Claude Favre de Vaugelas, deuxieme fils d'
Antoine Favre
[
1
]
, president du
Senat de Savoie
a
Chambery
et baron de
Perouges
[
2
]
, nait au Clos Vaugelas dans la paroisse de Meximieux, relevant alors des
Etats de Savoie
. Dans son enfance, il frequente les cours du
college chappuisien d’Annecy
[
3
]
. En 1624, a la mort de son pere, il herite du titre de baron de
Perouges
, qu'il porte longtemps avant de devoir s'en departir en raison de dettes importantes
[
4
]
. Il beneficie d’une pension de deux mille livres, obtenue en 1619 de
Louis XIII
, mais celle-ci, relativement modeste, est ulterieurement supprimee par
Richelieu
[
5
]
.
Jeune encore, il se rend a Paris et entre au service du
duc de Mayenne
, puis du
duc de Nemours
en 1607, avant de s'attacher, en tant que
gentilhomme
ordinaire, a
Gaston d’Orleans
, frere du roi, dont il devient ensuite l'un des
chambellans
[
6
]
. En raison des retards frequents dans le paiement des salaires par le prince, Vaugelas, qui accompagne Gaston d’Orleans dans ses nombreuses retraites hors du royaume, accumule rapidement des dettes qui auront des consequences durables
[
3
]
. Parlant l'
italien
et l'
espagnol
, il travaille egalement comme interprete pour la cour de Louis XIII
[
7
]
.
Dans sa jeunesse, il frequente activement l’
Academie florimontane
, etablie a
Annecy
par les soins de son pere, de
Francois de Sales
et
Honore d'Urfe
, et y developpe un interet marque pour l'etude et la discussion. Dote d'un esprit serieux, methodique et reflechi, il acquiert tot la reputation d'un homme maitrisant parfaitement les regles de la langue francaise et la parlant avec une correction irreprochable. Cette reputation lui vaut d'etre choisi, bien qu'il n'ait encore rien ecrit, comme l'un des premiers membres de l'
Academie francaise
a la fin de
.
Dictionnaire de l'Academie francaise
modifier
Il se montre extremement utile dans l'elaboration du
Dictionnaire
, consacrant quinze annees de sa vie a rediger les articles debutant par les lettres A a I. Vaugelas, accumulant, selon
Paul Pellisson
, de nombreuses observations pertinentes et interessantes sur la langue, les soumet a la compagnie. Celle-ci les accepte et decide qu'il collaborera avec
Jean Chapelain
pour elaborer des memoires definissant le plan et la direction du travail.
Richelieu consent a cette demarche et retablit la pension de Vaugelas. Alors qu'il remercie le cardinal pour cette faveur, ce dernier lui dit?: ≪?Eh bien, vous n’oublierez pas du moins dans le dictionnaire le mot de
pension
.?≫ Ce a quoi Vaugelas replique?: ≪?Non, monseigneur, et moins encore celui de
reconnaissance
[
5
]
:208
.?≫ Il entreprend alors la compilation des cahiers du dictionnaire, qu'il presente ensuite a la compagnie. Ces cahiers sont discutes lors des reunions ordinaires, auxquelles s'ajoute bientot une assemblee speciale se tenant le mercredi, avec deux bureaux distincts pour accelerer le processus. Vaugelas dirige ces discussions, note les points de divergence et effectue les recherches necessaires pour les eclaircir.
Cependant, les discussions interminables suscitees par chaque mot, les scrupules de Vaugelas, son purisme et ses particularites ne contribuent pas a accelerer le rythme de travail. Par exemple, il a une telle admiration pour les ecrits de
Nicolas Coeffeteau
qu'il a des difficultes a accepter dans le
Dictionnaire
toute phrase qui n'utilise pas ces references
[
8
]
:35
.
Ce n'est qu'en
que Claude Favre de Vaugelas publie son ouvrage majeur, intitule
Remarques sur la langue francoise, utiles a ceux qui veulent bien parler et bien ecrire
[
9
]
. Dans cet ouvrage, il s'efforce de definir et de codifier le bon usage du francais en s'inspirant de la langue parlee a la cour du roi, suivant ainsi la lignee de
Malherbe
[
10
]
.
En grammairien pointilleux, qui engagea des polemiques avec
Menage
[
11
]
,
[
12
]
, notamment dans ses
Observations sur la langue francaise
(
), il ne parvient jamais a publier un second volume avant sa mort, bien qu'il ait prepare les materiaux necessaires
[
13
]
. Il consacre trente ans a une version de l’
Alexandre le Grand
de
Quinte-Curce
, qu'il modifie et corrige constamment. Il le reecrit meme entierement, comme il l'admet lui-meme, apres la parution de la traduction d’
Arrien
par
Nicolas Perrot d'Ablancourt
[
14
]
, qui a vu le jour entre-temps et a eclaire Vaugelas sur les lacunes de sa propre traduction
[
15
]
.
Tres assidu a l’
hotel de Rambouillet
, Vaugelas y dirige toutes les facultes de son esprit dans la meme direction. Il s'applique a recueillir les decisions de l’usage et a noter les facons de parler de la bonne compagnie
[
2
]
:68
.
Dernieres annees
modifier
Vers la fin de sa vie, Claude Favre de Vaugelas devient gouverneur des enfants du prince
Thomas de Savoie
, dont l'un est sourd et muet, et l'autre begue
[
α 1
]
,
[
2
]
:68
. Bien qu'il ait un appartement a l'
hotel de Soissons
et que sa pension, toujours modeste cependant, soit retablie, Vaugelas n'echappe jamais totalement aux contraintes financieres.
La vieillesse de Vaugelas est marquee par d'importantes souffrances. En fevrier
, il est gravement afflige pendant cinq ou six semaines par un abces a l'estomac qui le tourmente depuis plusieurs annees. Apres un bref soulagement, il decide de prendre l'air dans le jardin de l'hotel de Soissons. Le lendemain matin, son mal reapparait avec une intensite accrue. Alors que l'un de ses valets est parti chercher de l'aide, l’autre le trouve en train de regurgiter l'abces. ≪?Qu’y a-t-il donc???≫ demande ce valet, effraye. ? Vous voyez, mon ami, repond Vaugelas, avec le flegme d'un grammairien exposant une regle, le peu de chose qu’est l’homme
[
16
]
.?≫ Ces mots sont ses derniers, bien qu'on lui attribue egalement
[
α 2
]
cette expression?:
≪?Je m’en vais, je m’en vas, l’un et l’autre se dit ou se disent
[
17
]
.?≫
A sa mort, ses biens ne suffisent pas a rembourser ses creanciers. Ces derniers saisissent, avec ses autres ecrits, les cahiers du
Dictionnaire
. L'
Academie francaise
parvient a les recuperer avec difficulte, grace a une decision du
Chatelet
datee du 17 mai 1651. Vaugelas est inhume au
cimetiere Saint-Eustache
[
18
]
. En 1787, ses restes sont transferes aux
catacombes de Paris
[
19
]
,
[
20
]
.
Selon
Paul Pellisson
, Vaugelas
≪?etait un homme agreable, bien fait de corps et d’esprit, de belle taille?; il avait les yeux et les cheveux noirs, le visage bien rempli et bien colore. Il etait fort devot, civil et respectueux jusques a l’exces, particulierement envers les dames. Il craignait toujours d’offenser quelqu’un, et le plus souvent il n’osait pour cette raison prendre parti dans les questions que l’on mettait en dispute
[
21
]
?≫
. Son caractere, ainsi que ses talents, lui ont valu de nombreux amis, parmi lesquels
Nicolas Faret
,
Chaudebonne
,
Vincent Voiture
, Chapelain et
Valentin Conrart
[
2
]
:69
.
Ses ouvrages ne sont pas nombreux. Maitrisant l'italien, il ecrit des poemes tres estimes dans cette langue
[
8
]
. Il fait aussi des impromptus en francais. L’influence et l’autorite de ses
Remarques
sont considerables. Sa grande regle est l’usage, oral et restreint dans certaines limites. Il distingue l’usage de la cour et du grand monde de l’usage bas et populaire, et porte dans les exclusions qu’il prononce contre certains termes une delicatesse que plusieurs trouvent exageree
[
13
]
:1028
. Il a cependant des contradicteurs?:
La Mothe Le Vayer
[
22
]
,
Dupleix
[
23
]
ou Menage
[
24
]
.
Les materiaux prepares par Vaugelas pour un second volume sont perdus dans la saisie de ses papiers. L’avocat grenoblois
Louis-Augustin Alemand
(de)
publie en 1690 les
Nouvelles remarques de M. de Vaugelas sur la langue francoise
, qui paraissent etre de Vaugelas, mais qui ne sont que des notes rassemblees au hasard, sur des phrases et des termes surannes, et qu’il avait probablement laissees lui-meme de cote
[
25
]
.
Les
Remarques
ont plusieurs reimpressions, parmi lesquelles celle de
, avec les
Observations de l’Academie francaise
[
26
]
, et celle de
(
Ibid.
, 3 vol. in-12) avec des notes d’
Olivier Patru
et de
Thomas Corneille
[
27
]
. Vaugelas avait voulu faire de sa traduction de l’
Alexandre le Grand
de Quinte-Curce un exemple a l’appui de ses
Remarques
, pour y tracer le modele apres avoir donne les preceptes, ce qui explique le temps qu’il y avait consacre. Cette traduction parait pour la premiere fois en
, par Valentin Conrart et Jean Chapelain, qui ont a choisir parmi les cinq ou six differentes versions laissees par Vaugelas
[
28
]
. La seconde edition est semblable a la premiere. Lorsqu’une nouvelle copie est retrouvee, elle sert a
Guy Patin
a en donner, en
, une troisieme, meilleure que les precedentes, et qui est consideree depuis comme l’edition definitive
[
13
]
:1028
.