Le juge, la memoire et l'historien : ce qui pourrait n'etre qu'un sujet de fable devient depuis quelques temps un enjeu pour tribunaux correctionnels. D'un proces a l'autre, des individus, seuls ou associes, defendent une memoire outragee, une societe entend puiser dans son passe sans prescription, des historiens deposent en detaillant les regles de leur metier. Un Droit se cherche, tranchant l'indicible, le memorable et l'historique. Puisque l'histoire contemporaine se fait avec des vivants bien vivants et des morts qui ne se resignent pas au sepulcre, elle devient une habituee des pretoires1.

A ce dossier qui s'alourdit, Vingtieme siecle verse une piece importante. Passible, il va de soi, de tous les commentaires, dont nous nous ferons volontiers l'echo s'il le faut. En voici l'origine.

Le 17 janvier 1985, la Cinquieme Chambre du Tribunal de Grande Instance de Versailles, jugeant en affaire de police correctionnelle, a relaxe M. Philippe Meaulle, directeur du Courrier des Yvelines et M. Laurent Wetzel, professeur agrege d'histoire, auteur d'un article paru dans le journal de M. Meaulle le 27 octobre 1983, tous deux poursuivis pour diffamation envers un particulier par l'Association francaise Buchenwald-Dora et Commandos, la Federation nationale des deportes et internes resistants et patriotes s' etant constituee partie civile. Dans cet article, M. Wetzel, par ailleurs leader de l'opposition municipale a Sartrouville dont il est conseiller, expliquait pourquoi il ne participerait pas le 29 octobre 1983, avec son groupe, a l'inauguration d'une rue Marcel-Paul dans sa commune. Il avancait trois points critiques visant l'attitude, entre 1939 et 1946, de l'ancien ministre communiste de la Production industrielle, decede le 11 novembre 1982. Le principal chef de diffamation retenu contre lui etait constitue par ce passage de son article : ≪ Deporte a Buchenwald, Marcel Paul entra dans la direction interne du camp. Il disposa alors du sort, c'est-a-dire de la vie et de la mort de nombreux camarades de deportation. Dans ses fonctions, il tint compte essentiellement de l'interet de son parti ≫.

En publiant ce document, Vingtieme siecle n'entend pas prendre position aujourd'hui sur le fond historique de l'affaire. Nous le ferons a notre heure, c'est-a-dire si des travaux de recherche, des documents ou des temoignages inedits le justifient. Mais nous avons souhaite soumettre des maintenant a l'examen lucide de nos lecteurs une partie des attendus du jugement de Versailles, formules au chapitre de cette ≪ intention coupable ≫ que les juges n'ont pas retenue contre M. Wetzel. Car, sur la liberte - et meme le non- conformisme ? de l'historien, sur la competence du juge a juger l'histoire, voila du neuf.