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Henri Matisse - LAROUSSE

Henri Matisse

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Peintre francais (Le Cateau-Cambresis, Nord, 1869 ???Nice 1954).

Naissance d'une vocation

Fils d'un marchand de grain et destine a lui succeder a la tete de son commerce, il fait ses etudes secondaires au college de Saint-Quentin et suit les cours de la faculte de droit de Paris (1887-88). Clerc d'avoue dans une etude de Saint-Quentin (1889), il commence a peindre en 1890 (copies de chromos), au cours de la convalescence consecutive a une operation de l'appendicite. Il veut alors se consacrer davantage a la peinture, frequente d'abord l'ecole Quentin-Latour, puis revient a Paris en 1892. Il s'inscrit a l'academie Julian pour preparer le concours d'entree aux Beaux-Arts et suit les cours du soir de l'Ecole des arts decoratifs, ou il fait la connaissance d'Albert Marquet. Gustave Moreau le remarque alors qu'il est en train de dessiner et lui donne acces a son atelier (mars 1895) en le dispensant du concours d'entree. Benefique, l'enseignement de Moreau (l'interpretation libre des maitres anciens y tient une large place) aide Matisse a affirmer sa personnalite, et celui-ci entre en relation avec Rouault, Camoin, Manguin et le peintre belge Evenepoel.

Ses premiers tableaux evoquent l'atmosphere feutree et l'objectivite poetique des portraits de Corot (la Liseuse, 1895, Paris, M.?N.?A.?M.), mais la fermete de la composition revele deja une constante de son art. En 1896, il passe l'ete a Belle-Ile, en compagnie d'Emile Wery, son voisin de palier, et il y rencontre l'Australien John Russel. Ami de Rodin, collectionneur d'œuvres d'Emile Bernard et de Van Gogh, Russel avait travaille dix ans auparavant avec ce dernier et offrit a Matisse deux dessins de Vincent. Grace a ces nouveaux contacts, le style de Matisse acquiert plus d'aisance et la palette s'eclaircit, d'abord prudemment (le Tisserand breton, 1896, Paris, M.?N.?A.?M.?); la Desserte, 1897, coll. Niarchos, sur un theme de Chardin qu'il reprendra plus tard, presente une riche orchestration de couleurs, mais l'emphase decorative trahit sans doute encore l'influence de Gustave Moreau.

Russel lui fait connaitre Rodin (dont il s'inspirera peu apres dans ses premieres sculptures, d'une plasticite saine et expressive) ainsi que Camille Pissarro (qui lui montre les dangers de l'emploi excessif du blanc, defaut sensible dans la Desserte ).

Avant le Fauvisme

En 1898, l'artiste se marie, fait un court sejour a Londres pour y contempler Turner et part pour la Corse?: c'est le premier contact de Matisse avec un site mediterraneen et avec une lumiere crue qui le conduit a monter sa palette. Les nombreuses etudes de paysages qu'il execute denotent une facture large, d'un Impressionnisme qui parait vivifie par la lecon de Van Gogh (l' Arbre, 1898, musee de Bordeaux). D'aout 1898 a fevrier 1899, il est a Toulouse. Il y peint surtout des natures mortes qui portent la marque d'une influence divisionniste ( Premiere nature morte orange , M.?N.?A.?M., 1899), sans doute a la suite de la lecture de l'essai de Signac De Delacroix au Neo-Impressionnisme, publie dans la Revue blanche . Il quitte les Beaux-Arts apres la mort de Moreau et s'installe en fevrier 1899 au numero 19 du quai Saint-Michel, son domicile jusqu'en 1907. En compagnie de Marquet, suivant les conseils de leur maitre, ils alternent les etudes d'apres nature (a Arcueil, au Luxembourg) et les interpretations d'œuvres anciennes. Un "?prefauvisme?" somptueux voit le jour a partir de 1899 a la faveur de natures mortes aux tons profonds ? satures ? de bleus cobalt, de verts emeraude et d'oranges, de violets pourpres, a la faveur egalement d'anatomies feminines ou masculines executees notamment dans un petit atelier de la rue de Rennes ou Eugene Carriere venait corriger et que frequentaient Derain, Laprade, Puy, Chabaud. Ces etudes puissamment construites, ou les masses sont simplifiees plastiquement, se ressentent des cours de modelage que le peintre suivait alors et etonnent ses compagnons par la hardiesse des raccourcis comme par la franchise des accords colores ( Nu a l'atelier, Londres, Tate Gal.). Malgre la modicite de ses moyens financiers, Matisse achete des estampes et des crepons japonais, un platre de Rodin et, chez Vollard, une etude de Baigneuses de Cezanne (Paris, Petit Palais), ainsi qu'une Tete de garcon de Gauguin?: au moment ou sa facture se distingue par son originalite, il a deja pris connaissance de l'œuvre des novateurs de la fin du xix e ?s. Il est pourtant contraint de travailler avec Marquet a la decoration du Grand Palais pour l'Exposition universelle de 1900, tan dis que sa femme tient une boutique de modes. En 1901, il expose au Salon des independants, et, la meme annee, a la retrospective Van Gogh chez Bernheim-Jeune, Derain lui presente Vlaminck?; le Fauvisme prend ainsi peu a peu conscience de ses moyens et justifie ses origines. Mais c'est pourtant une periode plus austere (a laquelle la pratique de la sculpture sous le signe de Rodin et de Barye n'est pas etrangere) qui prend place de 1901 a 1903?env.?: la premiere periode neo-impressionniste cesse, le coloris baisse d'un ton?; les surfaces, rigoureusement concues en fonction du rectangle du tableau, obeissent a un rythme quelque peu cezannien ( Notre-Dame en fin d'apres-midi, 1902, Buffalo, Albright-Knox Art Gal.).

La periode fauve

L'annee 1904 est celle des experiences decisives. Apres avoir expose chez Vollard en juin (premiere exposition particuliere), Matisse passe l'ete a Saint-Tropez chez Signac et reprend le divisionnisme, cette fois-ci plus methodiquement. La Terrasse de Signac a Saint-Tropez (1904, Boston, Gardner Museum) presente d'abord la somme des acquis precedents?: mise en page japonisante (Mme?Matisse pose en kimono), arabesques decoratives des tiges legeres compensees par la stabilite du mur de la maison, poses de touches variees ? de l'aplat au point. Cette economie superieure dans la repartition des effets est le trait par excellence de l'art de Matisse et explique a quel point le divisionnisme systematique pouvait le contraindre. Luxe, calme et volupte, expose aux Independants en 1905 et achete par Signac (Paris, Orsay), revele a cet egard un desaccord flagrant entre la ligne et la couleur. Mais le theme de la joie apollinienne, rayonnante sur la plenitude des formes et la nature apaisee, est significatif de l'evolution de Matisse. Le procede divisionniste lui permet aussi de verifier au plus pres la qualite et la quantite sensorielles, emotives, de chaque touche de couleur sur le champ de la toile ( Notre-Dame, 1904-1905, Stockholm, Moderna Museet). Fort de cette nouvelle experience de 1905 a 1907, durant le court moment du paroxysme fauve, Matisse donne les interpretations les plus audacieuses, mais aussi les plus diverses, dans le paysage comme dans le portrait et la composition a figures. Il passe l'ete de 1905 a Collioure, ou le rejoint Derain, et realise des tableaux ou se marque le passage du divisionnisme a une touche plus large et plus variee, a l'emploi de couleurs liberees des contraintes du mimetisme ( Marine , 1905, San Francisco Museum of Modern Art). La petite Pastorale (Paris, M.?A.?M. de la Ville) est un jalon precieux pour le developpement de l'artiste?: arabesque gracieuse encore soumise a un trace colore assez dense, palette eclairee mais relativement sobre, nus restitues par un contour sans raideur. La Fenetre ouverte a Collioure (New York, coll. John Hay Whitney) et la Femme au chapeau (San Francisco, coll. Walter A.?Maas), exposees au Salon d'automne de 1905, ou leur est applique pour la premiere fois le qualificatif de "?fauves?", temoignent d'une allegresse creatrice rare et d'une volonte de transposition qui, neanmoins, respecte l'identite du modele. Mais, si un rythme assez decoratif tendait a l'emporter dans le paysage, le visage de femme, vert, ocre et mauve, offrait une vigueur expressive inedite, que l'on retrouve dans le Portrait a la raie verte (1905, Copenhague, S.?M.?f.?K.) et dans la Gitane aux accents expressionnistes (1906, musee de Saint-Tropez). La fermete de l'assise de ces figures, construites sur de larges plans aux timbres d'une profonde sonorite (vert, violet, indigo, bleu nuit), pouvait laisser pressentir une evolution en faveur d'un resserrement de la forme, d'une discipline de la touche, exploitee en 1905 par Matisse avec le maximum de liberte. Une nouvelle rencontre devait hater cette orientation. A Collioure, l'artiste frequente Maillol, qui lui fait connaitre Daniel de Monfreid, chez qui il voit les derniers tableaux de Gauguin, et il commence a s'interesser a l'art africain (1906). Le role organisateur de l'aplat, assoupli par le jeu de l'arabesque a la fois decor et expression, va tenir desormais une grande place dans l'œuvre du maitre. Cette tendance decorative s'affirme publiquement avec disposition, au Salon des Independants de 1906, de la grande composition le Bonheur de Vivre (Merion, Barnes Foundation), repertoire des themes et des formes des annees a venir. La meme annee, il execute 3?bois graves et ses premieres lithos, techniques d'esprit fort proche de celui qu'il inaugure en peinture, surtout en 1907 ( Nu bleu, Baltimore, Museum of Art?; Luxe, premiere version et dessins au M.?N.?A.?M. de Paris, seconde version au S.?M.?f.?K. de Copenhague).

Definition d'une esthetique

Le Fauvisme a brule de ses plus beaux feux et Picasso peint les Demoiselles d'Avignon en 1907, annee de la retrospective Cezanne au Salon d'automne. Matisse fait maintenant figure, surtout aux yeux des collectionneurs etrangers (Stein, Chtchoukine, Morozov), de chef de file de la peinture francaise. En 1908, sur leurs instances, il ouvre dans son atelier parisien, rue de Sevres, une academie, qu'Americains, Allemands, Scandinaves surtout frequentent, et publie les Notes d'un peintre (25?dec. 1908) dans la Grande Revue ? importantes pour la comprehension de son art. Si l'expression est le but a atteindre, il dit l'obtenir par la disposition de son tableau, non par la mise en evidence d'un contenu emotionnel comme chez Van Gogh, mais par la recherche des "?lignes essentielles?". Et cet aspect eminemment harmonique doit, dans son esprit, dispenser a l'homme moderne une delectation toute classique qu'il cherche a faire naitre par de grandes decorations ( la Desserte, harmonie rouge , 1908, Ermitage).

La Musique et la Danse, commandees par Chtchoukine en 1909 (auj. a l'Ermitage), illustrent excellemment ce parti?: "?Trois couleurs pour un vaste panneau de danse?: l'azur du ciel, le rose des corps, le vert de la colline?" (interview pour les Nouvelles, 12?avr. 1909). A la souple guirlande des arabesques choisies pour les nus de danseuses repondent les taches discontinues des musiciens definis par un trait plus aigu. Ce gout pour la musicalite abstraite des lignes et des couleurs est confirme par l'interet de l'artiste pour l'art musulman?: il visite en 1910 avec Marquet l'exposition de Munich, passe l'hiver de 1910-11 en Espagne meridionale et le debut de l'annee suivante au Maroc, ou il retourne en 1913. Mais, en dehors des grands panneaux decoratifs, les ateliers, les figures, les paysages et les natures mortes executes de 1909 a 1913 (Moscou, musee Pouchkine?; Ermitage) presentent une grande variete de moyens, a la fois plastiques et colores, egalement decisifs dans leur application.

L'expressionnisme de la Gitane reparait dans l' Algerienne (1909, Paris, M.?N.?A.?M.), mais en quelque maniere decante. Cette figure, traitee en sobres et vigoureux aplats abruptement definis par les noirs, evoque la technique de la gravure sur bois et annonce les œuvres a peu pres contemporaines de Kirchner. La meme remarque s'impose pour les nus executes au cours de l'ete de 1909 a Cavaliere ( Nu rose, musee de Grenoble). Certaines natures mortes exploitent un arrangement et une pose de touche encore cezanniens ( Nature morte aux oranges, 1912, Paris, musee Picasso), tandis que d'autres (ainsi que des tableaux d'interieur) developpent le theme en succession de teintes plates tres attentivement ordonnees par rapport a la surface de la toile et sur lesquelles s'inscrivent les motifs privilegies (la Famille du peintre, 1911, Ermitage?; les Poissons rouges, 1911, Moscou, musee Pouchkine). Le subtil equilibre matissien entre rigueur et sensibilite atteint une acuite extreme dans les grandes decorations de 1911 ( l'Atelier rouge , M.?O.?M.?A.?; Interieur aux aubergines , musee de Grenoble) et dans la Fenetre bleue de 1913 (New York, M.?O.?M.?A.), executee a Issy-les-Moulineaux, ou habite le peintre depuis 1909. Le paysage, contemple de la fenetre, les reperes materiels de la demeure sont reduits a des elements geometriques sans secheresse investis par des plages bleues, nettement scandees par les objets ocre et vert (buste, vase, lampe) et les deux taches rouges des fleurs. Acquis par Morozov, les 3?tableaux dits "? Triptyque marocain ?" (1912, Ermitage?; Moscou, musee Pouchkine) proposent en un style plus detendu, marque par la lumiere mediterraneenne, la couleur suggerant la forme, un resume des recentes investigations. En 1914, Matisse reprend un atelier au 19,?quai Saint-Michel. Avant la decouverte de Nice et de sa plenitude solaire, en 1917, il passe, comme au debut de sa carriere, par une periode d'austerite?: harmonies plus sombres et audacieuses simplifications qui representent, accordees a son temperament, des realisations paralleles a celles du cubisme synthetique ( Porte-fenetre a Collioure, 1914, Paris, M.?N.?A.?M.). A cote des etudes d'atelier avec une echappee sur l'exterieur (le Bocal de poissons rouges, 1914, Paris, M.?N.?A.?M.) prennent place des œuvres ou les differents motifs, heureusement sertis par des courbes sur un vaste fond noir ? le noir, "?couleur de lumiere?", dit Matisse??, sont des signes purs, toutefois identifiables (les Marocains, 1916, New York, M.?O.?M.?A.?; les Coloquintes, 1916, id. ). La Porte-fenetre a Collioure (1914, Paris M.?N.?A.?M.) va plus loin encore?: les details de la fenetre elimines, ne restent en presence que des champs chromatiques essentiels, qui annoncent l'expressionnisme abstrait americain des annees 1950 (le tableau cependant n'a ete expose qu'a partir de 1966).Au cours des memes annees, la sculpture poursuit un objectif semblable en tentant de rapprocher au maximum le plan du relief ( Dos, 1916-17), recherche dont temoigne aussi la Lecon de piano (1916, New York, M.?O.?M.?A.). Quelques mois cependant apres l'achevement de ce tableau ou la synthese formelle et chromatique etait poussee tres loin, Matisse en reprend le sujet dans la Lecon de musique (1917, fondation Barnes, Merion), ou s'opere un retour a un realisme post-impressionniste.

Nice

Matisse sejourne regulierement a Nice a partir de 1918 et s'y installe en 1921. La frequentation de Renoir a Cagnes en 1918 et le climat general de l'apres-guerre, de nouveau accessible a la familiarite aimable de la vie quotidienne, justifient dans l'œuvre du maitre un retour a une realite plus proche. L' Interieur a Nice (1917-18, Copenhague, S.?M.?f.?K.), ou le palmier et la lumiere du Midi occupent une place encore discrete mais revelatrice, fait transition avec les œuvres de la recente production parisienne et celle des annees?20. Il s'agit surtout d'interieurs clairs, en teintes parfois tres proches, ou une "?odalisque?" nue ou a demi vetue participe etroitement a la tonalite affective et decorative du tableau. Certains ont une legerete elliptique voisine de celle de Bonnard ( Interieur a Nice, 1921, Paris, M.?N.?A.?M.) et qui absorbe entierement la presence feminine. D'autres, en revanche, reservent a celle-ci un effet de plasticite sensible (dans le modele du torse) qui s'eleve sur l'entour decoratif, et il faut ici encore rappeler les sculptures contemporaines de l'artiste, d'un classicisme puissant, stylise. La Figure decorative sur fond ornemental (1925-26, Paris, M.?N.?A.?M.), au titre fort explicite des intentions de Matisse, dresse une effigie feminine, en partie fidele au canon de l'art africain, sur les creatures festonnees du decor musulman. Apres la sensualite intimiste des premieres odalisques, cette œuvre participe davantage de l'atmosphere des annees?25, synthese des differents apports esthetiques du debut du siecle, et indique d'autre part le debut de nouvelles et fecondes recherches de style monumental ou d'ordre decoratif.

Voyages et investigations diverses

En 1930, Matisse voyage a Tahiti en passant par New York et San Francisco?; il retourne durant l'automne aux Etats-Unis, appele a sieger dans le jury de l'exposition internationale Carnegie a Pittsburgh, puis il se rend a Merion (Pennsylvanie), ou le docteur Barnes lui demande une peinture murale sur le theme de la Danse, deja traite pour Chtchoukine en 1910. La composition est mise en place en 1933 en presence de l'artiste (deux autres versions, aussi vastes, aujourd'hui reunies au M.?A.?M. de la Ville de Paris, prouvent l'interet porte par l'artiste au theme et a ses variations) et temoigne d'une maitrise exemplaire de l'arabesque dynamique restituant le nu inscrit sur un fond. Pour situer plus aisement ses figures, Matisse utilise au cours du travail preparatoire des papiers gouaches decoupes (procede dont il se servira en 1937 pour la couverture de Verve, revue editee par Teriade). En meme temps, il grave pour Albert Skira les illustrations des Poemes de Mallarme (29?eaux-fortes), publies en 1932. Trois ans plus tard, il execute Fenetre a Tahiti (Le Cateau, musee Matisse), carton de tapisserie tissee a Beauvais pour Mme?Cuttoli, et en 1938 dessine les decors et les costumes de Rouge et noir, choregraphie de Massine, cree par les Ballets russes de Monte-Carlo en 1939. Ces diverses realisations influencent sa conception du tableau de chevalet?: desormais, le theme est frequemment soumis a des variations nombreuses, destinees non seulement a ne retenir que l'essentiel, mais aussi a definir la situation des motifs de la maniere la plus propre a les exalter reciproquement (22?etats successifs du Nu rose, avril-octobre?1935, Baltimore, Museum of Art).

Cimiez et Vence, les gouaches decoupees

En 1938, Matisse s'installe a Cimiez, qu'il quittera en 1943 pour Vence. La guerre, qui marque l'arret des commandes monumentales, lui permet de mieux adapter aux exigences du format de chevalet sa recente experience des grandes surfaces. La Blouse roumaine (1940, Paris, M.?N.?A.?M.), nee, elle aussi, d'un travail preparatoire complexe, offre le plus heureux accord entre les vastes surfaces rouges et blanches, contenues seulement par les arabesques que dessinent les manches et les animations graphiques qui definissent le visage, les motifs decoratifs de la blouse, jusqu'aux mains, d'un trace pur et pourtant allusif. Le dessin, soutien de l'art de Matisse autant que sa sensibilite chromatique, va jouer un plus grand role au cours des dernieres annees ( Themes et variations, 158?dessins, 1941-42, publies en 1943). Les etudes de nu, surtout, evitent tout modele realiste, restituant la presence d'un volume feminin, d'une troublante proximite et pourtant desincarne, par la seule flexion du trait (dessins et fusains exposes a Paris, chez Carre, en 1941). En 1941, il commence l'illustration de Pasiphae de Montherlant (publie en 1944) et celle du Florilege des œuvres de Ronsard (publie en 1948), puis en 1942 celle des Poemes de Charles d'Orleans, mais il eprouve maintenant quelques difficultes a manier les pinceaux. A Cimiez et a Vence, il recourt de plus en plus frequemment aux papiers gouaches et decoupes, qui lui procurent une sensation physique inedite et puissante?: "?Decouper a vif dans la couleur me rappelle la taille directe des sculpteurs.?" Les 20?gouaches decoupees de Jazz (publiees en 1947) sont une demonstration de la physique de la couleur telle que l'entend Matisse et de son application aux themes d'une fantaisie pure, empruntee au monde du spectacle ou au souvenir du voyage oceanien (le Lanceur de couteaux, l' Enterrement de Pierrot, Lagons ).

En 1945, une retrospective de son œuvre a lieu au Salon d'automne (apres celle de Picasso en 1944). L'annee suivante, il travaille aux cartons d'une tenture consacree a l'eloge de la Polynesie?: le Ciel et la Mer (M.?N.?A.?M.). L'asterie, le squale, l'oiseau, la branche de corail sont librement situes dans un espace illimite, comme le bonheur de vivre, que Matisse a toujours tente de transmettre. Mais le processus de spiritualisation qui accompagnait cet effort trouva son achevement dans une contribution a l'art sacre.

En 1948, Matisse execute le Saint Dominique de l'eglise Notre-Dame-de-Toute-Grace sur le plateau d'Assy et, de 1947 a 1951, il travaille a l'edification et au decor de la chapelle des Dominicaines, a Vence. La chapelle de Vence revet une double signification, a la fois spirituelle et esthetique?: spirituelle par la fonction symbolique remplie par les differents motifs et figures qui refletent la conception de Matisse face au probleme religieux?; esthetique par la volonte de simplification qui a preside au choix du dessin comme des couleurs. A propos de celles-ci, parlant des vitraux, l'artiste fait remarquer qu'elles sont tres communes dans leur qualite, jaune citron, vert bouteille, bleu azur?; leur quantite reciproque fait seule leur merite artistique, juste appropriation du champ qui leur est imparti et leur rencontre. Les panneaux de ceramique font intervenir de la meme maniere la plage immaculee de leur support, sur lequel se detache ? ecriture, signe ? un trait noir epais cernant ou liberant le champ blanc, le caressant ou le malmenant suivant le sentiment exprime, plenitude sereine de saint Dominique ou tumulte torture de la Passion. A l'entree de la chapelle, le poisson salvateur est au-dessus de l'etoile de la bonne nouvelle?: il est blanc argent et elle est bleue. L'emanation generale confirme la destination du lieu, concu pour le recueillement et la paix.

Les dernieres toiles de Matisse ( Grand Interieur rouge , 1948, M.?N.?A.?M.) n'offrent qu'un des aspects de cette investigation creatrice capable de resoudre d'emblee quelques-uns des problemes qui devaient se poser avec acuite a l'art contemporain?: adaptation d'un style vivant a l'edifice culturel, renouvellement technique quand la peinture a l'huile semblait avoir epuise tous ses prestiges.

Les gouaches decoupees (1950-1954), que le dessin rythme parfois, allient la concision du motif considere isolement a la somptuosite decorative de l'ensemble?: le bestiaire et la flore des terres et des mers chaudes sont desormais pris au piege des ciseaux, sensibles comme naguere l'etaient les pinceaux, plus aptes a traduire l'intimisme que cette rayonnante conquete.

Et les Nus bleus (1952) sont le dernier et supreme hommage a la femme jadis trop charnelle, indolemment offerte dans des interieurs clairs, a l'image maintenant d'un ordre unitaire, ou ligne, surface, volume, couleur vibrent a l'unisson, dans la plenitude d'un accord sans defaillance. Cette esthetique triomphe encore dans la gouache de l' Escargot (1952, Tate Gal.), etonnante reussite, "?panneau abstrait sur racine de realite?", selon son auteur. Les grandes gouaches decoupees presentees a la Kunsthalle de Berne en 1959 ont ete exposees au musee des Arts decoratifs de Paris en 1962 et ont quelque peu inflechi certaines recherches contemporaines dans les collages et les assemblages.

En 1952, un musee Henri-Matisse a ete inaugure au Cateau. Le musee Matisse a Cimiez conserve une importante collection illustrant les diverses periodes de l'artiste et tous les aspects de son activite. Matisse est represente dans les grands musees et coll. part. d'Europe et d'Amerique et principalement a Moscou (musee Pouchkine) et Saint-Petersbourg (Ermitage), a Copenhague (S.?M.?f.?K.), a New York (M.?O.?M.?A.?: une Vue de Notre-Dame, 1914?; la Lecon de piano, 1916?; la Piscine, 1952), a Chicago (Art Inst.?: Femmes a la riviere, 1916), a Baltimore (Museum of Art), a Merion et a Philadelphie, a Paris (M.?N.?A.?M.) et a Grenoble ( Nature morte au tapis rouge, 1906?; Interieur aux aubergines, 1911).

D'importantes retrospectives de l'œuvre ont eu lieu en 1951 (New York), 1970 (Paris) et 1992-93 (New York). L'examen des differentes periodes s'est poursuivi parallelement?: gouaches decoupees en 1977 (Saint-Louis et Washington), periode nicoise en 1986-87 (Washington), voyages au Maroc en 1990-91 (Washington, New York, Moscou et Saint-Petersbourg), periode de 1904-1917 (M.?N.?A.?M. en 1993), realisation de la Danse pour Barnes (Paris, M.?A.?M.-V.P. en 1993-1994).