Son langage universel, transcendant les ages et les cultures, en fait un modele d'excellence et de depassement de soi. Mais au-dela des discours et des symboles, les entreprises peuvent aller plus loin en s'inspirant concretement des
pratiques du monde sportif
.
C'est ce que nous montre le parcours de Benoit Campargue. Ancien champion d'Europe et du monde de judo, aujourd’hui entrepreneur, il est ensuite devenu entraineur de Teddy Riner et de l'equipe de France Olympique de Judo, avant de partager son expertise avec d'autres disciplines sportives comme la Formule 1, le patinage artistique, le football et l'equitation.
De son experience unique, voici huit enseignements precieux que les entreprises peuvent tirer pour ameliorer leurs performances :
Lecon n°1 : l’illusion du podium
Plus un athlete se voit prematurement sur le podium, moins il a de chances d’y poser les pieds.
La performance n’est que la consequence d’une demarche d’excellence, d’un travail acharne, planifie et precis. Les grands champions preparent leurs competitions en passant consciencieusement toutes les etapes leur permettant d’atteindre le niveau requis pour eventuellement triompher. Impossible d’arriver a destination si le chemin n’est pas le bon.
Benoit Campargue le sait bien :
“Avant d’arriver sur le podium, le champion doit surtout se donner les moyens de gagner. Si ce dernier a la chance de reussir, il doit connaitre son prochain objectif une fois descendu du podium !”
Les entreprises savent rarement a quel prix la performance voit le jour. D’ailleurs, le cadrage budgetaire vise davantage a negocier les moyens qu’a verifier leur adequation avec les ambitions.
A quoi bon pousser une organisation a atteindre des resultats ambitieux sans travailler en profondeur sur la qualite du management ou des systemes d’information ? En consacrant davantage d’attention aux moyens et moins aux resultats, les dirigeants pourraient justement accroitre leur capacite a decrocher des medailles.
Lecon n°2 : pas de performance sans plaisir
Tous les sportifs de haut niveau le disent : le mental joue autant que les capacites physiques dans une grande competition.
Pour preparer leur mental,
les athletes optimisent leur plaisir autant que leur performance
au travers de moments de ressourcement collectif en famille ou avec les autres athletes, ou encore au travers d’exercices de visualisation positive afin de se reconnecter a leurs meilleures sensations.
Benoit Campargue se souvient :
“C’est avant tout le plaisir de se retrouver ensemble qui soudait et motivait le collectif de jeunes dont Teddy Riner faisait partie; par exemple dans le mini-van qui les conduisit a Bretigny tous les mercredis. Ces champions en devenir se sont appuyes sur cette solidarite pour passer les rudes epreuves exigees par le haut niveau. Cela s’appelle “se serrer les coudes” dans les moments les plus difficiles comme les long stages au japon.”
Plutot que d’opposer performance et plaisir, ou alors de cantonner les questions de bien-etre au travail au seul champ de la QVCT, les entreprises pourraient se pencher davantage sur les questions de la preparation mentale et de l’optimisation du plaisir dans la vie professionnelle.
Lecon n°3 : le talent n’est qu’un potentiel
Les athletes qui reussissent sont ceux qui parviennent a exploiter tout le potentiel de leur talent.
Cependant, nombreux sont les grands espoirs sportifs qui n'ont jamais concretise leur potentiel, faute de travail, de perseverance ou meme d'humilite.
Alors qu’il etait directeur des equipes de France olympiques de judo, Benoit Campargue selectionnait prioritairement
“ceux qui etaient en pleine progression et surtout dans une demarche de progres, plutot que ceux qui se reposaient sur leurs performances passees
”.
Aujourd'hui, les entreprises accordent une grande importance aux "talents" qu'elles cherchent a attirer, a fideliser et a developper. En privilegiant le terme de "potentiel", l'entreprise s'inscrirait naturellement dans une demarche de developpement, plus engageante et moins transactionnelle vis-a-vis des salaries. D'un point de vue purement economique, il est en outre interessant de se demander si l'organisation a deja exploite tout son "potentiel" avant de recruter de nouveaux "talents".
Lecon n°4 : s’entrainer a faire ensemble
L'entrainement occupe la majeure partie du temps d'un athlete.
C'est donc le moment opportun, libere de la pression de la competition, pour prendre des risques, observer les autres, apprendre de ses erreurs, se perfectionner et se preparer sereinement sans se blesser.
“C’est a l’entrainement que se construit la confiance d’un athlete, la vision de ses concurrents comme des partenaires ou des coaches change tout lorsqu’on est dans une demarche de progres. Plus ces concurrents vous malmenent, plus vous progressez”
confie Benoit Campargue.
En entreprise, on observe souvent une absence de moments dedies a l'entrainement. Les collaborateurs sont constamment en situation de "match", sans possibilite de prendre le temps d'experimenter et d'apprendre. Cela peut s'averer etre un frein a la performance, car il est difficile de progresser sans jamais se sortir de la pression du travail quotidien.
L'implementation d'un programme d'entrainement en entreprise pourrait s'averer etre une solution efficace pour maximiser la performance des salaries. Par exemple, lorsqu’il s’agit du travail en equipe, des sessions d’entrainement regulieres permettraient d’apprendre sans pression a se donner du feedback, a s’entraider, a collaborer.
Lecon n°5 : l’echec est un tremplin
Une fois l’emotion d’une defaite passee, les sportifs de haut niveau savent bien qu’il s’agit des moments les plus riches en apprentissage. Il s’agit donc pour eux d’
analyser leurs echecs et de les utiliser comme un tremplin pour progresser et se motiver.
“Au judo, la premiere chose que l’on apprend est la chute. En maitrisant la chute, j’apprends a ne plus en avoir peur et donc a aller au-devant des risques puis ne plus tomber. Cela est valable dans n’importe quelle discipline y compris dans le monde de l’entreprise”
explique Benoit Campargue.
En entreprise, l’echec est trop souvent synonyme de culpabilite plutot que d’opportunite. En formalisant systematiquement l’analyse des echecs - voire en les celebrant - les entreprises se donneraient les moyens de faire moins d’erreurs que leurs concurrents.
Lecon n°6 : “Decider c’est gagner”
Dans le sport aussi, il faut faire des choix strategiques et tactiques.
Ceux-ci doivent etre le plus clairs possibles pour permettre aux athletes de se preparer et de ne pas avoir a reflechir lorsqu’ils sont dans le feu de l’action.
Dans le haut niveau, prendre des decisions permet egalement de mieux analyser les raisons de ses succes ou de ses echecs sans s’en remettre aux aleas exterieurs (l’arbitre, le terrain, les concurrents, etc…). Pour atteindre la haute performance,
il vaut mieux une decision - bonne ou mauvaise - que pas de decision du tout.
“Decider c’est gagner ! Dans ces conditions, on sait pourquoi on a gagne ou pourquoi on a perdu”
aime a dire Benoit Campargue.
Les entreprises veulent prendre des bonnes decisions avec un minimum de risque, longuement documentees, ce qui peut parfois mettre en peril la capacite des equipes a s’organiser et a progresser - surtout dans un contexte de forte volatilite ou la non decision revient a subir les aleas exterieurs sans jamais rien apprendre de sa propre performance. Et si le delai de decision etait un critere de reussite autant que la performance qui en decoule ?
Lecon n°7 : l’adversaire est un partenaire
En 2022, dans son poignant discours d’adieu, Roger Federer remercie ses grands concurrents Djokovic et Nadal : “
Nous nous sommes pousses les uns et les autres, et ensemble nous avons porte le tennis a de nouveaux sommets
”. Meme dans un sport individuel,
l’autre est une source inepuisable de developpement et de performance.
Benoit Campargue l’a observe egalement :
“Des champions comme Teddy Riner doivent leur reussite a leur capacite d’apprendre en permanence de tous, de leurs amis comme de leurs concurrents, tel une eponge”.
Comme nous l’enseignent les arts martiaux, utiliser la force de l’autre a son avantage permet d’atteindre ses objectifs en utilisant le minimum d’energie. Or, en entreprise, une grande quantite d’energie est litteralement perdue dans les affrontements divers qui detruisent de la valeur plus qu’ils n’en creent : guerres de chapelles entre services, resistance au changement, tensions interpersonnelles.
Envisager la concurrence comme une opportunite d'apprentissage plutot que comme une menace modifie notre perception des collegues, y compris ceux avec qui nous n'avons pas d'affinites. Si chaque collaborateur s'efforcait d'apprendre quelque chose d'une personne differente chaque jour, cela pourrait generer une accumulation de connaissances et de savoir-faire consequente au sein de l'entreprise.
Lecon n°8 : le coach et le capitaine
Dans les sports collectifs, le leadership est distribue de maniere horizontale, c’est-a-dire que chacun est co-responsable
. L’action collective est donc la resultante des initiatives que chaque coequipier va prendre pour le bien de l’equipe.
Voici quelques exemples particulierement edifiants :
- Le coach et le capitaine d’une equipe ont des roles et des competences complementaires, l’un sur le terrain, l’autre en dehors. Le manager, lui, est souvent tiraille entre les deux postures.
- L’attaquant ne va pas consulter le coach ou le capitaine si une occasion de marquer se presente, c’est sa responsabilite qui est engagee. En entreprise, la question de l’autonomie est trop souvent etouffee par la bureaucratie du controle.
- Sur un terrain, rien n’empeche un attaquant de revenir defendre, si l’equipe en a besoin. En entreprise, les “job descriptions” figent souvent les roles de chacun en reduisant cette agilite.
- Dans une equipe, la qualite du jeu de passe et du jeu sans ballon est aussi cruciale que celle des joueurs eux-memes. En entreprise, la cooperation est plus souvent une injonction qu’un objet de travail collectif.
Plutot que de concevoir des organigrammes statiques et rigides, les entreprises pourraient gagner a maitriser comment les matchs sont joues.
En conclusion, le sport de haut niveau a bien plus a apporter que de simples valeurs symboliques.
En cette annee olympique, les entreprises ont plus que jamais l’opportunite de faire evoluer leurs pratiques en valorisant les exemples et les moments inspirants du sport.
La grande majorite des dirigeants adorent faire reference au sport comme metaphore de leur quete de performance. Le
sport
, et particulierement le
sport de haut niveau
, peut ainsi etre une veritable source d'inspiration pour les organisations (≪
Le sportif de haut niveau, une richesse pour l'entreprise
≫, de Mireille Blaess, 2024).