[25 ans d’Inrockuptibles hebdo]?Apres une serie de roles brefs, Lea Seydoux rejoint le casting de?
La?Belle Personne
. Une adaptation de?
La?Princesse de Cleves
?dans laquelle?Christophe Honore propulse l’actrice au rang de nouvelle icone du cinema francais. Rencontre en aout?2008 avec celle qui deviendra une star internationale.
≪?Je prefere m’appeler Seydoux que ‘c’est dur’?!”
La pique humoristique est envoyee avec une ironie legere et gracieuse au moment fatidique ou on s’enquiert du patronyme de la jeune femme volubile en face de nous. Seydoux, comme Jerome, patron du groupe Pathe et Nicolas, boss de la Gaumont. Lea Seydoux est la petite-fille et petite-niece des freres regnants du cinema francais, petit fosse generationnel finalement bienvenu, le poids d’un tel nom en etant allege d’autant.
“Franchement, ca ne me fait ni chaud ni froid,
confirme Lea.
Si ca a un impact, c’est pour les autres, pas pour moi.”
Physiquement, on reconnait sans peine la “belle personne” qui se trouve au cœur de la superbe et subtile adaptation contemporaine de
La Princesse de Cleves
par Christophe Honore. Mais sinon, c’est le jour et la nuit entre l’actrice et son personnage. Lea Seydoux est aussi vive, bavarde, espiegle et mutine que son personnage est distant, secret, introverti, porteur d’un lourd passe.
Meme si elle admet que Christophe Honore a forcement puise des choses en elle qui se retrouvent ensuite sur l’ecran.
“On joue toujours avec son corps, sa voix, son vecu. Mais aujourd’hui, je ne suis plus vraiment du genre introverti?!”
, dit-elle dans un eclat de rire.
Un apprentissage sauvage et sinueux
Le genre introverti, elle est passee par la gamine. Elle confie avoir ete une fillette differente, ou du moins le ressent-elle ainsi.
“Quand j’etais petite, je pensais que j’allais devenir clocharde, que j’etais inadaptee a la societe. J’avais une lucidite tres accrue pour une fillette de mon age, je regardais les autres etres en prenant une position d’observateur exterieur. C’est courant quand on est adulte, mais pas quand on a 8?ans. J’avais cette etrange et precoce capacite a m’abstraire du present.”
Le cinema etait la, mais comme une chose quotidienne. Lea aimait voir des films, et de plus en plus a l’adolescence, mais sans aller jusqu’a se considerer comme “cinephile”, et sans que cela suscite la moindre vocation.
“C’est quand meme banal le cinema, tout le monde y va, tout le monde aime ca, non??”
, remarque la jeune comedienne sur le mode du constat tranquille.
“En arrivant sur scene, j’avais l’impression de me liquefier, d’etre a poil”
Apres s’etre pas mal cherchee, avoir ete une cancre selon son propre aveu, elle a decide de devenir comedienne en frequentant une bande de copains acteurs. L’apprentissage est sauvage, sinueux, d’un prof et d’une ecole a l’autre. Lea picore a droite a gauche, prend ce qui sert, au feeling. C’est parfois difficile.
“En arrivant sur scene, j’avais l’impression de me liquefier, d’etre a poil. Il y a des gens insouciants vis-a-vis d’eux-memes et de leur image, qui se fichent de ce qu’ils peuvent renvoyer a une camera. Moi, me voir a l’ecran me terrorisait. On me dit que je suis photogenique, mais quand on se regarde soi-meme, en fait on ne se voit jamais. C’est comme dans la vie?: parfois on se sent bien, beau, en confiance, d’autres fois on se sent fragile, moche, nul, horrible…”
Confession etonnante de la part d’une fille a la beaute botticellienne.
Apres quelques publicites, quelques courts metrages (dont celui de notre collaboratrice Emily Barnett), la pochade
Mes copines
en 2006, ce sera par le biais detourne de la famille que se lancera son debut de carriere. Catherine Breillat, ex-epouse d’un de ses oncles, qu’elle n’a plus vue depuis des annees, cherche une jeune actrice pour
Une vieille maitresse
.
Une admiration pour David Lynch
Sur les conseils de sa grand-mere, Lea va aux essais, tres intimidee?:
“Elle m’a fait faire une impro de vingt?minutes. Elle regardait son moniteur dans le moindre detail, moi, je transpirais, j’etais angoissee… A la fin, elle a dit que c’etait bon et qu’elle me prenait.”
Contrairement a la reputation difficile de Catherine Breillat, le tournage se passe particulierement bien pour Lea, sans doute grace a une courte duree (trois jours) et a sa relation familiale.
Sur
La?Belle Personne
, ca se passe encore mieux, l’actrice presentant cette experience comme un moment de bonheur, de plenitude, meme si elle prend tout de suite conscience que ce genre de propos peut sonner tres cliche.
“Christophe, c’est l’oppose de Catherine. Cela dit, il a beau etre tres doux, tres chaleureux, on voit aussi qu’il a une certaine durete en lui, une vraie violence, mais completement interiorisee. Catherine a un cote plus volontairement subversif, elle veut tout le temps choquer, braver les choses, partir en guerre… C’est une battante.”
D’une guerre a l’autre, Lea Seydoux sera egalement bientot a l’affiche de
De la guerre
, prochain long metrage d’un autre jeune mousquetaire du cinema artistiquement ambitieux, Bertrand Bonello.
“Il est tres cerebral. Il compose ses films un peu comme le ferait un chef d’orchestre, il vient de la musique… Lui aussi, il possede une vraie douceur. Je dis que lui est cerebral, mais finalement, ils le sont tous, Christophe, Catherine…?≫
Elle aimerait bien tourner avec Jacques Audiard, Pedro Almodovar,
“meme s’il est inaccessible. Mais j’aime tellement ses films”
. La conversation roule vers David Lynch, qu’elle admire mais qui ne la tenterait pas plus que ca.
“Il est evidemment tres fort, mais trop conceptuel, ca ne me touche pas. Et je n’aime pas les choses trop compliquees. Enfin, si jamais il me proposait quelque chose, je ne dirais pas non?! Mais par rapport a des cineastes comme David Lynch, je trouve que la grande force de Christophe est justement de savoir raconter tres simplement et fluidement des histoires complexes. Quand je sors d’un film de Christophe, je me sens habitee par son film.”
Simple, fluide, complexe, c’est presque une esquisse d’autoportrait. On ne peut que souhaiter a Lea de garder sa subjugante fraicheur, de demeurer fidele a ses beaux premiers pas cinematographiques.
Retrouvez l’original dans le n° 666 de aout?2008