur ou un vieillard, un homme qui agit par lui-meme ou celui qui ne le fait que par suite de conseils on d’ordres donnes, un homme instruit ou un rustre sans education, un homme sain d’esprit et en pleine posses lion il’- ses facultes Intellectuelles et morales, ou bien

un hallucine, un maniaque, un homme en proie a une emotion violente ou sous l’influence de l’ivresse : dans . deux derniers cas. il peut meme echapper a toute Dnsabillte an moins directe.

On voit par la combien il est difficile d’apprecier d’une maniere exacte le degl’de responsabilite moi air

fie chaque homme. C’eal pourquoi l’histoire, la Justice

humaine et l’opinion doivent souvent se tromper et 683

    1. LIBERTE MORALE##


LIBERTE MORALE . DE CONSCIENCE, DES CULTES

G84

errerdans les jugements qu’elles portent surles hommes et sur leurs actes..Maintes fois nous essayons nous-memes de diminuer notre responsabilite aux yeux des autres et a nos propres yeux, en invoquant les circonstances attenuantes pour les tromper et nous tromper nous-memes. Il convient de ne pas se laisser duper par ces sophismes : Je n’etais plus maitre de moi, je n’etais plus libre, et autres semblables qui alleguent l’inconscience et l’irresponsabilite, et derriere lesquels veulent se derober d’ordinaire les criminels, au tribunal, dans le roman et les drames : ce ne sont trop souvent que de mauvaises excuses pour de mauvaises actions, commises parfois avec des circonstances aggravantes.

Il importe aussi de se tenir en garde contre la disposition de certains philosophes et romanciers, comme Jean-Jacques Rousseau et George Sand, a attribuer exclusivement a la societe ou a sa mauvaise organisation la plupart de nos fautes et de nos vices ; a rapporter le crime non a des causes morales tirees de l’ame, mais a des causes d’ordre materiel et d’origine exterieure : temperament, climat, race, heredite, age, education, etc. Cette tendance a exterioriser le crime, a en rechercher les mobiles ou les excuses non dans le criminel, mais exclusivement en dehors et autour de lui, est assez generale. Sans nier les influences que le milieu interieur et exterieur peut exercer, il convient pourtant de ne jamais oublier que l’homme, quelle que soit sa constitution physique, reste libre ; la vertu se rencontre avec tous les temperaments ; elle depend de l’ame avant tout, et non du corps.

On ne saurait assurement nier que l’heredite joue ici un grand role ; elle peut transmettre un organisme dans lequel certaines fonctions tendent a predominer, et par la favoriser le developpement exagere de certaines inclinations. L’heredite est incontestablement une influence, mais elle n’est pas une fatalite ; entre la tendance criminelle et l’acte, il y a place theoriquement pour la deliberation volontaire. Ce qui rend d’ordiriaire une inclination dominante, c’est moins l’influence hereditaire ou exterieure, laquelle n’est jamais irresistible, que la faiblesse de la volonte, laquelle a pris l’habitude de se laisser entrainer.

On l’a dit avec raison. Il est plus aise de reprimer le premier desir que de contenter tous ceux qui suivent. On succombe, on se releve puis de nouveau on se laisse aller insensiblement a son inclination, jusqu’aumoment ou il faudrait un acte heroique pour triompher.

L’education, quand elle est mauvaise, exerce une influence corruptrice puissante, parce que c’est dans l’enfance surtout que se gravent les exemples pernicieux et que, devant i’imperfection de la force de resistance, l’instinct d’imitation agit avec toute son energie. Alors les mauvais conseils, et surtout les exemples vicieux, ont une toute-puissance qu’ils ne retrouvent plus jamais au meme degre. Quand l’education et l’heredite agissent dans le meme sens, par exemple dans le sens du mal, on concoit ce qu’un pareil concours peut produire et quelle atteinte il peut porter a la liberte morale de celui qui a ete soumis a cette double action. Toutefois, l’influence del’education est preponderante. Opposee a l’influence de l’heredite, elle est si grande que c’est a elle seule qu’appartient, dans la plupart des cas, le pouvoir de realiser la ressemblance morale et psychologique des enfants et des parents. Si l’heredite determinait irresistiblement et surement, chez les descendants, la reproduction de tous les caracteres constitutifs de la personnalite des ascendants, l’education serait inutile. Du moment que l’education, et une education prolongee, vigilante, laborieuse, est indispensable pour provoquer l’apparition et realiser le developpement des aptitudes et des qualites de l’esprit chez l’enfant, il faut bien conclure que

L’heredite ne joue qu’un role secondaire dans cette admirable genese de l’individu moral.

Quant a la pretendue anomalie morale du criminel. elle se reduit, en derniere analyse, a ce simple fait : par son temperament et par l’affaiblissement du sentiment moral, le criminel est porte a commettre plus facilement le crime, mais il reste libre : ce n’est pas un fou, mais un faible. D’autre part, toutes les causes sociales mauvaises peuvent bien diminuer la responsabilite, elles ne sauraient la supprimer completement. Le criminel, quel qu’il soit, reste libre et responsable : car, jusqu’au fond de la derniere des degradations, il reste toujours une creature humaine, un etre moral, un etre doue de conscience, de raison et de liberte. Certains criminalistes semblent trop oublier que, si la volonte est soumise a l’influence de causes multiples, elle est elle-meme une cause d’ellets multiples ; ils mettent fort bien en relief l’action des choses sur les personnes, mais ne voient pas la reaction des personnes sur les choses. Meconnaissant la nature de la liberte, ils prennent pour causes les conditions dans lesquelles elle s’exerce ; la volonte libre est une cause qui se determine elle-meme, et non une soumission qui s’ignore.

A ces considerations, il importe d’ajouter celles qui viennent de la solidarite existant entre les membres de la societe humaine, soit dans la famille, soit dans la patrie, soit dans l’humanite tout entiere, solidarite qui amene, dans une mesure plus ou moins large, un partage de la responsabilite. Cette loi de la solidarite s’applique d’abord a l’individu : nous sommes, par l’habitude, solidaires de nous-memes. Le present nait dupasse, et prepare l’avenir ; c’est seulement en remontant aux causes de certaines habitudes que nous pouvons nous rendre compte du degre de responsabilite qu’entrainent certains actes, ou l’on semble vaincu par une force irresistible. Mais il s’agit principalement ici de la part soit directe, soit indirecte, que nous avons a la moralite de nos semblables, et de celle qu’ils ont a la notre.

D’une part, l’influence exercee sur nous par les actionsd’autruipeut diminuernotre responsabilite, et. inversement, l’influence exercee sur autrui par nos propres actions peut l’augmenter. On connait la force de l’exemple. Il ne faut cependant pas exagerer, surtout a titre de circonstance attenuante, les effets de cette loi de la solidarite ; pas plus que celle de l’heredite, elle n’a rien de fatal, et l’homme n’a pas le droit de rejeter sur le compte d’autrui des fautes qu’il pouvait et devait eviter.

V. Liberte morale .

Liberte de conscience. ? Liberte des cultes. ? Le mot liberte ne s’entend pas seulement de la liberte physique (ou naturelle), appelee le libre arbitre, dont nous venons de parler ; il s’entend encore, comme nous l’avons vii , de la liberte morale, a savoir, de la faculte morale (ou droit) d’agir ou de ne pas agir.

La liberte morale en general .

1. Nature de la

liberte morale. ? Elle consiste dans l’immunite de toute obligation legitimement imposee. Est moralement libre, dans toute la verite du mot, celui qui n’est soumis a aucune loi. Cette seconde liberte se distingue du libre arbitre en ce que celui-ci. dans l’etat present de l’humanite, peut choisir ou le bien ou le mal, tandis que la liberte morale ne peut s’appliquer a un objet moralement mauvais, attendu que le droit ou la faculte morale de mal faire repugne dans les termes. Le mal, en effet, est un desordre, et nul ne peut avoir le droit ou la faculte morale de poser un acte contraire a la loi morale, regulatrice de l’ordre. D’autant que le libre arbitre, il importe de ne pas l’oublier, nous a ete donne par la divine Providence pour que nous puissions realiser le bien auquel nous sommes obliges de

tendre, et non pour que nous commettions le mal. ≪ La liberte consideree comme un droit n’est pas, dit le cardinal Gerdil, le pouvoir physique de faire tout ce qui plait, mais elle est un pouvoir moral restreint dans son origine par la loi de nature et susceptible des restrictions que les lois peuvent y apporter pour le bon ordre et l’avantage de la societe. ≫ Cite par Mgr H. Sauve, Questions religieuses et sociales, Paris, 1888, p. 5. Le cardinal Dechamps dit a son tour : ≪ L’homme a recu de Dieu la liberte naturelle de choisir entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal ; mais a-t-il recu, de Dieu, le droit de choisir le faux, le droit de choisir le mal ? Non, car la loi divine lui impose l’obligation de choisir le vrai bien, de rejeter le faux et le mal. De la vient que, dans la societe domestique, dans la societe civile, dans la societe religieuse, le pouvoir qui exerce partout l’autorite de Dieu doit veiller a l’accomplissement de sa loi et a la repression des abus de notre liberte naturelle. Il n’est donc pas vrai que l’homme ait le droit de penser mal, et, a plus forte raison, de professer, de publier, de glorifier tout ce qui lui passe par la tete. Ce droit-la est un droit chimerique, et s’il etait pleinement pratique de la maniere que les insenses le proclament, la societe n’y resisterait pas longtemps. Il est clair, en effet, que ce qu’on a le droit de professer ou de glorifier, on a le droit de le faire, ou la logique n’est qu’un vain mot. ≫ Ibid .

L’homme n’a donc pas le droit de faire tout ce qu’il a le pouvoir de faire ; en d’autres termes, le pouvoir d’agir ne constitue pas le droit d’agir. Il y a des choses (lue l’homme peut faire en vertu de son libre arbitre, et qu’il n’est pas autorise a faire ou qu’il lui est defendu de faire ; et, d’un autre cote, le libre arbitre est moralement oblige de faire des actes qu’il a la puissance naturelle d’omettre. Il importe donc essentiellement de distinguer entre le libre arbitre ou la liberte envisagee comme pouvoir physique (ou naturel), et la liberte consideree comme droit (ou pouvoir moral). C’est de leur confusion que sont nees plusieurs erreurs modernes. En resume, la liberte physique ou le libre arbitre, qui consiste essentiellement a pouvoir agir ou ne pas agir, ne saurait se confondre avec la liberte morale, entendue dans le sens de droit d’agir ou de ne pas agir. Le libre arbitre, ou la puissance physique d’agir, peut etre un droit, mais seulement dans le cas ou aucune loi ne restreint la liberte native de l’homme. D’ou cette consequence que le pouvoir de mal faire ne constitue pas le droit de mal faire.

2. Rapports de la liberte moral ? et du libre arbitre : Enseignement de Lion XIII. ? Le pape Leon XII i a traite magistralement ce sujet si important et si delicat dans la celebre encyclique Libertas prirstantissimum, parue le 20 juin 1888 ; n0US en extrayons (f pascapital dont nous presentons une traduction qui serre le texte de tre ≪ pres. Cf. Lettres apostolique ≫ de Leon XIII , edition de la Maison de la Bonne Presse. t. n. p. 172-213.

Ce que nous avons directement en vue, dit Leon XIII. c’est la liberte morale consideree soit dans les individus, soit dans ] a societe. Il est bon cependant de dire tout d’abord quelque ! mots de la liberte naturelle, laquelle, bien que tout a fait distincte de la liberte morale, est pourtant la source et le principe d’ou toute 1 1- <le liberte decoule d’elle-meme et spontanement e liberte, le |ugemeni et le sens commun de tous les hommes, qui certainement est pour nous la voix

de la nature, ne la reconnalssent qu’aux elres qui ont i’usngr de l’Intelligence ou de la raison., | e’etl en elle que ((insiste manifestement la cause qui nous fait

considerer l’homme comme responsable de sis actes. l’.t il n’en saurait etre autrement ; car. tandis que les animaux n’obeissent qu’aux sens et ne sont pousses que par l’instinct naturel a rechercher ce qui leur est

utile ou a eviter ce qui leur serait nuisible, l’homme, dans chacune des actions de sa vie, a la raison pour guide. Or la raison, a l’egard des biens de ce monde, nous dit de tous et de chacun qu’ils peuvent indifleremment etre ou ne pas etre ; et par le fait meme qu’aucun d’entre eux ne lui apparait comme absolument necessaire, elle donne a la volonte le pouvoir d’option pour choisir ce qui lui plait. Mais si l’homme peut juger de la contingence, comme l’on dit, des biens dont nous avons parle, c’est qu’il a une ame simple, spirituelle et capable de penser ; une ame qui, etant telle, ne tire point son origine des choses corporelles, pas plus qu’elle n’en depend pour sa conservation, mais qui, creee immediatement par Dieu et depassant d’une distance immense la condition commune des corps, a son mode propre et particulier de vie et d’action ; d’ou il resulte que, comprenant par son jugement les raisons immuables et necessaires du vrai et du bien, elle voit que ces biens particuliers ne sont nullement des biens necessaires. Ainsi prouver pour l’ame humaine qu’elle est degagee de tout element mortel et qu’elle est douee de la faculte de penser, c’est etablir en meme temps la liberte naturelle sur son plus solide fondement. ≪ Ainsi, la liberte est, comme nous l’avons dit, le propre de ceux qui ont recu la raison ou l’intelligence en partage ; et cette liberte, a en examiner la nature, n’est pas autre chose que la faculte de choisir entre les moyens qui conduisent a un but determine ; en ce sens que celui qui a la faculte de choisir une chose entre plusieurs autres, celui-la est maitre de ses actes. Or, toute chose acceptee en vue d’en obtenir une autre appartient au genre de bien qu’on nomme l’utile : et le bien ayant pour caractere d’agir proprement sur l’appetit, il faut en conclure que le libre arbitre est le propre de la volonte, ou plutot est la volonte elle-meme en tant que, dans ses actes, elle a la faculte de choisir. Mais il est impossible a la volonte de se mouvoir, si la connaissance de l’esprit, comme un flambeau, ne l’eclaire d’abord : c’est-a-direquele bien desire par la volonte est necessairement le bien en tant que connu par la raison. Et cela d’autant plus que, dans toute solution, le choix est toujours precede d’un jugement sur la verite des biens et sur la preference que nous devons accorder a l’un d’eux sur les autres. Or, juger est le propre de la raison, non de la volonte : on n’en saurait raisonnablement douter. Etant donc admis que la liberte reside dans la x r olonte, laquelle est. de sa nature, un appetit obeissant a la raison, il s’ensuit qu’elle-meme, comme la volonte, a pour objet un bien conforme a la raison. Neanmoins, chacune de ces deux facultes ne possedant point la perfection absolue, il peut arriver et il arrive souvent que l’intelligence propose a la volonte un objet qui, au lieu d’une bonte reelle, n’en a que l’apparence, une ombre de bien, et que la volonte pourtant s’y applique. Mais, de meme quc pouvoir se tromper et se tromper reellement est un defaut qui accuse l’absence de la perfection integrale dans l’intelligence, ainsi s’attacher a un bien faux et trompeur, tout en etant l’indice du libre arbitre, comme la maladie l’est de la vie. constitue neanmoins un defaut de la liberte. Pareillement la volonte, pal le seul lait qu’elle depend de la raison. des qu’elle desire un objet qui s’ecarte de la droite raison, tombe dans un vice radical qui n’est que la corruption et l’abus de la liberte. Voila pourquoi Dieu. la perfection infinie, qui, etant souverainement intelligent et la boute par essence, est aussi souverainement libre, ne peut en aucune facon vouloir le mal moral : et il en est de meme des bienheureux du ciel, grace a la vision intuitive qu’ils possedent du souverain bien. C’est la remarque pleine de justesse que saint Au

tin et d’autres faisaient aux pelagiens. SI la possibilite G87

    1. LIBERTE MORALE##


LIBERTE MORALE , DE CONSCIENCE, DES CULTES

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de faillir au bien etait de l’essence et de la perfection de la liberte, Jesus-Christ, les anges et les bienheureux, chez qui ce pouvoir n’existe pas, ou ne seraient pas libres, ou du moins ne le seraient pas aussi parfaitement que l’homme dans son etat d’epreuve et d’imperfection. Le Docteur angelique s’est occupe souvent et longuement de cette question ; et de sa doctrine il resulte que la faculte de pecher n’est pas une liberte, mais une servitude. ≫ C’est ce qu’avait vu assez nettement la philosophie antique, celle notamment dont la doctrine etait que nul n’est libre que le sage, et qui reservait, comme on sait, le nom de sage a celui qui s’etait forme a vivre constamment selon la nature, c’est-a-dire dans l’honnetete et la vertu. ≪ La condition de l’humanite etant telle, il lui fallait une protection, il lui fallait des aides et des secours, capables de diriger tous ses mouvements vers le bien et de les detourner du mal : sans cela, la liberte eut ete pour l’homme une chose tres nuisible. Et d’abord une Loi, c’est-a-dire une regle de ce qu’il faut faire ou ne pas faire, lui etait necessaire. A proprement parler, il ne peut pas y en avoir chez les animaux, qui agissent par necessite, puisque tous leurs actes, ils les accomplissent sous l’impulsion de la nature et qu’il leur serait impossible d’adopter par eux-memes un autre mode d’action. Mais les etres qui jouissent de la liberte ont par eux-memes le pouvoir d’agir, d’agir de telle facon ou de telle autre, attendu que l’objet de leur volonte ils ne le choisissent que lorsque est intervenu ce jugement de la raison dont nous avons parle. Ce jugement nous dit, non seulement ce qui est bien en soi ou ce qui est mal, mais aussi ce qui est bon et, par consequent, a realiser, ou ce qui est mal et, consequemment, a eviter. C’est, en effet, la maison qui prescrit a la volonte ce qu’elle doit chercher ou ce qu’elle doit fuir, pour que l’homme puisse un jour atteindre cette fin supreme en vue de laquelle il doit accomplir tous ses actes. Or, cette ordonnance de la raison, voila ce qu’on appelle la loi. Si donc la loi est necessaire a l’homme, c’est dans son libre arbitre lui-meme, c’est-a-dire dans le besoin qu’il a de ne pas se mettre en desaccord avec la droite raison, qu’il faut en chercher, comme dans sa racine, la cause premiere. Et rien ne saurait etre dit ou imagine de plus absurde et de plus contraire au bon sens que cette assertion : L’homme, etant libre par nature, doit etre affranchi de toute loi ; car, s’il en etait ainsi, il s’ensuivrait qu’il est necessaire pour la liberte de ne pas s’accorder avec la raison, quand c’est tout le contraire qui est vrai, a savoir, que l’homme doit etre soumis a la loi, parce qu’il est libre par nature. Ainsi donc, c’est la loi qui guide l’homme dans ses actions et c’est elle aussi qui, par la sanction des recompenses et des peines, l’attire a bien faire et le detourne du peche. ≪ Telle est, a la tete de toutes, la loi naturelle qui est ecrite et gravee dans le cœur de chaque homme, car elle est la raison meme de l’homme, lui ordonnant de bien faire et lui interdisant de pecher… Elle n’est autre chose que la loi eternelle, gravee chez les etres doues de raison et les inclinant vers l’acte et la fin qui leur conviennent ; et celle-ci, n’est elle-meme que la raison eternelle du Dieu createur et moderateur du monde. A cette regle de nos actes, a ces freins du peche, la bonte de Dieu a voulu joindre certains secours singulierement propres a affermir, a guider la volonte de l’homme. Au premier rang de ces secours, brille la puissance de la grace divine, laquelle, en eclairant l’intelligence et en inclinant sans cesse vers le bien moral la volonte singulierement raffermie et fortifiee, rend plus facile a la fois et plus sur l’exercice de notre liberte naturelle. Et ce serait s’ecarter tout a fait de la verite que de s’imaginer que, par cette intervention de

Dieu, les mouvements de la volonte perdent de leur liberte, car l’influence de la grace divine atteint l’intime de l’homme et s’harmonise avec sa propension naturelle, puisqu’elle a sa source en celui qui est l’auteur de notre ame et de notre volonte, et qui meut tous les etres d’une maniere conforme a leur nature.

Ce qui vient d’etre dit de la liberte des individus, il est facile de l’appliquer aux hommes qu’unit entre eux la societe civile, car ce que la raison et la loi naturelle font pour les individus, la loi humaine promulguee pour le bien commun des citoyens l’accomplit pour les hommes vivant en societe. Mais, parmi les lois humaines, il en est qui ont pour objet ce qui est bon ou mauvais naturellement, ajoutant a la prescription de pratiquer l’un et d’eviter l’autre une sanction convenable. De tels commandements ne tirent aucunement leur origine de la societe des hommes…. Ces preceptes de droit naturel compris dans les lois des hommes n’ont pas seulement la valeur de la loi humaine, mais ils supposent avant tout cette autorite bien plus elevee et bien plus auguste qui decoule de la loi naturelle elle-meme et de la loi eternelle. Dans ce genre de lois, l’office du legislateur civil se borne a obtenir, au moyen d’une discipline commune, l’obeissance des citoyens, en punissant les mechants et les vicieux, dans le but de les detourner du mal et de les ramener au bien, ou du moins de les empecher de blesser la societe et de lui etre nuisible. ≪ Quant aux autres prescriptions de la puissance civile, elles ne procedent pas immediatement et de plain-pied du droit naturel ; elles en sont des consequences plus eloignees et indirectes, et ont pour but de preciser les points divers sur lesquels la nature ne s’etait prononcee que d’une maniere vague et generale. .. Ces regles particulieres de conduite, creees par une raison prudente et intimees par un pouvoir legitime, constituent ce que l’on appelle proprement une loi humaine. Visant la fin propre de la communaute, cette loi ordonne a tous les citoyens d’y concourir, leur interdit de s’en ecarter et, en tant qu’elle suit la nature et s’accorde avec ses prescriptions, elle nous conduit a ce qui est bien et nous detourne du contraire. Par ou l’on voit que c’est absolument dans la loi eternelle de Dieu qu’il faut chercher la regle et la loi de la liberte, non seulement pour les individus, mais aussi pour les societes humaines. Donc, dans une societe d’hommes, la liberte digne de ce nom ne consiste pas a faire tout ce qui nous plait : ce serait dans l’Etat une confusion extreme, un trouble qui aboutirait a l’oppression ; la liberte consiste en ce que, par le secours des lois civiles, nous puissions plus aisement vivre selon les prescriptions de la loi eternelle. Et pour ceux qui gouvernent, la liberte n’est pas le pouvoir de commander au hasard et suivant leur bon plaisir : ce serait un desordre non moins grave et souverainement pernicieux pour l’Etat ; mais la force des lois humaines consiste en ce qu’on les regarde comme une derivation de la loi eternelle et qu’il n’est aucune de leurs prescriptions qui n’y soit contenue, comme dans le principe de tout droit…. Supposons donc une prescription d’un pouvoir quelconque qui serait en desaccord avec les principes de la droite raison et avec les interets du bien public ; elle n’aurait aucune force de loi, parce que ce ne serait pas une regle de justice et qu’elle ecarterait les hommes du bien pour lequel la societe a ete formee. ≪ Par sa nature donc et sous quelque aspect qu’on la considere, soit dans les individus, soit dans les societes, et chez les superieurs non moins que chez les subordonnes, la liberte humaine suppose la necessite d’obeir a une regle supreme et eternelle ; et cette regle n’est autre que l’autorite de Dieu nous imposant ses commandements ou ses defenses ; autorite souveraine

ment juste, qui, loin de detruire ou de diminuer en aucune sorte la liberte des hommes, ne fait que la proteger et l’amener a sa perfection, car la vraie perfection de tout etre, c’est de poursuivre et d’atteindre sa fin ; or la fin supreme vers laquelle doit aspirer la liberte humaine, c’est Dieu. ≫

La liberte de conscience .

1. Rappel des notions

relatives a la conscience. ? Le mot de conscience s’applique a deux realites distinctes. Il designe d’abord la conscience psychologique, c’est-a-dire l’aperception par laquelle l’homme se connait lui-meme dans une vue interieure. La conscience morale implique la psychologique, mais y ajoute un rapport avec la regle des actions humaines. Elle cherche et controle leur conformite avec la loi morale. Se trouve-t-elle en face d’un avenir a orienter ? La conscience prononce un double jugement : un jugement de conformite entre l’ordre a observer et L’action qu’il s’agit de faire ou d’omettre ; un jugement d’obligation qui est une excitation ou un lien, suivant que l’acte en question est conseille ou commande, deconseille ou proscrit. S’agit-il d’un passe a juger ? La conscience intervient sous une autre forme, elle excuse ou accuse, elle reprimande, elle remplit de remords. Voir Sum. theol ., I ≫, q. lxxix , a. 13. La conscience morale implique une double connaissance, celle de la volonte superieure manifestee, et celle des actions personnelles dans leur rapport avec cette volonte.

2. Dependance fonciere de la conscience morale. ? (".’est de la conscience morale qu’il est ici question. Cette conscience ne saurait etre libre ou independante des lois ontologiques de la verite. L’adhesion au vrai connu est un droit ; l’adhesion a l’erreur ne peut pas constituer un droit veritable, car cette adhesion repugne a la tendance naturelle de l’intelligence, destinee a connaitre la verite. On ne saurait donc raisonnablement pretendre que l’homme ait le droit ou la faculte morale de penser ou de juger, comme il lui plait, sans egard aux lois obligatoires pour sa conscience, conscience certainement liee par des regles auxquelles, sans doute, l’homme peut physiquement se soustraire en vertu de son libre arbitre, mais qu’il ne peut moralement transgresser, sans manquer a son devoir, sans aller contre l’ordre etabli de Dieu. Donc la liberte ou l’independance de la conscience a l’egard de toute loi est une chimere, qui ne saurait etre reclamer par aucun homme ou proclamee par aucun legislateur.

Les lois qui lient la conscience humaine sont de diverse* sortes ; H suffit de rappeler ici que toute loi juste, emanant d’une autorite qui a droit de nous commander, lie notre conscience suivant l’intention expresse ou Implicite du legislateur.

.’(. Sens acceptable du mot liberte de conscience. ? a) Si l’on entend par liberte de conscience le droit de ne rendre compte qu’a Dieu seul de ce que nous pensons Interieurement, il est bien certain qu’aucune autorite n’a le droit de demander compte a ses sujets de leurs actes purement internes. Aclus mere interni potestati cii’ih nullalenus subfacent, utpote quai nonnisi bono eommuni ertrmn prsutt, I.ehmkuhl, Theologia morallt, t. i , n. 128. Quant : i V Eglise, c’est en vertu de su mission divine et spirituelle qu’elle I le droit, au tribunal de l.i penitence, de demander compte a ses enfants de leurs actes interieurs on tout ce qui regarde

le salut et la perfection chretienne. Santi, Prtelecti

canonlcl, Ratisbonne, 1898, t. i. tit. a, a. 15,

Ilque de facon ludlcieuie : Habet uttque Ecdesta forum pœnltentiale, m qno flldtcat de internis nninu rogilationtbui M litre fudlcta rteplclunt directe et pro/rir tndtvldua rt non chrtatlanam toclelatem. in bot

foro minttter i entat Ipsum Deum,

qui in eo CUSU rtirnm sinripil non de Uitiveno COtU

Christianorum, sed de bono individuali particularis fidelis. In hoc foro agitur judicium potius coram Deo quam coram Ecclesia. Igitur hoc tribunal non est proprie diclum tribuncd et forum Ecclesise, sed tribunal et forum conscienlise coram Deo. Il est egalement incontestable que l’Eglise peut, par ses lois, directement prescrire ou prohiber des actes externes meme occultes, et indirectement des actes internes qui ont, avec les externes, une connexion necessaire. Nulla est controversia. enseigne le P. Wernz, Jus Decretalium, Rome, 1905 1. 1, p. 114, Ecclesiam suis legibus posse directe præscribere vel prohibere actus externos eliam occultas, et indirecte actus inlernos, qui cum actibus externis necessario coheerent. C’est ainsi qu’il faut reconnaitre le droit, qu’elle exerce au besoin, de commander en son for exterieur une adhesion interne a ses enseignements ou a ses decisions. On en trouve un exemple remarquable dans la bulle Inefjabilis Deus, qui proclame le dogme de l’Immaculee Conception. La definition est suivie de la plus severe des sanctions a l’adresse de ceux qui auraient la presomption de professer interieurement une doctrine contraire. Quapropler si qui secus ac a Nobis defmitum est, quod Deus avertat, prsesumpserint corde sentire, ii noverint ac porro sciant, se proprio judicio condemnalos, naufragium circa fidem passos esse et ab unitale Ecclesiee defecisse. Denzinger, n. 1641. Quant aux actes purement internes, d’apres le sentiment commun des theologiens et des canonistes ils ne sauraient etre, en vertu de la juridiction ecclesiastique seule, directement commandes ou prohibes, au for externe, par des lois humaines. Ai actus merc interni, continue le P. Wernz, ibid ., vi sclius jurisdictionis ecclesiasticæ directe in foro externo legibus humanis prsecipi vel prohiberi juxta communcm sententiam theologorum et canonistarum non possunt. Cf. Suarez. De legibus, lib. IV , cap. xiii.

b) Si, par liberte de conscience, on entend le droit d’adherer a telle ou telle opinion suffisamment probable. licite ou libre, ce droit n’est pas conteste : ce qui revient a dire que la conscience humaine est libre dans ses jugements pratiques, quand aucune loi ne restreint sa liberte native de penser ; mais quand une loi veritable lui prescrit tel ou tel jugement pratique, elle doit obeir a cette loi.

Et, comme la loi n’est manifestee a l’homme, comme regle immediate de ses actes, que par la conscience, il est tenu de suivre ce que lui dit sa conscience, quand elle est vraie et droite, et meme quand elle est invinciblement erronee, parce qu’alors il agit prudemment par suite de sa persuasion invincible. Invincibiliter erronea conscientia revera regula agendi evadit : hanc tenemur sequi præcipientem, permittenlem sequimur sine cutpa. I.ehmkuhl, op. cit ., n. 43. Si donc, par suite d’une conscience invinciblement erronee, un homme croit que t< I acte bon est mauvais ou reciproquement, i ! n’a pas le droit de poser l’acte bon qu’il juge mauvais ; et il peut ou doit poser l’acte mauvais qu’il juge bon, sans avoir toutefois objectivement le droit ou la faculte morale de le poser, puisque la morale reprouve cet acte. Il suit dl la que, si la conscience invinciblement erronee peut imposer le devoir de mal faire, quand l’homme croit bien.mil’, elle ne saurait lui donner le droit de mal faire, parce que le droit ; m mal repugne dans les termes, et que le droit a pour fondement necessaire la verite Objective, tandis que le devoir peut naitre d’une erreur Subjective, et qu’il ne repugne pas qu’un homme ail

h devoir de faire une action mauvaise qu’il croil un i"

Ctblement etre bonne et obligatoire pour lui. d’autant que, s’il s’abstient de la faire, il croirait agi] mal, <’par la meme il iolerait la loi divine qui lui commande de ne jamais rien faire contre le dtetamen de sa conscient I

i nt’mon peut entendre, par liberte de conscience,

le droit que possede l’homme de ne pas ittt oiitrnint pal la force OU la violence u embrasser la verite ou a donner assentiment au bien a rencontre de sa conviction intime et a sa volonte. Le savant cardinal Giuseppe l’risco, Principi di jilosofia del diritlo, c. viii , Liberia di coscienza, etablit ce droit dans une page magistrale que nous citons integralement : < L’intelligence de l’homme, dit-il, est appelee par son essence intime a la connaissance du vrai, comme la volonte a la possession du bien ; mais la premiere ne peut adherer au vrai sans le connaitre, comme la seconde ne peut embrasser le bien sans son libre consentement. Or, aucune force ou autorite creee ne saurait contraindre l’intelligence et la volonte d’autrui a adherer a une doctrine, fut-elle vraie ; et l’usage qu’on ferait de la force pour obtenir ce resultat serait une veritable absurdite. Et, en effet, l’intelligence se convainc a l’aide de preuves, et la volonte s’incline vers la verite qui subjugue l’esprit… ; la force est toujours un moyen incompetent et disproportionne pour l’obtention de ces deux effets…. Ledroit de la vraie liberte de conscience est le droit de la superiorite des forces morales de l’esprit sur la force brutale, et par suite ce droit est naturel et inviolable, comme est naturelle et inviolable la dignite de ces memes forces. Non seulement l’Etat, mais l’Eglise catholique elle-meme ne peut violer ce droit en contraignant par la force d’adherer a une doctrine vraie. Dans la foi catholique, c’est vraiment l’infaillible temoignage de Dieu qui est le principe objectif de l’obligation de notre assentiment ; mais notre raison individuelle, sous l’influence de la lumiere de la grace, doit connaitre ce temoignage infaillible, et c’est nous-memes qui devons donner notre assentiment, c’est nous-memes qui devons etre certains de ce temoignage. Croire, dit saint Thomas, est un acte de la volonte, Sum. theol., II ≫ -II æ, q. x , a. 8, et la volonte ne consent que lorsque l’intelligence est eclairee. De meme qu’une verite ne peut etre objet de notre science proprement dite, si elle n’est evidente a notre raison, ainsi il ne suffit pas pour croire une verite qu’elle soit affirmee par une autorite infaillible ; il faut que nous connaissions cette autorite infaillible. La difference consiste seulement en ce que, dans la science, le motif objectif de notre assentiment est l’evidence meme de la verite, et le motif subjectif est la raison individuelle qui percoit cette evidence, tandis que, dans la foi, le motif objectif de notre assentiment est la revelation ou l’autorite de Dieu, et le motif subjectif est notre raison elle-meme, qui, par l’evidence des preuves, connait ce meme temoignage infaillible et la regle de la foi dont cette regle determine l’objet. Et c’est pourquoi, si l’homme n’a pas cette connaissance, ou s’il en a une opposee, il est contraire a la nature meme de la foi de le contraindre par la force a croire. Aussi l’apostolat par l’epee, qui a ete l’apostolat du Coran, n’a jamais ete celui de l’Evangile. ≫

d) La liberte legitime de conscience consiste enfin et surtout dans le droit a accomplir, sans aucun empechement ni entrave, nos devoirs d’esprit et de cœur envers Dieu. ≪ On peut, dit l’encyclique, Libertas præslaniissinuim, entendre la liberte de conscience en ce sens que l’homme a dans l’Etat le droit de suivre, d’apres la conscience de son devoir, la volonte de Dieu, et d’accomplir ses preceptes sans que rien ne puisse l’en empecher. Cette liberte, la vraie liberte, la liberte digne des enfants de Dieu, qui protege si glorieusement la dignite de la personne humaine, est au-dessus de toute violence et de toute oppression, elle a toujours ete l’objet des vœux de l’Eglise et de sa particuliere affection. C’est cette liberte que les apotres ont revendiquee avec tant de constance, que les apologistes ont defendue dans leurs ecrits, qu’une foule innombrable de martyrs ont consacree de leur sang. Et ils ont eu raison, car la grande et tres juste puissance de Dieu sur les

hommes el, d’autre part, le grand et le supreme devoir des hommes envers Dieu trouvent l’un et l’autre dans cette liberte chretienne un eclatant temoignage.

Elle n’a rien de commun avec des dispositions

factieuses et revoltees, et, d’aucune facon, il ne faudrait se la figurer comme refractaire a l’obeissance due a la puissance publique ; car ordonner et exiger l’obeissance aux commandements n’est un droit de la puissance humaine qu’autant qu’elle n’est pas en desaccord avec la puissance divine et qu’elle se renferme dans les limites que Dieu lui a marquees. Or, quand elle donne un ordre ouvertement en desaccord avec la volonte divine, elle s’ecarte alors loin de ces limites et se met du meme coup en conflit avec l’autorite divine : il est donc juste alors de ne pas obeir, i

4. Liberte de conscience synonyme de libre pensee. ? La liberte de conscience, telle que la proclament les incredules, n’est point la liberte dont nous venons de parler. Ce qu’ils entendent par liberte de conscience, c’est le droit de penser et de juger, non pas conformement a la verite objective, mais comme il leur plait, en sorte que, a leurs yeux, la liberte de conscience n’est autre chose que l’independance ou l’autonomie de la pensee humaine. L’homme, disent-ils, ne releve que de lui-meme dans ses actes et, par consequent, dans ses pensees comme dans ses paroles.

a) Libre pensee absolue. ? Les partisans de la liberte de conscience absolue, illimitee, veulent que la pensee et la conscience soient libres, sous pretexte que la raison humaine est sa propre loi u elle-meme : erreur fondamentale qui est condamnee dans ces deux propositions du Syllabus :

3. Humana ratio, nullo La raison humaine, sans prorsus Dei respectu habito, avoir a tenir de Dieu aucun unicus est veri et falsi, boni compte, est la regle unique du et niali arbiter, sibi ipsi est vrai et du faux, du bien et du lex et naturalibus suis virimal ; elles est a elle-meme sa bus ad hominem ac populoloi, elle suffit par ses propres rum bonum curandum suffiforces a procurer le bien des cit. individus et des peuples.

4. Omnes religionis veriToutes les verites relitates ex nativa humant gieuses derivent d’une force rationis vi derivant ; bine innee de la raison humaine ; ratio est princeps norma qua aussi la raison est-elle la homo cognitionem omnium norme premiere par quoi cujuscumque generis verital’homme peut et doit acquetum assequi possit ac debet, rir la connaissance des verites Denzinger-Ban., n. 1703, de tous ordres.

1704.

Le droit a cette liberte ne saurait exister. En effet, si la liberte de pensee ou de conscience etait absolue ou illimitee, il s’ensuivrait que la raison humaine serait independante dans sa pensee et dans ses jugements et, consequemment, dans son existence aussi bien que dans son essence. Or cela repugne absolument, car la raison humaine est la faculte d’un esprit cree qui. precisement parce qu’il est cree, ne peut pas etre sa propre loi. De deux choses l’une : ou il faut nier que la raison humaine soit creee, limitee, ou il faut dire qu’elle ne saurait etre la regle radicale et premiere de ses operations. ? Le vrai est reellement distinct de la raison humaine ; car le vrai etant tout ce qui peut etre connu, l’etre, en tant qu’il est l’objet de l’intelligence ne peut etre renferme dans une raison finie. Donc la regle de la raison est reellement distincte de cette faculte. Voila pourquoi la pensee de l’homme est vraie, si elle est conforme a la verite des choses qu’il pense. Seule, la raison divine est sa regle a elle-meme, parce qu’elle est la verite absolue et la loi supreme de tout etreetde toute vraie connaissance. Si la raison humaine etait essentiellement sa propre loi, si la verite et le bien moral appartenaient a son essence, cette raison serait evidemment infaillible. Or, l’experience de chaque jour nous apprend que telle n’est point notre ra’son ; bien au contraire, elle est sujette essentiellement a l’erreur, par la meme qu’elle est finie. Donc la raison humaine ne peut etre la regle supreme de ses operations. S’il etait permis a chacun de penser ce qu’il veut, il devrait lui etre egalement permis de penser qu’il peut legitimement conformer ses actes a ses pensees, c’est-a-dire faire tout ce qu’il veut. La liberte d’agir a sa guise est la consequence logique de la liberte de penser a sa guise. Or, il est facile de s’en rendre compte, cette consequence entrainerait toute espece de desordres. Donc il est faux que la pensee soit libre dans ce sens absolu et illimite. L’homme est tenu de bien penser afin de bien dire et de bien agir : tel est l’ordre voulu par la raison, la justice et la verite, par Dieu lui-meme.

b) Libre pensee relative. ? D’autres vont moins loin e( refusent d’etre les partisans d’une liberte de conscience independante des regles du vrai et du juste ; ils pretendent seulement que c’est uniquement a la raison humaine qu’il appartient de reconnaitre ces regles et de les apprecier. D’apres eux, tout homme a le droit d’etre respecte dans ses convictions. Repoussant la liberte absolue de conscience, ils admettent seulement la liberte relative de conscience, c’est-a-dire le droit de n’avoir que notre raison pour regle de nos jugements pratiques en matiere morale et religieuse, sans que nous ayons a tenir compte de l’autorite du Christ et de l’Eglise. C’est la these brillamment soutenue par Jules Simon dans son ouvrage, La liberte de conscience, Paris, 1859.

Bile est de tous points erronee. En eliet, s’il est une verite pratique qui s’impose a l’esprit, c’est que Dieu etant le createur de l’homme et par consequent son maitre, l’homme est, selon toute l’etendue de son etre, dans une entiere dependance envers lui. Et ce que la raison nous crie non moins fortement, c’est qu’etant elle-meme une creature, puisqu’elle n’est autre chose que la faculte divinement donnee a notre ame de connaitre la verite, elle est, par sa nature meme, la sujette de cette verite : de telle sorte que, s’il plait a la verite increee, qui est Dieu, de se reveler a l’homme d’une maniere plus excellente, et dans des proportions plus considerables qu’elle ne l’a fait en le creant, l’homme, sous peine de trahir et sa raison et sa conscience, doit soumettre a Dieu qui lui parle son intelligence et sa volonte, c’est-a-dire, il lui doit pleine croyance et pleine obeissance. Aussi le concile du Vatican dit-il anatheme a qui pretendrait que la raison est tellement independante que la foi ne puisse lui etre commandee de Dieu. Si quis dixerit, rationcm humaii’im iln independentem esse, ut /ides ei </ Dm imperari non possit, anathemasit. Canonesde fl.de cathol., 3. De flde. can. l. Denzinger-Ban., m 18lo.

Le moyen qui doit permettre a tous de juger ou est la vraie foi, d’y soumettre leur esprit et leur errur, ci d’perseverer jusqu’a la liii , c’est l’Eglise, Dieu, par son unique et bien-aime tils Jesus, a fonde l’Eglise ici bas, et il l’a enrichie de tels dons, gratifiee de tels privileges, illustree de tels caracteres, que tout le monde (| vi . lit la oir et la reconnaitre pour la dienne et la maitresse unique du depot de la revelation. la seule Eglise catholique, en effet, appartient

le tresor Immense et merveilleux des faits divins, des miracles surtout et des propheties, qui portent jusqu’a l’evidence la credibilite des mysteres qu’elle propose, des dogmes qu’elle enseigne, des graces qu’elle dispense. des promesses qu’elle fait. Munie d’arguments divins iKmr prouver tout ce qu’elle avance. l’Eglise est encore sa preuve a elle meme ; el quiconque la voudra etudier de bonne foi, el dans son origine, ei dans son re.el dans cette Immutabilite qu’elle conserve en

traversant tout ce qui change, sera force de convenir

qu’elle est elle-meme un grand motif de credibilite, i i

qu’elle porte avec elle l’irrefragable temoignage de sa divine legation.

Des la qu’il existe deux ordres distincts de connaissances, et que ces deux ordres se rencontrent en fait dans le meme sujet, c’est-a-dire dans l’homme croyant et raisonnable, il s’ensuit qu’il y a des rapports mutuels entre l’un et l’autre de ces ordres. Les deux ordres dont il s’agit sont distincts non seulement par leur principe, mais par leur objet : leur principe, puisque le principe de la connaissance naturelle est la raison humaine, et que la foi divine est celui de la connaissance surnaturelle ; leur objet, puisque dans l’un nous atteignons seulement les verites de l’ordre qui nous est propre, et que dans l’autre nous commencons de saisir des secrets naturellement caches a toutes les creatures, des secrets que, par consequent, Dieu seul peut nous apprendre. Voir concile du Vatican, Constitutio de flde catholica, c. i , De fide et ratione, Denzinger-Ban., n. 1795. Les verites de la foi ont un caractere essentiellement transcendant. Non seulement elles ont cette transcendance en elles-memes, en ce sens que, si Dieu ne les revelait a la raison creee, elles lui demeureraient tout a fait inconnues et seraient pour elles comme n’existant pas. Mais, meme apres que Dieu nous lesa dites, et qu’etant entrees en nous par la foi, elles font reellement partie du tresor de nos connaissances, elles n’y sont jamais cependant qu’a l’etat de verites recues par temoignage. Le christianisme est si essentiellement la religion du mystere qu’il renie comme siens ceux qui voudraient les contester. Concil . Vatic, Can. de flde calhol., 4. De flde et ratione, can. 1, Denz ., n. 1816.

Mais en meme temps que la foi surpasse la raison si necessairement et de si haut, il va de soi qu’elle ne peut jamais lui etre contraire, et qu’entre ces deux lumieres venues du meme foyer, qui est Dieu, il ne saurait y avoir de dissension veritable. Dieu ne se nie pas lui-meme, et la verite ne se donne point de dementi. 11 s’ensuit que, si entre les verites revelees, c’est-a-dire les dogmes de la foi ou les enseignements de l’Eglise, et les donnees de la raison ou de la science, il semble y avoir contradiction, ce n’est et ce ne peut etre jamais qu’une apparence. Et la cause principale de cette apparente contradiction est, ou bien que l’on prend pour verite de foi et doctrine de l’Eglise ce que l’Eglise n’enseigne pas reellement, ou qu’on l’entend et qu’on l’expose autrement qu’elle ; ou bien, c’est qu’on prend pour une verite de raison ce qui n’est qu’une opinion particuliere et une fausse vue de l’esprit. Aussi l’Eglise definit-elle que toute assertion contraire a la verite revelee est absolument fausse : Omnan igitur assertionem verilati illuminatæ fldei contrariant omnino falsam esse deflnimus. Denzinger, n. 1797, cf. n. 738.

En effet, la foi etant d’une nature plus elevee que la raison, la grande regle de la subordination des ordres exige que, dans le cas de conflit, le dernier mot appai tienne a la premiere, Par cela seul que Dieu a institue’une autorite divine sur la terre, et qu’il lui a donne le mandat de garder Integralement le depot de la foi, il lui a confere ≪ le droit et impose le devoir de declarer fausse et de proscrire toute doctrine qui, usurpant le nom de science ou de philosophie, s’eleve contre les dires de Dieu, contredit les verites de fol et Infirme : i un point de vue quelconque les dogmes catholiques. " Tout chretien donc place en face d’opinions vraiment contraires a une doctrine de foi. et surtout en face d’opinions reprouvees de l’Eglise, ne peut, sans pn., rication, soutenir que Ces opinions soient des conclu sions legitimes de la seiencc : niais il est tenu ile n’Voit que’I' I opinions fardees d’une fausse apparence rite.i Ibid ..n. I

Enfin, ce n’est pas assez de dire ≪ pie la foi et la rai son ne peuvent jamais se trouver in desaccord et ni

sont pas naturellement hostiles La verite est qu’elles sont faites pour s’aider et se preter un mutuel secours. D’un cote, la raison demontre les fondements de la foi, et, munie des lumieres de celle-ci, elle cultive la science des choses divines. De l’autre la foi delivre et defend la raison d’une foule d’erreurs, et elle l’enrichit de connaissances nombreuses.

Une grave illusion de certains partisans de la liberte relatiue de conscience, entendue dans le sens illegitime dont nous venons de parler, consiste a se persuader qu’il leur est loisible de se replacer intellectuellement, tant est grande l’opinion qu’ils se font des droits de leur raison, dans un etat de doute absolu, a l’effet de former de nouveau leur conviction sur la verite ou la faussete du christianisme et de ses enseignements. ? Or, c’est la une erreur profonde, fertile en consequences desastreuses, comme il est facile de s’en rendre compte. On oublie que, a cet egard, tout autre est la condition de ceux qui, ayant recu le don celeste de la foi, adherent a la verite catholique, et la condition des infortunes qui, par le malheur de leur naissance ou par d’autres causes, se trouvent engages dans une religion fausse. Ceux-ci, en effet, peuvent et doivent douter de la verite de leur croyance et de la surete de leur voie. Les arguments exterieurs d’une part, la lumiere et les mouvements intimes de la grace de l’autre, les excitent a ce doute qui est pour eux un commencement de delivrance et un premier pas vers la pure clarte du salut. Des que le doute devient serieux, il les oblige a un examen plus serieux encore ; et ils doivent a Dieu, ils se doivent a eux-memes de chercher et de prier jusqu’a ce qu’ils aient trouve, et, des qu’ils ont trouve, ils sont tenus de changer leur croyance. ? Le’catholique, au contraire, ne de Dieu et de l’Eglise, assiste par la grace interieure de l’un et par le magistere exterieur de l’autre, n’a jamais et ne saurait avoir aucune raison valable de changer sa croyance, ou meme de suspendre son adhesion totale soit a l’ensemble des verites revelees, soit a quelqu’une d’entre elles, sous pretexte qu’il veut en obtenir d’abord la demonstration rationnelle et la conviction scientifique. Dans le domaine de la foi, les investigations de l’esprit permises, conseillees, parfois meme commandees au chretien, ne peuvent jamais prendre pour point de depart un doute reel. Concil . Vat., De fide, c. iii , Denzinger, n. 179-1. Et le concile appuie par un anatheme cet important point de doctrine : ≪ Si quelqu’un dit que la condition des fideles ne differe pas de la condition de ceux qui ne sont pas encore parvenus a l’unique veritable religion : de telle sorte que les catholiques, apres avoir embrasse la foi sous la conduite de l’Eglise, puissent suspendre leur assentiment et remettre cette foi en doute jusqu’a ce qu’ils aient acquis la demonstration scientifique de la credibilite et de la verite, de la foi, qu’il soit anatheme… ≫ Can.de fide cath., 3. De fide, can. 6, Denz ., n. 1815.

Mais n’y a-t-il pas la, chez les fideles, une sorte de depression et un veritable servage de la raison ? Nullement. Dans l’acte de foi, en effet, independamment de la certitude des motifs de credibilite, la cause qui determine l’adhesion de la volonte et de l’intelligence n’est autre que la verite premiere elle-meme, c’est-a-dire Dieu, souverainement veridique. Or, la veracite divine offre plus de garantie que la lumiere de l’intellect humain : c’est pourquoi, quant a la fermete de l’adhesion, la foi s’appuie sur une plus grande certitude que n’est la certitude de la science et de la comprehension intellectuelle. Donc revenir au doute, en vue de parvenir scientifiquement a la verite, ne serait pas un mouvement de progres, mais de recul.

c) Liberte de pensee par rapport a l’ordre surnaturel.

? D’autres, enfin, poussant la liberte relative de conscience jusqu’a ses extremes limites, vont jusqu’a nier l’obligation d’entrer dans l’ordre surnaturel. Ils

rougiraient de tout ce qui les abaisserait au-dessous de leur nature, mais ils declarent, en meme temps, n’avoir aucun attrait pour ce qui tend a les elever au-dessus ; ils veulent rester hommes. Il est de l’essence de tout privilege de pouvoir etre refuse. Et puisque tout cet ordre surnaturel, tout cet ensemble de la revelation est un don de Dieu, gratuitement surajoute par sa liberalite et sa bonte aux lois et aux destinees de leur nature, ils s’en tiendront a leur condition premiere ; apres une vie honnete, vertueuse, le seul bonheur eternel auquel ils aspirent est la recompense naturelle des vertus naturelles. Dans une page d’une rare eloquence, le cardinal Pie critique vivement cette pretention orgueilleuse d’une liberte follement eprise d’elle-meme, pretention qui ne va a rien moins qu’a meconnaitre le souverain domaine de Dieu sur sa creature. ≪ En effet, dit l’illustre eveque de Poitiers, on ne prouvera jamais que Dieu, apres avoir tire l’homme du neant, apres l’avoir doue d’une nature excellente, n’ait pas conserve le droit de perfectionner son ouvrage, de l’elever a une destinee plus excellente encore et plus noble que celle qui etait inherente a sa condition native. Au contraire, les memes faits qui etablissent d’une facon irrefragable que Dieu s’est mis en rapport direct et immediat avec l’homme par la revelation, les memes faits qui nous obligent d’admettre la divinite des saintes Ecritures et l’existence de l’ordre surnaturel, nous forcent aussi de reconnaitre l’obligation ou nous sommes d’entrer dans cet ordre de grace et de gloire, sous pe % ine des chatiments les plus justes et les plus severes. En nous assignant une vocation surnaturelle, Dieu a fait acte d’amour, mais il a fait acte aussi d’autorite. Il a donne, mais en donnant il veut qu’on accepte. Son bienfait nous devient un devoir. Le souverain Maitre n’entend pas etre refuse. Si l’argile n’a pas le droit de dire au potier : ≪ Pourquoi fais-tu de moi un vase d’ignominie ? ≫ Rom., ix , 20, elle est infiniment moins autorisee encore a lui dire : ≪ Pourquoi fais-tu de moi un vase d’honneur ? ≫ Quoi donc ! ouvrage rebelle, vous vous plaignez de ce que celui qui vous a petri de ses mains, qui a tout droit sur vous, use de son droit supreme pour assigner a votre obscurite une place brillante au dela des astres ? Humble esclave de celui qui vous a donne l’etre, vous vous plaignez de ce qu’il vous tire de la poussiere pour vous ranger parmi les princes des cieux ! Le souverain domaine que Dieu peut exercer sur vous a son gre, vous trouvez mauvais qu’il l’exerce par la bonte ! Phenomene monstrueux de l’ordre moral, vous etes indocile au bienfait, revolte contre l’amour ! Eh bien, le domair.e imprescriptible de Dieu s’exercera sur vous par la justice. Malheureux mendiant du chemin, le roi vous avait invite aux noces de son Fils", au banquet eternel de la gloire : c’etait a vous de vous y acheminer et de vous revetir de la robe nuptiale de la grace pour etre admis ; vous vous etes presente sans cet ornement prescrit : il n’y aura point de place pour vous, meme dans un coin de la salle, meme a la seconde table ; vous serez chasse dehors, jete dans les tenebres exterieures, la ou il y aura des pleurs et des desespoirs. Matth., xxii , 12, 13. Le meme Dieu qui, dans l’ordre de la nature, par une suite de transformations physiques. fait passer incessamment les etres inferieurs d’un regne plus infime a un regne plus eleve, avait voulu, par une transformation surnaturelle, vous faire monter jusqu’a la participation, jusqu’a l’assimilation de votre etre cree a sa nature infinie. Substance ingrate, vous vous etes refuse a cette affinite glorieuse, vous serez relegue parmi les rebuts et les dejections du monde de la gloire : portion resistante du metal place dans le creuset, vous ne vous etes pas laisse convertir en l’or pur des elus, vous serez jete parmi les scories et les residus impars. Noblesse oblige : c’est un axiome parmi les hommes. Ainsi en est-il de la noblesse surnaturelle que Dieu a daigne conferer a la creature. La qualite d’enfant de Dieu, le don de la grace, la vocation a la gloire, c’est la une noblesse qui oblige ; quiconque y forfait est coupable, coupable envers le souverain domaine de la paternite divine, qui punira en esclave celui qui n’aura pis voulu etre traite en fils. ≫ Cardinal Pie, Discours et instructions pastorales, t. ii , Poitiers, 1858, p. 425-427.

La liberte des cultes .

1. Principes generaux. ?

La liberte des cultes, ou la liberte de religion, se distingue de la liberte de pensee ou de conscience, en ce que celleci se borne a l’interieur, tandis que celle-la se produit a l’exterieur.

Dans l’encyclique Libertas præslantissimum, que nous avons citee plus haut, Leon XIII en arrive a examiner cette liberte ≪ si contraire, dit-il, a la vertu de religion, la liberte des cultes, comme on l’appelle, liberte qui repose sur ce principe qu’il est loisible a chacun de professer telle religion qu’il lui plait, ou meme de n’en professer aucune ≫.Edit. citee, t. ii , p. 193. ? Mais, tout au contraire, enseigne le pape, c’est bien la, sans nul doute, parmi tous les devoirs de l’homme, le plus grand et U’plus saint, celui qui ordonne a l’homme de rendre a Dieu un culte de piete et de religion. Et ce devoir n’est qu’une consequence de ce fait que nous sommes perpetuellement sous la dependance de Dieu, gouvernes par la volonte et la Providence de Dieu, et que, sortis de lui, nous devons retourner a lui. ≫

Des la qu’une creature douee d’intelligence et de facultes morales est mise en presence de Celui qui l’a faite, elle est saisie par ce devoir : reconnaitre les titres du Createur a l’estime transcendante et au fidele service de l’etre qu’il a jete dans l’existence. La manifestation exterieure de la vertu de religion s’app -Ile culte exterieur. ≪ Le sentiment religieux est un devoir rigoureux : il faut donc que nous employions les signes exterieurs du culte, soit pour reveiller le sentiment religieux, soit pour le rendre plus ardent ; d’autant plus que la dissipation des affaires nous fait oublier facilement nos devoirs les plus simples, nos relations les plus intimes. Que d’hommes perdraient completement Dieu de vue sans l’usage du culte exterieur ! Ce culte est donc dans l’ordre et son absence est un desordre. Dieu, qui veut l’ordre et defend le desordre, veut donc le culte exterieur, non qu’il en retire quelque avantage, pas plus que de nos autres vertus ; mais il ne peut pas plus approuver un desordre dans les actes religieux que dans les autres actes humains. ≫ Taparelli, Essai theorique de droit naturel, 1. 1, t. I , c.ix. Ce culte lui-meme est regle et bien determine ; il n’est pas loisible a chacun de le modifier a son gre ou d’en choisir un autre. ≪ Si l’on demande, dit Leon XIII , parmi toutes ces religions opposees qui ont cours, laquelle il faut suivre a l’exclusion des autres, la raison et la nature s’unissent pour nous repondre : celle que Dieu a prescrite et qu’il est aise de distinguer, a certains siimes exterieurs par lesquels la divine Providence a voulu la rendre reeonnaissable. car. dans une chose de cette importance, l’erreur entrainerait des consequences trop desastreuses. C’est pourquoi offrir a l’homme la liberte dont nous parlons, c’est lui donner le pouvoir de denaturer Impunement le plus saint des lier, abandonnant le bien immuable

pour se tourner vers le mal : ce qui, nous l’avons dit. 1 plus la liberte, mais une depravation de la liberte

et une’servitude de l’Ame dans l’abjection du peche.

L’est Dieu qui a f ; ≪ it l’homme pour la societe’I qui l’a Uni a ses semblables, afin que les besoins de sa nature, que ses illorts solitaires ne pourraient jamais

hier, pussent trouver satisfaction dans l’associa lion.’.es| pourquoi la Societe civile, en tant que

societe, doit necessairement reconnaitre Dieu comme son principe et son auteur et, par consequent, rendre a sa puissance et a son autorite l’hommage de son culte. Non, de par la justice ; non, de par la raison, l’Etat ne peut etre athee, ou, ce qui reviendrait a l’atheisme, etre anime a l’egard de toutes les religions, comme l’on dit, des memes dispositions, et leur accorder indistinctement les memes droits. Puisqu’il est donc necessaire de professer une religion dans la societe, il faut professer celle qui est la seule vraie et que l’on reconnait sans peine, au moins dans les pays catholiques, aux signes de verite dont elle porte en elle l’eclatant caractere. Cette religion, les chefs de l’Etat doivent donc la conserver et la proteger, s’ils veulent, comme ils en ont l’obligation, pourvoir prudemment et utilement aux interets de la communaute. Car la puissance publique a ete etablie pour l’utilite de ceux qui sont gouvernes, et quoiqu’elle n’ait pour fin prochaine que de conduire les citoyens a la prosperite de cette vie terrestre, c’est pourtant un devoir pour elle de ne point diminuer, mais d’accroitre, au contraire, pour l’homme, la faculte d’atteindre a ce bien supreme et souverain dans lequel consiste l’eternelle felicite des hommes, ce qui devient impossible sans la religion. ≪ Une liberte de ce genre, dit le pape en terminant, est ce qui porte le plus de prejudice a la liberte veritable, soit des gouvernants, soit des gouvernes. La religion, au contraire, lui est merveilleusement utile, parce qu’elle fait remonter jusqu’a Dieu meme l’origine premiere du pouvoir ; qu’elle impose avec une tres grave autorite aux princes l’obligation de ne point oublier leurs devoirs ; de ne point commander avec injustice ou durete, de conduire les peuples avec bonte et presque avec un amour paternel. D’autre part, elle recommande aux citoyens, a l’egard de la puissance legitime, ! a soumission comme aux representants de Dieu ; elle les unit aux chefs de l’Etat par les liens, non seulement de l’obeissance, mais du respect et de l’amour, leur interdisant la revolte et toutes les entreprises qui peuvent troubler l’ordre et la tranquillite de l’Etat, et qui, en definitive, donnent occasion de comprimer, par des restrictions plus grandes, la liberte des citoyens. Nous ne disons rien des services rendus par la religion aux bonnes mœurs, et par les bonnes mœurs a la liberte meme. Un fait prouve par la raison et que l’histoire confirme, c’est que la liberte, la prosperite et la puissance d’une nation grandissent en proportion de sa moralite. ≫

2. Application de ces principes .

De cet enseignement magistral decoulent les points de doctrine qui suivent :

a) Nous devons a Dieu un culte interieur et exterieur, un culte prive et un culte public. Pris en lui-meme. Dieu est l’etre infiniment parfait et transcendant. Nous sommes au-dessous de lui, nous lui sommes soumis. Il est des lors juste, necessaire, indispensable que nous lui rendions un hommage absolu a cause des t it res qui lui sont personnels, un hommage superieur a cause de titres qui sont hors de pair.

b) Dieu ayant etabli, dans le but de faire arriver les hommes a leur fin derniere, un culte obligatoire et une Societe egalement obligatoire qui n’est autre que l’Eglise catholique, il s’ensuit que tout homme a le droit et le devoir d’embrasser ce culte, et d’adherer a rit le societe. Il en resulte egalement que nul n’a le droit de rejeter le culte prescrit par Dieu et de se sous traire a l’autorite de l’Eglise. I.a liberte doctrinale des cultes ne saurait etre admise, meme au simple point rie vue de la raison Celle Cl, en effet, prescrit de rendre

i Dieu le culte qui, seul, est agree par lui. Il est aussi

contraire b la loi morale de rendre a Dieu un culte

oppose a celui qu’il a prescrit que de ne lui rendre

aucun culte

c) Revendiquer le droit ou la faculte morale d’exercer le culte qui plait, c’est nier qu’il existe une seule religion veritable etablie par Dieu, et dont Dieu impose la pratique. Or, on le demontre surabondamment ailleurs, des preuves peremptoires militent en faveur de la religion catholique, comme de la seule religion voulue par Dieu ; et ainsi les hommes qui doivent l’embrasser ne peuvent avoir le droit d’en professer une autre. C’est donc a juste titre que Pie IX a condamne dans le Syllabus les deux propositions suivantes :

Il est loisible a chaque

homme d’embrasser et de

professer la religion qu’il

aura tenue pour vraie en sui vant les lumieres de sa rai son.

Les hommes peuvent trou ver dans l’exercice de n’im porte quelle religion la voie

du salut eternel et y parve nir.

15. Liberum cuique homi ni est eam amplecti ac pro (iteri religionem quam ratio nis lumine quis ductus veram

putaverit.

16. Homines in cujusvis

religioni cultu viam alterna 1

salutis reperire seternamque

salutem assequi possunt.

Denzinger, n. 1715, 1710.

Deja, dans l’allocution consistoriale du 9 juin 1862, Pie IX s’elevait contre ceux qui ≪ osent malicieusement faire deriver toutes les verites de la religion de la force native de la raison humaine, et attribuent a chaque, homme une sorte de droit primordial en vertu duquel il peut librement penser et parler de la religion, et rendre a Dieu l’honneur et le culte qu’il estime le meilleur, suivant son caprice. ≫ Voir Les Actes pontificaux cites dans l’Encyclique et le Syllabus du 8 decembre 1864, suivis de divers autres documents, Paris, 1865, p. 400.

d) Aucun homme, nous l’avons vii , n’a devant Dieu le droit ou la faculte morale d’adherer interieurement a une religion fausse ; en consequence il ne saurait avoir le droit d’exercer exterieurement les pratiques de cette religion. D’autre part, tout homme, ayant le devoir d’adherer interieurement et exterieurement au catholicisme, a le droit d’exercer librement son culte conformement aux regles de l’Eglise.

Toutefois, faisons observer ici que l’acte de foi catholique doit etre un acte libre qui ne peut etre extorque par la violence. Il en resulte que le devoir d’etre catholique, impose par Dieu, ne cree au profit de personne le droit de forcer un adulte non baptise a devenir membre de la societe chretienne. En d’autres termes, tout homme usant de sa raison a le droit de n’etre contraint, ni par l’Eglise, ni par l’Etat, ni par un particulier ou une societe, quelconque, a recevoir le bapteme. Les enfants que l’on baptise avant l’age de raison, suivant une discipline qui fut toujours en usage a quelque Segre dans l’Eglise, deviennent, il est vrai, membres de l’Eglise sans leur consentement formel ; il en est d’eux comme des enfants qui, par leur naissance dans un pays, deviennent citoyens de ce pays. Une fois honores du bapteme et devenus fils adoptifs de Dieu, les chretiens ne peuvent se soustraire plus tard aux obligations que leur impose l’etat surnaturt’l auquel ils ont ete eleves par un bienfait special de la Providence, etat d’ailleurs obligatoire pour tous les hommes. Et de meme que l’enfant, ne dans telle contree, ne peut plus tard se pretendre exempt des lois qui regissent cette contree et sous l’empire desquelles il a pu vivre en securite, de meme l’enfant incorpore par son bapteme a Jesus-Christ et a son Eglise, ne saurait s’affranchir, devenu grand, des lois divines et ecclesiastiques, qui ont pour but de maintenir et de conserver la vie surnaturelle, dont il a recu l’incomparable don.

e) Aucun souverain ne peut, dans aucun cas, et sous aucun pretexte, etablir ou sanctionner la liberte des cultes en tant qu’elle serait un droit propre a chaque homme, qui doive etre proclame et affirme dans toute

societe bien constitua-. Gregoire XVI qualifie de delire cette opinion erronee, que Pie IX condamne, a son tour, dans l’encyclique Quanta cura, du 8 decembre 1861. Ex qua omnino fulsa social is reyiminis idea liaud timent erroneum illam opinionem, catholicæ Ecclesiaanimarumque saluti maxime exitialem, a rec. mem. Gregorio XVI prædecessore Nostro deliramentum appellatam (encycl. Mirari), nimirum… libertutem conscientia et cultuum esse proprium cujuscumque hominis jus, quod lege proclamari et asseri debet in omni recte constituta societatc. Denzinger, n. 1690. Car la liberte des cultes, entendue en ce sens, est contraire a la foi et reprouvee par la raison elle-meme. Celle-ci, en eilet, ne saurait admettre que l’homme ait le droit naturel, c’est-a-dire la faculte morale, d’exercer toute espece de culte, meme le culte des idoles, avec ses abominations, ou le culte qui prescrirait des sacrifices humains.

/) Tout souverain est tenu, en theorie, de proteger la vraie religion, dans la mesure de son pouvoir, suivant les exigences des temps et des lieux, de faire en sorte que les adherents a cette religion ne soient pas troubles dans l’exercice de leur culte ni induits en erreur.

Des la qu’on admet en effet que le but de l’Etat n’est pas seulement d’assurer la defense commune et de garantir les interets temporels de la societe, on devra reconnaitre aussi qu’il est tenu d’embrasser et de professer une religion determinee, aux prescriptions de laquelle il doit conformer ses actes sociaux. Dieu, en effet, etant la fin de la societe comme de l’individu, finis autem humanse vitæ et societalis est Deus, S. Thomas, Sum. Theol., P-II 86, q. c , a. 6., tous les chefs et membres d’une societe ont des obligations envers Dieu, non seulement comme personnes privees, mais encore comme personnes publiques, et sont, par consequent, tenus de rendre socialement a Dieu le culte qui lui est du. La fin derniere de la societe se confond.jusqu’a un certain point, avec la fin derniere de l’individu. Des lors que le depositaire du pouvoir (un ou collectif) est charge de procurer la paix temporelle et de permettre aux citoyens de bien vivre, comme l’enseigne saint Thomas, De regimine principum, t. I , c. i , il est par la meme oblige de s’inspirer de la religion pour obtenir ce double resultat. Or, la religion dont il doit s’inspirer est la religion veritable, revelee par Dieu, voulue de Dieu, a savoir, la religion catholique. De meme, en effet, que chaque individu est tenu d’atteindre sa fin derniere en se conformant aux prescriptions du catholicisme, de meme les detenteurs du pouvoir civil, charges de diriger les citoyens de facon a ce qu’ils ne soient pas detournes de leur fin et meme qu’ils puissent plus facilement l’atteindre, doivent aussi tenir compte de ces memes prescriptions dans leurs actes sociaux.

Dans l’encyclique Immortale Dei, Leon XIII expose cette doctrine avec une clarte et une precision qui ne laissent rien a desirer : ≪ Si la nature et la raison, dit-il. imposent a chacun l’obligation d’honorer Dieu d’un culte saint et sacre, parce que nous dependons de sa puissance et que, issus de lui, nous devons retourner a lui, elles astreignent a la meme loi la societe civile. Les hommes, en effet, unis par les liens d’une societe commun

  • , ne dependent pas moins de Dieu que pris isolement :

autant au moins que l’individu, la societe doit rendre grace a Dieu, dont elle tient l’existence, la conservation et la multitude innombrable de ses biens. C’est pourquoi, de meme qu’il n’est permis a personne de negliger ses devoirs epvers Dieu, et que le plus grand de tous les devoirs est d’embrasser d’esprit et de cœur la religion, non pas celle que chacun prefere, mais celle que Dieu a prescrite et que des preuves certaines et indubitables etablissent comme la seule vraie entre toutes, ainsi les societes politiques ne peuvent sans crime se conduire comme si Dieu n’existait en aucune maniere, ou se passer de la religion comme etrangere et inutile, ou en admettre une indifferemment, selon leur bon plaisir. En honorant la divinite, elles doivent suivre strictement les regles et le mode suivant lesquels Dieu lui-meme a declare vouloir etre honore. Les chefs d’Etat doivent donc tenir pour saint le nom de Dieu et mettre au nombre de leurs principaux devoirs celui de favoriser la religion, de la proteger de leur bienveillance, de la couvrir de l’autorite tutelaire des lois, et ne rien statuer ou decider qui soit contraire a son integrite. Et cela, ils le doivent aux citoyens dont ils sont les chefs. Tous, tant que nous sommes, en effet, nous sommes nes et eleves en vue d’un bien supreme et final auquel il faut tout rapporter, place qu’il est aux cieux, au dela de cette fragile et courte existence. Puisque c’est de cela que depend la complete et parfaite felicite des hommes, il est de l’interet supreme de chacun d’atteindre cette fin. Comme donc la societe civile a ete etablie pour l’utilite de tous, elle doit, en favorisant la prosperite publique, pourvoir au bien des citoyens de facon non seulement a ne mettre aucun obstacle, mais a assurer toutes les faciites possibles a la poursuite et a l’acquisition de ce bien supreme et immuable auquel ils aspirent eux-memes. La premiere de toutes consiste a faire respecter la sainte et inviolable observance de la religion, dont les devoirs unissent l’homme a Dieu. Quant a decider quelle religion est la vraie, cela n’est pas difficile a quiconque voudra en juger avec prudence et sincerite. En effet, des preuves tres nombreuses et eclatantes, la verite des propheties, la multitude des miracles, la prodigieuse celerite de la propagation de la foi, meme parmi ses ennemis et en depit des plus grands obstacles, le temoignage des martyrs et d’autres arguments semblables prouvent clairement que la seule vraie religion est celle que Jesus-Christ a instituee lui-meme et qu’il a donne mission a son Eglise de garder et de propager. ≫ Edit. citee, t. ii , p. 21-23.

'/> Tout en reconnaissant que la religion catholique, seule religion imposee par Dieu, a seule theoriquement un droit naturel absolu au libre exercice, et tout en la proclamant religion de l’Etat, le legislateur civil peut licitement, sous l’empire de motifs suffisants, ne pas empecher le libre exercice de cultes autres que le culte catholique. Il ne s’agit evidemment pas ici de toutes sortes de cultes, y compris ceux qui prescriraient des sacrifices humains ou des actes directement contraires aux premiers principes de la morale, mais de certains cultes qui ne heurtent pas de front l’honnetete et la moralite la plus vulgaire. Cette espece de liberte ou tolerance civile de certains cultes ne leur est pas due en justice, a titre de cultes, puisque ces cultes sont fondes sur l’erreur, et que tout droit est fonde sur la verite ; niais cette liberte ou tolerance leur est octroyee soit pour un plus grand bien, soit pour empecher un plus "i mal. En decretant cette tolerance, le legislateur est cense ne pas vouloir creer au profit des dissidents le droit ou la faculte morale d’exercer leur culte. mais seulement le droit ile n’etre pas troubles dans l’exercice de ce culte. Sans avoir jamais le droit de mal ayir. on peut avoir le droit de n’etre pas empeche de mal ; iL_’ir. si une loi juste prohibe cet empechement pour mlifs suffisants. Les rites des infideles, dit saint Thomas, peuvent etre toleres ou pour quelque bien >pii en decoule, ou pour quelque mal ainsi evite, i Infidelium ritus tolerari possunt, vel propter allquod bonum ifiiod i , et* provenit, vel proptei allquod malum quod ritiitm Sttni Theol., || ≫ H ≫, <| x , a. 11.

te tolerance, dans certains cas, pourra n’etre qu’une tolerance de fall, tandis que, dans d’autres cas.

e plus graves mol ifs l’exigent, elle pourra elre lie meme p : ir une loi et devenir ainsi legale

i i pli e, declare Leon MIL juge qu’il n’est pas permis de mettre les divers cultes sur le meme pied

legal que la vraie religion, elle ne condamne pas pour cela les chefs d’Etat qui, en vue d’un bien a atteindre ou d’un mal a empecher, tolerent dans la pratique que ces divers cultes aient chacun leur place dans l’Etat. C’est d’ailleurs la coutume de l’Eglise de veiller avec le plus grand soin a ce que personne ne soit force d’embrasser la foi catholique contre son gre, car, ainsi que l’observe sagement saint Augustin, l’homme ne peut croire que de plein gre. ≫ Encycl. Immortale Dci, ibid .. t. il , p. 43. ≪ Laisser la liberte aux autres cultes ou la tolerer, dit le cardinal Dechamps, ce n’est pas approuver l’usage qu’on en fait. La loi qui garantit la tolerance ou la liberte civile des autres cultes, ne confere donc nullement le droit de professer et de repandre le faux, de pratiquer et de propager le mal. Ce pretendu droit est donc un non-sens, une impossibilite. Les hommes sont libres de mal penser ou de mal faire, c’est-a-dire qu’ils en ont la faculte (ou le pouvoir physique), mais ils n’en ont pas le droit (ou le pouvoir moral), et ils rendront compte a Dieu d’avoir mal use de leur libre arbitre. ≫ Le liberalisme, lettre a un publiciste catholique.

Autre chose, en effet, est le droit civil a la tolerance, quand celle-ci est garantie par la loi ; autre chose le droit pretendu naturel et inviolable a la tolerance. Nul homme n’a le droit d’errer ou de mal faire, nul homme n’a le droit naturel, absolu, inviolable, d’etre tolere legalement dans l’exercice d’un culte qui serait faux en soi ; mais si une loi, juste d’ailleurs, accorde la tolerance d’un tel culte, le partisan de ce culte a droit a la tolerance de ce culte, sans avoir pour cela la faculte morale de l’exercer. De meme, autre chose pour l’Etat est de proteger un culte en lui-meme, autre chose est d’en proteger seulement le libre exercice, en se bornant a empecher legalement les atteintes a ce libre exercice. En droit, le premier genre de protection ne peut appartenir qu’au culte de la vraie religion, le second est reserve aux autres cultes, dans la mesure ou ils sont susceptibles d’etre toleres.

Faisons toutefois ici, a propos de trois propositions condamnees par Pie IX , les remarques suivantes :

a. ? Le Syllabus, parmi les erreurs qui se rattachent au liberalisme moderne, signale celle-ci, propos. 77 ; ≪ A notre epoque, il n’est plus expedient de tenir la religion catholique comme unique religion d’Etat, a l’exclusion de tous les autres cultes. jEtate hac noslra non amplius expedit, rrtiyionem catholieam haberi tanquam unirani Status reliqionem, celeris quibuscumqur rultibus exclusis. Le nonobstant, il n’est pas defendu de penser qu’il peut se trouver, a notre epoque, des contrees ou les croyances sont tellement affaiblies et divisees, qu’il ne soit plus possible d’y proclamer la religion catholique comme religion d’Etat, a l’exclusion de tous les autres cultes.

b. ? D’apres le Syllabiis encore, propos. 78. il n’est pas permis de dire qu’on a agi d’une facon louable en certains pays catholiques (designes par les allocutions qui s’y rapportent). en pourvoyant par la loi a ce que les et rangers qui s’y rendent puissent y jouir de l’exercice public de leurs cultes particuliers. Ilinr liiudabili ter in quibusdam catholici nnniitiis regionibus le<ie rautum est. ut hominibus illne immigranttbus liceat publicutn proprii cujuique cullus exerciiium habere. Poui tant, il n’esi pas interdit par la meme de penser que dans certains pa s divises de croyances, non seulement des etrangers, mais encore des indigenes, puissent elre admis au libre exercice de leurs cultes, quand la

necessite l’exige.

r Le Syllabus unie egalement comme Inexacte la proposition suivante, n. 79 : La liberte civile d<

chaque culte et le plein pouvoir attribue a Ions dr

manifester ouvertement et publiquement ions pense)

cl opinions, quelles qu’elles soient, ne contribuent pi a corrompre plus facilement les mœurs et les esprits des peuples et h propager la peste de l’indillerentisme. Enimuero falsuin est, civilem cujusque cultus Ubertatem itemque plenum potestutem omnibus uttributum quaslibet opinion.es pulum publiceque manifestandi conducere a t populorum mores animosque jacilius corrumpendos ac indifjerenlismi pestem propagandam. ≫ Et pourtant, il n’est pas defendu par la meme de penser que, dans certaines circonstances, le libre exercice des divers cultes, de ceux, bien entendu, qui ne heurtent pas de front l’honnetete et la moralite la plus vulgaire, peut etre licitement accorde par un legislateur catholique.

En exercant une neutralite de ce genre, le legislateur, loin de violer aucun precepte de la religion catholique, en observe en realite un autre non moins important celui qui lui defend de poser des actes propres a troubler la tranquillite publique, sans profit pour la religion, et peut-etre au risque de la compromettre. Sans doute, un gouvernement ne peut pas poser un acte legal quelconque qui favorise directement une religion fausse en tant que fausse ; mais il ne lui est pas defendu de poser, sous l’empire de graves motifs, des actes legaux qui assurent a de faux cultes existants le libre exercice, au meme degre (nous ne disons pas au meme titre ni de la meme facon) qu’au culte catholique, et qui, donnant aux partisans des faux cultes les memes droits civils et politiques qu’aux catholiques, les mettent sur le meme pied legal au point de vue de l’exercice de leur culte. La doctrine commune doit reconnaitre qu’un souverain est tenu, comme personne privee, et comme personne publique, de ne pas confondre l’erreur avecla verite et de ne pas assimiler un faux culte au vrai culte ; mais, accorder, sous l’empire de necessites suffisantes, a divers cultes la permission legale de s’exercer avec les memes garanties civiles, ce n’est point poser la un acte contraire aux principes chretiens. Cet acte peut meme, nous osons le dire, etre inspire par un sentiment catholique, si le souverain le pose pour remplir son devoir et servir la religion, autant qu’il est possible, dans les circonstances difficiles ou il se trouve. Lorsque la parite declaree entre le vrai et les faux cultes ne revet aucun caractere dogmatique, s’abstenant de donner une approbation explicite ou implicite aux maximes professees par les cultes dissidents mais qu’elle se borne a proteger la personne de ceux qui pratiquent ces cultes, a leur garantir le libre exercice de leur religion et la jouissance des droits politiques, elle peut, dans certains cas, etre legitimement et utilement etablie. Sur l’histoire de la controverse, voir l’art. Liberalisme.

J. Baucher.

LIBERTE DE CONSCIENCE . Voir Liberte, col. 684.

LIBERTINS . ? Le nom de Libertins a ete donne aux membres de diverses sectes et aux adeptes de differents mouvements religieux. ? I. Les libertins du xvi e siecle en France. ? C’est une secte qui unit aux principes de la Reforme les theories pantheistes qui subsistaient depuis le Moyen Age dans la vallee inferieure du Rhin (Freres du libre Esprit). Nous la connaissons par Calvin qui dut lutter contre elle. Ce lui fut une affliction sensible de voir sortir de sa Reforme des opinions si monstrueuses. Il va jusqu’a avouer que le pape lui-meme faisait beaucoup moins de deshonneur a Dieu, car ≪ le pape conserve une forme de religion, il ne retranche pas l’esperance de la vie future, il enseigne qu’il faut craindre Dieu, il reconnait des differences entre le bien et le mal. il confesse que Jesus-Christ est vrai Dieu et vrai homme, et il respecte encore l’autorite de l’Ecriture. ≫ Œuvres, edit. d’Amsterdam, 1667, t. viii , p. 377. Cf. Lettre d ? Calvin a la reine de Navarre, t. ix b, p. 32 et 138.

La secte prend naissance a Lille vers 1525, elle est propagee par un tailleur d’habits, nomme Quentin, picard d’origine, par Chopin, puis par un pretre fran cais, Ant. Pocques. Elle se repandit a Paris et en plusieurs provinces..Marguerite de Valois lui ouvrit un asile a Nerac. Les libertins partaient de ce principe stoicien qu’il n’y a qu’un seul Esprit, immortel, infini et repandu partout, qui est l’Esprit de Dieu, en sorte que c’est Dieu meme qui anime les hommes et qui opere tout en eux, etant intimement et formellement uni a leurs corps. Ils aboutissaient aux consequence ! les plus absurdes et les plus impies : il n’y a pas d’autre substance spirituelle que Dieu, tout le mal et tout le bien est de Dieu comme unique agent, sans qu’on puisse en rendre l’homme responsable ; ainsi l’on ne peut rien condamner, ni punir, ni regler, ni prevoir, et toute notre fonction ici-bas est de vivre tranquilles au gre de nos desirs, sans crainte et sans esperance. La Redemption operee par Jesus-Christ a pour but de nous retablir dans l’etat d’innocence ou se trouvait Adam avant son peche, etat qui consistait dans l’ignorance absolue de la distinction entre le bien et le mal.

Ils tournaient l’Ecriture dans le sens de leurs conclusions et n’attendaient ni resurrection des corps ni jugement general. Ils vivaient d’ailleurs en epicuriens et meritaient^e nom de libertins pour leur conduite aussi bien que pour leurs croyances.

Vers 1547, un cordelier de Rouen fut mis en prison parce qu’il repandait ces doctrines, quoiqu’en un langage fort devot. Il pretendait prouver tout son systeme par l’Ecriture. Il avait rassemble des passages pour nier le peche originel, pour attribuer a Dieu seul la reprobation des mechants, pour detruire la liberte, pour etablir l’homme dans une sorte de paix, de joie meme, apres avoir fait le mal, sous pretexte que telle est la volonte de Dieu. Il ajoutait a cela qu’il n’y a qu’un peche a craindre : la bonne opinion de notre merite, et qu’une vertu a pratiquer : l’aveu de notre impuissance, de notre incapacite totale, aveu qui comprend, disait-il, toute la mortification, toute la penitence, toute la perfection du christianisme.

Un pareil systeme si clair, si logique, aux perspectives si faciles, etait goute de beaucoup de personnes, toutes, parait-il, de la petite Eglise de Calvin. On allait voir et entendre le cordelier dans sa prison ; on lisait ses ecrits avec empressement ; les femmes surtout etaient charmees de sa doctrine et adoucissaient par des presents les rigueurs de sa captivite. Calvin ne put apprendre ces nouvelles sans en etre indigne. Il ecrivit aussitot a Rouen pour demasquer le faux apotre a qui l’on faisait pareil accueil (20 aout 1547) et c’est de sa lettre que nous tenons ces details.

La Lettre du reformateur est dans le style dogmatique. Il pretend y refuter-par l’Ecriture seule toutes les assertions de son adversaire. Neanmoins, on sent que sur les articles de la predestination et de la reprobation, de l’etat des hommes depuis le peche, de l’obligation d’eviter le mal et de faire le bien, Calvin fournissait des armes contre lui-meme, en n’admettant aucune liberte dans l’homme pecheur, aucune volonte en Dieu de sauver ceux qui ne sont pas du nombre des elus, aucune possibilite en nous de garder les commandements, si Dieu ne nous donne pas une grace necessitante. Calvin accablait de reproches le cordelier heretique, mais il disait encore plus d’injures a ces pretendues devotes qui s’etaient laisse seduire par ce nouveau systeme.

Nous ignorons quelle fut la suite de cette querelle Il est certain que la secte a laquelle le cordelier de Rouen avait emprunte la plus grande partie de ses erreurs continua a faire des progres en France parmi ceux qui etaient gagnes aux doctrines du libre e~xamen. Bientot, le terme de libertin va s’elargir pour signifier S