Lenoir, le rock et moi, par Hugo Cassavetti

Pendant vingt ans, Bernard Lenoir a invite Hugo Cassavetti, journaliste a “Telerama”, a venir parler de sa discotheque. Leurs routes se sont croisees en 1985. Hugo ecoutait Bernard depuis 1978. Souvenirs.

Par Hugo Cassavetti

Publie le 26 aout 2011 a 00h00

Mis a jour le 08 decembre 2020 a 04h44

L e lien qui est le mien avec Bernard Lenoir est une longue et belle histoire. D’amitie, bien sur, mais la n’est pas la question. Bernard Lenoir, plus que tout autre, a son corps defendant, a donne du sens a mon rapport pathologique a la musique, a cette musique - le rock, la pop, appelez-la comme vous voulez -, que j’aime tant au point de sentir parfois qu’elle m’etouffe mais dont je n’ai jamais pu me passer. Peut-etre parce que, malgre des parcours de vie eloignes et une difference d’age d’une quinzaine d’annees, elle remplit une fonction similaire chez lui?: la plus douce et intense des bouees de secours.

Bien avant de?le rencontrer, de travailler - le mot me parait bien etrange - avec lui, il faisait partie de ma vie. Adolescent boulimique de disques et de pop music, je m’endormais l’oreille collee au Pop Club de Jose Artur dont la premiere demi-heure etait consacree aux nouveautes proposees par Lenoir. Et oui, on oublie qu’avant de causer de theatre et de mille autres sujets culturels, le Pop Club proposait en ouverture chaque soir une rasade de Neil Young, de Jackson Browne, de J. Geils Band ou d’Alice Cooper?!

Generique explosif
Je me souviens m’etre rendu, en 1978, a la Maison de la Radio pour assister en direct a la derniere du Pop Club dans ce format. Ce soir-la, Bernard etait la avec ses vinyles, un peu febrile. Artur annonca la naissance de Feedback , une heure de rock animee et programmee, tous les soirs, par Lenoir. Avec son generique explosif pique a la derniere minute, et en catastrophe, sur le premier album de Van Halen (!), Feedback suivit la lente mutation de la culture rock, progressivement tiraillee entre institutions de plus en plus consensuelles et courants alternatifs nes du seisme punk.

Alors qu’on pouvait, en ecoutant Feedback au crepuscucule des seventies, encore gagner, a quelques jours d’intervalle grace a des concours sur carte postale, des places de concerts de Thin Lizzy et de Talking Heads (ce fut mon cas), la deuxieme tendance prit lentement mais surement le dessus. Bernard Lenoir, a l’image des concerts aujourd’hui mythiques qu’il diffusait en direct des Bains Douches (dont la prestation d’anthologie de Joy Division) est devenu la voix de la ≪?musique pas comme les autres?≫.

La rencontre s’est faite debut 1985, a Antenne 2, du temps des Enfants du Rock . J’etais alors assistant de Philippe Manœuvre et Jean-Pierre Dionnet sur Sex Machine , mais depuis quelque temps, des tensions se faisaient sentir. Patrice Blanc-Francard, alors directeur des Enfants du Rock , eut alors l’idee de me faire travailler avec son vieux complice Lenoir, qui se morfondait pas mal a concocter, seul, Rockline , emission consacree a l’actualite du rock anglais. Right time, right place, comme on dit. Right person, pourrais-je ajouter.

Escapade a Londres
C’etait ma culture, mon gout, j’apprenais un metier, on s’amusait. Une interview filmee d’un Lloyd Cole debutant place des Abesses, a Paris, un aller-retour en voiture de nuit pour tourner Paul Young a Dusseldorf, le pli fut vite pris. Chaque mois, une escapade a Londres, a Manchester ou a Glasgow, des rencontres avec Julian Cope, les Psychedelic Furs, New Order ou le Jesus and Mary Chain, permettaient d'etoffer les clips de la BBC qui constituaient l’essentiel du programme. Je n’en revenais pas de la confiance que Bernard me faisait.

Au bout de quelques mois, il me confia une mission?: me rendre a Londres, arme d’un magnetophone Nagra, recueillir une interview de Cure pour son emission de radio de l’epoque, Kodack Rock (diffusee sur differentes radios de la FM, NDLR). Je n’avais jamais fait ca de ma vie. Si l’interview se passa bien, je decouvris apres, avec horreur, que la bande n’avait rien enregistre. Pour Lenoir, c’etait evidemment une catastrophe. Mais il ne me l’a jamais fait sentir. Il me lacha avec une elegance et une gentillesse rares?: ≪ Ca arrive, ce n’est pas grave.?≫

Lorsqu’en 1987, l’aventure des Enfants du Rock toucha a sa fin pour nous, il retrouva la radio - 95,2 puis Europe 1 avant de reprendre la place qui lui manquait a Inter -, je me reconvertissais dans la presse ecrite. Regulierement, il m’appelait pour assurer des entretiens avec des musiciens invites, avant de simplement me convier a passer les disques et parler des artistes dont j’avais envie.

Liberte et bonne humeur
Pendant vingt ans, ca s’est deroule ainsi. En toute liberte et bonne humeur, avec mes insupportables tics de langage et phrases qui ne se finissent jamais, devant les rires ou les yeux au ciel de la precieuse et fidele realisatrice Michelle Soulier. Je parlais a Bernard, tout ouie, qui m’encourageait. J’oubliais qu’on etait ecoute, ca m’aurait paralyse. Je m’en voulais juste de ne pas mieux m’exprimer, de ne pas etre assez clair et concis. De semaine en semaine, ma vaste discotheque personnelle, heteroclite, amassee a l’instinct, prenait du sens. Elle refletait mes gouts propres, que je decouvrais enfin en en parlant spontanement a l’antenne.

Bernard Lenoir n’a jamais beaucoup fraye avec le milieu du showbiz et de l’industrie du disque, n’a jamais cherche a etre ami avec les artistes qu’il programmait. C’est ce que j’apprecie aussi chez lui. Seule la musique et les disques importent, pour le plaisir et l’emotion qu’ils lui procurent. Le reste, le soi-disant purisme rock et toute sa farandole de cliches tristes ou conservateurs, il n’en a cure. Il a ete, sur le service public, un formidable passeur de ≪?musiques pas comme les autres?≫. Grace a lui, a mon petit niveau, j’ai pu l’etre aussi.
L’emission de Lenoir, sur Inter, c’est fini. On a beau s’y attendre, le choc est rude. Bonjour, tristesse. Mais l’histoire de Bernard Lenoir est loin d’etre terminee. Tout comme la mienne, assurement, avec lui.

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