Claude-Henri Grignon
[
Note 1
]
vient au monde a
Sainte-Adele
, dans les
Laurentides
. Il est le benjamin d'une famille de quatre
garcons
et quatre
filles
nes du D
r
Wilfrid Grignon (1854-1915), un
medecin
originaire de
Saint-Jerome
, et d'Eugenie Baker (1907), une
Acadienne
d'ascendance
americaine
[
4
]
.
Son enfance se deroule dans le contexte de la colonisation des Laurentides, a la fin du
XIX
e
?siecle
. Le pere de Claude-Henri Grignon s'etait installe a Sainte-Adele en 1879 ? a la demande du cure
Antoine Labelle
? afin de participer a l'effort de colonisation de cette region du Quebec
[
5
]
. En tant que medecin, au fil des ans, le D
r
Grignon a fini par occuper diverses fonctions au sein de sa communaute (entre autres, celles de
conseiller municipal
,
maire
,
prefet
de
comte
, commissaire aux permis d'
alcool
et
juge de paix
). Par le truchement de ses activites, le D
r
Grignon a fait la connaissance de personnages et la decouverte de lieux pittoresques dont il recueille les traces.
A travers les
recits
de son pere, Claude-Henri Grignon developpe tres tot le gout de l'
ecriture
. Grandissant avec le sentiment d'etre investi d'une mission, il se considere responsable de garder vivant le souvenir des ≪?Pays d'en haut?≫, un heritage intimement associe a la survivance de son peuple, lie a un territoire et a une epoque bien precise
[
6
]
.
De temperament rebelle et boheme, des le
primaire
, Claude-Henri Grignon supporte mal la
discipline
imposee a son
ecole
. Delaissant les classes, il passe son temps au bord de la
riviere aux Mulets
, a parler avec les
draveurs
qui y travaillent, ou en
foret
, a la
chasse
et a la
peche
[
7
]
.
En
1907
, le malheur frappe sa famille. Sa mere Eugenie meurt subitement. Moins d'un an plus tard, son pere se remarie avec Hermine Longpre. A la suite de ce remariage, Claude-Henri Grignon est envoye en
pension
au
College Saint-Laurent
a
Montreal
. Cette experience, dans un milieu et une ville nouvelle, lui est particulierement penible. Il y fait toutefois la connaissance de
Louis Francœur
, futur
journaliste
de
La Patrie
et du
Star
, qui demeure son ami tout au long de sa vie. Revenu a Sainte-Adele en
1910
, son pere decide de prendre en main son education en embauchant un professeur prive pour son fils. Apres un court passage de deux ans a l'Ecole d'agriculture d'
Oka
, en
1914
, Claude-Henri Grignon decide d'abandonner ses etudes definitivement. Il demeurera toute sa vie un
autodidacte
[
8
]
.
Le
23
juin
1915
, son pere meurt subitement a l'age de 61 ans
[
9
]
. Cette mort est un terrible choc pour le jeune homme. L'annee suivante, il decide de quitter Sainte-Adele pour s'installer a Montreal, ou il occupe un poste de
fonctionnaire
au ministere des Douanes
[
10
]
.
Malgre ses difficultes scolaires, Claude-Henri Grignon est un grand
lecteur
. Il affectionne les
auteurs francais
(en particulier ceux du
XIX
e
?siecle
?:
Honore de Balzac
,
Gustave Flaubert
,
Charles Peguy
et
Charles Maurras
)
[
11
]
. Peu a peu, son interet pour l'ecriture et la lecture l'attire vers le
journalisme
[
12
]
. Son premier article parait dans
L'Avenir du Nord
de Saint-Jerome, un journal alors identifie au
Parti liberal
, en
septembre 1916
. Si ses chroniques concernent au depart des sujets varies, rapidement, son attention se concentre sur la
critique litteraire
. De sa plume truculente, sous divers
pseudonymes
, il livre ses premieres attaques contre des personnalites, notamment le critique
Camille Roy
qu'il qualifie ≪?d'ecrivain le plus malicieux du Quebec
[
13
]
?≫.
Ses talents le font remarquer. Le
15
mai
1920
, il commence a collaborer au journal
La Minerve
dirige par
Arthur Sauve
, alors
chef de l'Opposition
a Quebec. Il y produit une serie d'etudes sur le mouvement litteraire et artistique au Canada francais. Ses ecrits ont tot fait d'attirer l'attention d'un journaliste bien connu pour sa verve (et que Grignon a deja attaque dans ses ecrits),
Olivar Asselin
. En
octobre
de la meme annee, les deux hommes se rencontrent. Malgre les critiques passees, Asselin complimente Claude-Henri Grignon au sujet des textes signes par son plus recent pseudonyme ? Valdombre ? et lui offre de collaborer a l'une de ses publications
[
14
]
.
Naissance de Valdombre
modifier
Le
24
novembre 1920
, Claude-Henri Grignon fait son entree a l'
Ecole litteraire de Montreal
. Au sein de cette confrerie ou il debat frequemment, il a l'occasion de defendre sa conception de la
litterature
, opposant les ≪?Vivants?≫ (employant une langue et des themes plus pres de la
vraie vie
des Canadiens francais) et les ≪?Exotiques?≫ (employant plutot la langue et les themes en vogue dans les
salons litteraires
parisiens de l'epoque)
[
14
]
,
[
15
]
. C'est dans ce contexte que Grignon publie un premier ouvrage sous le pseudonyme de Valdombre,
Les Vivants et les autres
, en
mai
1922
[
16
]
,
[
17
]
?:
≪?Les Vivants, ce sont les regionalistes, les ecrivains necessaires que reclame depuis si longtemps une litterature naissante. Les Vivants, ce sont les hommes de foi qui croient en la beaute d'une ame canadienne que les lettres francaises doivent magnifiquement traduire. Les autres, ce sont les exotiques, faussaires de la pensee et du style. Ne les appelons par des morts?: ce serait les trop honorer.?≫
[
18
]
A la meme epoque, Grignon frequente assidument la bibliotheque Saint-Sulpice. Influence par le
conservateur
Ægidius Fauteux
, il decouvre les ecrits polemiques de
Leon Bloy
. Son style percutant et
intransigeant
, pronant une litterature
catholique
et s'opposant aux ecrits juges
materialistes
et
socialistes
(qui donnent lieu a plusieurs debats en France de la fin du XIX
e
au debut du XX
e
siecle) le marquent profondement
[
19
]
.
Le Secret de Lingbergh
modifier
En
1928
, Claude-Henri Grignon publie son premier roman,
Le Secret de
Lingbergh
, offrant un recit romance de la traversee du celebre
pilote
du
Spirit of St. Louis
de
New York
a Paris. La critique est mitigee et l'ouvrage est soumis, sans succes, au jury du
prix David
.
En
octobre
1929
, la
bourse s'effondre
aux Etats-Unis. C'est le debut de la
Grande Depression
. Tout en collaborant a
La Nation
de Quebec, a
La Vie canadienne
et a d'autres journaux, et malgre l'aide occasionnelle de son ami Olivar Asselin et sa chronique hebdomadaire au
Petit Journal
,
Grignon n'est plus en mesure de continuer a vivre en ville. Il decide alors de quitter Montreal pour se reinstaller a Sainte-Adele
[
20
]
.
Ombres et Clameurs
modifier
En
1933
, Claude-Henri Grignon publie un recueil de critiques intitule
Ombres et Clameurs
. Les ombres portent sur des ouvrages qu'il n'apprecie pas et les clameurs, sur ceux qu'il approuve. A la meme epoque, Grignon se retrouve fortement endette. Tentant de trouver du reconfort dans la foi catholique, son angoisse et sa detresse atteignent leur maximum durant cette periode
[
21
]
.
Un homme et son peche
modifier
En
juillet 1933
, alors que son moral est au plus bas a cause de ses problemes d'argent, Claude-Henri Grignon fait une rencontre qui l'inspire. Lors d'une discussion avec une femme de Sainte-Adele, celle-ci emploie le mot ≪?pesat?≫, designant une tige de
pois
ou de
brins de paille
dont on se servait jadis pour nettoyer les planchers avec du sable blanc arrose d'eau. Cette image, symbole d'un immense depouillement, inspire a Grignon les premieres lignes d'une histoire?:
≪?Tous les samedis vers les dix heures du matin, la femme a Seraphin Poudrier lavait le plancher de la cuisine dans le bas cote. On pouvait la voir a genoux, pieds nus, vetue d'une jupe de laine grise, d'une blouse usee jusqu'a la corde, la figure ruisselante de sueurs, ou restaient collees des meches de cheveux noirs. Elle frottait, la pauvre femme, elle raclait, apportant a cette besogne l'ardeur de ses vingt ans. D'un geste vif, elle repandait sur le plancher des poignees de sable blanc et, a l'aide d'un bouchon de paille ou de pesat qu'elle trempait dans un seau d'eau, elle frottait d'une main vigoureuse jusqu'a ce que le plancher devint jaune comme de l'or.
Depuis l'age de dix ans que Donalda faisait ce travail, elle en connaissait bien le mecanisme peu complique mais dur. Quand les reins commencaient de lui chauffer, elle se pliait de telle facon que la douleur disparaissait, ou si un genou lui faisait mal, elle le deplacait un peu, eprouvant tout de suite une sensation de bien-etre qui la reposait et qui redonnait a son corps et a son coeur une poussee verticale de sang et de courage.
Comme toutes les choses qu'elle savait, Donalda avait appris a laver un plancher chez ses parents, a l'epoque de la colonisation, au Lac-du-Caribou. Et c'etait d'une valeur si considerable que le vieux garcon Seraphin Poudrier, dit
le riche
, l'avait tout de suite remarque. Il lisait dans les gestes. Ses hautes qualites de paysan retors le poussaient a rechercher, dans la femme, la bete de travail beaucoup plus que la bete de plaisir. Comment aurait-il pu hesiter, puisqu'il possederait les deux??≫
[
22
]
Le roman met en scene des personnages connus directement et indirectement par l'auteur (notamment a travers les souvenirs racontes par son pere), ≪?bouscule par les evenements, vivant dans une atmosphere extremement favorable de sensations anciennes
[
23
]
?≫. Le personnage principal de son intrigue, Seraphin Poudrier, rappelle l'
harpagon
de
Moliere
[
24
]
,
[
25
]
.
Les autres personnages, inspires des anecdotes du pere de Claude-Henri Grignon, forment ainsi la base de l'univers d'
Un homme et son peche
.
En
1934
, Claude-Henri Grignon obtient un poste de directeur-adjoint de la publicite au
ministere de la Colonisation
. Bien qu'il soit retourne dans la fonction publique, le succes de son roman lui ouvre de nouvelles perspectives
[
26
]
. Toutefois, a la demande des autorites, il se voit forcer d'expurger son roman de certains mots et de certains passages juges trop oses, afin d'en produire une version destinee aux ecoles
[
27
]
. A la suite de ce travail, en 1935,
Un homme et son peche
remporte le prestigieux
prix David
, recompensant la meilleure œuvre parue au Quebec durant l'annee
[
28
]
,
[
29
]
.
En tant que laureat du prix David, il est invite par la Societe des Arts, Sciences et Lettres de Quebec a prononcer une conference sur son roman, le
18
janvier
1936
. Cette conference, ou il entremele les reflexions sur la litterature et fait l'
apologie du passe
(avec des
eloges
a
Louis Hemon
, Leon Bloy,
Jules Barbey d'Aurevilly
, Charles Maurras,
Leon Daudet
et
Georges Bernanos
, tous apotres de la droite francaise catholique), est ensuite publiee sous le titre de
Precisions sur Un homme et son peche
[
30
]
.
Toutefois, un evenement inattendu replonge bientot Grignon dans la precarite. La situation politique est changeante a
Quebec
et des
elections sont declenchees a l'ete 1936
. Grignon, dont le poste depend de son allegeance au
Parti liberal
(comme tous les autres employes de la fonction publique a cette epoque), se retrouve soudain sans emploi a la suite de l'election de l'
Union nationale
, le
17
aout
1936. Encaissant le coup, mais plus motive a ecrire plus que jamais, il publie a partir du
5
decembre 1936
une premiere serie de pamphlets, intitules les
Pamphlets de Valdombre
[
31
]
.
Malgre la pauvrete et l'incertitude, Grignon demeure productif. Le
11
septembre
1939, avec l’aide de sa cousine
Germaine Guevremont
, il inaugure la serie radiophonique
Un homme et son peche
[
32
]
. Ce feuilleton connait une longevite exceptionnelle et se voit diffuse jusqu'en 1962
[
33
]
.
Engagement politique
modifier
En janvier 1941, Claude-Henri Grignon est elu maire de
Sainte-Adele
[
34
]
. Il conserve ses fonctions jusqu'en 1951
[
35
]
.
Les Belles Histoires des pays d'en haut
modifier
En 1956, le roman
Un homme et son peche
est adapte a la television par Claude-Henri Grignon sous le titre
Les Belles Histoires des pays d'en haut
[
36
]
. La serie met notamment en vedette
Paul Desmarteaux
dans le role du
cure
Antoine Labelle
et
Jean-Pierre Masson
dans le role de
Seraphin Poudrier
et
Andree Champagne
dans celui de Donalda
[
37
]
. Elle est realisee par Bruno Paradis puis
Yvon Trudel
.
Au total, 418 episodes de 30 minutes en noir et blanc et 61 episodes couleur (a partir de 1966) sont telediffuses. L'equipe tourne des scenes exterieures, une premiere dans l'histoire de la television quebecoise. Sa duree (jusqu'a 1970) ainsi que de nombreuses reprises en font une des œuvres les plus connues au Quebec
[
38
]
. Trois films sont tires de l’œuvre de Grignon (1949, 1950 et 2002). Le teleroman est revisite a Radio-Canada en 2016 sous le titre
Les Pays d'en haut
[
39
]
.
De son cote, l'artiste
Albert Chartier
illustre 228 episodes originaux de la bande dessinee
Seraphin
(format d'une page, noir et blanc) dans le mensuel
Le bulletin des agriculteurs
sur les scenarios de Claude-Henri Grignon, entre
et
[
40
]
,
[
Note 2
]
.
Dernieres annees
modifier
Aux prises avec une sante chancelante, Claude-Henri Grignon prend sa retraite en 1970. En mai 1973, il recoit la Medaille de l'Ordre du Merite du Canada
[
41
]
.
Ses dernieres annees se deroulent loin des cameras. Bien qu'il souffre d'
arteriosclerose
, son etat de sante ne l'empeche pas de continuer a ecrire
[
42
]
,
[
43
]
. Il travaille notamment sur une biographie de son maitre a penser Olivar Asselin
[
44
]
. Toutefois, il n'acheve pas son manuscrit. Il meurt le
3
avril
1976
a Sainte-Adele
[
45
]
.
Le fonds d'archives de Claude-Henri Grignon est conserve au centre d'archives de Montreal de
Bibliotheque et Archives nationales du Quebec
[
46
]
.