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Premiere messe en Kabylie | cdha.fr

Premiere messe en Kabylie

Première Messe Kabylie

Le tableau d’Horace Vernet "Premiere messe en Kabylie" peut etre considere comme l’expression de la grande amitie entre le peintre et le pere Dom Francois Regis, fondateur de la Trappe de Staoueli. Il evoque egalement un evenement important dans la conquete de la Kabylie.

Les hommes

Dom Francois Regis (1808-1880) . Fondateur en 1843 et premier Abbe de la Trappe de N.D de Staoueli (pose de la premiere pierre le 20 aout 1843). Son contact chaleureux lui apporta l’estime de l’ensemble des personnalites religieuses et militaires qui l’aiderent dans la realisation de l’abbaye de N.D de Staoueli. Il y resta jusqu’en 1854.

Horace Ver net (1789-1863). A ete l'un des plus celebres peintres du 19 eme siecle, le dernier d'une famille de quatre generations de grands peintres. Il est ne au Louvre le 30 juin 1789, dans les appartements qui servaient egalement d’atelier a son grand-pere et a son pere?; il etait doue d’une prodigieuse memoire qui lui permettait de peindre presque toujours sans modele. Il se presentait comme ≪?peintre des batailles?≫. H. Roujon termine son ouvrage sur le peintre par cette phrase?: ≪?Il possede le merite, le plus grand aux yeux de beaucoup, celui d’avoir chante nos gloires nationales et d’avoir fait aimer la France dans sa grandeur et ses victoires.?≫

Horace Vernet sejournait a Boufarik ou il possedait une propriete, du nom de Haouch ben kouba qui lui servait de rendez-vous de chasse.

Le nom d'Horace Vernet fut donne en 1897 a un village de Grande Kabylie dominant l'oued Sebaou.

 

La rencontre

Nous sommes en ?1853. Dom Francois Regis, passant sur la place du Gouvernement, voit venir a lui le general Randon, gouverneur de l’Algerie, accompagne du general Yusuf et d’un civil, Horace Vernet. Ce dernier, presente au religieux par le Gouverneur, lui dit gracieusement : ≪?Mon pere, j’ai quitte Paris avec l’intention d’aller vous voir a Staoueli?≫. Et moi, ajoute Yusuf,?≪?je cherchais l’occasion de vous connaitre, nous irons vous visiter?≫.

Quelques semaines plus tard, la veille du dimanche des Rameaux, Horace Vernet rend visite au pere.

Celui-ci, apres un long entretien, lui propose de passer la semaine sainte a Staoueli. Quoique venu avec la pensee de faire une simple partie de chasse, en sortant de la messe, tout emu de la solennelle attitude des religieux, il n’hesite plus a accepter l’invitation du Pere abbe.

Pendant ces huit jours, tout entier a de pieux exercices, il oublie ses amis d’Alger qui s’inquietaient de sa disparition. Toute la colonie se demandait ce qu’etait devenu le joyeux et aimable causeur que la societe algerienne se disputait. Quand on apprit qu’il vivait a la Trappe avec la regularite d’un religieux, ce ne fut qu’un cri de surprise et d’incredulite.

≪?Ce jour est le plus beau de ma vie?≫ dit-il avec emotion en quittant les religieux qui l’accompagnaient. L’amitie qui naquit au cours de cette semaine de ferveur religieuse ne connut pas de defection dans le cœur d’Horace Vernet…??

La campagne des Babors (1853)

Le general Randon preparait une expedition pour aller en Kabylie, dans les Babors, chatier quelques tribus insoumises. Il pressa Horace Vernet d’accompagner l’armee?: ≪?J’y consens, repondit le peintre, mais je voudrais emmener le Pere Regis?≫. Un chasseur partit aussitot pour Staoueli, charge d’une lettre du Gouverneur, qui invitait le Pere abbe a se joindre au corps expeditionnaire.

Celui-ci hesita quelques temps, trouvant cette demande insolite?; il consulta ses religieux qui furent d’avis qu’il devait accepter la proposition, mais c’est Mgr Pavy qui acheva de le convaincre par ces mots ≪?Allez, mon Pere, il est convenable que la religion accompagne en Kabylie le drapeau francais?≫.

Dom Francois Regis s’etant decide a rejoindre Horace Vernet, fit le voyage par mer et debarqua a Bougie. Le colonel Dieu, commandant le secteur, les accueillit et les retint quelques jours dans l’attente des ordres du quartier general puis les convoya jusqu’au camp francais. Les generaux Bosquet et Rivet se detacherent pour venir au devant du convoi. Apres avoir adresse des mots de bienvenue, le general Bosquet, commandant la premiere division, presenta au Pere Regis?un lo ng baton ferre, qui lui sera fort utile en ce pays montagneux?: ≪?Voici, dit-il en souriant, votre baton pastoral.?≫

Une vaste et confortable tente qu’Horace Vernet avait apportee de Paris, fut dressee et le peintre invita le Pere abbe a partager sa demeure.

Le 2 juin, la colonne?expeditionnaire se mit en route a midi pour se rendre a l’Etnin des Beni-Hassein, ou les deux divisions devaient faire leur jonction. La deuxieme division, celle du general de Mac-Mahon avait emprunte un chemin difficile. Les environs des Babors presentaient des pentes extremement raides et il fallait ouvrir la route a mesure que l’on avancait. La marche de nos soldats a travers ces obstacles eut, cependant, un heureux resultat, en ce sens qu’elle frappa les Kabyles de stupeur. La jonction des deux divisions se fit le 4 juin sur les rives de l’Oued-Agrioun ou le camp fut dresse.

Investiture des chefs kabyles

C’est dans ce camp qu’eut lieu le 5 juin, la ceremonie de l’investiture des chefs kabyles .

Le gouverneur s’adressa aux representants kabyles?:

Allocution du marechal Randon

?≪? Kabyles des Babors,

Je vous ai annonce de Setif que nos troupes allaient entrer dans votre pays?; que mon camp serait ouvert a ceux qui viendraient faire leur soumission ; mais que nos soldats, s’il le fallait, detruiraient toutes resistances.

Maintenant vous voila en face du drapeau de la France ; vous avez promis de servir avec fidelite notre Empereur et notre Patrie.

Je vais vous fournir le moyen de remplir vos promesses, en vous donnant l’investiture.

Rappelez-vous que votre premier devoir sera de faire respecter la justice et de proteger les faibles.

Eloignez de vous tous les gens de desordre ; nos ennemis doivent etre les votres.

Vos anciennes querelles doivent cesser, afin que la paix regne dans le pays, et que vous puissiez frequenter avec securite les marches.

Voila ce que je veux pour le bien de tous ; voila ce qu’il faut que vous rapportiez a vos freres, voila ce qui amenera sur vous les benedictions de Dieu, et nous montrera que vous meritez vraiment d’etre appeles les serviteurs de la France.?≫

Apres cette allocution, chaque chef, revetu du burnous rouge insigne du commandement, prononca le serment de fidelite a la France. La soumission des Babors etait desormais un fait accompli.

Le deroulement de la messe

Cette imposante ceremonie eut lieu un dimanche, jour de la Fete-Dieu. Le gouverneur se tournant vers le pere Francois Regis, lui dit : ≪?A vous de terminer cette belle ceremonie ≫.

Ordre est alors donne de dresser un autel sur la partie la plus elevee du camp. Horace Vernet prend l’initiative du choix et de la disposition des lieux. Les sapeurs du genie abattent un chene dans la foret avec lequel ils construisent une grande croix rustique. Des tambours sont ranges les uns sur les autres autour de l’autel, ou quelques fleurs de lauriers roses cueillies sur les bords du torrent servent de parure.

A neuf heures, deux compagnies se portent en armes, avec la musique et les drapeaux de leur regiment. La plupart des soldats sont ranges derriere elles. Au milieu de cet appareil militaire, en presence des etats-majors des deux divisions, et dans ce cadre immense forme par la mer et les montagnes, l’abbe Regis?celebre la messe.

Au moment de l’elevation, sous un roulement de tambours et au son du canon, les soldats flechissent le genou. Le ≪?peintre des batailles?≫ profondement emu, promet de mettre sur la toile et d’immortaliser par son pinceau cette belle scene.

Cette solennite, ainsi que celle qui l’avait precedee, frapperent vivement les assistants et tout faisait esperer que les Kabyles en conserveraient un profond souvenir.

Comme ses amis l’interrogeaient sur les projets de tableau qu’il emportait de son expedition de Kabylie, Vernet repondit: ≪?Je veux faire un tableau religieux. Je dois bien quelque chose au Dieu qui m’a rappele a lui: je dois peindre la messe et sa consecration.?≫

A son retour a Paris, dans un courrier du 6 decembre 1853 adresse au pere il ecrit?: ≪?Je me suis engage a faire deux tableaux, dont le plus important sera celui de la messe en Kabylie?; sujet vous le savez, pour lequel je me suis senti des le premier moment un vif attrait, et qui consacrera un fait interessant dans l’histoire de l’Algerie…≫

Le tableau

En avril 1854 la guerre avec la Russie vient d’etre declaree, il ecrit?: ≪?Il est plus que probable que j’irai rejoindre l’armee dans le courant du mois prochain. Il m’en coute de quitter mon atelier ou je travaillais avec ardeur au tableau de la messe en Kabylie… Non, non, ajoute-t-il, tres cher et tres Reverend Pere, je ne donne pas conge a l’Afrique, je lui ai de tres grandes obligations. C’est la que j’ai retrouve la paix du cœur… ≫ (27 avril 1854).

Aussi le peintre ne se presse pas de quitter son atelier?: ≪?Tout est en suspens. Il n’en est pas de meme de mon atelier, j’y travaille avec une ardeur de jeune homme a mon tableau de la Messe. J’espere bien le?terminer avant de partir pour l’Orient... Le moment que j’ai choisi est celui de l’elevation, lorsque le canon remplacait la sonnette, et la fumee de la poudre, l’encens.?≫?(25 mai 1854).

Dans une lettre, postee deux semaines plus tard, il ecrit?: ≪?Je pars aujourd’hui pour l’Orient, et je quitte, momentanement, j’espere, mon atelier, ou je laisse inacheve notre tableau de Kabylie. Les choses essentielles sont deja terminees?; c'est-a-dire que le paysage, le camp, l’autel et votre personne pourraient rester. Il ne manque que les accessoires du premier plan. Je ne pense pas que mon absence soit de longue duree…?≫ (8 juin 1854).

Il en revint souffrant pour prendre part a l’Exposition Universelle de 1855?: ≪?j’y ai expose trente sujets. Mais de ces trente, il y en a un que je considere avec plus de complaisance?: c’est ma Messe?! C’est que ce tableau, je l’ai fait avec le cœur.?≫

Dans cette œuvre du maitre, on trouve, reproduits avec une grande fidelite, le pere Regis, ≪?avec sa crosse, sa mitre brodee par Mme la baronne de Villefranche et prosterne derriere lui, son frere, le pere Thomas d’Aquin.?≫

Le 2 octobre 1861 le peintre fit une chute malheureuse, suivie de complications qui ne tarderent pas a mettre sa vie en danger. C’est en septembre 1862, que le pere Regis lui rendit sa derniere visite.

Le 17 janvier 1863 Horace Vernet s’eteignit et ses derniere paroles furent pour le pere. Il ne fut pas le seul homme illustre sur lequel le R.P.Regis exerca une influence religieuse. Ce fut egalement le cas pour le colonel Marengo, le general Yusuf et les marechaux Randon, Vaillant et Pelissier.

La marechale Randon adressa le 12 juin 1871, au pere Regis, les memoires du marechal et elle termina sa lettre par ces mots?:?≪?… Il n’oublie pas la messe en Kabylie. Qui sait si, ce jour-la, le desir de se faire catholique ne lui vint pas il y a vingt ans?!?≫. Madame la generale Yusuf lui fit les memes eloges?:

≪?… c’est a vous que mon cher Yusuf doit ses meilleurs sentiments chretiens…?≫.

En 1854, apres onze annees de travaux, d’epreuves et de souffrances, le fondateur de Staoueli quitte l’Algerie pour occuper a Rome la fonction de Procureur General de la Trappe. Il reviendra pour une courte et derniere visite en juin 1860. Il decedera le 13 mai 1880 a Montauban et son corps selon sa volonte, sera ramene le 30 mai a Staoueli ou il repose a cote du colonel Marengo.

?Yves MARTHOT

Extrait du Memoire Vive n°47

Sources : (consultables au CDHA)

- J. Bersange,? Dom Francois Regis , Paris, 1885, librairie de D. Dumoulin, 451p.

- ? Memoires du marechal Randon, ?Paris, 1875, Typographie Lahure, tome 1 - 526 p, tome 2 - 338 p.

- M. Vidal-Bue, Alger et ses peintres , Paris, 2000, edition Paris-Mediterranee, 286 p.

- E. de Mirecourt,? Horace Vernet , Paris, 1855, J P. Robert et Cie, 95 p.?